samedi 13 avril 2013

Rodenbach


              A même la Pierre, un  frémissement.....encore !


           Mood for love de Wong Kar Way



Quand la pierre est malade elle est toute couverte 
De mousses, de lichens, d'une vie humble et verte; 
La pierre n'est plus pierre; elle vit; on dirait 
Que s'éveille dans elle un projet de forêt, 
Et que, d'être malade, elle s'accroît d'un règne, 
La maladie étant un état sublimé, 
Un avatar obscur où le mieux a germé ! 
Exemple clair qui sur nous-mêmes nous renseigne : 
Si les plantes ne sont que d'anciens cailloux morts 
Dont naquit tout à coup une occulte semence, 
Les malades que nous sommes seraient alors 
Des hommes déjà morts en qui le dieu commence.

Rodenbach, Les vies encloses

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Conseil de lecture.....



Sylvia Plath


Etre un mur......


Combien de temps pourrai-je être un mur,


Une Femme sous influence de Cassavetes



protégeant du vent ?
Combien de temps pourrai-je
Atténuer le soleil de l'ombre de ma main,
Intercepter les foudres bleues d'une lune
froide?
Les voix de la solitude, les voix de la douleur
Cognent à mon dos inlassablement.

Sylvia Plath

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vendredi 5 avril 2013

Juarroz


La Pierre de Lune nous sépare..



Two lovers de James Gray



 La nuit tombe parfois
 comme un bloc de pierre
 et nous laisse sans espace.
 Ma main ne peut plus alors te toucher
 pour nous défendre de la mort
 et je ne peux plus moi-même me toucher
 pour nous défendre de l'absence.
 Une veine jaillie sur cette même pierre
 me sépare aussi de ma propre pensée.
 La nuit devient ainsi
 la première tombe.

Roberto Juarroz
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Actualité....


Les éditions Corti ont récemment publié dixième poésie verticale, de Roberto Juarroz, dans une traduction de François-Michel Durazzo (édition bilingue). 

Henry James

Les édifices d'Henry James ou "le motif dans la pierre"......



 L'herbe était parsemée de petites pierres blanches et quelques oliviers bas y poussaient. L'après-midi était d'un jaune éclatant. Je m'assis dans l'herbe, sous un des petits arbres, dont les branches n'étaient guère loin de ma tête, et je me reposai en regardant Avignon de l'autre côté du Rhône. C'était très doux, très tranquille et très agréable, bien que je ne sois pas certain que ce fût tout ce que je me serais attendu à trouver dans une semblable combinaison d'éléments : le mur d'une vieille cité comme toile de fond, un baldaquin d'oliviers et, comme couche, la terre provençale.  

Henry James, Voyage en France


Les Innocents de Clayton


  Je suppose que j’avais tellement pressenti, ou redouté, quelque chose de mélancolique, que ce qui m’accueillait ne pouvait être qu’une bonne surprise. Je me rappelle comme la plus agréable des impressions la large et limpide façade, ses fenêtres ouvertes, ses frais rideaux, et les deux servantes guettant mon arrivée ; je me souviens de la pelouse, des fleurs éclatantes, du crissement des roues sur le gravier, des épaisses frondaisons au-dessus desquelles les freux tournoyaient et croassaient dans le ciel doré. Ce décor avait une grandeur qui le rendait bien différent de ma triste maison familiale, et alors est aussitôt apparue à la porte, tenant une petite fille par la main, une personne courtoise qui m’a fait une révérence aussi correcte que si j’avais été la maîtresse des lieux ou une visiteuse distingué. 

Henry James, Le Tour d'écrou

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Conseils de lecture...

jeudi 4 avril 2013

Thierry Metz


La Pierre est une statue de larmes...

Toujours le plus
aura manqué
la langue a touché 
trop d'ombre
trop compté
les lettres du nom
une fois
cent fois
mille fois
les mains
ont rebâti
la statue des larmes
mot 
tombé
d'un mot
l'être
a roussi
dans le souffle
quelle fin
la bouchetroue
un visage



Le Gouffre aux chimères de Billy wilder


l'ombre
gouverne
sous les yeux
une pierre
pousse
entre nous

Thierry Metz
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L'ANAGNOSTE: Diérèse, N°56, Thierry Metz  Diérèse, N°56, Thierry Metz 
Bâtir et simplifier
Par Romain Verger 
A lire sur L'Anagnoste donc!
http://anagnoste.blogspot.com/20...
Voir Trans-spheres.

mercredi 3 avril 2013

Samuel Beckett

Entre quatre murs, la pétrification est proche....



                                  There was a Father d'Ozu



 Je suis dans la chambre de ma mère. C'est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j'y suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement. On m'a aidé. Seul je ne serai pas arrivé. Cet homme qui vient chaque semaine, c'est grâce à lui peut-être que je suis ici (….). Je ne sais pas. Je ne sais pas grand-chose, franchement. La mort de ma mère, par exemple. Était-elle déjà morte à mon arrivée ? Ou n'est-elle morte que plus tard ? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être ne l'a-t-on pas enterrée encore. Quoi qu'il en soit, c'est moi qui ai sa chambre. Je couche dans son lit. Je fais dans son vase. J'ai pris sa place. Je dois lui ressembler de plus en plus. Il ne me manque plus qu'un fils. J'en ai un quelque part peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux maintenant, presque autant que moi. C'était une petite boniche. Ce n'était pas le vrai amour. Le vrai amour était dans une autre. Vous allez voir. Voilà que j'ai encore oublié son nom.

Samuel Beckett, extrait de Molloy.
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Actualité.....


La Revue des Lettres modernes, Série Samuel Beckett, Samuel Beckett 3 : "les 'dramaticules'"

Sous la direction de Llewellyn Brown



Caen : Lettres modernes Minard,  2013.



Si les “grandes pièces” – En attendant Godot, Oh les beaux jours et Fin de partie – font désormais partie du répertoire des metteurs en scène, le dernier théâtre de Beckett demeure méconnu des non spécialistes. Ainsi, ce troisième volume de la Série Samuel Beckett cherche à mettre en évidence l’extrême richesse poétique de ces œuvres de la maturité.

mardi 2 avril 2013

Jean-René Huguenin

   Du rocher, l'homme voit trouble....



  Ils partirent ensemble pour le phare du Creach, marchant de front sur la route, mais lorsqu’ils eurent visité le phare ils s’égaillèrent dans les rochers, des groupes se formèrent, Olivier se retrouva seul. Une petite bruine invisible tombait, estompant les contours des rochers, noyant toutes les couleurs - même l’herbe semblait grise. Il avança sur une pointe que les vagues, brisées par des récifs, ne battaient plus que de leur écume. Du rocher où il s’appuyait, il les vit passer au loin, brouillés dans la brume d’Ouessant, Nicolas, François et sa femme, puis les jumeaux et Ariane, enfin Pierre et Anne, chaque groupe à une trentaine de mètres derrière l’autre, défilant d’une démarche lente, étouffée ainsi que des souvenirs. Ils étaient trop loin, à présent, pour qu’il pût les rejoindre avant qu’ils ne disparussent de l’autre côté de la pointe; s’il criait, le vent emporterait son cri  et les gestes qu’il aurait pu faire pour les appeler, personne ne tournerait la tête pour les voir.
Ils disparurent.



Les Proscrits de Victor Sjöström (Merci Florian!)




Au loin, par deux fois, la bouée du CreaCh hurla. Rien ne bougeait sur la lande, que les formes floues de quelques moutons. Olivier resta plusieurs minutes immobile, face au vent, les mains enfoncées dans les poches de son suroît jaune. La tête un peu rejetée en arrière, seul au-dessus des arènes de la mer, il regardait charger les vagues.

De nouveau il entendit la bouée ― deux coups prolongés qui ne ressemblaient pas à une plainte, mais au hurlement inexpressif d’un sourd-muet ou d’un idiot. Les autres aussi, sur d’autres rochers, l’entendaient. Nicolas tournait vers la bouée son mufle endolori, criant « voilà, j’arrive », Ariane et les jumeaux riaient tandis qu’un peu plus loin François, sa moustache rousse au vent, deux flammes rousses furetant dans ses yeux de rat, entourait l’épaule de sa femme comme pour la protéger du bruit.


À quoi bon les rejoindre ? Qui l’attendait ? Il était seul. Simplement, la présence des autres, leurs questions et leurs cris lui dissimulaient parfois sa solitude, formaient entre elle et lui comme un écran dont il éprouvait à cet instant la transparence et l’irréalité. Une force douloureuse le traversa, il pivota lentement sur lui-même ― les rochers déchiquetés, noirâtres, le phare lointain, la lande noyée, les moutons, les rochers ― et il lui sembla faire d’un seul regard le tour de toute la terre. « Personne n’existe », murmura-t-il.


Jean-René Huguenin, La Côte sauvage
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          Conseils de lectures....