dimanche 16 décembre 2012

Pierre-Albert Jourdan


La Nature en son ombre !


Emmanuelle Riva dans le film de Fréju, Thérèse Desqueyroux
               Marcher
Pierre et poussière du chemin,

homme désagrégé, homme comblé
tout entier dans cette image de son sang,
de son avenir de silence ;
lente et lourde pierre poussiéreuse
qui dévale le sang abrupt,
long cri se délivrant
de l’étouffant tableau de calme inaccessible

le corps soudain se connaît cible,
se fait violence
à portée de la masse obscure
qui l’étreint. 


Pierre-Albert Jourdan, In Le bonjour et l’adieu, © Ce torrent d’ombres 

Pizarnik


Les Ombres de la solitude.................................


PRÉSENCE D'OMBRE

Quelqu'un parle. Quelqu'un me dit.
Extraordinaire le silence de cette nuit.
Quelqu'un projette son ombre sur le mur de ma chambre.
Quelqu'un me regarde avec mes yeux qui ne sont pas les miens.
Elle écrit comme une lampe qui s'éteint, elle écrit comme une lampe qui s'allume. Elle marche en silence. La nuit est une vieille femme la tête pleine de fleurs. La nuit n'est pas la fille préférée de la reine folle.
Elle marche en silence vers la profondeur la fille des rois.
De démence la nuit, de temps nul. de mémoire la nuit, d'ombres toujours.


  1. Alejandra Pizarnik



....ET LES OMBRES DE LA VILLE !



                                                            Film d'Olivier Asselin.

Christian Gabriel le Guez Ricord,


L'ombre se fait silence.......


À NOUVEAU SEUL...



  1. Marias Lovers de Konchalovsky


À nouveau seul sur cette grève de mon nom, sans que tu saches le référent.
Tu es restée là dans le bleu du froid et le noir de ce mont qui a ses demeures,
Te retrouvant toi-même dans cet adieu où tu me quittes sans te retourner,
Et c’est qu’il me faut me relever le défi des cendres, le lait des morts et l’étoile,
Acheter de l’or et le collyre d’un missel, peut-être là me repentir.
Mais tous les silences se souviennent, et, lorsque le vent démâte l’origine,
Il y a mon amour et l’heure est à minuit encore la mort qui s’était parée
De chaque retour que le livre aura consenti de ces jours d’hospitalité.



Christian Gabriel le Guez Ricord, Les Heures à la nuit, II. La non-mort in Le Cantique qui est à Gabriel

Réda

A l'ombre du Poème !


Une incroyable histoire, Tezlaff.



POUR UN VERGER

Poème : le seul lieu comparable à ce trouble
Heureux qui ressaisit, le soir, près d'un verger,
Ifs et roses, l'espoir souvent déchiré, double
Lumière qui s'éloigne et veut nous héberger.
Infaillible refuge, et pourtant illusoire :
Pentes au loin plus délicates qu'un bleuet,
Pures voix des enfants dans l'air lavé d'histoire,
Et le mot "mort" comme un oiseau soudain muet
Jugeant du recoin sombre où rien n'en fait accroire
A la nuit qui sourd et déjà, dans la clarté,
Crachait son encre sur la page dérisoire –
Cris en bas, soubresauts du jour décapité.
Or nier l'ombre affaiblirait cette lumière
Timide qui résiste et semble sur nos mains
Trembler tel un reflet d'étoile dans l'ornière.
Elle appelle. Comme une voix sur ces chemins
Troués de mots qui n'ont pas pu la garder prisonnière.

Jacques Réda

Woolf


  1. Le Chant de l'Obscur !

    "Quelle est la belle phrase pour la lune ? Et la belle phrase pour l'amour ? De quel nom doit-on appeler la mort. Je ne sais pas. Il me faudrait un langage intime comme en usent les amants, des mots d'une syllabe comme en disent les enfants (...). Il me faudrait un hurlement; un cri. "

    Le secret derrière la porte, Lang.

    Virginia Woolf Les Vagues

samedi 15 décembre 2012

Blockhaus/article Besson

     

Blockhaus ou l'Art de voir clair dans l'Obscur !                                    





    Les Gueules noires de la poésie ou le Verbe à contre-jour…..

                     (Eloge critique des assaillants de l’ombre)

 « Au milieu des chapelles littéraires entretuées se dresse un blockhaus. Et c’est un rude exemple que voilà. A la fois tombeau du galérien, béton noir d’avant-poste décapité de sa butte, bunker spectral d’une faction debout dans le mortier éventré de sa place à tenir ; dernier asile d’éclat tendu aux regards cuits, ce blockhaus-là a la gueule à feu d’une meurtrière invincible » (Nocolas Rozier)

     Ecrivains bouillonnants de rage et de fièvre, les poètes de Blockhaus sont à eux 5 une gamme de lyrismes singuliers, une partition de voix soulignant la force d’un engagement subjectif, ils ne s’appesantissent pas sur ce qui est de l’ordre de l’intime ou du questionnement, seule leur langue « collective » stimule des sensibilités volcaniques, leurs poèmes ne s’articulant qu’en impulsions, impétuosités, rafales et  coups de boutoir. Cette écriture à plusieurs mains est désireuse de tout dire, écumant en son mouvement la conviction de ne connaitre aucune douceur à naitre ici-bas. En revanche,  aucun larmoiement, aucun jeu de miroirs , aucune jérémiade ne viennent affadir la noirceur collective à l’œuvre, bien au contraire, dans Expérience Blockhaus, le lecteur descend dans l’Enténébré, au cœur d’une poésie qui mâche, broie, régurgite sa substance sans jamais parvenir à s’en satisfaire, dés lors sous la plume vorace, insatiable, horrifique de la Bête à cinq doigts, les mots ne se  recroquevillent pas sur eux-mêmes, mais s’amplifient en inscrivant le néant au centre de tout, tendant ainsi vers la seule lumière possible, celle du deuil. Cependant pas d’élégie blafarde, pas de chant maladif, pas de tristesse narcissique, la puissance seule d’une douleur cendrée de désastres et de biles donne raison à ce recueil de floraisons noires, à cette bouche d’ombre ou à ce cri profane qui étreint l’Obscur avec une effroyable acuité, empoignant en d’incandescentes humeurs noires les faiblesses du monde :  Dans le noir l’homme devient la vigilance même, un centre de perception tous azimuts, et son cœur devient le cœur du silence. Il sait alors que lui aussi marche dans la nuit et qu’il est cette nuit souveraine arpentant son royaume 

     Dés l’abord, l’univers familier de la Nuit, ce tutoiement peuplé d’ombres, se nimbe de colère, entre engueulades et empoignades ; les poètes de Blockhaus ne désirent, en effet, que la lumière crépusculaire d’un chant  âpre, lucide, tumultueux, un chant, dont la pesée du mot, la liberté altière de l’expression, donne tout son tranchant aux lieux visités et naufragés. On assiste alors à un déferlement, une vague de terre qui engloutit toute référence, toute nostalgie, tout conformisme tant  ces poètes de l’Extrême ouvrent des espaces de grandeur, de clameur et d’une fureur poétique souvent triviale car légitime, regardant en toute conscience leur propre sang couler, réinjectant dans leurs phrases vibrantes, veineuses, vénéneuses quelques vins brulants pour survivre  :  Putain d’enflure de soi-disant Vie, giclée auto-nommée …  longue, ta langue aux lècheries de nerf . C’est pourquoi, leurs voix ne cessent d’être en lutte contre une réalité insignifiante, contre la matière et contre tout ensommeillement, leur langue s’écrie ainsi par poussées ou par chutes, en lignes brisées, en saccades, en des rythmes vertigineux, présentant, en conséquence, l’endroit du monde comme en raison inverse de son désir. Il est vrai que leur propos est de rendre visible creux et  bosses de nos existences, puis comme à bout de nerfs, ouvrir la béance ou la vacuité de notre condition, rendre compte de ce réel au cœur duquel l’humanité suffoque dans les traquenards de l’aube : Echos TELESCOPES dans la ville électrisée/ pas se ravalant avalant d’autres pas//(…) balbutiements langages fous/onomatopées répercutées/sur des bouches bâillonnées/dans l’ombre inalphabète/ GRISAILLE HURLANTE .  En  retrouvant aussi, par hasard, les éléments de la vie au travers de la grisaille des villes, Blockhaus ravive, séance tenante, des images saisissantes, fulgurantes et violentes sur un vide effroyable, celles-ci ne sont  en rien  la traduction d’un trouble, elles sont ce trouble qui s’impose comme l’expression la plus forte, la plus directe d’une société « pourrie jusqu’à la moelle ». Ainsi, pour ces proscrits volontaires, l’excès devient une dimension verticale de l’écriture et de la pensée, si on ne crie pas les mots de l’effroi, on reste prisonnier des choses sans pouvoir s’en dégager, seule cette parole poétique, révoltée, inespérée, demeure susceptible de se déprendre de l’illusion de toute appartenance à ce relent apocalyptique incapable d’un quelconque réveil : Mais la terre est loin, la terre veut la mort du cerveau. Ou lui intime un sommeil profond, loqueteux…(…) De la pourriture à l’excavation la devise est : va, et saille tous les trous  ou lit-on encore «  je ne veux pas dormir », puis le rêve éveillé/ le désert du monde, mon cœur pas à moi qui libère/il n’y a pas de folie comme rempart/l’errance est totale sous le grincement du jour. C’est pourquoi, chaque mot ne commence que sur le bord qui l’efface afin que l’air, plus vicié que libre, lâche prise et que l’obscurité reprenne ses droits. Les bris d’ombre poétiques vacillent dans une mémoire universelle qui pourrait bien être l’autre nom de la souffrance, d’ailleurs pour respirer « en quête d’Oxygène », il faut accepter de quitter le mode artificiel des humains, il faut devenir ces hommes de la minéralité, abandonnés à dessein dans un paysage lourd et bas, il faut faire bloc afin d’entendre des nouvelles du ventre de la terre aussi profond que l’immensité de la mort et donner l’impression de n’avoir jamais commencé d’être parmi nous :  ce vertige d’un corps lancé dans la saoulerie des / matières et qui s’écroule dans l’abîme de son / origine…  .

      « Il est (donc)malaisé, mais ô combien revigorant (…) de s’approcher de ce cratère sans nom  et de découvrir une poésie dont l’essentiel est de saigner les inventions suppliciées de l’abime.(…).Jamais un groupe d’individus aussi dispersés dans l’espace et ne communiquant que par quelques lettres échangées (…) n’aura tenté avec une force de percussion équivalente, de faire face collectivement à ce qui ne peut être perçu que comme l’air du temps » ,ce contre-temps clandestin, dont parle avec brio Christian Dufourquet, émerge inlassablement au milieu des mots révulsés, là où s’impose  une Peau d’ombre  comme une véritable expérience de dépossession d’un corps, lequel prend également racine dans la chair bafouée, enragée, naufragée, une chair infernale , érotique de la mort, une chair d’ossements et de reliques, des chairs, in fine, plus somptueusement désespérées les unes que les autres.  Tout le livre est de la sorte une sublime syncope à laquelle on reste harponné  par ce que les poètes de l’Expérience  élargissent leur déversoir jusqu’à la nausée, et  que notre œil reste accroché à ce trou noir, à cet univers démiurgique d’ironies abimées :  c’est l’éternel gargouillis /Au fond de la gorge un bruit de faux-  ; et parce qu’ils forcent le jeu, parce qu’il savent ce qu’il font,  le pardon n’est pas souhaité, il est, de surcroit, possible de regarder leur corps partir en morceaux sans le moindre épanchement, et même jusqu’au point d’étranglement, on reste partagé, en somme, entre rire jaune et effroi face à cette langue toute de cris et d’exigences qui n’a de cesse de marteler la distance nécessaire. Alors même que la vision apparait comme outrancière, dans ces corps sur-exposés, Blockhaus parvient à nous  fait voir, au travers de ces tissus désincarnés, le Terrible qui est  le seul commencement du vrai : VIDES les régions du cœur/ dans la pâleur immaculée//(…)//une sorte de tournis/ Le cumul des vertiges/ sur des faces en haleine/ où le souffle bat . On étouffe désormais avec eux dans les bornes de sa chair, on se retrouve à l’étroit dans notre être, enterré vivant dans un monde glacé de conventions et d’absurdités. Quand Dieu parait s’absenter, qu’une société informe, larbine vous demande de faire silence, il convient, en un geste tellurique, de se raccrocher à quelque chose, même au cœur du Néant, sans doute à cet amas de chair et d’os qui constitue l’homme, malgré lui. Les humeurs de ce corps, ces secrétions variées, ce trop-plein de laideur ne demandent plus qu’à s’évacuer, la parole devient en ce sens bruit organique, spasme et raclement qui aboutissent au cri ultime de la Poésie :  IL Y A UNE MORT DANS LA MORT : COMME IL Y A DES YEUX QUI S’HABITUENT/ A LA NUIT…  .

    Par, avec et en ce corps pesant et inexistant à la fois, les 5 poètes se projettent au centre de leurs préoccupations qui renvoient  à la négation apparente d’une humanité, en ce sens, l’univers des images, des collages de Françoise Duvivier s’inscrit comme un corps preuve-épreuve, restituant les gestes venus se tordre en grimaçant sur l’écran du poème. Cependant, les proliférations viscérales et ogresques des chairs désertées, des corps suppliciés finissent, malgré la puanteur des caveaux où sont déjà alités les squelettes de cette terre, par nous faire sentir l’odeur d’une possible chair fraiche :  Carne que je déchire/ Chair noire et bleue/bois mort du mental. /La Merveilleuse, celle qui trancha l’ombilic avec ses talons:/chercher un visage dans les rues insoupçonnées. /Voile polaire/ dont la luminosité irradie les Etres . C’est également dans ces mêmes chairs que sont gravées humiliations et désespérances : en compressant les corps, on voit jaillir les méfaits de la société et l’image omniprésente de notre mort. Ces histoires de corps, fussent-elles macabres, apparaissent à la fois, discrètement, comme des signes de vie, un mystère incarné, décharné et, essentiellement, comme une obsession à dire combien l’homme est dépassé par son existence, ce qui entraine angoisse, ennui, délire et folie.  Voilà pourquoi le corps n’en finit pas de mal fonctionner, il est enracinement dans la contingence, engluement dans la matière qui a  toujours le dernier mot et ruine les aspirations de l’esprit.

       L’homme seul, erre donc dans un univers effrayant traversé de forces brutes, il y a du tragique à ne pas être «  un/son » corps, mais des traits autour d’un trou noir concentrique de douleur, un tragique où chacun se retrouve muré dans un rôle sans auteur, dont la seule expression reste celle de pulsions et des colères. Dénonçant le serf-arbitre de l’homme, Blockhaus rejoint le visage d’une folie annoncée de la mort, au moins celui de la folie foudroyante de l’effondrement du monde. Et même si l’on perçoit un accord minimal, « tant que je résiste je vis », même si la révolte se soutient tout au long de poèmes, même si on peut entendre un écho superbe à la haine, une faible espérance dans  ce corps qui plie, qui ne cherche ni le bonheur ni ne le fuit, les poètes-rebelles attendent  l’ouragan comme si la  paix  était en lui. Alors ils écrivent, acharnés et véhéments, pour faire face au Néant, en appellent ensuite à la mort, creusent, fouillent, remontent toujours à la surface ce qui vit sous l’angoisse des choses, sous les apparences, sous l’ingratitude du réel, un réel qu’ils dénudent et pulvérisent, de manière hallucinatoire :  Creux, crou, souffle, attise la guerre, la hache, l’épieu ! S’il n’y a pas d’outil, avec les dents, les becs, les nerfs, les serres empoisonnées ! Finira bien la guerre par céder, sous le boutoir des enfoutraces, des morts-vivants qui se trépassent et des squelettes multifaces  . D’où un climat mental de violence, un livre qui relève autant de la dissonance que de la déchirure, une poésie guerrière sillonnée d’entailles et d’entrailles, une œuvre dont  le chant fraternel possède la beauté lumineuse et tragique  des combats perdus d’avance.

Sylvie Besson.













Ancet, cercle 2


                              Cercle 2

Il n’est guère nouveau de voir son Ombre miroiter, seule l'ombre de l'Autre reste nouvelle !





On a cru percevoir une ombre, mais c’est tout aussi bien une lueur ou même rien de ce qu’on peut dire. Mais c’est là. On s’arrête, on guette. Voilà la nuit dit une voix. On ne voit rien.
Longtemps on a cru que c’était une ombre mais à une ombre il faut un corps. Un monde aussi. Des pierres, des feuilles rouges, des rires, un saxo. Quelques pas, un éclat brusque, vitre ou visage. Un rien qui insiste, qui perce. On compte : un, deux, trois. Á quatre on a perdu. On dit : trop tard. On reste au bord.


Jacques Ancet




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