dimanche 24 août 2014

woolf



Sous le visage, le silence....




Fiona d'Amos Kollek


    C’est curieux de voir hésiter les gens à la porte de l’ascenseur. Passeront-ils ici, ou là ? Leur individualité s’affirme par le choix : ils sortent. Une nécessité les pousse, l’obligation misérable d’aller à un rendez-vous, d’acheter un chapeau, sépare ces beaux êtres humains si parfaitement unis tout à l’heure. Quant à moi, je n’ai pas de but, je n’ai pas d’ambition. Je me laisse porter par le courant. La surface de mon esprit glisse comme un pâle ruisseau reflétant les objets qui passent. Je suis incapable de me rappeler mon passé, la forme de mon nez ou la couleur de mes yeux, ni quelle est l’opinion que j’ai généra-lement de moi-même. Ce n’est qu’aux moments critiques, en traversant une rue, sur le rebord d’un trottoir, que mon instinct de conservation se saisit de moi, et m’arrête devant un autobus. Décidément, nous tenons tout à vivre. Puis, de nouveau, l’indifférence m’envahit. Le vacarme des voitures, le passage de figures pareilles qui se dirigent tantôt ici, tantôt là, me transportent dans un rêve d’intoxiqué, et les traits s’effacent des visages. Les gens pourraient tout aussi bien passer à travers moi. Et qu’est-ce moment du temps, ce jour entre les jours où je me trouve pris ? Le grondement de la circulation pourrait être tout aussi bien le vaste murmure des forêts ou le rugissement des fauves. La roue du temps a reculé d’un tour : nos progrès si récents sont anéantis. En vérité, nos corps sont nus. Nous ne sommes que légèrement recouverts de tissus soigneusement boutonnés, et sous ces trottoirs se cachent des coquillages, des ossements, et du silence.

 Les Vagues de Virginia Woolf
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A lire: très bel article d'Angèle Paoli sur Woolf.




  1. Virginia Woolf | Sombrer dans le bleu - Terres de femmes

    terresdefemmes.blogs.com/.../virginia-woolfsombrer-dans-le-bleu.html
    29 juin 2010 - Virginia Woolf, Le temps passe [Times passes, 1926], Le Bruit du temps, 2010. Édition bilingue. Traduction de l'anglais par Charles Mauron.

jeudi 5 juin 2014

Manyach

Un visage se révèle....




 A hen in the wind d'Ozu

Un visage se révèle
Dans la boite noire
D’un homme revenu de quel naufrage ?
L’encombrement de la perte
Ou de l’absence
N’est pas le vide :
Une coquille creuse d’illusions
Et de simulacres
Un œuf blanc
Translucide
Comme un cerveau d’enfant
Avant de naître
Illuminé par le sang

Dans la poche du ciel.
C’est dans ce cercle
Que le hochet du néant
Joue avec la semence de l’infini
Et que la conscience vibre
Dans l’univers
Emportant la forme du temps
Au centre des galaxies:
L’instant surgit
Sur un lit d’étoiles

Et de pierres plates..
Limpide origine perdue
Rendue au langage qui s’y incruste
Pour ouvrir la voie
Du vivant.
Mais au pays natal
Résonne déjà la voix
Du pays mortel
Comme un écho que la vie digère
Pour avaler la mort
Et ensemencer la terre !
Dans ce carré devenu mental et obscur
Se trouve pourtant une lampe
Embarquée sur les dents de la roue
Une lampe de saveur
Une lampe de douleur
Une lampe sur la route:
C’est une grimace sur un torchon
Une chair dans un corps
Et un signe dans la bouche.
Le présent se dilue
les ombres arrachent la paroi
De l’eau pourrissante:

L’axe qui nous délivre
Est aussi l’os qui s’incline .
Dans cette rotation
Quand la proue choisit la navigation ou le fracas
Nous naissons avec le soleil
Mais nous venons des étoiles
Des algues
Et du souffle
Qui ne tient qu’à un fil:
Celui que la lampe tisse
Dans la grammaire de nos veines
Avec le sang du verbe
Le vent
Qui fait trembler la flamme
Et le feu
Ou le silence
Des astres.
Alors toutes les pensées chavirent dans l’impensable
Puis dans l’écume ruisselle
Le matin du monde …


Didier Manyach, extrait d'Onde Invisible
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A lire aussi....







  1. didier manyach lettres à josé galdo, ghemma quiroga & jean ...

    blockhaus.editions.free.fr/ManyGald.htm
    CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO & GHEMMA QUIROGA (AOÛT 1990). CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO ...

mercredi 4 juin 2014

Reverdy


Le visage a un nom....


En passant une seule fois devant ce trou j’ai penché
mon front
Qui est là
Quel chemin est venu finir à cet endroit
Quelle vie arrêtée
Que je ne connais pas

Au coin les arbres tremblent
Le vent timide passe
L’eau se ride sans bruit
Et quelqu’un vient le long du mur
On le poursuit

J’ai couru comme un fou et je me suis perdu
Les rues désertes tournent
Les maisons sont fermées
Je ne peux plus sortir
Et personne pourtant ne m’avait enfermé

J’ai passé des ponts et des couloirs
Sur les quais la poussière m’aveugla
Plus loin le silence trop grand me fit peur

Et bientôt je cherchais à qui je pourrais demander
mon chemin

On riait
Mais personne ne voulait comprendre mon malheur




Dead man de Jamursh



Peu à peu je m’habituais ainsi à marcher seul
 Sans savoir où j’allais
Ne voulant pas savoir
Et quand je me trompais
Un chemin plus nouveau devant moi s’éclairait

Puis le trou s’est rouvert
Toujours le même
Toujours aussi transparent
Et toujours aussi clair

Autrefois j’avais regardé ce miroir vide et n’y avais
rien vu
Du visage oublié à présent reconnu


Pierre Reverdy  La Lucarne ovale
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A suivre........


  1. La poésie cubiste n'existe pas - Jean-Michel Maulpoix & Cie

    www.maulpoix.net/blogjmm/wordpress/254/
    10 janv. 2013 - Pierre Reverdy fait figure d'éminence grise de la poésie de la première moitié du XXe siècle. Sa réputation excède son audience. On le situe ...



mercredi 14 mai 2014

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz.



Sur le visage mortifère, la lumière des errances......




La solitude m’attendait avec l’écho
Dans l’obscure galerie. Une enfant était là
Avec une lanterne et une clef
De cimetière. L’hiver des rues

Me souffla une odeur misérable au visage.
Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;
Mais sous la lampe et mon Hypérion sur les genoux,
La vieillesse était assise : et elle ne leva pas la tête


(...)
Une histoire vraie de Lynch


Il n’y avait plus de parents, plus d’amis, plus de serviteurs !
Il n’y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.
La vieillesse berçait mon cœur comme une folle un enfant mort,
Le silence ne m’aimait plus. La lampe s’éteignit.

Mais sous le poids de la Montagne des ténèbres
Je sentis que l’Amour comme un soleil intérieur
Se levait sur les vieux pays de la mémoire et que je m’envolais
Bien loin, bien loin, comme jadis, dans mes voyages de dormeur.


Oscar Vladislas de Lubicz Milosz. Symphonie inachevée, extraits.

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D'excellents choix de poèmes sur Enjambées fauves.
  1. Chanson d'automne ~ O.V. de L. Milosz | enjambées fauves

    enjambeesfauves.wordpress.com/.../chanson-dautomne-o-v-de-l-milosz/
    2 nov. 2012 - O. V. de L. Milosz, Le poème des décadences [Ed. André Silvaire] ... Réponse. Ping : Danse macabre ~ O.V. de L. Miloscz | enjambées fauves ...

lundi 12 mai 2014

Colette


          Les chats ont un sacré Visage...





  1. Inside Llewyn Davis"de Joel et Ethan Coen.



  • Il parlait à la chatte qui, l’œil vide et doré, atteint par l’odeur démesurée des héliotropes, entrouvrait la bouche, et manifestait la nauséeuse extase du fauve soumis aux parfums outranciers..
    Elle goûta une herbe pour se remettre, écouta les voix, se frotta le museau aux dures brindilles des troènes taillés. Mais elle ne se livra à aucune exubérance, nulle gaité irresponsable, et elle marche noblement sous le petit nimbe d’argent qui l’enserrait de toutes parts. 

    La Chatte de Colette
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    A lire et relire !


Melville


Le visage ou le masque du Vide !



Crash de Cronenberg

   Une terrible cicatrice sort de ses cheveux gris, continue sur sa joue, son cou, pour disparaitre sous ses vêtements. Certains prétendent même qu'elle continue jusqu'à ses pieds! On dirait un chêne qui a gardé, de la cime aux racines, la trace impitoyable de la foudre. Le capitaine se tient très droit, planté sur sa jambe artificielle taillée dans l'ivoire de cachalot. Il a fait percer sur le pont quelques trous dans lesquels il peut la caler, et là, le regard hautain constamment fixé vers l'avant, sur l'océan infini, il semble défier l'invisible ennemi. 

Moby Dick de Herman Melville 
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A écouter, sinon toujours Stalker pour Melville, des études pointues.....

http://www.franceculture.fr/oeuvre-moby-dick-de-herman-melville

Moby Dick, c'est la monstrueuse baleine blanche, l'incarnation du Mal, cette figure de l'obsession et du double qui, des profondeurs glacées, accompagne le capitaine Achab habitué en surface aux combats titanesques des océans. Moby Dick est ce chef-d'oeuvre total que tout le monde peut lire comme le plus formidable des romans d'aventures ; la quête aussi d'une humanité embarquée de force à bord d'une histoire qui reste pour elle un mystère..

  • 19.01.2014 - Le Gai savoir
    Moby Dick - Melville (Rediffusion du 07.04.2013) 59 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lecturevideo

      Moby Dick n’est pas une baleine, ou pas seulement. Moby Dick est un diable blanc, un cétacé titanesque, un trou blanc, une montagne de neige au milieu de l’océan, le fossoyeur des morts sans sépulture et l’illusion d’un rivage au sein même de la mer. C’est un fantôme que les marins pourchassent. C’est le « précipice » dont parle Pascal, au-devant duquel nous courons .....


dimanche 11 mai 2014

Conrad


Le visage du Mal ou l'Humain selon Conrad...


  • La Nuit du chasseur de Laughton
           Il avait le regard fixe et vide, comme s'il avait été hanté. Son visage, inconsciemment, reflétait des expressions passagères de mépris, de désespoir, de résolution - il les reflétait tour à tour, comme un miroir magique refléterait le glissement fugitif d'apparitions venues d'un autre monde. Il vivait environné de fantômes trompeurs, d'ombres austères.


    • C'est lorsque nous essayons de nous colleter avec la nécessité intime d'un autre humain que nous nous rendons compte combien sont incompréhensibles, vacillants et nébuleux les êtres qui partagent avec nous la vision des étoiles et la chaleur du soleil. Tout se passe comme si la solitude était une condition absolue et pénible de l'existence ; devant la main que l'on tend on voit se dissoudre l'enveloppe de chair et de sang sur laquelle est fixé le regard, et il n'y a plus que l'âme, capricieuse, inconsolable et inssaisissable, que nul regard ne peut suivre, qu'aucune main ne peut retenir. 

      Lord Jim de Conrad



      L'Obsédé de William Wyler









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    • Je reverrai ce spectre éloquent aussi longtemps que je vivrai, et je la reverrai, elle aussi, une Ombre tragique et familière, ressemblant dans ce geste à une autre, tragique aussi, et ornée d'amulettes impuissantes, tendant la nudité de ses bras bruns par-dessus le scintillement du fleuve infernal, le fleuve des ténèbres. Elle dit soudain très bas, "Il est mort comme il a vécu".

      Au coeur des Ténèbres de Conrad
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      A lire et relire.....Conrad en Pléiade, 5 Tomes....