mercredi 27 février 2013

Villiers de l'Isle Adam


"L'Ange" a les pieds sur terre.....


.... Le prêtre parut.
Le vieil ecclésiastique s'efforça de la calmer par des paroles de paix, d'oubli et de miséricorde.
- J'ai eu un amant!... murmurait Olympe, s'accusant ainsi de son déshonneur.
Elle omettait toutes les peccadilles, les murmures, les impatiences de sa vie. Cela, seulement, lui venait à l'esprit: c'était l'obsession. "Un amant! Pour le plaisir! Sans rien gagner!" Là était le crime.
Elle ne voulait pas atténuer sa faute en parlant de sa vie antérieure, jusque-là toujours pure et toute d'abnégation. Elle sentait bien que là elle était irréprochable. Mais cette honte, où elle succombait, d'avoir fidèlement gardé de l'amour à un jeune homme sans position et qui, suivant l'expression exacte et vengeresse de sa soeur, ne lui donnait pas un radis! Henriette, qui n'avait jamais failli, lui apparaissait comme dans une gloire. Elle se sentait condamnée et redoutait les foudres du souverain juge, vis-à-vis duquel elle pouvait se trouver face à face, d'un moment à l'autre.

Les Gens de Dublin de Huston
L'ecclésiastique, habitué à toutes les misères humaines, attribuait au délire certains points qui lui paraissaient inexplicables, - diffus même -, dans la confession d'Olympe. Il y eut là, peut-être, un quiproquo, certaines expressions de la pauvre enfant ayant rendu l'abbé rêveur, deux ou trois fois. Mais le repentir, le remords, étant le point unique dont il devait se préoccuper, peu importait le détail de la faute; la bonne volonté de la pénitente, sa douleur sincère suffisaient. Au moment donc où il allait élever la main pour absoudre, la porte s'ouvrit bruyamment: c'était Maxime, splendide, l'air heureux et rayonnant, la main pleine de quelques écus et de trois ou quatre napoléons qu'il faisait danser et sonner triomphalement. Sa famille s'était exécutée à l'occasion de ses examens: c'était pour ses inscriptions.
Olympe, sans remarquer d'abord cette significative circonstance atténuante, étendit, avec horreur, ses bras vers lui.
Maxime s'était arrêté, stupéfait de ce tableau.
- Courage, mon enfant!... murmura le prêtre, qui crut voir, dans le mouvement d'Olympe, un adieu définitif à l'objet d'une joie coupable et immodeste.
En réalité, c'était seulement le crime de ce jeune homme qu'elle repoussait, - et ce crime était de n'être pas "sérieux".
Mais au moment où l'auguste pardon descendait sur elle, un sourire céleste illumina ses traits innocents; le prêtre pensa qu'elle se sentait sauvée et que d'obscures visions séraphiques transparaissaient pour elle sur les mortelles ténèbres de la dernière heure. - Olympe, en effet, venait de voir, vaguement, les pièces du métal sacré reluire entre les doigts transfigurés de Maxime. Ce fut, seulement, alors, qu'elle sentit les effets salutaires des miséricordes suprêmes! Un voile se déchira. C'était le miracle! Par ce signe évident, elle se voyait pardonnée d'en haut, et rachetée.
Eblouie, la conscience apaisée, elle ferma les paupières comme pour se recueillir avant d'ouvrir ses ailes vers les bleus infinis. Puis ses lèvres s'entr'ouvrirent et son dernier souffle s'exhala, comme le parfum d'un lis, en murmurant ces paroles d'espérance: - "Il a éclairé!"

Fin de la nouvelle Les demoiselles de Bienfilâtre de 
Villiers de l'Isle Adam

mardi 26 février 2013

Jacques Ancet

Innommable est l'Ange du Néant ! 


Orphée de Cocteau

L’été vient de face comme un insoutenable regard. Dans le chêne, des morceaux de bleu qui bougent. Ou les feuilles, les yeux, comment savoir puisque tout se tient. On fume. On parle. Ce que je veux dire je ne le dis pas. Autre chose, toujours. Ces menus riens, mouches, pailles ou cris d’enfants. Et l’attente, là, quelque part entre gorge et ventre –– une sorte de vide que rien ne remplit, ni l’ombre, ni la lumière, ni les paroles, ni leur envers. Si je marche, quelqu’un marche avec moi, un peu en avant, il m’oblige à le suivre, à courir parfois. Si je dors, il traverse mon sommeil. Je crois savoir : erreur : je ne sais pas puisqu’il se réveille avant moi, brouille chacune de mes pensées, éclate de rire quand je suis sombre, me ferme la bouche quand je crie. Alors, comment ne pas être perdu même au milieu d’un jour sans histoire : lumière, silence et ciel trop bleu ? L’histoire, on le sait bien, est ailleurs. Pas là où l’on croit, en tout cas. Très loin, tout près, cancer invisible qu’on détecte toujours trop tard. D’un jour sur l’autre un avion ne cesse de passer comme si tout s’était arrêté ; gestes, ombres sur le sol, feuilles agitées par le vent, mouche et, sur l’écran l’interminable vertige d’une image sans futur.

Jacques Ancet

Pessoa


L'Homme qui voulait être un ange....


Aux dieux je demande seulement qu’ils m’accordent

De rien leur demander. La bonne fortune est un joug,

Etre heureux une oppression,

Car c’est un état trop défini.

Ni quiet ni inquiet, voilà comment je veux mon être calme

Pour dresser bien haut par-dessus ces lieux où les hommes

Tirent plaisirs ou douleurs.


Ange ivre de Kurosawa
Pessoa

Paul Celan



L'Ange à terre....


Sombre, l’œil : 
comme fenêtre de hutte. Il rassemble 
ce qui fut monde, reste monde : l’Est 
qui erre, ceux 
qui planent, les 
Hommes-et-les-Juifs, 
le peuple-des-nuées, magnétiquement, 
te hâle, terre, 
de ses doigts de coeur: 
tu viens, tu viens, 
demeure nous aurons; demeure, quelque chose 

_ un souffle ? un nom ? _ 

parcourt l’étendue orpheline, 
agile, massif, 



La Foule de King Vidor (merci Florian Poinot)



l’aile de 
l’ange, lourde d’invisible, au 
pied écorché, qu’amarre 
par le poids de sa tête 
la grêle noire qui 
tombait là-bas aussi, à Witebsk, 

_ et eux, qui la semaient, ils 
la rayent de 
leur griffe, mimétique, de poing blindé! _ 

quelque chose va, parcourt, 
quête, 
quête vers le bas, 
quête vers le haut, au loin, quête 
de l’œil, arrache 
Alpha du Centaure, Arcturus, arrache 
de surcroît le rayon, hors des tombes...

 Paul Celan, Extrait Fenêtre de Hutte

Vladimir Maïakovski



Maïakovski et les anges....le poète sur un

nuage !



Je dépose sur un nuage

la charge

de mes affaires

et de mon corps fatigué.

Endroit propice où je n’étais jamais venu avant.


J’examine les lieux.

ainsi
ce poli bien léché,

c’est donc cela le ciel que l’on nous vante


Arizona Dream d' Emir KUSTURICA


Nous verrons, nous verrons !


Ça étincelle,

ça scintille,

ça brille

et

cela bruit —

un nuage

ou bien

des esprits

qui glissent sans bruit.


« Si une belle jure un amour fidèle… »


Ici,

au firmament du ciel,

entendre la musique de Verdi ?

Par le jour d’un nuage,

je jette un œil —

les anges chantent.

Les anges vivent dignes,

fort dignes.


L’un d’eux se détache

et rompt aimablement

son silence somnolent :

« Alors,

Vladimir Vladimirovitch,

l’infini vous plaît-il ? »

Et moi de répondre aussi aimablement :

« Charmant, cet infini.

C’est un ravissement ! »


Vladimir Maïakovski, À pleine voix

lundi 25 février 2013

Jean Genet,


Un ange qui sanglote......


Le Miroir de Tarkovski

Le vent qui roule un coeur sur le pavé des cours,
Un ange qui sanglote accroché dans un arbre,
La colonne d'azur qu'entortille le marbre
Font ouvrir dans ma nuit des portes de secours.

Un pauvre oiseau qui meurt et le goût de la cendre,
Le souvenir d'un oeil endormi sur le mur,
Et ce poing douloureux qui menace l'azur
Font au creux de ma main ton visage descendre.

Jean Genet, le condamné à mort et autres poèmes

René Char


L'Ange est notre silence...


La femme au portrait de Lang


L'intelligence avec l'ange, notre primordial souci. 
  (Ange, ce qui, à l'intérieur de l'homme, tient à l'écart du compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signification qui ne s'évalue pas. Accordeur de poumons qui dore les grappes vitaminées de l'impossible. Connaît le sang, ignore le céleste. Ange : la bougie qui se penche au nord du cœur.)

René Char, Feuillets d'Hypnos