samedi 4 avril 2015

woolf

De la vitre, une rêverie....






    Rendez-vous à Bray d'André Delvaux. (image trouvée grâce à Florian Poinot)


Nonchalant et indifférent, se libérant aisément de l’espace à chaque coup d’ailes, sûr de sa route, le héron survole l’église, sous le ciel. Blanc et lointain, tout entier à lui-même, le ciel se couvre et se découvre, se meut et demeure. Un lac ? Effacez-en les rives ! Une montagne ? Oh, parfait — l’or du soleil sur ses pentes. Duvet qui tombe. Des fougères, alors, ou bien des plumes blanches, toujours et encore…
Désir de vérité, attente de vérité, distiller laborieusement quelques mots, et désirer encore et toujours — (un cri retentit sur la gauche, un autre à droite. Les roues divergent. Les omnibus s’assemblent et s’affrontent) — désirer encore et toujours — douze coups distincts frappés par l’horloge attestent qu’il est midi ; la lumière répand des écailles d’or ; la rue grouille d’enfants — désirer encore et toujours la vérité. Rouge est le dôme; les arbres sont couverts d’écus, des traînes de fumée s’échappent des cheminées ; aboiement, cri, appel : «Ferraille à vendre» — et la vérité ?
Convergence vers un seul point de souliers masculins et féminins, noirs ou incrustés d’or — (Quel brouillard — Un sucre ? Non merci — L’avenir de la chose publique) — bond d’une flamme dans l’âtre teintant de rouge toute la pièce, à l’exception des silhouettes noires aux yeux brillants, cependant qu’au-dehors on décharge un camion, qu’à son bureau Miss Trucmuche boit son thé, et que les vitrines veillent sur des manteaux de fourrure…
Exhibée, légère comme une feuille, amoncelée dans les carrefours, soufflée sous les roues, éclaboussée d’argent, plantée droit dans la cible ou à côté, recueillie, dissipée, dispersée à tous vents, soulevée dans les airs, rabattue au sol, déchirée, naufragée, rassemblée — et la vérité ? Et maintenant se recueillir près du foyer sur la dalle de marbre blanc. Jaillis de profondeurs ivoirines, les mots répandent leurs ténèbres et leurs bouquets pénétrants. Tombé le livre ; dans la flamme, la fumée, les étincelles fugaces — ou alors il navigue maintenant, pendant carré marmoréen dans la voûte céleste au-dessus des minarets et des mers indiennes, tandis que l’espace vire au bleu et que les étoiles scintillent — et la vérité ? Ou alors maintenant, se contenter d’approximation ?
Nonchalant et indifférent le héron s’en revient ; le ciel voile ses étoiles ; puis les dévoile.

Virginia Woolf, Lundi ou mardi


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Rappel: sortie des OC de Woolf (les 2 tomes ) en Pléiade!



mercredi 4 février 2015

André Laude


Le Lumières,  derrière la vitre ?



Sur chaque visage 

Une agonie m’interpelle Lion en cage

Je tourne dans la cité des morts-vivants

Sans figure

Sans lignage.

Je suis déjà ailleurs autre part 

Je suis dans le paysage ignoble

De l’absolu désespoir 

Je suis le voyageur rejeté de miroir en miroir 

Et qui hurle parce qu’il ne s’y retrouve pas 

Et que l’horreur gonfle ses paupières 

Et qu’il a tellement faim de lumière

Qu’il mangerait crus les petits enfants aux yeux De craie blanche.





Van Gogh de Pialat


André Laude– Un temps à s’ouvrir les veines 

mercredi 28 janvier 2015

Article Besson....Cabral


Article Besson/Cabral


La vitre comme promesse.....

Si vaste d’être seul, Tristan Cabral

par Sylvie Besson



Le Docteur Jivago de David Lean

Nomade pour l'éternité ... 


  Une émotion puissante plane sur l’œuvre de Cabral tant la rage de vivre face à tout ce qui indigne le poète grave le recueil d’une force tellurique ; recueil au cœur duquel résident aussi une présence insaisissable, une impuissance face à l’espoir et une fissure souvent proche de la rupture.
   En effet, découvrir la nature tragique, absurde, dérisoire de l’humain, c'est affronter son ombre portée, c'est l'éclairer pour tenter de s’en arracher. Mais un cri de haine, un geste violent sont aussi difficiles à imiter qu'une aurore au ciel, que l'océan apaisé, aucun mot n'aura donc le pli de l’évidence. L’intention de l’auteur est de parvenir à s’emparer de la face obscure du monde, de pointer du verbe les injustices multiples et les tragédies quotidiennes. Cabral parcourt ainsi la terre par la tempête qui la traverse,  par le bouillonnement des eaux démontées, par les falaises et les rochers déchiquetés :

« Je suis plein de nuits blanches ;
Des rafales d’étoiles mortes
M’ont couché sur le sable ;
Des bêtes aux yeux d’amantes
Roulent parmi les vagues ;
C’est encore la guerre… » (P22)

  Le poète aurait certes pu simuler ce désastre grâce à une parole entièrement maitrisée, mais il préfère l'assombrissement pour marquer un ciel en colère. La présence sonore extrêmement forte des  guerres passées et présentes résonne en des phrases de révoltes clouées aux pages comme des rouleaux prêts à éclater contre les récifs. Tout poème, qu’il soit d’alexandrins ou de maximes, est une plongée sur la terre où s'échouent les vagues intempestives du monde. Arrachée à l’adversité, au milieu de cette tempête ontologique, glisse une écume blanche de mots à peine visible qui nait de l'union d'une esthétique précise et d'un aléa du sensible. En approfondissant la métaphore filée de la mer omniprésente, l'écume apparait peu à peu comme l’homme perdu au large et bousculé par des rouleaux gigantesques, coupable ou non, peu importe, sa rencontre avec le réel suscite un sentiment de vérité et renforce la certitude d’une humanité insensée où règne l’odeur âcre du sang : « Ici l’eau ne fait plus /que du ciment /on ne peut plus la boire /mais quel mur pourrait /retenir le sang ? » (« MUR », p 69)
   L’œuvre de Cabral est placée de la sorte sous le signe d'une passion ardente. Parcourue de tensions, elle intervient au cœur de mutations diverses, dans l'interstice ou plus précisément la faille entre monde ancien et société industrielle, matérialisme et sacré, persistance du mythe et conscience révolutionnaire. Le poète transforme sa nostalgie en arme critique. Il ne se désempare pas de l’intime, il le renforce en  engageant un vécu. Sa poésie invoque le réel, disant la blessure, la fragilité de tous, le lieu commun d’une nostalgie sans doute fraternelle. Chacun de ses poèmes permet d’aller plus en avant, jusqu’au bout du voyage, dans le souffle de la partance, jusqu’à la vaste solitude des  mers,  recueillant ainsi de lointaines âmes perdues. Et si son œuvre prend toutes les formes de l'insaisissable et de l’insurrection, c'est pour s'acharner contre l'impossibilité de changer le réel, sur quoi nous continuons à buter. La parole dit en conséquence l'informe, l'incorporel et son mouvement, la violente nature et la menace qu'elle fait naître. Le poète ne s'arrête pas aux images d'un monde défait, il en montre la progression, la tourmente et explose en une nature cambrée de douleurs ; nul « matin sans cicatrices » quand l'océan et le ciel s'obscurcissent de rouge sang !
  En somme, le cœur de l’innommable est suggéré par un sentiment d'enfermement, d'étouffement et de disparition. Le poète dessine des reliefs insoumis pour créer des plongées aux quatre coins d’un univers englouti. Ses visions font naitre des peintures d'où ressortent principalement la grisaille, la substance et les remous. Son œil a besoin d'une loupe à grossir le bruit du temps pour découvrir que le hurlement confus du monde se décompose, dans une réalité plus saisissante, en une foule de souffrances très différentes, jamais entendues : une apocalypse de cris.  Le poème devient alors cette voix où quelque chose chante inlassablement l’absence blessée, une voix qui se fige, se cristallise et se brise. Les soufflements incessants de ses mots nous plongent au cœur même de la vérité. Il ne s'agit plus d'écouter mais de ressentir.
   Ainsi le grand large envahit le texte et se confond avec la couleur du ciel (dont la ligne d'horizon est également floue); la masse grisâtre domine les rares vues dégagées et renforce l'effet d'enfermement. Mais ces claustrations successives tendent à circonscrire un domaine autant qu’elles constituent un itinéraire. Chacun de ces chemins, ou poèmes, fait ainsi l’épreuve d’une interrogation mêlée au souffle violent du monde jusqu'à en être recouverte. L'œuvre débute sur le vent et ses incidences, la parole exerce un va-et-vient irrégulier sur la végétation bretonne et la ligne d'horizon des guerres lointaines. Ces images représentent aussi bien la face errante du souffle invisible que le point de vue d'un objet, des branches chahutées par le vent, les poèmes restituent par là-même une solitude concentrée, un désastre où nul repos n’est permis pour qui saigne, crie ou écrit : «Toujours plus d’hommes/ Pour enterrer les hommes !/ La terre n’en peut plus ! » (P16)
  La parole de Cabral s'apparente toujours et encore à une lutte entreprise contre la violence immaîtrisable du réel.  Dire le voir devient donc dire l'invisible le plus terrifiant. Cette poésie traduit la force mystérieuse qui pousse à l'acte créateur de l’homme révolté : saisir l'insaisissable du Mal. Mais le poète le sait, l'individu, en présence d'un milieu perdu et gigantesque, est face à une réalité qui le dépasse. Si le rouge cendré sert de toile de fond aux mots du poète, si l'espace n'existe plus, les humains n’ont donc plus aucune voie de respiration, comprimés de force entre deux figurations du ciel et de la terre, la claustration se renforce jusqu’à l’évaporation de l’être, et c’est la nuit qui se referme sur les visages…Le poète approche ainsi une partie du mystère des ombres filantes en ne faisant qu'un avec elles ; sans quitter les horreurs du monde, sans dépasser la hauteur des branches, il devient une minuscule silhouette dont la voix prend en ampleur. Seule la façon dont ses mains crient indique qui il est. Et si Cabral paraît être là de façon accidentelle, au milieu de ce monde incohérent, si les couleurs assombrissent son regard, sa parole sait éclairer avec fougue la nature de la Vie et de la Mort : soit le jour est simplement tombé, soit l'obscurcissement justifie l'approche du chaos évoqué.
    Si vaste d’être seul est donc un recueil de poèmes à vif qui résonnent en plusieurs sens. Le lyrisme y est sans concession, s’engouffrant dans le bleu insolent de la mer ou s’écrasant à même le rouge sang de la terre. Voilà pourquoi l’apparent identique et le juste leitmotiv dominent la structure du recueil, ces représentations sont calquées sur l’agitation toujours recommencée du monde fait à l’image des hommes. Les vagues ne naissent-elles pas, ne grandissent-elles pas, n’éclatent-elles  pour mourir et se recréer de nouveau ? De ce fait, l'Ailleurs reste interdit, nul lieu d’exil, nul repos, à peine quelques rives chargées de mémoires dont nous ne percevons plus que de fugaces ombres. Le ciel, à l’instar des oiseaux de Cabral, demeure définitivement muet et tombe sur le monde. Tout ce qui forge un tant soit peu l’humanité est terre de silence. Dans cet univers de perdition, le temps n’en finit pas de mourir, la vie s’immobilise et, pourtant, le lyrisme sauvage et abrupt de Cabral fait  trembler un incessant et presque imperceptible désir :

« J’écris les yeux fermés ;
J’écris mon livre à genoux,
Aux yeux de l’amour et de la mort
Je n’ai pas mon pareil
J’écris avec sur le cœur
Une petite main de sang
Les mots qui sauvent les mots qui perdent
Je les trouve au buisson ardent… » (« Mon livre », P23)

    En effet, par un singulier amour,  Cabral nous arrime à sa tribu. Le poète est celui auprès duquel peuvent s'agréger tous ceux qui sont  agités par le cauchemar de l’espérance. Le paradoxe de cette situation est décrit comme la confrontation du sujet à ce qui le dépasse et lui échappe, ce devant quoi l'homme ne peut que mesurer sa fragilité, mais aussi ce à quoi il peut se raccrocher, un entretemps poétique où s’expriment sa faculté de résistance et la luminescence de sa force intérieure. Les jours s’en vont, nous « demeurons »…..

Cercle 22...Vitre...Fondane.

                   Cercle 22......Derrière la vitre....




Winter sleep de Nuri Bilge Ceylan 


J’étais en train
de lire un livre
quand tout à coup
je vis ma vitre
emplir son oeil absent d’oiseaux légers et ivres

Oui, il neigeait.
La folle neige!
Elle tombait
tranquille et fraîche
dans le coeur tout troué comme un filet de pêche.

C’était si bon!
et j’étais ivre
de ces flocons
heureux de vivre
que ma main oublieuse, laissa tomber le livre!

En ai-je vu
neiger la neige
dans le coeur nu !
Ah Dieu ! Que n’ai-je
su garder dans mon coeur un peu de cette neige !

Toujours en train
de lire un livre!
Toujours en train
d’écrire un livre!
Et tout à coup la neige tranquille dans ma vitre!


Benjamin Fondane, Tout à coup.


dimanche 19 octobre 2014

Manyach


Visages "sans Ages".....

Dans les Âges successifs du sol
Dans les racines de son Double
Dans l’incendie des mondes
propagé sur la terre...
Sur l’abîme d’un visage
comme une lance plantée dans l’ombre
Sur les sables enfermant un corps
respirant dans les fonds...
... Puis ces comètes éteintes
dans le château solaire
La neige carbonique recouvrant
des villes flottantes

Les Damnés de Visconti

leurs mains fouillant les décombres.

2
L’Heure teintait au nadir des vies antérieures...
Elle apparut dans l’ovale fenêtre
à travers les rayons d’or
Libérant le noir désir de l’orage en toi.
Comment peux-tu murmurer ainsi son nom :
Celle qui se dénude dans tes membres ?
... Oh n’entrez pas dans le royaume
avant que la terre nous recouvre !
Et que les climats se dissipent à l’avant du navire
comme la voile des abysses...
3
Dans la géométrie de la pensée
Sous la pierre tombale
Dans la forêt des limbes
Dans la lumière
JUSQU’À L’ENSOLEILLADE...

J’habite la déchirure des régions disparues
les drailles et les frontières
le fleuve tumultueux
les cendres encore tièdes...
La Vie reviendra t’elle ?
Je gis, au milieu du Temps, dans son devenir...

Didier Manyach, L'Ensoleillade.
........................................................................................................
Extrait de Piraterie, Migration et Merveille de Grâce....A commander encore et encore..La suite, bientôt....



  1. Didier Manyach - Editions K'A

    www.editionska.com › LivresParaules
    11 nov. 2013 - ISBN 979-1-914355-05-5 prix de vente 15€ Migration Piraterie et merveille de grâce regroupe les receuils suivants : REMONTÉS DES FONDS ...



mercredi 15 octobre 2014

Beckett



Un monde sans visage...

Que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions
où être ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’élève
sur la poussière de ses lests




Les Hautes Herbes de Mathieu Gérault

que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi


Samuel Beckett, extrait de Dieppe
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A redécouvrir, les correspondances....




  1. "Cette vie est terrible": Beckett par lui-même - 21 mai 2014 ...

    bibliobs.nouvelobs.com › BibliobsDocuments
    21 mai 2014 - Actualité > Bibliobs > Documents > "Cette vie est terrible": Beckett




dimanche 21 septembre 2014

Michaux




Le masque du vide ou l'envers du décor 


Le Narcisse noir de Michael Powell



Souvent réapparaissent, dans le retrait de moi-même, les masques du vide.
Les masques que prend le vide ne sont pas pleins.
Ce ne lui est pas nécessaire.

Quelques traits infimes veillent à le masquer; y suffisent.
Assurément, il est là, on

l'oublierait presque......Ces masques vont

ordinairement par deux et s'impriment, frêles mais durs, dans le disque achevé de l'univers.

On pourrait croire à des gestes, à l'algèbre de gestes arrêtés dans un cataclysme pompéien.
Mais aucune trace de cataclysme.
Au contraire une étrange immobilité, et partout dans le
Spectre même de la puissance, la succion effroyable du
Vide.

Il y a aussi les déserts du matin, jonchés d'animaux morts...


 Henri Michaux, Épreuves, Exorcismes
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Approche incontournable:

  1. Les chemins de traverse d'Henri Michaux

    www.maulpoix.net/traverse.html
    Fragments de Jean-Michel Maulpoix sur Henri Michaux. ... Sous le masque de l'adulte important, il discerne le visage du nouveau-né, ses yeux glauques qui n'y 

vendredi 29 août 2014

Daumal


  1. Le visage de l'autre est un frisson....




    Paris Texas de Wenders


     " La peau du fantôme "

    Je traîne mon espoir avec un sac de clous,
    je traîne mon espoir étranglé à tes pieds,
    toi qui n'es pas encore,
    et moi qui ne suis plus.

    Je traîne un sac de clous sur la grève de feu
    en chantant tous les noms que je te donnerai
    et ceux que je n'ai plus....
    Dans la barque, elle pourrit, la loque
    où ma vie palpitait jadis;
    toutes les planches furent clouées,
    il est pourri sur sa paillasse
    avec ses yeux qui ne pouvaient te voir,
    ses oreilles sourdes à ta voix,
    sa peau trop lourde pour te sentir
    quand tu le frôlais,
    quand tu passais en vent de maladie.

    Et maintenant j'ai dépouillé la pourriture,
    et tout blanc je viens en toi,
    ma peau nouvelle de fantôme
    frissonne déjà dans ton air.

    Daumal
     (Merci à Patricia Suescum pour la découverte de ce poème)
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    A (re)découvrir)

    La Bleue


    René Daumal

    Tu t'es toujours trompé



lundi 25 août 2014

Ancet



La bouche noire des visages....



c’est là devant on regarde
la pièce vide le jour
arrêté sur la fenêtre
dans les yeux on voit venir
ce qu’on a jamais pu croire
on bat des cils on va dire
mais comment dire on se tait



Johnny Got His Gun de Dalton Trumbo



on attend on n’entend rien
on voit passer la lumière
plus loin là où les visages
brillent des morceaux de neige
restent suspendus aux branches
goutte à goutte ils étincellent
et s’évaporent on écoute


Jacques Ancet, La lumière et les cendres
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La lumière et les cendres | 15 mars 2014

VIENT DE PARAÎTRE

JACQUES ANCET
La lumière et les cendres
milonga pour Juan Gelman
édition bilingue : préface et traduction de Rodolfo Alonso
Editions CARACTÈRES



dimanche 24 août 2014

woolf



Sous le visage, le silence....




Fiona d'Amos Kollek


    C’est curieux de voir hésiter les gens à la porte de l’ascenseur. Passeront-ils ici, ou là ? Leur individualité s’affirme par le choix : ils sortent. Une nécessité les pousse, l’obligation misérable d’aller à un rendez-vous, d’acheter un chapeau, sépare ces beaux êtres humains si parfaitement unis tout à l’heure. Quant à moi, je n’ai pas de but, je n’ai pas d’ambition. Je me laisse porter par le courant. La surface de mon esprit glisse comme un pâle ruisseau reflétant les objets qui passent. Je suis incapable de me rappeler mon passé, la forme de mon nez ou la couleur de mes yeux, ni quelle est l’opinion que j’ai généra-lement de moi-même. Ce n’est qu’aux moments critiques, en traversant une rue, sur le rebord d’un trottoir, que mon instinct de conservation se saisit de moi, et m’arrête devant un autobus. Décidément, nous tenons tout à vivre. Puis, de nouveau, l’indifférence m’envahit. Le vacarme des voitures, le passage de figures pareilles qui se dirigent tantôt ici, tantôt là, me transportent dans un rêve d’intoxiqué, et les traits s’effacent des visages. Les gens pourraient tout aussi bien passer à travers moi. Et qu’est-ce moment du temps, ce jour entre les jours où je me trouve pris ? Le grondement de la circulation pourrait être tout aussi bien le vaste murmure des forêts ou le rugissement des fauves. La roue du temps a reculé d’un tour : nos progrès si récents sont anéantis. En vérité, nos corps sont nus. Nous ne sommes que légèrement recouverts de tissus soigneusement boutonnés, et sous ces trottoirs se cachent des coquillages, des ossements, et du silence.

 Les Vagues de Virginia Woolf
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A lire: très bel article d'Angèle Paoli sur Woolf.




  1. Virginia Woolf | Sombrer dans le bleu - Terres de femmes

    terresdefemmes.blogs.com/.../virginia-woolfsombrer-dans-le-bleu.html
    29 juin 2010 - Virginia Woolf, Le temps passe [Times passes, 1926], Le Bruit du temps, 2010. Édition bilingue. Traduction de l'anglais par Charles Mauron.

jeudi 5 juin 2014

Manyach

Un visage se révèle....




 A hen in the wind d'Ozu

Un visage se révèle
Dans la boite noire
D’un homme revenu de quel naufrage ?
L’encombrement de la perte
Ou de l’absence
N’est pas le vide :
Une coquille creuse d’illusions
Et de simulacres
Un œuf blanc
Translucide
Comme un cerveau d’enfant
Avant de naître
Illuminé par le sang

Dans la poche du ciel.
C’est dans ce cercle
Que le hochet du néant
Joue avec la semence de l’infini
Et que la conscience vibre
Dans l’univers
Emportant la forme du temps
Au centre des galaxies:
L’instant surgit
Sur un lit d’étoiles

Et de pierres plates..
Limpide origine perdue
Rendue au langage qui s’y incruste
Pour ouvrir la voie
Du vivant.
Mais au pays natal
Résonne déjà la voix
Du pays mortel
Comme un écho que la vie digère
Pour avaler la mort
Et ensemencer la terre !
Dans ce carré devenu mental et obscur
Se trouve pourtant une lampe
Embarquée sur les dents de la roue
Une lampe de saveur
Une lampe de douleur
Une lampe sur la route:
C’est une grimace sur un torchon
Une chair dans un corps
Et un signe dans la bouche.
Le présent se dilue
les ombres arrachent la paroi
De l’eau pourrissante:

L’axe qui nous délivre
Est aussi l’os qui s’incline .
Dans cette rotation
Quand la proue choisit la navigation ou le fracas
Nous naissons avec le soleil
Mais nous venons des étoiles
Des algues
Et du souffle
Qui ne tient qu’à un fil:
Celui que la lampe tisse
Dans la grammaire de nos veines
Avec le sang du verbe
Le vent
Qui fait trembler la flamme
Et le feu
Ou le silence
Des astres.
Alors toutes les pensées chavirent dans l’impensable
Puis dans l’écume ruisselle
Le matin du monde …


Didier Manyach, extrait d'Onde Invisible
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A lire aussi....







  1. didier manyach lettres à josé galdo, ghemma quiroga & jean ...

    blockhaus.editions.free.fr/ManyGald.htm
    CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO & GHEMMA QUIROGA (AOÛT 1990). CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO ...

mercredi 4 juin 2014

Reverdy


Le visage a un nom....


En passant une seule fois devant ce trou j’ai penché
mon front
Qui est là
Quel chemin est venu finir à cet endroit
Quelle vie arrêtée
Que je ne connais pas

Au coin les arbres tremblent
Le vent timide passe
L’eau se ride sans bruit
Et quelqu’un vient le long du mur
On le poursuit

J’ai couru comme un fou et je me suis perdu
Les rues désertes tournent
Les maisons sont fermées
Je ne peux plus sortir
Et personne pourtant ne m’avait enfermé

J’ai passé des ponts et des couloirs
Sur les quais la poussière m’aveugla
Plus loin le silence trop grand me fit peur

Et bientôt je cherchais à qui je pourrais demander
mon chemin

On riait
Mais personne ne voulait comprendre mon malheur




Dead man de Jamursh



Peu à peu je m’habituais ainsi à marcher seul
 Sans savoir où j’allais
Ne voulant pas savoir
Et quand je me trompais
Un chemin plus nouveau devant moi s’éclairait

Puis le trou s’est rouvert
Toujours le même
Toujours aussi transparent
Et toujours aussi clair

Autrefois j’avais regardé ce miroir vide et n’y avais
rien vu
Du visage oublié à présent reconnu


Pierre Reverdy  La Lucarne ovale
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A suivre........


  1. La poésie cubiste n'existe pas - Jean-Michel Maulpoix & Cie

    www.maulpoix.net/blogjmm/wordpress/254/
    10 janv. 2013 - Pierre Reverdy fait figure d'éminence grise de la poésie de la première moitié du XXe siècle. Sa réputation excède son audience. On le situe ...



mercredi 14 mai 2014

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz.



Sur le visage mortifère, la lumière des errances......




La solitude m’attendait avec l’écho
Dans l’obscure galerie. Une enfant était là
Avec une lanterne et une clef
De cimetière. L’hiver des rues

Me souffla une odeur misérable au visage.
Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;
Mais sous la lampe et mon Hypérion sur les genoux,
La vieillesse était assise : et elle ne leva pas la tête


(...)
Une histoire vraie de Lynch


Il n’y avait plus de parents, plus d’amis, plus de serviteurs !
Il n’y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.
La vieillesse berçait mon cœur comme une folle un enfant mort,
Le silence ne m’aimait plus. La lampe s’éteignit.

Mais sous le poids de la Montagne des ténèbres
Je sentis que l’Amour comme un soleil intérieur
Se levait sur les vieux pays de la mémoire et que je m’envolais
Bien loin, bien loin, comme jadis, dans mes voyages de dormeur.


Oscar Vladislas de Lubicz Milosz. Symphonie inachevée, extraits.

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D'excellents choix de poèmes sur Enjambées fauves.
  1. Chanson d'automne ~ O.V. de L. Milosz | enjambées fauves

    enjambeesfauves.wordpress.com/.../chanson-dautomne-o-v-de-l-milosz/
    2 nov. 2012 - O. V. de L. Milosz, Le poème des décadences [Ed. André Silvaire] ... Réponse. Ping : Danse macabre ~ O.V. de L. Miloscz | enjambées fauves ...

lundi 12 mai 2014

Colette


          Les chats ont un sacré Visage...





  1. Inside Llewyn Davis"de Joel et Ethan Coen.



  • Il parlait à la chatte qui, l’œil vide et doré, atteint par l’odeur démesurée des héliotropes, entrouvrait la bouche, et manifestait la nauséeuse extase du fauve soumis aux parfums outranciers..
    Elle goûta une herbe pour se remettre, écouta les voix, se frotta le museau aux dures brindilles des troènes taillés. Mais elle ne se livra à aucune exubérance, nulle gaité irresponsable, et elle marche noblement sous le petit nimbe d’argent qui l’enserrait de toutes parts. 

    La Chatte de Colette
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    A lire et relire !


Melville


Le visage ou le masque du Vide !



Crash de Cronenberg

   Une terrible cicatrice sort de ses cheveux gris, continue sur sa joue, son cou, pour disparaitre sous ses vêtements. Certains prétendent même qu'elle continue jusqu'à ses pieds! On dirait un chêne qui a gardé, de la cime aux racines, la trace impitoyable de la foudre. Le capitaine se tient très droit, planté sur sa jambe artificielle taillée dans l'ivoire de cachalot. Il a fait percer sur le pont quelques trous dans lesquels il peut la caler, et là, le regard hautain constamment fixé vers l'avant, sur l'océan infini, il semble défier l'invisible ennemi. 

Moby Dick de Herman Melville 
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A écouter, sinon toujours Stalker pour Melville, des études pointues.....

http://www.franceculture.fr/oeuvre-moby-dick-de-herman-melville

Moby Dick, c'est la monstrueuse baleine blanche, l'incarnation du Mal, cette figure de l'obsession et du double qui, des profondeurs glacées, accompagne le capitaine Achab habitué en surface aux combats titanesques des océans. Moby Dick est ce chef-d'oeuvre total que tout le monde peut lire comme le plus formidable des romans d'aventures ; la quête aussi d'une humanité embarquée de force à bord d'une histoire qui reste pour elle un mystère..

  • 19.01.2014 - Le Gai savoir
    Moby Dick - Melville (Rediffusion du 07.04.2013) 59 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lecturevideo

      Moby Dick n’est pas une baleine, ou pas seulement. Moby Dick est un diable blanc, un cétacé titanesque, un trou blanc, une montagne de neige au milieu de l’océan, le fossoyeur des morts sans sépulture et l’illusion d’un rivage au sein même de la mer. C’est un fantôme que les marins pourchassent. C’est le « précipice » dont parle Pascal, au-devant duquel nous courons .....


dimanche 11 mai 2014

Conrad


Le visage du Mal ou l'Humain selon Conrad...


  • La Nuit du chasseur de Laughton
           Il avait le regard fixe et vide, comme s'il avait été hanté. Son visage, inconsciemment, reflétait des expressions passagères de mépris, de désespoir, de résolution - il les reflétait tour à tour, comme un miroir magique refléterait le glissement fugitif d'apparitions venues d'un autre monde. Il vivait environné de fantômes trompeurs, d'ombres austères.


    • C'est lorsque nous essayons de nous colleter avec la nécessité intime d'un autre humain que nous nous rendons compte combien sont incompréhensibles, vacillants et nébuleux les êtres qui partagent avec nous la vision des étoiles et la chaleur du soleil. Tout se passe comme si la solitude était une condition absolue et pénible de l'existence ; devant la main que l'on tend on voit se dissoudre l'enveloppe de chair et de sang sur laquelle est fixé le regard, et il n'y a plus que l'âme, capricieuse, inconsolable et inssaisissable, que nul regard ne peut suivre, qu'aucune main ne peut retenir. 

      Lord Jim de Conrad



      L'Obsédé de William Wyler









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    • Je reverrai ce spectre éloquent aussi longtemps que je vivrai, et je la reverrai, elle aussi, une Ombre tragique et familière, ressemblant dans ce geste à une autre, tragique aussi, et ornée d'amulettes impuissantes, tendant la nudité de ses bras bruns par-dessus le scintillement du fleuve infernal, le fleuve des ténèbres. Elle dit soudain très bas, "Il est mort comme il a vécu".

      Au coeur des Ténèbres de Conrad
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      A lire et relire.....Conrad en Pléiade, 5 Tomes....