mardi 26 février 2013

Jacques Ancet

Innommable est l'Ange du Néant ! 


Orphée de Cocteau

L’été vient de face comme un insoutenable regard. Dans le chêne, des morceaux de bleu qui bougent. Ou les feuilles, les yeux, comment savoir puisque tout se tient. On fume. On parle. Ce que je veux dire je ne le dis pas. Autre chose, toujours. Ces menus riens, mouches, pailles ou cris d’enfants. Et l’attente, là, quelque part entre gorge et ventre –– une sorte de vide que rien ne remplit, ni l’ombre, ni la lumière, ni les paroles, ni leur envers. Si je marche, quelqu’un marche avec moi, un peu en avant, il m’oblige à le suivre, à courir parfois. Si je dors, il traverse mon sommeil. Je crois savoir : erreur : je ne sais pas puisqu’il se réveille avant moi, brouille chacune de mes pensées, éclate de rire quand je suis sombre, me ferme la bouche quand je crie. Alors, comment ne pas être perdu même au milieu d’un jour sans histoire : lumière, silence et ciel trop bleu ? L’histoire, on le sait bien, est ailleurs. Pas là où l’on croit, en tout cas. Très loin, tout près, cancer invisible qu’on détecte toujours trop tard. D’un jour sur l’autre un avion ne cesse de passer comme si tout s’était arrêté ; gestes, ombres sur le sol, feuilles agitées par le vent, mouche et, sur l’écran l’interminable vertige d’une image sans futur.

Jacques Ancet

Pessoa


L'Homme qui voulait être un ange....


Aux dieux je demande seulement qu’ils m’accordent

De rien leur demander. La bonne fortune est un joug,

Etre heureux une oppression,

Car c’est un état trop défini.

Ni quiet ni inquiet, voilà comment je veux mon être calme

Pour dresser bien haut par-dessus ces lieux où les hommes

Tirent plaisirs ou douleurs.


Ange ivre de Kurosawa
Pessoa

Paul Celan



L'Ange à terre....


Sombre, l’œil : 
comme fenêtre de hutte. Il rassemble 
ce qui fut monde, reste monde : l’Est 
qui erre, ceux 
qui planent, les 
Hommes-et-les-Juifs, 
le peuple-des-nuées, magnétiquement, 
te hâle, terre, 
de ses doigts de coeur: 
tu viens, tu viens, 
demeure nous aurons; demeure, quelque chose 

_ un souffle ? un nom ? _ 

parcourt l’étendue orpheline, 
agile, massif, 



La Foule de King Vidor (merci Florian Poinot)



l’aile de 
l’ange, lourde d’invisible, au 
pied écorché, qu’amarre 
par le poids de sa tête 
la grêle noire qui 
tombait là-bas aussi, à Witebsk, 

_ et eux, qui la semaient, ils 
la rayent de 
leur griffe, mimétique, de poing blindé! _ 

quelque chose va, parcourt, 
quête, 
quête vers le bas, 
quête vers le haut, au loin, quête 
de l’œil, arrache 
Alpha du Centaure, Arcturus, arrache 
de surcroît le rayon, hors des tombes...

 Paul Celan, Extrait Fenêtre de Hutte

Vladimir Maïakovski



Maïakovski et les anges....le poète sur un

nuage !



Je dépose sur un nuage

la charge

de mes affaires

et de mon corps fatigué.

Endroit propice où je n’étais jamais venu avant.


J’examine les lieux.

ainsi
ce poli bien léché,

c’est donc cela le ciel que l’on nous vante


Arizona Dream d' Emir KUSTURICA


Nous verrons, nous verrons !


Ça étincelle,

ça scintille,

ça brille

et

cela bruit —

un nuage

ou bien

des esprits

qui glissent sans bruit.


« Si une belle jure un amour fidèle… »


Ici,

au firmament du ciel,

entendre la musique de Verdi ?

Par le jour d’un nuage,

je jette un œil —

les anges chantent.

Les anges vivent dignes,

fort dignes.


L’un d’eux se détache

et rompt aimablement

son silence somnolent :

« Alors,

Vladimir Vladimirovitch,

l’infini vous plaît-il ? »

Et moi de répondre aussi aimablement :

« Charmant, cet infini.

C’est un ravissement ! »


Vladimir Maïakovski, À pleine voix

lundi 25 février 2013

Jean Genet,


Un ange qui sanglote......


Le Miroir de Tarkovski

Le vent qui roule un coeur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.

Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un oeil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.

Jean Genet, le condamné à mort et autres poèmes

René Char


L'Ange est notre silence...


La femme au portrait de Lang


L'intelligence avec l'ange, notre primordial souci. 
  (Ange, ce qui, à l'intérieur de l'homme, tient à l'écart du compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signification qui ne s'évalue pas. Accordeur de poumons qui dore les grappes vitaminées de l'impossible. Connaît le sang, ignore le céleste. Ange : la bougie qui se penche au nord du cœur.)

René Char, Feuillets d'Hypnos

Calaferte

L'Ange déchu est parmi nous !


Hors Satan de Dumont


Ne bougez plus d'un poil, ladies and gentlemen! C'est la minute! L'instant fatal! La fin promise! Les cavaliers déboulent l'avenue, chevaux écumants, brandissant le drapeau noir dans une tourmente de meurtres accumulés sur leur passage. Un gnome femelle, rabougri, va se camper en place publique, nu, accroupi, hurlant devant la foule terrorisée, les cuisses écartelées, obscène, le regard dilaté, tout entier recroquevillé sur le trou distendu de son sexe en gésine tenu au ras le sol, accouchant, déchiré, du long corps révulsé de l'Antéchrist prêchant aux hommes rassemblés, immobiles de stupeur, la révolte et la haine des jours derniers. Viendra la morsure de cette pluie de sel et de feu. Plaie noire de l'anéantissement. Dans la pesanteur étalée du silence, une fois le brasier apaisé, se soulèvera d'entre les morts un couple sans mémoire, épargné, hôtes fantomatiques de ces lieux arides, hébétés, gémissants, ne reconnaissant pas encore la délivrance de cette pauvreté sainte du dépouillement. Un couple écrasé de peur primitive, se rapprochant craintivement l'un de l'autre, joignant leurs corps brûlés et retrouvant la raison simple des gestes de la tendresse dans cette nouvelle sépulture de vie. Trop tard pour vous en tirer par une grimace de piété hypocrite! 

Calaferte, Septentrion