vendredi 8 mars 2013

William Faulkner


La seule trace, une pierre tombale.....



Un condamné à mort s'est échappé de Robert Bresson
On laisse si peu de trace, voyez-vous. On naît, on essaye ceci ou cela sans savoir pourquoi, mais on continue d’essayer ; on naît en même temps qu’un tas d’autres gens, tout embrouillé avec eux, comme si on s’efforçait, comme si on était obligé de faire mouvoir avec des ficelles ses bras et ses jambes, mais les mêmes ficelles sont attachées à tous les autres bras et jambes et tous les autres essayent également et ne savent pas non plus pourquoi, si ce n’est qu’ils se prennent dans les ficelles des autres comme si cinq ou six personnes essayaient de tisser un tapis sur le même métier mais avec chacune d’elles voulant tisser sur le tapis son propre dessin ; et cela ne peut pas avoir d’importance, on le sait, ou bien Ceux qui ont installé le métier à tisser auraient un peu mieux arrangé les choses, et pourtant cela doit avoir de l’importance puisque l’on continue à essayer ou que l’on est obligé de continuer, et puis tout à coup tout est fini et tout ce qui vous reste est un bloc de pierre avec quelque chose de griffonné dessus, en admettant qu’il y ait quelqu’un qui se souvienne ou qui ait le temps de faire mettre le marbre en place et d’y faire marquer quelque chose, et il pleut dessus et le soleil brille dessus et au bout d’un peu de temps on ne se rappelle plus ni le nom ni ce que les marques essayaient de dire, et cela n’a pas d’importance. 

William Faulkner, Absalon, Absalon!

Ossip Mandelstam


Le tremblement irascible des pierres......


Nous ne saisissons que par la voix
Ce qui a laissé là-bas sa griffure, a lutté,
Et nous promenons la mine durcie
À l’endroit que la voix désigne.
Je romps la nuit, ardente craie,
Pour graver les signes de l’instant,
J’échange le bruit contre le chant des flèches,
L’ordre contre le tremblement irascible.


There will be blood de Paul Thomas Anderson
Qui suis-je ? Non l’honnête maçon,
Ni le couvreur, ni le navigateur :
Moi, être au visage double, et l’âme hybride,
Je suis ami de la nuit, initiateur du jour.
Béni, celui qui a baptisé le silex
Disciple de l’eau courante,
Béni, qui d’une lanière a noué
Le pied des monts à leur solide socle.

Désormais, j’étudie ce journal intime :
Les égratignures du burin de l’été,
Langage de silex et d’air
Aux strates de ténèbres, aux nappes de lumière,
Et je veux enfoncer les doigts
Dans le chemin pierreux issu de l’ancien chant,
Comme une plaie où fondre entre ses lèvres
Le galet avec l’eau, la bague et le fer à cheval.

Ossip Mandelstam, Poèmes.

mercredi 6 mars 2013

Philippe Jaccottet


Les pierres n'ont pas d'âge !


   En passant devant l’une des dernières fermes restées des fermes, ici tout près : le petit verger à l’abandon, les murs délabrés en bordure du chemin, le grand noyer au-dessus de la Chalerne – pourquoi tout cela me semble-t-il si « vrai », c’est-à-dire ni aménagé, ni orné, ni truqué ? Ces pierres usées, tachées, prêtes à retourner au sol d’où on les a extraites, ces très vieux arbres cassants, hirsutes, qui ne produiront plus que des fruits acerbes – et l’eau, sans jamais aucun âge.



Ran de Kurosawa

Rien qu’une touffe de violettes pâles


Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits

René Char


 Les Pierres s'en souviennent.....encore!




A l'Ouest rien de nouveau de Lewis Milestone 
    Les pierres se serrèrent dans le rempart et les hommes vécurent de la mousse des pierres. La pleine nuit portait fusil et les femmes n’accouchaient plus. L’ignominie avait l’aspect d’un verre d’eau.
   Je me suis uni au courage de quelques êtres, j’ai vécu violemment, sans vieillir, mon mystère au milieu d’eux, j’ai frissonné de l’existence de tous les autres, comme une barque incontinente au-dessus des fonds cloisonnés.

 René Char, Faction du muet

Antonin Artaud



Le Silence des Pierres....



Belle place aux pierres gelées
Dont la lune s’est emparée
Le silence sec et secret
Y recompose son palais
Or l’orchestre qui paît ses notes
Sur les berges de ton lait blanc
Capte les pierres et le silence.





Stalker de Tarkovski



C’est comme un ventre que l’amour
Ébranle dans ses fondements
Cette musique sans accent
Dont nul vent ne perce l’aimant
La lumière trempe au milieu
De l’orchestre dont chaque jour
Perd un ange, avance le jour




Rien qu’un chien auprès du vieillard
Ils auscultent l’orgue en cadence
Tous les deux. Bel orgue grinçant
Tu donnes la lune à des gens
Qui s’imaginent ne devoir
Leurs mirages qu’à leur science.


Antonin Artaud , Silence 

Julien Green


La grandeur sinistre des pierres...


Le Troisième homme de Carol Reed 


Au milieu du chantier, se dressaient trois tas de charbon, de taille égale, séparés les uns des autres, malgré les éboulements qui brisaient la pointe de leurs sommets et tentaient de rapprocher leurs bases en les élargissant. Tous trois renvoyaient avec force la lumière qui les inondait; une muraille de plâtre n'eût pas paru plus blanche que le versant qu'ils exposaient à la lune, mais alors que le plâtre est terne, les facettes diamantées du minerai brillaient comme une eau qui s'agite et chatoie. Cette espèce de ruissellement immobile donnait aux masses de houille et d'anthracite un caractère étrange ; elles semblaient palpiter ainsi que des êtres à qui l'astre magique accordait pour quelques heures une vie mystérieuse et terrifiante. L'une d'elles portait au flanc une longue déchirure horizontale qui formait un sillon où la lumière ne parvenait pas, et cette ligne noire faisait songer à un rire silencieux dans une face de métal. Derrière elles, leurs ombres se rejoignaient presque, creusant des abîmes triangulaires d'où elles paraissaient être montées jusqu'à la surface du sol comme d'un enfer. La manière fortuites dont elles étaient posées, telles trois personnes qui s'assemblent pour délibérer, les revêtait d'une grandeur sinistre. 

Léviathan de Julien Green 

mardi 5 mars 2013

Eugène Guillevic


La pierre du souvenir....



Le Chant

La seule pierre, peut-être,
Sur laquelle
J'ai posé mes lèvres
Pour un baiser
A travers le temps

Bright Star de Jane Campion

Car c'était de cette pierre
Que j'attendais le chant
Qui me permettrait


De supporter
La beauté du soir


Et l'espoir d'autres baisers
Qui viendraient.


Eugène Guillevic