samedi 12 janvier 2013

Metz

Je suis un corps........


L'homme qui penche se penche pour écrire, pour retenir, peut-être, ce qui était plus penché que lui. Il y a les bruits que fait quelqu'un dans mon oreille. Et quelque chose qu'on a laissé tomber.



Le Feu Follet de Louis Malle

Thierry Metz, extrait de l'Homme qui penche

vendredi 11 janvier 2013

Alejandra Pizarnik



Le seul corps vivant...la chair des mots?


J’écris contre la peur. Contre le vent avec des griffes qui se loge dans ma respiration.

Alejandra Pizarnik


Pillow Book de Greeneway



J'ai fait le saut sur moi à l'aube.
J'ai laissé mon corps avec la lumière
et j'ai chanté la tristesse de ce qui est né.


Alejandra Pizarnik

Trakl


La chair obscure ou le corps errant...

Métamorphose du mal


Automne : marche noire à la lisière de la forêt ; minute de destruction muette ; le front du lépreux aux aguets sous l’arbre nu. Soir passé depuis longtemps, qui sombre maintenant sur les couches de mousse ; novembre. Une cloche sonne et le berger mène au village un troupeau de chevaux noirs et rouges. Sous le taillis de noisetiers, le chasseur vert vide un gibier. Ses mains fument de sang et l’ombre du gibier gémit dans la frondaison au-dessus des yeux de l’homme, brune et taciturne ; la forêt. Des corneilles qui se dispersent ; trois. Leur vol ressemble à une sonate, pleine d’accords pâlis et de mélancolie virile ; un nuage doré fond en silence. A côté du moulin, des garçons allument un feu. Le frère du plus blême est flamme et il rit enfoui dans sa chevelure rousse ; ou bien c’est le lieu du crime, à côté duquel passe un chemin pierreux. Les épine-vinettes ont disparu, à longueur d’année ça rêve dans l’air de plomb sous les pins sylvestre ; peur, obscurité verte, le gargouillement d’un homme en train de se noyer : de l’étang aux étoiles, un pêcheur tire un grand poisson noir, le visage plein de brutalité et de folie. Les voix du roseau, d’hommes se querellant dans son dos, il se balance sur une barque rouge à travers les eaux glacées de l’automne, vivant dans les sombres légendes de sa race, et les yeux en pierre ouverts sur des nuits et des terreurs virginales. Le mal.

Les Yeux sans visage de Franju

Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? Noirceur de plomb. Que portes-tu à tes yeux, avec ta main d’argent ; et tes paupières sombrent comme saoules de pavot ? Mais à travers les murs de pierre tu vois le ciel étoilé, la Voie lactée, Saturne ; rouge. L’arbre nu frappe avec rage le mur de pierre. Toi sur des marches effondrées : arbre, étoile, pierre ! Toi, une bête bleue qui tremble en silence ; toi, le prêtre blême qui l’égorge sur l’autel noir. O ton sourire dans le noir, triste et méchant, au point qu’un enfant blêmit dans son sommeil. Une flamme rouge a bondi de ta main et un papillon de nuit s’y est brûlé. O la flûte de la lumière ; ô la flûte de la mort. Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? En bas un ange frappe à la porte d’un doigt cristallin.

Ô l’enfer du sommeil ; ruelle sombre, jardinet brun. Dans le soir bleu sonne doucement la figure du mort. De petites fleurs vertes voltigent autour d’elle et son visage l’a abandonnée. Ou bien il se penche, devenu blême, sur le front froid du meurtrier dans l’ombre du couloir ; adoration, flamme pourpre de la volupté ; mourant, le dormeur est tombé dans l’obscurité par-dessus des marches noires. Quelqu’un t’a quitté à la croisée des chemins et tu regardes longtemps en arrière. Pas argenté dans l’ombre des petits pommiers estropiés. Le fruit luit pourpre dans les branches noires, et dans l’herbe le serpent change de peau. Ô l’obscurité ; la sueur qui apparaît sur le front glacé et les tristes rêves dans le vin, à l’auberge du village sous des poutres noircies par la fumée. Toi, contrée encore déserte, qui transforme la fumée brune du tabac en îles roses et qui tire du dedans le cri sauvage d’un griffon alors qu’il chasse autour de noirs écueils en pleine mer, au milieu de la tempête et de la glace. Toi, un métal vert et dedans un visage enflammé, qui veut partir et chanter les temps obscurs de la colline aux ossements et la chute en feu de l’ange. Ô désespoir, qui tombe à genoux dans un cri muet.

Un mort te rend visite. Du cœur s’écoule le sang qu’il a lui-même répandu et dans le sourcil noir niche un instant indicible ; sombre rencontre. Toi – une lune pourpre, alors que lui apparaît dans l’ombre verte de l’olivier. Vient après lui une nuit éternelle.

Trakl (traduit par Laurent Margantin)

, Huysmans


Le corps en son écrin....



Gilda de Charles Vidor


Dans l'odeur perverse des parfums, dans l'atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant, à la hauteur du visage, un grand lotus, s'avance lentement sur les pointes, aux accords d'une guitare dont une femme accroupie pince les cordes.
La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent ; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent ; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles ; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d'argent, lamée d'or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d'acier, tigrés de vert paon.

    Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui       frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l'hermaphrodite ou l'eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône, une terrible figure, voilée jusqu'aux joues, et dont la mamelle de châtré pend, de même qu'une gourde, sous sa tunique bariolée d'orange.

Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes.


 A Rebours, Huysmans

Thierry Metz


L'alchimie du corps


Vertigo, Hitchcock

Au centre du crâne
comme un bulbe de fleur
l'oeil du maçon contemple une larve blanche
ovule de la demeure.
Et là, dans l'essaim minéral
loin des herbes
le squelette fait sa récolte
et devient coquillage. 

Thierry Metz

jeudi 10 janvier 2013

Pierre-Albert Jourdan





L'Eveil des Corps ?


Un tramway nommé désir de Kazan

En creusant

Le silence est notre chambre depuis toujours
les solitudes ne peuvent s’atteindre
qu’à travers de multiples déchirures
et c’est sans doute le sens ultime
de la lente pénétration de la terre dans nos corps.

Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l’adieu

Mishima,


 Eros et Thanatos, la chair a ses raisons....
Il reposa le sabre ainsi enveloppé sur la natte devant lui, puis se souleva sur les genoux, se réinstalla les jambes croisées et défit les agrafes de son col d’uniforme. Ses yeux ne voyaient plus sa femme. Lentement, un à un, il défit les minces boutons de cuivres. Sa brune poitrine apparut, puis le ventre. Il déboucla son ceinturon et défit les boutons de son pantalon. On vit l’éclat pur et blanc du pagne qui serrait les reins. Le lieutenant le rabattit à deux mains pour dégager davantage le ventre, puis saisit la lame de son sabre. De la main gauche il se massa le ventre, les yeux baissés.
Pour s’assurer que le fil de la lame était bien aiguisé, le lieutenant replia la jambe gauche de son pantalon, dégagea un peu la cuisse et coupa légèrement la peau. Le sang remplit aussitôt la blessure et de petits ruisseaux rouges s’écoulèrent qui brillait dans la lumière. [...] Les yeux du lieutenant fixaient sur sa femme l’intense regard immobile d’un oiseau de proie. Tournant vers lui-même son sabre il se souleva légèrement pour incliner le haut de son corps sur la pointe de son arme. L’étoffe de son uniforme tendue sur ses épaules trahissait l’effort qui mobilisait toutes ses forces. Il visait à gauche au plus profond de son ventre. Son cri aigu perça le silence de la pièce.
Yukio Mishima,  La mort en été


Mishima de P Shrader