mercredi 26 décembre 2012

Stétié


A propos des cordes angéliques...........


Celui qui me convie, et qui ne peut passer pour me léserM'a fait boire à la coupe dont il a bu: tel l'hôte traitant son convive.Puis la coupe ayant circulé, Il a fait apporter le cuir et le glaive.Ainsi advient à qui boit le vin, avec le Dragon Zodiacal, en Eté.
L'accompagnateur de Hallâj, quand il y a quelques années, je rendis visite au cénotaphe, son compagnon d'éternité et son frère d'infini, en quelque sorte, était un minuscule vieillard, arbuste gravement rabougri, l'oeil blanc de cécité, et qui, quand il avait rendez-vous avec son Maître, commençait à laver à grandes eaux la pièce, puis, les enfants qui le regardaient faire étant partis, dégageant aussitôt la porte brimbalante pour qu'enfin la lumière entrât dans l'habitacle, il s'installait dans un coin, le dos cassé par l'angle dur, et marmonnait dans sa barbe étroite et longue on ne sait quelles pierreries de prière. L'après-midi où je me suis trouvé là, avec un ami cher, la lumière était dehors aride et non rafraîchie ni de près ni de loin par les brassées vivantes des palmes ventilant tout l'espace compris entre les branches de l'immense lyre constituée par le Tigre et l'Euphrate. Lyre verte comme celle dont peut-être usent dans le jardin rêvé les Anges d'un paradis immatériel et matériel tout à la fois. Ce jour-là, sur la rive inouïe d'un fleuve inaperçu de nous tous, le vieillard angélique et déjà mort chanta. Il tira de son maigre thorax et de ses poumons évaporés une voix ample, et violente, et sévère, et sonore, pour dire avec la colère des Anges justement, de ceux parmi les Anges qu'on devine usés jusqu'à la corde, et seules sont demeurées intactes les magnifiques cordes vocales, oui, il tira de son thorax les plus âpres des poèmes de Hallâj traitant de canidés l'assemblée des princes et des rois et les traînant dans la boue pisseuse du temps. Nous sortîmes de ce concert à une seule bouche abasourdis et comme touchés par l'effet foudroyant du pire alcool. Dehors, la lumière nous parut plus que jamais absurde. Ce soir-là nous mangeâmes avec un appétit vorace la carpe grasse et molle qui est le plat des hommes ordinaires après leur traversée de l'extraordinaire: il fallait ce brutal atterrissage après notre course haletante sur les chemins du feu.
*
C'était toucher l'infini.
Ce type d'événements minuscules aide ses acteurs à toucher l'infini.
Et c'est pour moi retourner à la case départ où j'estimais pouvoir dire que c'est le fini qui, à notre échelle, commandait tout le reste et même l'Echelle de Jacob. Ce serait assez satisfaisant pour l'esprit de terminer ce texte, ce très court texte sur l'infini, par ce beau mot d'échelle. Les Echelles du Levant, dont je viens. L'Echelle de Jacob, qu'il m’a plu de citer. Et René Char: «A l'âge d'homme, j'ai vu s'élever et grandir, sur le mur mitoyen de la vie et de la mort, une échelle de plus en plus nue, investie d'un pouvoir d'évulsion unique, le rêve.» Mais l'infini est cela qui, plus nu que le plus nu, déconcerte et défait tous les barreaux de nos échelles.


L'INFINI de Salha Stétié (extrait)

Les Ailes du désir, Wenders



Rilke


Tout Ange est terrible....

Elégies de Duino

"Tout Ange est terrible.
Et pourtant, malheur à moi !
pourtant je vous invoque, oiseaux de l'âme,
si près de nous êtres mortels, en toute connaissance.-
Où sont-ils les temps où Tobie, où sur le simple seuil de la maison
se tint le plus resplendissant de vous,
juste un peu déguisé pour le voyage,
et qui déjà n'était plus effrayant ?
(Un autre adolescent pour cet adolescent, curieux, qui le voyait paraître.)
Or, maintenant s'il s'en venait, l'Archange, le dangereux,
de derrière les étoiles, s'il faisait un pas
pour descendre et s'approcher :
si fort le coeur nous battrait, si haut il bondirait, éclatant,
que nous serions quasi frappés de mort. - Qui êtes-vous ?"


Théorème de Pasolini
Deuxième élégie, Rilke

dimanche 23 décembre 2012

Article Cocteau et les anges/besson..cercle 3


                             Cercle 3


A l'ombre des ailes, que trouve-t-on ? le "le matricule des Anges".....







Les Ailes du désir (Wenders)


 Cocteau ou la rechute des anges..... par Sylvie Besson.


    L’ange anthropomorphique permet également au poète de s’approcher d’un charme tentateur, sans sombrer dans le mal absolu. N’oublions pas aussi que les anges, dans le Nouveau testament, sont l’Incarnation du Verbe, selon le principe de l’Annonce, et le poète, être de parole, ne pourra résister à ce redoublement de messages, à ce Verbe fait chair comme porte ouverte à son imaginaire. Par ailleurs, l’ange réalise en lui la communion du divin et de l’humain, il apparaît comme un être double et ne peut en cela qu’entretenir une relation d’intimité avec Cocteau.
         Le poète ne fut certes pas le premier à s’intéresser aux anges dans l’histoire de l’art, les peintres et sculpteurs les dotent très tôt d’ailes pour leur permettre de voyager entre le ciel et la terre ou pour les marquer du sceau de la transcendance divine, êtres à part touchés par la grâce, messagers célestes du Royaume de Dieu ; ils se mettent aussi à porter des drapés vaporeux, des cottes de maille ou des épées. Ils s’humanisent allant jusqu’à pleurer lors de la représentation de la mise en tombeau du Christ. Les petits anges nus de Giotto, les vigoureux putti des autels, les musiciens androgynes, les métamorphoses en charmantes jeunes filles de Fra Angelico, ou inversement, les anges aux corps vigoureux de Rubens, tout participe d’une esthétique où la sensualité prédomine.
       Toutes ces formes angéliques apparaîtront à un coin de page, revalorisées, singularisées et conquises. L’ange, voyageur ailé ou non dans l’œuvre du poète, peut être d’une beauté remarquable et troublante, il peut fasciner de manière plus sulfureuse ou obscure et devenir démon séducteur.

     Cette ultime figure démoniaque de l’ange déchu fut la plus répandue au XIXème siècle , les  romantiques voient dans la légende de l’ange déchu le signe d’une attirance viscérale entre les créatures célestes et les créatures terrestres, l’ange devient un avatar de Prométhée, une image de l’homme affranchi de Dieu, un proscrit héroïque. En somme, la vision romantique de l’ange déchu transpose la question de l’aspiration ascensionnelle sur le mode de la transgression, et le personnage du délinquant céleste apparaît comme une figuration de l’artiste maudit. Cette incarnation correspond, sans nul doute, à celle du poète  que Cocteau ne cesse de revendiquer.
       Par ailleurs, l’ange des cimetières, qui sert profanement de repères, n’est-il pas une résonance autre de l’ange déchu lorsque l’on sait à quel point il représente les signes de richesse des commanditaires de tombes ? Cocteau se souviendrait-il que l’ange a besoin de « paraître » bien plus que d’apparaître ? Les anges des cimetières illustrent l’infinie diversité des représentations connues, sans omettre le rayonnement érotique qui émane d’eux, et dont Cocteau gardera également la lumineuse et inquiétante trace. Tous les anges fascinent le poète, car tous relèvent à la fois du stéréotype et du non-conventionnel, ils sont porteurs d’images tenaces, fugaces et suffisamment séduisantes pour investir la poésie et signifier l’incarnation recherchée de l’Invisible, dans la lignée notamment de Rilke ou de Mallarmé, ce que souligne fort bien Marielle Wyns dans son ouvrage :

« Héritier de la figure du gardien personnel, l’ange des poètes s’écarte progressivement de son ancrage purement religieux pour s’inscrire dans une représentation de la création littéraire. (…) Cocteau, nous le verrons dans la suite de notre analyse, s’inscrit résolument dans cette appréhension moderne de l’ange, relié à l’intériorité de l’être autant qu’à l’absolu ».

L’ange devient le personnage idéal du lieu poétique tant il révèle les angoisses de l’inaccessible, la solitude de l’homme au coeur de ce monde dépourvu de sens, le sentiment numineux s’accompagne d’une profonde désespérance. Il est aussi cet être miroitant, ce double angélique, ce divin miroir narcissique qui reconduit le poète à se mirer dans la mort. L’ange devient une passerelle entre l’intimité du poète et le réel qui le dépasse, cet Invisible qui l’écrase de tout son poids. Cocteau, en un trait d’union poétique, dessine les contours d’un ange qui s’expose monstrueusement pour signifier cette double tension de l’homme, entre l’être et le néant, dans le degré zéro de l’infini. Le poète divisé, arpente la terre sans pouvoir choisir et reste prisonnier d’une réalité où règne la douleur des expériences.
           L’être céleste lui rappelle, à n’en pas douter, l’impossibilité d’accéder à un monde autre que la terre. En ce sens, l’ange propose moins l’image d’une élévation - malgré le désir du poète - que celle foudroyante d’un retour au réel auquel Cocteau ne cesse d’appartenir : 

« Hé ! Camarade ! Hé Monsieur l’ange ! / Mais j’ai beau supplier, crier, / Vider l’encre des encriers. / L’ange reste et rien ne change » (All, p. 642).

         L’Ange est alors, en un glissement progressif de l’Invisible vers le visible, ce réel qui effraye tant Cocteau parce qu’il l’a blessé et le ramène sans cesse à sa condition d’homme. C’est pourquoi, nous allons le découvrir, l’ange est si proche des choses de ce monde, c’est pourquoi il faut lutter, se confronter au réel, en subir traces et blessures, c’est pourquoi, l’ange apporte aussi apaisement, amitiés ou jeux. L’ange est tout ce à quoi Cocteau a voulu échapper et ce vers quoi il revient. La vie a tant de richesses à exposer, le poète est disposé à renoncer à des ailes trop visibles et à sacrifier, pas à pas, ce qu’il croit être sa liberté et sa quête d’invisibilité afin d’écouter quelques chants terrestres et proposer pour qui sait la voir, puis la transcrire en mots, une poétique du monde.

          L’espace angélique envahit l’œuvre, et les anges y sont éblouissants, insupportables, égarés entre deux royaumes à l’image de leur créateur, ils voyagent de l’ombre à la lumière, se perdent sous les rayons lumineux de la terre ou se recueillent dans l’encre obscure de l’écriture. Figures nées du plus intime désir, d’un comble de détresse ou d’un chant originel, les anges coctaliens seront en quête d’un équilibre, certes boiteux, susceptible de renvoyer au sentiment d’irréalité qu’éprouve le poète face à la force inépuisable du monde qui l’entoure.

            La subjectivité angélique n’est plus un piège, ni un leurre, ni même une entrave, elle est ce regard qui saisit du réel la vérité. Cocteau dévoile, en d’infinies variations, la figure de l’Ange, empêchant ses représentations de figer le réel. Il s’agit encore d’échapper à ce qui pétrifie, mais de le faire dans un univers aux multiples dimensions et au rythme des désirs, sans métamorphose douloureuse du corps ou sans dérive mystique de l’esprit


Sylvie Besson



James Sacré




Le bonheur n'est-il qu'une ombre?


Le bonheur aussitôt dans l'ombre ça brille tilleul
toit rouge ça brille avec des jeux d'enfant poète avec des
billes des mots j'attends silence au loin billes perdues
rien dans le mot bonheur mais dans le vide le sentiment
qui persiste dans la lumière centre fleuri d'un arbre fleuri
en rond c'est comme les visages que j'aime.
----------------------------------

bonheur il brille
l'ombre un poème avec des billes
le vide et le sentiment souriants

-----------------------------------

Aussitôt le bonheur est là dans l'ombre il brille
Il grimpe au tilleul sur le toit rouge il brille
Avec des jeux d'enfant poète avec des billes
Avec des mots j'attends la rime
Au loin silence il perd ses billes et rien
Dans un alexandrin le mot bonheur qui brille (mais
dans le vide et le sentiment qui persiste de ma
pauvreté je vois dans la lumière et dans le
centre d'un arbre fleuri en rond les visages
souriants que j'aime).

James Sacré, dans Les mots longtemps.


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A l'ombre du bonheur...Petter Ibbetson d'Hattaway

jeudi 20 décembre 2012

Emily Dickinson

Les Ombres ont la parole !!!!!

J’étais morte pour la Beauté – mais à peine
M’avait-on couchée dans la Tombe
Qu’un Autre – mort pour la Vérité
Etait déposé dans la Chambre d’à côté –

Tout bas il m’a demandé « Pourquoi es-tu morte ? »
« Pour la Beauté », ai-je répliqué
« Et moi – pour la Vérité – C’est Pareil –
Nous sommes frère et sœur », a-t-Il ajouté –

Alors, comme Parents qui se retrouvent la Nuit –
Nous avons bavardé d’une Chambre à l’autre –
Puis la Mousse a gagné nos lèvres –
Et recouvert – nos noms –
Emily Dickinson
The sorrows of Satan, Griffith


Pierre Jean Jouve


L'Ombre du passé aussi vivante que la vie !

Laura de Preminger


Noir. Noir. Sentiment noir.

Frappe image noire un coup retentissant sur le gong du lointain
Pour l'entrée à l'épaisseur bien obscure de ce coeur
L'épaisse cérémonie à la longue plaine noire
De l'intérieur et de l'adieu, de minuit et du départ!
Frappe, comme un gong noir à la porte d'enfer!
Un aigre vent soulève les roseaux des sables
Confond les monts
Sous les nuées de mauvais temps de la mémoire
Fait retomber la vague en éclatante blancheur dans le néant.
C'est la journée épaisse intime où Elle part
Jetant un dernier oeil aux prouesses d'amant,
Où il quitte, quelques maigres longueurs encor de faible sable
Et poussant la vieillesse de l'âge un aigre vent.

Noir, noir, sentiment noir, oh frappe clair et noir
Pour l'épaisse cérémonie à la terre sans lendemain
Portant comme un socle divin le monument de leur départ.
II

De longues lignes de tristesse et de brouillard
Ouvrent de tous côtés cette plaine sans fin
Où les monts s'évaporent puis reprennent
A des hauteurs que ne touche plus le regard:
Là où nous sommes arrivés, donne ta main,
Puis aux saules plus écroulés que nos silences
A l'herbe de l'été que détruisent tes pieds
Dis un mot sans raison profère un vrai poème,
Laisse que je caresse enfin tes cheveux morts
Car la mort vient roulant pour nous ses tambours loin,
Laisse que je retouche entièrement ton corps
Dans son vallon ou plage extrême fleur du temps
Que je plie un genou devant ta brune erreur
Ta beauté ton parfum défunt près du départ
Adorant ton défaut ton vice et ton caprice
Adorant ton abîme noir sans firmament.
Laisse ô déjà perdue, et que je te bénisse
Pour tous les maux par où tu m'as appris l'amour
Par tous les mots en quoi tu m'as appris le chant.
III
Adieu. La nuit déjà nous fait méconnaissables
Ton visage est fondu dans l'absence. Oh adieu
Détache ta main de ma main et tes doigts de mes doigts arrache
Laissant tomber entre nos espaces le temps
Solitaire étranger le temps rempli d'espaces;
Et quand l'obscur aura totalement rongé
La forme de ton ombre ainsi qu'une Eurydice
Retourne-toi afin de consommer ta mort
Pour me communiquer l'adieu. Adieu ma grâce
Au point qu'il n'est espoir de relier nos sorts
Si même s'ouvre en nous le temple de la grâce.

"Adieu", Pierre Jean Jouve  

mercredi 19 décembre 2012

Vincent La Soudière

La Nuit appelle la Nuit....


La Nuit nous appartient de GRAY

Savoir si je saurai m’extraire du bourbier de silence et de démission où je m’enlise depuis des années. J’en ai perdu les avantages (de la solitude) et n’en subis à présent que les inconvénients : quasi-impossibilité de travailler et de croire à mon travail, refus des autres (de leur aide), et, tout récemment, douloureuses crises nerveuses à base d’insomnies, de troubles respiratoires, de confusion mentale, de tremblements, de phobies variées, etc. Mon médecin consulté juge cet état assez inquiétant. Il m’a donné un petit traitement neurologique pour enrayer ce processus dépressif ― dont les symptômes me rappellent tragiquement (en moins accusé, certes) ceux du grand bouleversement d’il y a vingt ans. L’impossibilité de fixer mon attention sur une page de livre, donc de lire, en est un des plus pénibles ; qui ne s’était pas manifesté depuis vingt ans.
Ceci pour te dire que tout cela forme un tout « symptomatique », en relation étroite avec l’être nouveau appelé à naître. Tout (et tous) me le confirme. Le modèle Michaux ne peut être le mien ; ses refus, sa solitude n’ont absolument pas la même signification, la même portée que les miens. Il a son œuvre derrière lui, il a 80 ans ; il peut se permettre (il doit) de refuser les sollicitations du monde (les plus inutiles, en tout cas). Il peut jouer les sages (peut-être en est-il un…). Mais pour moi, « jouer les sages », c’est la mort. Celui qui n’a rien à manger ne peut se permettre de refuser le morceau de pain qu’on lui propose. Ce serait de la folie, de l’autodestruction ― la négation et le mépris de la vie (et de Dieu).
Je ne veux plus vivre comme je vivais. Ma solitude était réelle ; c’est-à-dire qu’elle excluait la relation humaine. Je me drapais dans l’orgueil du non serviam (jusqu’à ne pas ― ou ne pas pouvoir ― écrire). Situation dont l’aspect destructeur m’est apparu soudain il y a quelques mois.
Est-ce capituler ? Baisser pavillon (Pavillon à tête de mort?) savoir si je saurai m’extraire du bourbier de silence et de démission où je m’enlise depuis des années. J’en ai perdu les avantages (de la solitude) et n’en subis à présent que les inconvénients : quasi-impossibilité de travailler et de croire à mon travail, refus des autres (de leur aide), et, tout récemment, douloureuses crises nerveuses à base d’insomnies, de troubles respiratoires, de confusion mentale, de tremblements, de phobies variées, etc. Mon médecin consulté juge cet état assez inquiétant. Il m’a donné un petit traitement neurologique pour enrayer ce processus dépressif ― dont les symptômes me rappellent tragiquement (en moins accusé, certes) ceux du grand bouleversement d’il y a vingt ans. L’impossibilité de fixer mon attention sur une page de livre, donc de lire, en est un des plus pénibles ; qui ne s’était pas manifesté depuis vingt ans.
Ceci pour te dire que tout cela forme un tout « symptomatique », en relation étroite avec l’être nouveau appelé à naître. Tout (et tous) me le confirme. Le modèle Michaux ne peut être le mien ; ses refus, sa solitude n’ont absolument pas la même signification, la même portée que les miens. Il a son œuvre derrière lui, il a 80 ans ; il peut se permettre (il doit) de refuser les sollicitations du monde (les plus inutiles, en tout cas). Il peut jouer les sages (peut-être en est-il un…). Mais pour moi, « jouer les sages », c’est la mort. Celui qui n’a rien à manger ne peut se permettre de refuser le morceau de pain qu’on lui propose. Ce serait de la folie, de l’autodestruction ― la négation et le mépris de la vie (et de Dieu).
Je ne veux plus vivre comme je vivais. Ma solitude était réelle ; c’est-à-dire qu’elle excluait la relation humaine. Je me drapais dans l’orgueil du non serviam (jusqu’à ne pas ― ou ne pas pouvoir ― écrire). Situation dont l’aspect destructeur m’est apparu soudain il y a quelques mois.
Est-ce capituler ? Baisser pavillon ? (pavillon à tête de mort).
Nullement. C’est courage de vivre, au contraire ; tentative d’« être ce que je suis » ― dans les étroites limites qui sont désormais les miennes ? (pavillon à tête de mort).
Nullement. C’est courage de vivre, au contraire ; tentative d’« être ce que je suis » ― dans les étroites limites qui sont désormais les miennes.
Lettre 495
Vincent La Soudière, Cette sombre ferveur, Lettres à Didier