vendredi 10 mai 2013

Bernanos

Le labyrinthe invisible de notre perte....le Néant !



Persona de Bergman

  Le monde du mal échappe tellement, en somme, à la prise de conscience de notre esprit ! D'ailleurs, je ne réussis pas toujours à l'imaginer comme un monde, un univers. Il est, il ne sera toujours qu'une ébauche, l'ébauche d'une création hideuse, avortée, à l'extrême limite de l'être. Je pense à ces poches flasques et translucides de la mer. Qu'importe au monstre un criminel de plus ou de moins ! Il dévore sur-le-champ son crime, l'incorpore à son épouvantable substance, le digère sans sortir un moment de son effrayante, de son éternelle immobilité. Mais l'historien, le moraliste, le philosophe même, ne veulent voir que le criminel, ils refont le mal à l'image et à la ressemblance de l'homme. Ils ne se forment aucune idée du mal lui-même, cette énorme aspiration du vide, du néant. Car si notre espèce doit périr, elle périra de dégoût, d'ennui. La personne humaine aura été lentement rongée, comme une poutre par ces champignons invisibles qui, en quelques semaines, font d'une pièce de chêne une matière spongieuse que le doigt crève sans effort. 

Bernanos, Journal d'un curé de campagne




Un regard toujours très juste d'Asensio sur Bernanos, honnêteté intellectuelle oblige!


Sylvia Plath


De pierre au nuage, le labyrinthe lyrique....



Pas facile de formuler le changement que tu as fait en moi.

Two lovers de James Gray


Si je suis en vie maintenant, j’étais alors morte,

Bien que, comme une pierre, indifférente totalement,

je restais là immobile suivant mon habitude.

Tu ne m’as pas seulement bougée d’un pouce, non -

Ni même laissé ajuster mon petit Œil nu

A nouveau vers le ciel, sans espoir, bien sûr,

De pouvoir saisir le bleu, ou les étoiles.

Ce n’était pas ça. Je dormais, disons : un serpent

Masqué parmi les roches noires comme une roche noire

dans le hiatus blanc de l’hiver -

Comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir

A ce million de joues parfaitement polies

Qui se posaient à tout moment afin de faire fondre

Ma joue de basalte. Et elles devenaient larmes,

Anges pleurant sur des natures monotones,

Mais je n’étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.

Chaque tête morte avait une visière de glace.

Et je continuais de dormir, comme un doigt tordu

La première chose que j’ai vue n’était que de l’air pur

Et ces gouttes enfermées qui montaient en rosée,

Limpides comme des esprits. Tout alentour

Beaucoup de pierres compactes et inexpressives

Je ne savais pas quoi faire de cela.

Je brillais, écaillée de mica,

et déroulée pour me déverser tel un fluide

Parmi les pattes d’oiseaux et les tiges des plantes.

Je ne m’étais pas laissé berner. Je t’ai reconnu aussitôt.

L’arbre et la pierre scintillaient, sans ombres.

La longueur de mes doigts a grandi, lucide comme du verre.

J’ai commencé à bourgeonner comme rameau de mars :

Un bras et une jambe, un bras, une jambe.

De pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.

Maintenant je ressemble à une sorte de dieu

Je flotte à travers l’air, âme tournoyante,

Aussi pure qu’un pain de glace. C’est un don.

 Sylvia Plath, Lettre d'amour.

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Sur *Esprits Nomades*, Chronique d'une stigmatisée....un florilège de poèmes , également!


http://www.espritsnomades.com/si...
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Lorand Gaspar


Le Labyrinthe lumineux des ombres 


...un son qui t'accompagne, une lame d'éclair
 deux heures du matin quelque part dans l'espace
 syllabes de lueurs, bougies qui dérivent
 le chant est un tortueux labyrinthe
 creusé dans les corps solitaires -
 nous conduira-t-il  jusqu'à l'aube ?



La Ligne rouge de Terrence Malick


Va et vient d'icônes, d'encens, de voix
 le pouls furtif des flammes minuscules
 clignotements dans le gouffre immuable

Et nos mots sont pareils à un plongeur
 dans les glauques profondeurs de l'oubli
 algues et sables mêlés à nos voix

Cris tout au fond des chambres sans mémoire
 où des corps cherchent l'unique fenêtre
fleuve dans le fleuve, chant dans le chant
 nage secrète dans le corps du nageur -

Nous sommes les eaux de l'immobile voyage
 les faîtes et les creux du temps
 serrant la barre du cri sur le ventre -

Dans les labours de mer des ombres blanches
 fous, pétrels, frégates, fulmars
 fouillent l'écume des eaux déchirées -

Lorand Gaspar, Patmos



Lorand Gaspar/James Sacré dans la revue Terres de Femmes d'Angèle Paoli. Prix européen de la critique poétique francophone Aristote 2013.


mercredi 8 mai 2013

Sébastien Brébel




                                La maison, 

miroir labyrinthique tendu à nos  

fantasmes !





Rebecca d'Hitchcock





Nous voyons une maison et nous savons immédiatement quel type d’existence est possible dans cette maison. […] Dans les plus brefs délais, nous savons si nous pourrons habiter cette maison ou si nous devons au contraire renoncer à vivre dans cette maison. Le caractère habitable ou non de la maison est immédiatement connu de tous. Tout ce que nous allons expérimenter, tout ce que nous allons penser et tout ce que nous allons ressentir, nous pouvons le regarder comme si nous l’avions déjà vécu. En moins d’une minute, nous pouvons imaginer notre existence future dans cette maison, nous pouvons percevoir cette existence comme si elle était déjà accomplie et révolue. […] Nous imaginons nos vies possibles dans des maisons inconnues, et à la fin ces existences s’entassent les unes sur les autres quelque part au fond de nous.

Sébastien Brébel, Villa Bunker





Rebecca d'Hitchcock



Et la nuit venue, lorsqu’il était sur le point de s’endormir, de nouvelles portes s’ouvraient dans son cerveau, il arpentait les étages mentalement, visitait les chambres l’une après l’autre, dans une succession morne et prévisible, passant en revue ses souvenirs comme s’il battait un jeu de cartes de façon mécanique, inconsciente, récapitulant l’ordre et la grandeur de chaque pièce, et il continuait à parcourir la villa dans ses rêves, comme perdu dans un décor de théâtre .

Sébastien Brebel, Villa Bunker
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Note sur *La Villa Bunker*.

Avec Villa Bunker, c’est tout autre chose, à contre-courant de cette tendance récente, que nous propose Sébastien Brebel, jeune romancier vivant à Nantes où il enseigne la philosophie. Le titre l’indique d’emblée, il y est question d’enfermement plutôt que de grand large. Certes « villa » fait penser d’abord à villégiature, mais, en l’occurrence, il serait plus pertinent de parler, pour cette grande bâtisse de bord de mer où se retirent les parents du narrateur, d’une « ex-prison », tant la villa en question paraît revêche et mal habitable, transformant peu à peu ses deux occupants en « prisonniers d’une architecture maudite ». Propice au huis clos, l’endroit paraît idéal pour que s’y noue une intrigue puisant dans la névrose familiale. Et le roman semble bien pouvoir emprunter cette piste. Le père, en proie à quelque chose comme une folie Wittgenstein, se retire au dernier étage d’une tour d’angle, où il s’acharne à un « travail de réflexion et de clarification », dont il attend qu’il lui découvre « tôt ou tard la mathématique de la villa idéale ». La mère, enfermée, elle, dans le salon de réception, s’abandonne à la pulsion graphomane qui la conduit à inonder son fils de lettres. Et la névrose maternelle d’épancher sa rancœur (« depuis ton plus jeune âge tu as manifesté ta détestation de toute musique, tu t’es révolté contre la musique que je jouais et contre la musique que j’écoutais »), de récriminer contre la « folie Foucault » du fils (qui est aussi le narrateur). Elle lui reproche d’avoir tout sacrifié à une thèse sur l’auteur de l’Histoire de la folie à l’âge classique, thèse définitivement au point mort. L’enfant, qui déjà se cloîtrait dans sa chambre pour recopier la Seconde Préface de la Critique de la raison pure ou les quarante premières pages de la Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, est ainsi devenu « un raté ou une sorte de monstre », « tout cela par la faute d’un philosophe mort du sida ». Et le ton acariâtre de la mère n’est alors pas loin de faire songer à celui que Thomas Bernhard prête à ses personnages, avec le même effet jubilatoire pour le lecteur (« est-ce que la philosophie mène là, alors je dis que la philosophie est une maladie mortelle et plus redoutable que toutes les maladies »). ………..Dans l’espace clos d’une villa qui a tout d’un château labyrinthique, ce n’est pas la prise de possession d’un espace familial qui en effet advient (« l’emménagement » n’aura jamais lieu). Bien plutôt, l’auteur s’attache à traquer tous les indices d’une lente « déterritorialisation » qui voit le lieu se détraquer, se creuser d’inquiétants trous noirs. Au point que la réalité finit par devenir indiscernable du rêve (ou plutôt du cauchemar) et les personnages eux-mêmes par osciller entre existence et non-existence, vie réelle et vie fantomatique. Car si la villa s’avère inhabitable, ce n’est pas seulement en raison de son architecture étrange, c’est aussi, au bout du compte, parce qu’elle est hantée par un passé énigmatique et habitée par un fantôme….


Villa Bunker n’est pas un livre qui fait voir du pays, c’est un livre qui creuse...... 

Jean-Claude Pinson

Actualité : Sortie de *La Baie Vitrée* (mai 2013)
http://www.youtube.com/watch?v=jKYfu_E4fCA&feature=player_embedded#t=0s

mardi 7 mai 2013

Lionel-Edouard Martin


 "Libre de labyrinthe", le pas de l'homme heurte-t-il la beauté ?


Mort à Venise de Visconti



Icare

......
Dédale, cervelle
D’Icare et de Craie :
Où gagne en crue le nom d’oiseau comme en mémoire un mot sécrète la parole,
Deux strophes d’ailes
Agite en mon langage
Ce nom d’oiseau, j’éprouve penne à penne
L’accroissement de mes syllabes,
Le texte se fuselle et glisse mieux dans l’air, prend modèle d’alouette et m’emporte,
Écriture verticale,
À l’aplomb de la palme et de l’eucalyptus.


Chemin de ciel ; libre de labyrinthe,
À mouvements de parole
Mon corps prend plume : pétrel empli d’un chant qu’aucune
Corne n’imite,
Au seul battement de ses ailes
S’accorde le chant d’Icare,
Avec ponctuation du coeur comme d’un jour naissant, vibrant de miel et de vin si profond
Que la mer est appelée vineuse…

Extrait de *Autour de foudre* de Lionel-Edouard Martin


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Pas seulement des articles, mais aussi des poèmes, des extraits de romans et des traductions poétiques!


http://lionel-edouard-martin.net...

dimanche 5 mai 2013

Sylvia Plath,



La posture verticale ou le labyrinthe invisible....


Mais je préférerais être horizontale.

Je ne suis pas arbre avec mes racines dans le sol

suçant à moi minéraux et amour maternel

afin qu’à chaque mars je puisse être éclaboussure de feuilles


Non plus ne suis la beauté d’un jardin allongé

arrachant des ah enthousiastes et peint de façon baroque

sans savoir que je perdrai mes pétales

par rapport à moi, un arbre est immortel

et si petite la tête d’une fleur, mais plus saisissante

et tant je voudrais la longévité de l’un et la hardiesse de l’autre.


Cette nuit, dans l'infinitésimale lumière des étoiles,

les arbres et les fleurs ont déversé leurs odeurs froides 

Je marche parmi eux, mais aucun ne me remarque.

                     La terre  d’Alexandre Dovjenko. Un immense merci à Florian Poinot pour cette image retrouvée!


Parfois je pense que lorsque je dormais

je devais parfaitement leur ressembler -

Pensées parties dans le sombre.

Cela serait si normal pour moi, de m'étendre. 

Alors le ciel et moi parlons franchement,

et je serai enfin utile quand je reposerai pour de bon:

alors les arbres pour une fois me toucheront peut-être, et les fleurs auront du temps pour moi.


Sylvia Plath, verticale je suis 

W.G. SEBALD

Le labyrinthe ou vide intérieur de Sebald....


  C’était une belle journée radieuse, les branches des palmiers de la place du Maréchal-Foch remuaient légèrement dans la brise venue de la mer, il y avait dans le port un bateau de croisière blanc comme neige, tel un grand iceberg, et je me promenais par les ruelles avec le sentiment d’être libre comme l’air, je pénétrais dans l’une ou l’autre des sombres entrées de maison semblables à des galeries de mine, je lisais avec une certaine piété les noms des inconnus sur les boîtes aux lettres de fer-blanc, et j’essayais de m’imaginer habitant l’une de ces forteresses de pierre, sans autre occupation jusqu’à la fin de mes jours que l’étude du temps passé et du temps qui passe. Mais comme aucun d’entre nous ne peut sereinement rester face à soi-même, et comme nous devons tous avoir des projets plus ou moins sensés, le fantasme qui venait de naître en moi – passer quelques dernières années sans la moindre espèce d’obligation – fut bientôt refoulé par le besoin de remplir l’après-midi d’une manière quelconque, et donc, sans savoir comment je me retrouvai dans le hall du musée Fesch, tenant à la main un carnet, un crayon et un billet d’entrée.




     
  1. Vertigo d' Hitchcock
W.G. SEBALD, extrait de CAMPO SANTO





Superbe revue d'Europe sur Sebald !

un numéro de la revue Europe coordonné par Lucie Campos et Raphaëlle Guidée devrait paraître à l’automne 2012, en prolongement d’une journée d’études qui s’est tenue à l’université de Poitiers le 25 novembre 2011. Les amateurs de Sebald pourront, en attendant ces différents événements, poursuivre la lecture du blog Norwich (http://norwitch.wordpress.com/), fabuleux blog francophone sur Sebald et toute une constellation d’auteurs et d’artistes dont l’œuvre résonne avec son « histoire naturelle de la destruction ».