vendredi 28 décembre 2012

Lionel-Édouard Martin

  


                              CERCLE 4 

 A mi-chemin du Ciel, l'escalier et le retour vers la...... Pierre !





Le Nom de la rose de JJ Anaud


.Un grand chien noir en haut d’un escalier.
La mort compacte et noire en haut de ce non-lieu.
Tour native, ombilic.
Vertèbres sans matière, arbre sans pulpe ni saison.
La maison morte – où les pas des vivants pleins de
bruits ?
Le bateau mort – naufrage abrupt de pluie noire.
Ce qu’il hume en regardant le ciel – l’odeur des
vieilles chairs.
De la semelle et de l’habit qui fredonne.
Et les voix murmurant vers les êtres.
Gueule ouverte à la pluie, la bête halète. On la croirait
debout, quasi verticale, corps à l’appui des derniers
degrés. Flancs palpitants sous le respire. Grand chien
noir à jamais pris de faim, de soif amères. L’air parcourt
ses flancs sans épuiser son creux. On imagine très peu de
chair sous la peau – juste de quoi nourrir un cri plaintif,
à peine audible.
Pluie noire et plainte continue, pluie dans la pluie.
Rien ne peut s’accomplir en ce moment d’arrêt.
Presque une inertie – que ces flancs mouleurs de
vide, palpitant sous la pluie.
Grand chien noir mouleur de pluie.
Saisir dans sa poitrine la pluie noire et l’ascension
brisée.
La rupture au milieu des rebuts.
.
Telle est la solitude à mi-chemin du ciel.

Lionel-Édouard Martin, extrait d' Avènement des ponts

Tadeusz Miciński




Et le plus bel ange fut enchainé éternellement à terre!

Lucifer
Je suis le rayon divin qui brille, sombre parmi les vents furieux,
je cours au loin en hurlant — comme une cloche sourde, à minuit —
dans l’obscurité des montagnes, j’allume la rougeur de l’aube,
avec l’étincelle de mes souffrances et l’étoile de ma faiblesse.
Je suis le roi des comètes — et l’esprit se déchaîne en moi,
comme la poussière du désert souffle dans les pyramides —
moi, la foudre de l’orage — et plus silencieux qu’une tombe,
je cache la laideur et l’aspect macabre des tombeaux que je détiens.
Moi — l’abîme des arcs-en-ciel — et j’aurais pleuré sur mon sort
comme le vent froid qui souffle dans l’étang parmi les roseaux fanés —
je suis la lumière et l’éclat des volcans — et dans les plaines marécageuses,
j’avance, dans l’ennui et le deuil, et je vais comme un enterrement.
La mer joue sur les cordes des harpes — le feu monte en tourbillons
depuis les paradis — et le soleil, mon ennemi ! se lève à la gloire de Dieu.
* *
*
Mon âme enchaînée à la terre par des fers
est suspendue dans le gouffre du ventre des enfers,
et dès qu’elle s’agite et qu’elle fait battre ses ailes bruyantes,
un écho sourd lui répond comme une cloche.
Sur ma voûte, je vois une étoile en feu qui brûle
[mon cœur l’aimait autrefois],
dans la beauté angélique des vitrages d’or,
elle se rassasiait de mon sang.
La beauté du diable de René Clair
La rosée des étoiles se répand de nouveau
en baisers d’aurores meurtrières —
oh, mon âme, oh, mes cieux,
jetez votre flamme dans le gouffre des mers froides.
Je ne désire pas le soleil — seul et délaissé que je suis —
lançant le cri funeste des sommeils terrifiants,
ô, dieux des tombes — je fus abreuvé
comme vous — d’ambroisie — et nourri par le lait des lions.
Les orgues jouent le Requiem du chagrin et des remords,
les orgues jouent la mort des Centaures,
comme Damayanti pleure la perte de son époux Nal,
ainsi les orages, les tempêtes, la grêle et le givre —
en moi, sont éternels, comme les larmes prises dans l’opale.

Tadeusz Miciński


Huysmans



Le Regard de l'Ange ou la pesanteur de l'Homme 

Un autre jour une pieuse veuve, qui la soignait et qui n’ignorait point que les anges se révélaient à son amie sous une forme sensible, la supplia de lui en montrer un.
Lydwine, reconnaissante à cette femme, qui était très probablement la veuve Catherine Simon, de tant de bons soins, implora le Seigneur et, après s’être assurée que sa prière était accueillie, elle dit à la veuve :
— Agenouillez-vous, ma très chère, voici que l’ange que vous désirez connaître vient.
Et l’ange jaillit dans la chambre sous la figure d’un jeune garçon dont la robe était tissée de fils de feux blancs. Cette femme était tellement enchantée qu’elle était inapte à proférer une seule parole pour exprimer sa joie. Alors Lydwine, réjouie de la voir si contente, demanda :
— Mon frère, voulez-vous autoriser ma soeur à contempler, ne fût-ce que pendant une minute, la splendeur de vos yeux ?
Et l’ange la fixant, cette femme se souleva hors d’elle-même et, durant quelque temps, elle ne fit plus que gémir d’amour et pleurer, sans pouvoir dormir ou manger.
Lydwine disait quelquefois à ses intimes : je ne connais nulle affliction, nul mésaise qu’un seul regard de mon ange ne dissipe ; son regard opère sur la douleur comme un rayon de soleil sur la rosée du matin qu’il évapore. Imaginez-vous donc de quelles allégresses le Créateur inonde ses élus dans le ciel, puisque la vue du moindre de ses anges suffit pour disperser tous les maux et nous dispenser une jubilation qui surpasse de beaucoup toutes celles que nous pouvons, ici-bas, attendre.
Et elle ajoutait : il sied d’aimer et de vénérer ces purs Esprits qui, bien que très supérieurs à nous, consentent cependant à nous protéger et à nous servir ; et elle-même donnait l’exemple à ses fidèles en récitant devant eux cette prière :
« Ange de Dieu et bien-aimé frère, je me confie en votre bénéficence et vous supplie humblement d’intercéder pour moi auprès de mon Époux, afin qu’il me remette mes péchés, qu’il m’affermisse dans la pratique du Bien, qu’il m’aide par sa grâce à me corriger de mes défauts et qu’il me conduise au Paradis pour y goûter la fruition de sa présence et de son amour et y posséder la vie éternelle ; ainsi soit-il. »
L'ange connait le Mal.....La Leçon de piano de Jane Campion
Cet ange gardien, qu’elle exortait de la sorte, se plaisait à venir la chercher et à l’emmener, en esprit, promener.

Sainte Lywinde de Schiedam de Huysmans


jeudi 27 décembre 2012

Article/Besson


Histoire d'un Ange déchu.....


The Misfiths de Huston

Les Anges ont la Parole !

Les Anges , "Portrait de la Jeune fille en poète " par Sylvie Besson

·LES ANGES TRANQUILLES de Sophie Masson (1964-2006)

...................ou L'ART des clichés clandestins !



Entrer et tenir dans une œuvre poétique par les images éthérées de l’envol, des anges, des oiseaux, des papillons ou celles évanescentes de la rose, de la brise et des rêves relèveraient du défi si l’on ne connaissait le parcours poétique de Sophie Masson, un parcours lumineux et déterminé rythmé par un Verbe original d’un lyrisme tout en retenu, un parcours habité d’une parole fougueuse et sensible, un parcours parsemé de doutes et d’interrogations, une poésie en clair-obscur orchestrant d’autant mieux les clichés qu’elle en joue en une langue concise et serrée, en des thèmes âpres et équivoques, en des possibles qui font des anges tranquilles, ces mots qui l’accompagnent, les principaux clandestins de son « histoire ». Une f(r)iction poétique prend alors vie sous nos yeux, frissonne de tous ses élans de (dés)espérance et de révolte, use le réel jusqu’à sa plus simple expression cherchant à rendre l’émotion là où l’on ne s’y attendait plus, en de petits ensembles expressifs. Les métaphores stéréotypées ont dès lors la teinte des désillusions, celles de l’être et de la réalité : « une colombe qui plane et se pose un instant sur nos rêves vacillants » //« Ne pas se fier à la torpeur trompeuse baignée de lumière blanche » ; ce faisant, les mots du quotidien reprennent la saveur indélébile, insondable de ce « temps qui n’attend pas »; les clichés ou topoi poétiques ne disent pas, à l’instant de l’écriture, le contraire de ce qu’ils suggèrent, mais renvoient, par un habile jeu de plume(s), de juxtapositions familières et de résonances iconoclastes à une perception lucide d’un réel peut-être insaisissable ou fugitif, mais essentiellement intraduisible, tout est nommé comme une évidence et tout semble étonnamment énigmatique : « dans l’eau profonde du trouble, je guette alors un signe, un sens, une évidence » ; le poème dit la déroutante ou inquiétante étreinte délétère des choses, la banalité de certaines images habille la détresse d’un songe afin de mieux cerner la matière ou l’étoffe des errements : « Ecrire pour oublier. Non. Pour dire le vide, l’ennui l’envie. L’envie de naitre au monde d’avaler le soleil des ivresses fertiles ». L’envol est alors un départ sans promesse de retour et la transparence des choses devient un repaire afin de « taquiner le verbe ». Ainsi apparaissent les « balafres morales », se dessine le portrait de la jeune femme en « auteur du quotidien », en un autre, son double, son allié, son amant, ce JE qui prend des distances avec trop d’intimité pour mesurer l’absurdité du monde, avec pudeur, puis « entrer dans la danse ».

Sophie Masson n’a de cesse de passer, avec une discrétion extraordinaire, ses clichés en contrebande afin de tutoyer la fêlure et la fragilité derrière une menace inavouable, d’étirer l’image jusqu’à ce qu’elle ne soit plus seulement un lieu commun ou pire un non-dit, mais la révélation , par ce « coup de plume tordu », d’un désir qui en tentant de « bâillonner le malheur » avec grâce et courage, fait affleurer des instants de bonheur -fussent-ils fugitifs- dans chaque fragment de vie ou d’écriture : « Si j’avais à refaire le chemin à l’envers, je m’en irais flâner sur une terre plus légère »; l’élégiaque réprime ainsi tout acte visionnaire, se tient au plus près des affects dans une ontologie omniprésente puisque le réel, en raison de la forme singulière qu’il prend, ménage une sagesse vécue et ouvre à tous les possibles : « Volé un peu de bleu . Entrouvert le portail des possibles en attente ». Ce sont ces choix stéréotypés associés au goût du peu, choix à rebours audacieux, qui permettent à la poésie de rester humaine et aux images d’être étroitement chevillées à la terre. Le stéréotype devient, en conséquence, un instrument d’investigation, il est ce territoire à partir duquel le réel est visité en des mots simples et denses, tranquilles et dérangeants, l’ensemble dessinant en creux un mouvement irréductible : la part de la création, ici et maintenant.

Le poète « vole [donc] un peu de bleu » au cœur de l’encre noire -un bleu sur noir quasi mallarméen- et continue d’avancer, mot après mot, ponctuant l’amour de comparaisons océanes, dérobant à l’évidence ce qui fait son mystère, entre murmures et appels. En refusant d’ignorer les beautés incarnées de l’amour, en chantant les miracles d’une présence ou d’un paysage, Sophie Masson ne fait qu’interroger sur le mode apparent de la candeur ce qui ne peut se repérer d’emblée, elle substitue, à ce que nous considérons comme factice ou ornemental, l’incertitude du monde ; le poète ouvre et capture à l’intérieur d’elle-même et de ses images convenues, de ce tout visible, l’envers du décor (dé-corps ?), ce qui s’écrit charnellement au verso de sa vie. Il n’existe pas de fuite, les rivages à atteindre sont fragiles « comme de la craie », il existe juste ce réel à prendre dans ses bras, quitte à le mettre à plat, à en rendre l’inexacte platitude, à l’instar de ces clichés volés à la poésie. Les anges ne sont pas si tranquilles, ils ne déposent jamais les armes, mais battent ou donnent de l’aile, et de ces batailles angéliques nait un chant amébée mélanco-ludique ; cette écriture à deux plumes[1] impose un principe dialogique, « art des surfaces et des doublures », un ensemble polyphonique profondément harmonieux qui, en rencontrant l’autre, découvre l’infini, puis s’émeut, se relève et s’étonne ….les clichés n’étant jamais ce qu’ils paraissent.

Ce dernierecueil , stricto sensu, saisit et ravit le lecteur par surprise, sans fioritures, sans excès, les mots acquièrent alors des profondeurs éblouissantes sur une existence éveillée, une conscience poétique qui sait déjà qu’elle éclaire les vacillements du réel, avec authenticité, comme la lumière d’une étoile morte : « Voilà pourquoi j’écris. En toute simplicité. Pour dire l’amour, la vie, les courants tumultueux qui emportent nos âmes. En toute humilité. A hauteur d’homme. C’est ça. »


[1] Le manuscrit original avait pour titre Deux plumes.
Sylvie Besson

Julien Green


Les anges gardiens, humains, trop humains?


Sparrow de William Beaudine

La part des Anges, le rêve d'un homme!

Brusquement il cessa de voir la longue tache blanchâtre du plafond, et comme un homme qui tombe dans le vide, il eut l'impression que tout son sang refluait vers son cou et que ses entrailles se soulevaient. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il vit la porte dans une lueur grise qui frôlait sournoisement les murs; les deux panneaux blancs s'encadraient d'un trait noir qui semblait conduire la vue de bas en haut et de gauche à droite, indéfiniment. Non sans effort il tourna un peu la tête et aperçut le lit dont les colonnes luisaient, puis la commode aux poignées de cuivre. Quelque chose le saisit à la gorge et il crut qu'il allait pleurer, mais il se contint. Alors une joie désordonnée l'envahit. Sous les arbres un oiseau jetait quelques notes timides, s'arrêtant comme pris d'inquiétude. Joseph reconnut le chant de la grive et poussa un soupir de bonheur. " J'ai dormi, pensa-t-il. J'ai rêvé" .

Julien Green, Moira.

William BLAKE



Les ailes du temps!

...ou du désir, Wenders
L'ANGE

Je fis un rêve! Que peut-il vouloir dire?
J'étais une Reine vierge
Sous la garde d'un doux Ange:
Malheur ingénu ne fut jamais leurré!

Je pleurais nuit et jour
Et lui essuyait mes larmes,
Je pleurais jour et nuit
Et je lui cachai la joie de mon coeur

Alors il ouvrit les ailes et s'envola;
Et le matin s'empourpra, rougissant;
J'essuyai mes larmes et armai mes craintes
De dix mille lances et boucliers.

Avant longtemps mon Ange revint:
J'étais armée, ce fut en vain;
Car ma jeunesse avait fui
Et ma tête était grise

William BLAKE

mercredi 26 décembre 2012

BERNANOS.


L'Ange est dans les petites choses....




 - Travaille, fais de petites choses, a-t-il dit, en attendant, au jour le jour. Applique-toi bien ; Rappelle-toi l'écolier penché sur sa page d'écriture, et qui tire la langue. Voilà comment le curé souhaite nous voir, lorsqu'il nous abandonne à nos propres forces. Les petites choses n'ont l'air de rien, mais elles donnent la paix. C'est comme les fleurs des champs, vois-tu. On les croit sans parfum, et toutes ensembles, elles embaument. La prière des petites choses est innocente. Dans chaque petite chose, il y a un Ange. Est-ce que tu pries les Anges ?
-mon Dieu, oui... bien sûr. »
- On ne prie pas assez les Anges. Ils font un peu peur aux théologiens, rapport à de vieilles hérésies des Eglises d'Orient, une peur nerveuse, quoi ! Le monde est plein d'Anges.
Et la Sainte Vierge, est-ce que tu pries la Sainte Vierge?
- « Par exemple ! »
- La pries-tu comme il faut, la pries-tu bien?
Elle est notre mère, c'est entendu. Elle est la mère du genre humain, la nouvelle Eve. Mais elle est aussi sa fille.
L'ancien monde, le douloureux monde, le monde d'avant la grâce l'a bercée longtemps sur son cœur désolé -des siècles et des siècles- dans l'attente obscure, incompréhensible d'une "virgo genitrix"...
Des siècles et des siècles, il a protégé de ses vieilles mains chargées de crimes, ses lourdes mains, la petite fille merveilleuse dont il ne savait même pas le nom.
Une petite fille, cette reine des anges! Et elle l'est restée, ne l'oublie pas!..


JOURNAL D'UN CURE DE CAMPAGNE DE BERNANOS. 

Crevel,




Le regard de l'ange: un pas vers la mort....

"L'Ange de la Mort", Le Septième sceau de Bergman
Ton regard couleur de fleuve
Est l'eau docile et qui change
Avec le jour qu'elle abreuve.
Petit matin, Robe d'ange
Un pan du manteau céleste
Sous tes cils, entre les rives
S'est pris. Coule, coule eau vive.
La nuit part, mais l'amour reste
Et ma main sent battre un cœur.
L'aube a voulu parer nos corps de sa candeur.
Fête-Dieu.
Le désir matinal a repris nos corps nus
Pour sculpter une chair que nous avions cru lasse.
Sur les fleuves au loin déjà les bateaux passent.
Nos peaux après l'amour ont l'odeur du pain chaud.
Si l'eau des fleuves est pour nos membres,
Tes yeux laveront mon âme ;
Mais ton regard liquide au midi que je crains
Deviendra-t-il de plomb ?
J'ai peur du jour, du jour trop long
Du jour qu'abreuve ton regard couleur de fleuve
Or dans un soir pavé pour de jumeaux triomphes
Si la victoire crie la volupté des anges,
Que se révèle en lui la Majesté d'un Gange.

Crevel, Mon corps et moi.

Jean Cocteau

Qui fait l'Ange fait la Bête....

L'Ange Bleu de Josef von Sternberg



Voilà comment en nous se peut rompre une artère,
Voilà comment en nous un cycle s’interrompt,
La trompette a sonné, l’ange n’a qu’à se taire.
Ce que l’ange a défait d’autres le referont.

Ce n’est pas grave. Une minute ! Une minute
Désagréable, mais c’était du beau travail.
Or, l’ange le regarde avec ses yeux de brute
Avec ses yeux de folle, avec ses yeux d’émail.

Et s’en va. Qu’on s’y fasse. Où va-t-il ? Je l’ignore
Il l’ignore lui-même. Il est seul. Il est nu.
Il est immense. Il est une espèce d’aurore.
Boréale. Il s’en va comme il était venu.

Ce n’est pas drôle. Rien n’est drôle. C’est son rôle
De ne pas être drôle et d’être le zéro
Qui souffle dans du cuivre et désaxe les pôles,
Avec l’indifférence exquise d’un bourreau.

Il s’exécute avec l’exquise indifférence
D’un bourreau payé cher et qui n’est pas méchant.
Avec l’indifférence exquise de l’enfance
Qui torture une sauterelle dans un champ.

Le champ, pour ce supplice, ouvre ses ondes blondes.
L’ange musicien, sans être plus ému,
(Blonde est sa grâce aussi) s’éloigne entre les mondes
Jamais on ne saura quelle force le mût.

Quelle force le mût, qui lui donna cet ordre
De cueillir notre monde et de mordre dedans.
De choisir une vieille orange pour y mordre
Et pour laisser dedans la marque de ses dents.

C’est une curieuse histoire que la Bible
Raconte. Savez-vous ce qui vous pend au nez ?
Savez-vous, sentez-vous, qu’il n’est pas impossible
De revivre ce jour dont vous vous étonnez.

Et que cet ange cueille encore notre orange
Et la morde et sonnant de sa trompette d’or,
Reprenne sa musique et ce beau travail d’ange,
Sa fanfare de mise à mort.



Jean Cocteau, Le Septième Ange.



.

Stétié


A propos des cordes angéliques...........


Celui qui me convie, et qui ne peut passer pour me léserM'a fait boire à la coupe dont il a bu: tel l'hôte traitant son convive.Puis la coupe ayant circulé, Il a fait apporter le cuir et le glaive.Ainsi advient à qui boit le vin, avec le Dragon Zodiacal, en Eté.
L'accompagnateur de Hallâj, quand il y a quelques années, je rendis visite au cénotaphe, son compagnon d'éternité et son frère d'infini, en quelque sorte, était un minuscule vieillard, arbuste gravement rabougri, l'oeil blanc de cécité, et qui, quand il avait rendez-vous avec son Maître, commençait à laver à grandes eaux la pièce, puis, les enfants qui le regardaient faire étant partis, dégageant aussitôt la porte brimbalante pour qu'enfin la lumière entrât dans l'habitacle, il s'installait dans un coin, le dos cassé par l'angle dur, et marmonnait dans sa barbe étroite et longue on ne sait quelles pierreries de prière. L'après-midi où je me suis trouvé là, avec un ami cher, la lumière était dehors aride et non rafraîchie ni de près ni de loin par les brassées vivantes des palmes ventilant tout l'espace compris entre les branches de l'immense lyre constituée par le Tigre et l'Euphrate. Lyre verte comme celle dont peut-être usent dans le jardin rêvé les Anges d'un paradis immatériel et matériel tout à la fois. Ce jour-là, sur la rive inouïe d'un fleuve inaperçu de nous tous, le vieillard angélique et déjà mort chanta. Il tira de son maigre thorax et de ses poumons évaporés une voix ample, et violente, et sévère, et sonore, pour dire avec la colère des Anges justement, de ceux parmi les Anges qu'on devine usés jusqu'à la corde, et seules sont demeurées intactes les magnifiques cordes vocales, oui, il tira de son thorax les plus âpres des poèmes de Hallâj traitant de canidés l'assemblée des princes et des rois et les traînant dans la boue pisseuse du temps. Nous sortîmes de ce concert à une seule bouche abasourdis et comme touchés par l'effet foudroyant du pire alcool. Dehors, la lumière nous parut plus que jamais absurde. Ce soir-là nous mangeâmes avec un appétit vorace la carpe grasse et molle qui est le plat des hommes ordinaires après leur traversée de l'extraordinaire: il fallait ce brutal atterrissage après notre course haletante sur les chemins du feu.
*
C'était toucher l'infini.
Ce type d'événements minuscules aide ses acteurs à toucher l'infini.
Et c'est pour moi retourner à la case départ où j'estimais pouvoir dire que c'est le fini qui, à notre échelle, commandait tout le reste et même l'Echelle de Jacob. Ce serait assez satisfaisant pour l'esprit de terminer ce texte, ce très court texte sur l'infini, par ce beau mot d'échelle. Les Echelles du Levant, dont je viens. L'Echelle de Jacob, qu'il m’a plu de citer. Et René Char: «A l'âge d'homme, j'ai vu s'élever et grandir, sur le mur mitoyen de la vie et de la mort, une échelle de plus en plus nue, investie d'un pouvoir d'évulsion unique, le rêve.» Mais l'infini est cela qui, plus nu que le plus nu, déconcerte et défait tous les barreaux de nos échelles.


L'INFINI de Salha Stétié (extrait)

Les Ailes du désir, Wenders



Rilke


Tout Ange est terrible....

Elégies de Duino

"Tout Ange est terrible.
Et pourtant, malheur à moi !
pourtant je vous invoque, oiseaux de l'âme,
si près de nous êtres mortels, en toute connaissance.-
Où sont-ils les temps où Tobie, où sur le simple seuil de la maison
se tint le plus resplendissant de vous,
juste un peu déguisé pour le voyage,
et qui déjà n'était plus effrayant ?
(Un autre adolescent pour cet adolescent, curieux, qui le voyait paraître.)
Or, maintenant s'il s'en venait, l'Archange, le dangereux,
de derrière les étoiles, s'il faisait un pas
pour descendre et s'approcher :
si fort le coeur nous battrait, si haut il bondirait, éclatant,
que nous serions quasi frappés de mort. - Qui êtes-vous ?"


Théorème de Pasolini
Deuxième élégie, Rilke

dimanche 23 décembre 2012

Article Cocteau et les anges/besson..cercle 3


                             Cercle 3


A l'ombre des ailes, que trouve-t-on ? le "le matricule des Anges".....







Les Ailes du désir (Wenders)


 Cocteau ou la rechute des anges..... par Sylvie Besson.


    L’ange anthropomorphique permet également au poète de s’approcher d’un charme tentateur, sans sombrer dans le mal absolu. N’oublions pas aussi que les anges, dans le Nouveau testament, sont l’Incarnation du Verbe, selon le principe de l’Annonce, et le poète, être de parole, ne pourra résister à ce redoublement de messages, à ce Verbe fait chair comme porte ouverte à son imaginaire. Par ailleurs, l’ange réalise en lui la communion du divin et de l’humain, il apparaît comme un être double et ne peut en cela qu’entretenir une relation d’intimité avec Cocteau.
         Le poète ne fut certes pas le premier à s’intéresser aux anges dans l’histoire de l’art, les peintres et sculpteurs les dotent très tôt d’ailes pour leur permettre de voyager entre le ciel et la terre ou pour les marquer du sceau de la transcendance divine, êtres à part touchés par la grâce, messagers célestes du Royaume de Dieu ; ils se mettent aussi à porter des drapés vaporeux, des cottes de maille ou des épées. Ils s’humanisent allant jusqu’à pleurer lors de la représentation de la mise en tombeau du Christ. Les petits anges nus de Giotto, les vigoureux putti des autels, les musiciens androgynes, les métamorphoses en charmantes jeunes filles de Fra Angelico, ou inversement, les anges aux corps vigoureux de Rubens, tout participe d’une esthétique où la sensualité prédomine.
       Toutes ces formes angéliques apparaîtront à un coin de page, revalorisées, singularisées et conquises. L’ange, voyageur ailé ou non dans l’œuvre du poète, peut être d’une beauté remarquable et troublante, il peut fasciner de manière plus sulfureuse ou obscure et devenir démon séducteur.

     Cette ultime figure démoniaque de l’ange déchu fut la plus répandue au XIXème siècle , les  romantiques voient dans la légende de l’ange déchu le signe d’une attirance viscérale entre les créatures célestes et les créatures terrestres, l’ange devient un avatar de Prométhée, une image de l’homme affranchi de Dieu, un proscrit héroïque. En somme, la vision romantique de l’ange déchu transpose la question de l’aspiration ascensionnelle sur le mode de la transgression, et le personnage du délinquant céleste apparaît comme une figuration de l’artiste maudit. Cette incarnation correspond, sans nul doute, à celle du poète  que Cocteau ne cesse de revendiquer.
       Par ailleurs, l’ange des cimetières, qui sert profanement de repères, n’est-il pas une résonance autre de l’ange déchu lorsque l’on sait à quel point il représente les signes de richesse des commanditaires de tombes ? Cocteau se souviendrait-il que l’ange a besoin de « paraître » bien plus que d’apparaître ? Les anges des cimetières illustrent l’infinie diversité des représentations connues, sans omettre le rayonnement érotique qui émane d’eux, et dont Cocteau gardera également la lumineuse et inquiétante trace. Tous les anges fascinent le poète, car tous relèvent à la fois du stéréotype et du non-conventionnel, ils sont porteurs d’images tenaces, fugaces et suffisamment séduisantes pour investir la poésie et signifier l’incarnation recherchée de l’Invisible, dans la lignée notamment de Rilke ou de Mallarmé, ce que souligne fort bien Marielle Wyns dans son ouvrage :

« Héritier de la figure du gardien personnel, l’ange des poètes s’écarte progressivement de son ancrage purement religieux pour s’inscrire dans une représentation de la création littéraire. (…) Cocteau, nous le verrons dans la suite de notre analyse, s’inscrit résolument dans cette appréhension moderne de l’ange, relié à l’intériorité de l’être autant qu’à l’absolu ».

L’ange devient le personnage idéal du lieu poétique tant il révèle les angoisses de l’inaccessible, la solitude de l’homme au coeur de ce monde dépourvu de sens, le sentiment numineux s’accompagne d’une profonde désespérance. Il est aussi cet être miroitant, ce double angélique, ce divin miroir narcissique qui reconduit le poète à se mirer dans la mort. L’ange devient une passerelle entre l’intimité du poète et le réel qui le dépasse, cet Invisible qui l’écrase de tout son poids. Cocteau, en un trait d’union poétique, dessine les contours d’un ange qui s’expose monstrueusement pour signifier cette double tension de l’homme, entre l’être et le néant, dans le degré zéro de l’infini. Le poète divisé, arpente la terre sans pouvoir choisir et reste prisonnier d’une réalité où règne la douleur des expériences.
           L’être céleste lui rappelle, à n’en pas douter, l’impossibilité d’accéder à un monde autre que la terre. En ce sens, l’ange propose moins l’image d’une élévation - malgré le désir du poète - que celle foudroyante d’un retour au réel auquel Cocteau ne cesse d’appartenir : 

« Hé ! Camarade ! Hé Monsieur l’ange ! / Mais j’ai beau supplier, crier, / Vider l’encre des encriers. / L’ange reste et rien ne change » (All, p. 642).

         L’Ange est alors, en un glissement progressif de l’Invisible vers le visible, ce réel qui effraye tant Cocteau parce qu’il l’a blessé et le ramène sans cesse à sa condition d’homme. C’est pourquoi, nous allons le découvrir, l’ange est si proche des choses de ce monde, c’est pourquoi il faut lutter, se confronter au réel, en subir traces et blessures, c’est pourquoi, l’ange apporte aussi apaisement, amitiés ou jeux. L’ange est tout ce à quoi Cocteau a voulu échapper et ce vers quoi il revient. La vie a tant de richesses à exposer, le poète est disposé à renoncer à des ailes trop visibles et à sacrifier, pas à pas, ce qu’il croit être sa liberté et sa quête d’invisibilité afin d’écouter quelques chants terrestres et proposer pour qui sait la voir, puis la transcrire en mots, une poétique du monde.

          L’espace angélique envahit l’œuvre, et les anges y sont éblouissants, insupportables, égarés entre deux royaumes à l’image de leur créateur, ils voyagent de l’ombre à la lumière, se perdent sous les rayons lumineux de la terre ou se recueillent dans l’encre obscure de l’écriture. Figures nées du plus intime désir, d’un comble de détresse ou d’un chant originel, les anges coctaliens seront en quête d’un équilibre, certes boiteux, susceptible de renvoyer au sentiment d’irréalité qu’éprouve le poète face à la force inépuisable du monde qui l’entoure.

            La subjectivité angélique n’est plus un piège, ni un leurre, ni même une entrave, elle est ce regard qui saisit du réel la vérité. Cocteau dévoile, en d’infinies variations, la figure de l’Ange, empêchant ses représentations de figer le réel. Il s’agit encore d’échapper à ce qui pétrifie, mais de le faire dans un univers aux multiples dimensions et au rythme des désirs, sans métamorphose douloureuse du corps ou sans dérive mystique de l’esprit


Sylvie Besson



James Sacré




Le bonheur n'est-il qu'une ombre?


Le bonheur aussitôt dans l'ombre ça brille tilleul
toit rouge ça brille avec des jeux d'enfant poète avec des
billes des mots j'attends silence au loin billes perdues
rien dans le mot bonheur mais dans le vide le sentiment
qui persiste dans la lumière centre fleuri d'un arbre fleuri
en rond c'est comme les visages que j'aime.
----------------------------------

bonheur il brille
l'ombre un poème avec des billes
le vide et le sentiment souriants

-----------------------------------

Aussitôt le bonheur est là dans l'ombre il brille
Il grimpe au tilleul sur le toit rouge il brille
Avec des jeux d'enfant poète avec des billes
Avec des mots j'attends la rime
Au loin silence il perd ses billes et rien
Dans un alexandrin le mot bonheur qui brille (mais
dans le vide et le sentiment qui persiste de ma
pauvreté je vois dans la lumière et dans le
centre d'un arbre fleuri en rond les visages
souriants que j'aime).

James Sacré, dans Les mots longtemps.


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A l'ombre du bonheur...Petter Ibbetson d'Hattaway

jeudi 20 décembre 2012

Emily Dickinson

Les Ombres ont la parole !!!!!

J’étais morte pour la Beauté – mais à peine
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –

Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –

Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms –
Emily Dickinson
The sorrows of Satan, Griffith


Pierre Jean Jouve


L'Ombre du passé aussi vivante que la vie !

Laura de Preminger


Noir. Noir. Sentiment noir.

Frappe image noire un coup retentissant sur le gong du lointain
Pour l'entrée à l'épaisseur bien obscure de ce coeur
L'épaisse cérémonie à la longue plaine noire
De l'intérieur et de l'adieu, de minuit et du départ!
Frappe, comme un gong noir à la porte d'enfer!
Un aigre vent soulève les roseaux des sables
Confond les monts
Sous les nuées de mauvais temps de la mémoire
Fait retomber la vague en éclatante blancheur dans le néant.
C'est la journée épaisse intime où Elle part
Jetant un dernier oeil aux prouesses d'amant,
Où il quitte, quelques maigres longueurs encor de faible sable
Et poussant la vieillesse de l'âge un aigre vent.

Noir, noir, sentiment noir, oh frappe clair et noir
Pour l'épaisse cérémonie à la terre sans lendemain
Portant comme un socle divin le monument de leur départ.
II

De longues lignes de tristesse et de brouillard
Ouvrent de tous côtés cette plaine sans fin
Où les monts s'évaporent puis reprennent
A des hauteurs que ne touche plus le regard:
Là où nous sommes arrivés, donne ta main,
Puis aux saules plus écroulés que nos silences
A l'herbe de l'été que détruisent tes pieds
Dis un mot sans raison profère un vrai poème,
Laisse que je caresse enfin tes cheveux morts
Car la mort vient roulant pour nous ses tambours loin,
Laisse que je retouche entièrement ton corps
Dans son vallon ou plage extrême fleur du temps
Que je plie un genou devant ta brune erreur
Ta beauté ton parfum défunt près du départ
Adorant ton défaut ton vice et ton caprice
Adorant ton abîme noir sans firmament.
Laisse ô déjà perdue, et que je te bénisse
Pour tous les maux par où tu m'as appris l'amour
Par tous les mots en quoi tu m'as appris le chant.
III
Adieu. La nuit déjà nous fait méconnaissables
Ton visage est fondu dans l'absence. Oh adieu
Détache ta main de ma main et tes doigts de mes doigts arrache
Laissant tomber entre nos espaces le temps
Solitaire étranger le temps rempli d'espaces;
Et quand l'obscur aura totalement rongé
La forme de ton ombre ainsi qu'une Eurydice
Retourne-toi afin de consommer ta mort
Pour me communiquer l'adieu. Adieu ma grâce
Au point qu'il n'est espoir de relier nos sorts
Si même s'ouvre en nous le temple de la grâce.

"Adieu", Pierre Jean Jouve  

mercredi 19 décembre 2012

Vincent La Soudière

La Nuit appelle la Nuit....


La Nuit nous appartient de GRAY

Savoir si je saurai m’extraire du bourbier de silence et de démission où je m’enlise depuis des années. J’en ai perdu les avantages (de la solitude) et n’en subis à présent que les inconvénients : quasi-impossibilité de travailler et de croire à mon travail, refus des autres (de leur aide), et, tout récemment, douloureuses crises nerveuses à base d’insomnies, de troubles respiratoires, de confusion mentale, de tremblements, de phobies variées, etc. Mon médecin consulté juge cet état assez inquiétant. Il m’a donné un petit traitement neurologique pour enrayer ce processus dépressif ― dont les symptômes me rappellent tragiquement (en moins accusé, certes) ceux du grand bouleversement d’il y a vingt ans. L’impossibilité de fixer mon attention sur une page de livre, donc de lire, en est un des plus pénibles ; qui ne s’était pas manifesté depuis vingt ans.
Ceci pour te dire que tout cela forme un tout « symptomatique », en relation étroite avec l’être nouveau appelé à naître. Tout (et tous) me le confirme. Le modèle Michaux ne peut être le mien ; ses refus, sa solitude n’ont absolument pas la même signification, la même portée que les miens. Il a son œuvre derrière lui, il a 80 ans ; il peut se permettre (il doit) de refuser les sollicitations du monde (les plus inutiles, en tout cas). Il peut jouer les sages (peut-être en est-il un…). Mais pour moi, « jouer les sages », c’est la mort. Celui qui n’a rien à manger ne peut se permettre de refuser le morceau de pain qu’on lui propose. Ce serait de la folie, de l’autodestruction ― la négation et le mépris de la vie (et de Dieu).
Je ne veux plus vivre comme je vivais. Ma solitude était réelle ; c’est-à-dire qu’elle excluait la relation humaine. Je me drapais dans l’orgueil du non serviam (jusqu’à ne pas ― ou ne pas pouvoir ― écrire). Situation dont l’aspect destructeur m’est apparu soudain il y a quelques mois.
Est-ce capituler ? Baisser pavillon (Pavillon à tête de mort?) savoir si je saurai m’extraire du bourbier de silence et de démission où je m’enlise depuis des années. J’en ai perdu les avantages (de la solitude) et n’en subis à présent que les inconvénients : quasi-impossibilité de travailler et de croire à mon travail, refus des autres (de leur aide), et, tout récemment, douloureuses crises nerveuses à base d’insomnies, de troubles respiratoires, de confusion mentale, de tremblements, de phobies variées, etc. Mon médecin consulté juge cet état assez inquiétant. Il m’a donné un petit traitement neurologique pour enrayer ce processus dépressif ― dont les symptômes me rappellent tragiquement (en moins accusé, certes) ceux du grand bouleversement d’il y a vingt ans. L’impossibilité de fixer mon attention sur une page de livre, donc de lire, en est un des plus pénibles ; qui ne s’était pas manifesté depuis vingt ans.
Ceci pour te dire que tout cela forme un tout « symptomatique », en relation étroite avec l’être nouveau appelé à naître. Tout (et tous) me le confirme. Le modèle Michaux ne peut être le mien ; ses refus, sa solitude n’ont absolument pas la même signification, la même portée que les miens. Il a son œuvre derrière lui, il a 80 ans ; il peut se permettre (il doit) de refuser les sollicitations du monde (les plus inutiles, en tout cas). Il peut jouer les sages (peut-être en est-il un…). Mais pour moi, « jouer les sages », c’est la mort. Celui qui n’a rien à manger ne peut se permettre de refuser le morceau de pain qu’on lui propose. Ce serait de la folie, de l’autodestruction ― la négation et le mépris de la vie (et de Dieu).
Je ne veux plus vivre comme je vivais. Ma solitude était réelle ; c’est-à-dire qu’elle excluait la relation humaine. Je me drapais dans l’orgueil du non serviam (jusqu’à ne pas ― ou ne pas pouvoir ― écrire). Situation dont l’aspect destructeur m’est apparu soudain il y a quelques mois.
Est-ce capituler ? Baisser pavillon ? (pavillon à tête de mort).
Nullement. C’est courage de vivre, au contraire ; tentative d’« être ce que je suis » ― dans les étroites limites qui sont désormais les miennes ? (pavillon à tête de mort).
Nullement. C’est courage de vivre, au contraire ; tentative d’« être ce que je suis » ― dans les étroites limites qui sont désormais les miennes.
Lettre 495
Vincent La Soudière, Cette sombre ferveur, Lettres à Didier

Bernanos



Remonter les ombres jusqu'à l'Aurore......

Quand le soir tombe sur cette terre tropicale qui connait à peine l'homme, sans passé, sans ouvenirs, et pourtant si pauvres sous l'inébranlable soleil, usée jusqu'à l'os, jusqu'à son squelette de fer, par ses végétations dérisoires, inutiles, d'arbres tordus, grimaçants, tétaniques, au coeur plein de fourmis, d'herbes aigues, de fleurs exsangues -cette terre usée avant d'avoir servi, je me demande si j'ai vraiment dépassé la marge de solitude après quoi tout retour est fermé.Puis un vent se met à souffler, venu de nulle part, tombé du ciel, absolument étranger à ce pays, auquel les feuillages répondent seulement par un cliquetis métallique, et les crapauds dorés d'un bref spasme, à peine audible, de leur gorge de cristal. Je pense soudain que toute solitude a son issue, mais qu'il faut la trouver plus avant, qu'il faut remonter la solitude, ainsi qu'on remonte la nuit, jusqu'à l'aurore. Que chaque pas fait aujourd'hui vers ceux qui m'attendent , paraisse m'éloigner d'eux, ce n'est là qu'un piège, un mirage. Qu'importe où je les voie, puisque le sens de la vue est le plus trompeur de tous? je les rencontrerai tôt ou tard où ils sont, et le miracle serait que nous soyons, eux et moi, précisément là où nous croyons être.
Bernanos. Les Enfants Humiliés


Le Narcisse noir de Powell


Reverdy



La vie, une ombre comme une autre !

Ma vie
Est-ce vraiment la peine d'en parler
Tout le monde en dirait autant
Et comment voudriez-vous que l'on passât son temps
Je pense à quelqu'autre paysage
Un ami oublié me montre son visage
Un lieu obscur
Un ciel déteint
Pays natal qui me revient tous les matins
Le voyage fut long
J'y laissai quelques plumes
Et mes illusions tombèrent une à une
Pourtant j'étais encore au milieu du printemps
Presque un enfant
J'avançais
Un train bruyant me transportait
Peu à peu j'oubliais la nature
La gare était tout près
On changeait de voiture
Et sur le quai personne n'attendait
La ville morte et squelettique
Là-bas dresse ses hauts fourneaux
Que vais-je devenir
Quelqu'un touche mon front d'une ombre fantastique
Une main
Mais ce que j'ai cru voir c'est la fumée du train
Je suis seul
Oui tout seul
Personne n'est venu me prendre par la main.
Pierre Reverdy, La lumière ovale, Plupart du temps


Le Petit fugitif...sur le chemin de la vie, les ombres......

Joseph Conrad.

Voyage jusqu'au bout des Ombres.....

On se sentait tout petit, tout perdu, et pourtant, ce n'était pas absolument déprimant, cette sensation. Après tout, si on était petits, le bousier crasseux avançait - ce qui était exactement ce qu'on voulait. Vers où, dans l'imagination des pèlerins, je ne sais. Quelque endroit où ils espéraient quelque profit, je gage ! Pour moi il se traînait vers Kurz, exclusivement. Mais quand les conduites du vapeur se mirent à fuir, nous nous traînâmes fort lentement. Une longueur de fleuve s'ouvrait devant nous et se refermait derrière nous, comme si la forêt avait tranquillement traversé l'eau pour nous barrer le passage au retour. Nous pénétrions de plus en plus profondément au coeur des ténèbres. Quelle quiétude il y régnait ! La nuit parfois le roulement des tamtams derrière le rideau d'arbres remontait le fleuve et restait vaguement soutenu, planant en l'air bien au-dessus de nos têtes, jusqu'à l'aube. S'il signifiait guerre, paix ou prière, nous n'aurions su dire. Les aurores étaient annoncées par la tombée d'une froide immobilité ; les coupeurs de bois dormaient, leurs feux brûlaient bas ; le craquement d'un rameau faisait sursauter. Nous étions des errants sur la terre préhistorique, sur une terre qui avait l'aspect d'une planète inconnue. Nous aurions pu nous prendre pour les hommes prenant possession d'un héritage maudit à maîtriser à force de profonde angoisse et de labeur immodéré. Mais soudain, comme nous suivions péniblement une courbe, survenait une vision de murs de roseaux, de toits d'herbe pointus, un explosion de hurlements, un tourbillon de membres noirs, une masse de mains battantes, de pieds martelant, de corps ondulant, d'yeux qui roulaient ... sous les retombées du feuillage lourd et immobile. Le vapeur peinait lentement à longer le bord d'une noire et incompréhensible frénésie.

Au Coeur des Ténèbres de Joseph Conrad.


Barton Fink des Frères Cohen.

mardi 18 décembre 2012

Milosz



"Et l'ombre est pâle d'amour......"

Et surtout que


Et surtout que Demain n’apprenne pas où je suis -
Les bois, les bois sont pleins de baies noires -
Ta voix est comme un son de lune dans le vieux puits
Où l’écho, l’écho de juin vient boire.
Et que nul ne prononce mon nom là-bas, en rêve,
Les temps, les temps sont bien accomplis -

Jane Eyre d'Orson Welles



Comme un tout petit arbre souffrant de prime sève
Est ta blancheur en robe sans pli.
Et que les ronces se referment derrière nous,
Car j’ai peur, car j’ai peur du retour.
Les grandes fleurs blanches caressent tes doux genoux
Et l’ombre, et l’ombre est pâle d’amour.
Et ne dis pas à l’eau de la forêt qui je suis ;
Mon nom, mon nom est tellement mort.
Tes yeux ont la couleur des jeunes pluies,
Des jeunes pluies sur l’étang qui dort.
Et ne raconte rien au vent du vieux cimetière.
Il pourrait m’ordonner de le suivre.
Ta chevelure sent l’été, la lune et la terre.
Il faut vivre, vivre, rien que vivre…

 Milosz

Woolf




LES OMBRES FLOTTANTES DE WOOLF



Quelle est la belle phrase pour la lune ? Et la belle phrase pour l'amour ?


Ascenseur pour l'échafaud de Malle
De quel nom doit-on appeler la mort. Je ne sais pas.
Il me faudrait un langage intime comme en usent les amants,
des mots d'une syllabe comme en disent les enfants (...).
Il me faudrait un hurlement; un cri.


Virginia Woolf
Les Vagues