lundi 18 février 2013

Reverdy

Reverdy, Histoires d'Ombres!



La trame

Une main, d'un mouvement rythmique et sans pensée, jetait ses cinq doigts vers le plafond où dansaient des ombres fantastiques.
Une main détachée du bras, une main libre, éclairée par la lueur du foyer qui venait de plus bas - et cette tête innocente et vide qui souriait à l'araignée activant dans la nuit son chef-d'oeuvre inutile.

Pierre Reverdy


Je suis un évadé de Samuel Fuller



Le voyageur et son ombre

Il faisait si chaud qu'il laissait au courant de la route tous ses vêtements un à un. Il les laissait accrochés aux buissons. Et, quand il fut nu, il s'approchait déjà de la ville. Une honte immense s'empara de lui et l'empêcha d'entrer. Il était nu et comment ne pas attirer les regards?
Alors il contourna la ville et entra par la porte opposée. Il avait pris la place de son ombre qui, passant la première, le protégeait.

Pierre Reverdy, Plupart du temps



Le Roman de Mildred Pierce de  Michaël Curtiz

dimanche 17 février 2013

Dominique Sampiero.





La main est le berger de l'ombre.




Citizen Kane de Welles



La main est le berger de l'ombre.
L'ombre des mots.
L'ombre de rien.
Elle rassemble.
Une île entre le visible et l'invisible.
C'est par là qu'elle touche les mots, qu'elle les caresse et leur parle.
Ils posent leur front glacé entre nos doigts.
C'est la mémoire des outils; des courbatures.
Des gestes vers la terre.
Et l'on se surprend à tracer dans l'air des arabesques de semailles, à abattre des arbres de verres.
A détourner des rivières muettes.
La main sait tout.
Le mouvement du pain.
Les poutres sur l'épaule.
Conduire les troupeaux.
Cueillir, toucher,ouvrir.
Quand trop de lumière aveugle, la main couvre, incline et l'espace se referme


Dominique Sampiero.

Bonnefoy



"L'homme est le songe d'une ombre" Pindare



Une autre fois.
Il faisait nuit encore. De l’eau glissait
Silencieusement sur le sol noir,
Et je savais que je n’aurais pour tâche
Que de me souvenir, et je riais,
Je me penchais, je prenais dans la boue
Une brassée de branches et de feuilles,
J’en soulevais la masse, qui ruisselait
Dans mes bras resserrés contre mon cœur.
Que faire de ce bois où de tant d’absence
Montait pourtant le bruit de la couleur,
Peu importe, j’allais en hâte, à la recherche
D’au moins quelque hangar, sous cette charge
De branches qui avaient de toute part
Des angles, des élancements, des pointes, des cris.





L'Arbre et la forêt de Olivier Ducastel et Jacques Martineau



Et des voix, qui jetaient des ombres sur la route,
Ou m’appelaient, et je me retournais,
Le cœur précipité sur la route vide.

Bonnefoy, Les planches courbes

Bernanos

L'Ombres est-elle un Mal ?

La Nuit du chasseur de Laughton


Le monde du mal échappe tellement, en somme, à la prise de conscience de notre esprit ! D'ailleurs, je ne réussis pas toujours à l'imaginer comme un monde, un univers. Il est, il ne sera toujours qu'une ébauche, l'ébauche d'une création hideuse, avortée, à l'extrême limite de l'être. Je pense à ces poches flasques et translucides de la mer. Qu'importe au monstre un criminel de plus ou de moins ! Il dévore sur-le-champ son crime, l'incorpore à son épouvantable substance, le digère sans sortir un moment de son effrayante, de son éternelle immobilité. Mais l'historien, le moraliste, le philosophe même, ne veulent voir que le criminel, ils refont le mal à l'image et à la ressemblance de l'homme. Ils ne se forment aucune idée du mal lui-même, cette énorme aspiration du vide, du néant. Car si notre espèce doit périr, elle périra de dégoût, d'ennui. La personne humaine aura été lentement rongée, comme une poutre par ces champignons invisibles qui, en quelques semaines, font d'une pièce de chêne une matière spongieuse que le doigt crève sans effort. Et le moraliste discutera des passions, l'homme d'Etat multipliera les gendarmes et les fonctionnaires, l'éducateur rédigera des programmes - on gaspillera des trésors pour travailler inutilement une pâte désormais sans levain.

Bernanos, Jounal d'un curé de campagne

Cesare Pavese,


L’Ombre est un âpre tristesse….


Valse dans l'Ombre de Mervyn LeRoy.

La colline est nocturne, dans le ciel transparent.
Ta tête s'y enchâsse, elle se meut à peine,
compagne de ce ciel. Tu es comme un nuage
entrevu dans les branches. Dans tes yeux rit
l'étrangeté d'un ciel qui ne t'appartient pas.

La colline de terre et de feuillage enferme
de sa masse noire ton vivant regard,
ta bouche a le pli d'une cavité douce au milieu
des collines lointaines. Tu as l'air de jouer
à la grande colline et à la clarté du ciel :
pour me plaire tu répètes le paysage ancien
et tu le rends plus pur.

Mais ta vie est ailleurs.
Ton tendre sang s'est formé ailleurs.
Les mots que tu dis ne trouvent pas d'écho
dans l'âpre tristesse de ce ciel.
Tu n'es rien qu'un nuage très doux, blanc
qui s'est pris une nuit dans les branches anciennes.

Cesare Pavese, Travailler fatigue, traduction de Gilles de Van.

samedi 16 février 2013

Colette



Effeuillement des ombres....






BrightStar de Campion



... Je laisse, à chaque lieu de mes désirs errants, mille et mille ombres à ma ressemblance, effeuillées de moi, celle-ci sur la pierre chaude et bleue des combes de mon pays, celle-là au creux moite d'un vallon sans soleil, et cette autre qui suit l'oiseau, la voile, le vent et la vague. Tu gardes la plus tenace: une ombre nue, onduleuse, que le plaisir agite comme une herbe dans le ruisseau... Mais le temps la dissoudra comme les autres, et tu ne sauras plus rien de moi, jusqu'au jour où mes pas s'arrêteront et où s'envolera de moi une dernière petite ombre... qui sait où?

La Vagabonde de Colette

Pier Paolo Pasolini.


......dans l’ombre qui n’a pas de lendemain.



                                      J'attends que parlent les plantes -- prises
par le profond sourire qui s'exhale
de la terre au soleil absorbés l'un par l'autre --
moi, qui ne sais pas parler, étouffé
à peine éveillé, par tant de clarté
et les sens mis à vif par l'or qui est vie
humaine chez les arbres. Or, fraîcheur,
qui gonflent ma chair de joie.
Et tout cela, de la sensuelle
douceur, n'est qu'une ombre.


Pier paolo Pasolini
EXTRAIT "Poèmes posthumes" VII 






Duel au soleil de King Vidor 




Comme un esclave malade, ou une bête
j’errais dans un monde que le sort m’avait assigné,
avec la lenteur qu’ont les monstres
de la boue – de la poussière – ou de la forêt –
rampant sur le ventre – ou sur des nageoires
sans usage pour la terre ferme – ou des ailes faites de membranes…
Il y avait autour des remblais, ou des cailloutis,
ou peut-être des gares abandonnées au fond de villes
de morts – avec les rues et les passages souterrains
de la pleine nuit, quand on entend seulement
des trains épouvantablement lointains,
et des clapotis de canalisations, dans le gel définitif,
dans l’ombre qui n’a pas de lendemain.
Ainsi, tandis que je me dressais comme un ver,
mou, répugnant dans sa naïveté,
quelque chose passa dans mon âme – comme
si dans un jour serein le soleil s’obscurcissait ;
à la douleur de la bête haletante
une autre douleur s’ajouta, plus dérisoire et plus sombre,
et le monde des rêves se fêla.

Pier Paolo Pasolini. Poésie en forme de rose (extrait) .Traduction de Nathalie Castagné