dimanche 23 décembre 2012

Article Cocteau et les anges/besson..cercle 3


                             Cercle 3


A l'ombre des ailes, que trouve-t-on ? le "le matricule des Anges".....







Les Ailes du désir (Wenders)


 Cocteau ou la rechute des anges..... par Sylvie Besson.


    L’ange anthropomorphique permet également au poète de s’approcher d’un charme tentateur, sans sombrer dans le mal absolu. N’oublions pas aussi que les anges, dans le Nouveau testament, sont l’Incarnation du Verbe, selon le principe de l’Annonce, et le poète, être de parole, ne pourra résister à ce redoublement de messages, à ce Verbe fait chair comme porte ouverte à son imaginaire. Par ailleurs, l’ange réalise en lui la communion du divin et de l’humain, il apparaît comme un être double et ne peut en cela qu’entretenir une relation d’intimité avec Cocteau.
         Le poète ne fut certes pas le premier à s’intéresser aux anges dans l’histoire de l’art, les peintres et sculpteurs les dotent très tôt d’ailes pour leur permettre de voyager entre le ciel et la terre ou pour les marquer du sceau de la transcendance divine, êtres à part touchés par la grâce, messagers célestes du Royaume de Dieu ; ils se mettent aussi à porter des drapés vaporeux, des cottes de maille ou des épées. Ils s’humanisent allant jusqu’à pleurer lors de la représentation de la mise en tombeau du Christ. Les petits anges nus de Giotto, les vigoureux putti des autels, les musiciens androgynes, les métamorphoses en charmantes jeunes filles de Fra Angelico, ou inversement, les anges aux corps vigoureux de Rubens, tout participe d’une esthétique où la sensualité prédomine.
       Toutes ces formes angéliques apparaîtront à un coin de page, revalorisées, singularisées et conquises. L’ange, voyageur ailé ou non dans l’œuvre du poète, peut être d’une beauté remarquable et troublante, il peut fasciner de manière plus sulfureuse ou obscure et devenir démon séducteur.

     Cette ultime figure démoniaque de l’ange déchu fut la plus répandue au XIXème siècle , les  romantiques voient dans la légende de l’ange déchu le signe d’une attirance viscérale entre les créatures célestes et les créatures terrestres, l’ange devient un avatar de Prométhée, une image de l’homme affranchi de Dieu, un proscrit héroïque. En somme, la vision romantique de l’ange déchu transpose la question de l’aspiration ascensionnelle sur le mode de la transgression, et le personnage du délinquant céleste apparaît comme une figuration de l’artiste maudit. Cette incarnation correspond, sans nul doute, à celle du poète  que Cocteau ne cesse de revendiquer.
       Par ailleurs, l’ange des cimetières, qui sert profanement de repères, n’est-il pas une résonance autre de l’ange déchu lorsque l’on sait à quel point il représente les signes de richesse des commanditaires de tombes ? Cocteau se souviendrait-il que l’ange a besoin de « paraître » bien plus que d’apparaître ? Les anges des cimetières illustrent l’infinie diversité des représentations connues, sans omettre le rayonnement érotique qui émane d’eux, et dont Cocteau gardera également la lumineuse et inquiétante trace. Tous les anges fascinent le poète, car tous relèvent à la fois du stéréotype et du non-conventionnel, ils sont porteurs d’images tenaces, fugaces et suffisamment séduisantes pour investir la poésie et signifier l’incarnation recherchée de l’Invisible, dans la lignée notamment de Rilke ou de Mallarmé, ce que souligne fort bien Marielle Wyns dans son ouvrage :

« Héritier de la figure du gardien personnel, l’ange des poètes s’écarte progressivement de son ancrage purement religieux pour s’inscrire dans une représentation de la création littéraire. (…) Cocteau, nous le verrons dans la suite de notre analyse, s’inscrit résolument dans cette appréhension moderne de l’ange, relié à l’intériorité de l’être autant qu’à l’absolu ».

L’ange devient le personnage idéal du lieu poétique tant il révèle les angoisses de l’inaccessible, la solitude de l’homme au coeur de ce monde dépourvu de sens, le sentiment numineux s’accompagne d’une profonde désespérance. Il est aussi cet être miroitant, ce double angélique, ce divin miroir narcissique qui reconduit le poète à se mirer dans la mort. L’ange devient une passerelle entre l’intimité du poète et le réel qui le dépasse, cet Invisible qui l’écrase de tout son poids. Cocteau, en un trait d’union poétique, dessine les contours d’un ange qui s’expose monstrueusement pour signifier cette double tension de l’homme, entre l’être et le néant, dans le degré zéro de l’infini. Le poète divisé, arpente la terre sans pouvoir choisir et reste prisonnier d’une réalité où règne la douleur des expériences.
           L’être céleste lui rappelle, à n’en pas douter, l’impossibilité d’accéder à un monde autre que la terre. En ce sens, l’ange propose moins l’image d’une élévation - malgré le désir du poète - que celle foudroyante d’un retour au réel auquel Cocteau ne cesse d’appartenir : 

« Hé ! Camarade ! Hé Monsieur l’ange ! / Mais j’ai beau supplier, crier, / Vider l’encre des encriers. / L’ange reste et rien ne change » (All, p. 642).

         L’Ange est alors, en un glissement progressif de l’Invisible vers le visible, ce réel qui effraye tant Cocteau parce qu’il l’a blessé et le ramène sans cesse à sa condition d’homme. C’est pourquoi, nous allons le découvrir, l’ange est si proche des choses de ce monde, c’est pourquoi il faut lutter, se confronter au réel, en subir traces et blessures, c’est pourquoi, l’ange apporte aussi apaisement, amitiés ou jeux. L’ange est tout ce à quoi Cocteau a voulu échapper et ce vers quoi il revient. La vie a tant de richesses à exposer, le poète est disposé à renoncer à des ailes trop visibles et à sacrifier, pas à pas, ce qu’il croit être sa liberté et sa quête d’invisibilité afin d’écouter quelques chants terrestres et proposer pour qui sait la voir, puis la transcrire en mots, une poétique du monde.

          L’espace angélique envahit l’œuvre, et les anges y sont éblouissants, insupportables, égarés entre deux royaumes à l’image de leur créateur, ils voyagent de l’ombre à la lumière, se perdent sous les rayons lumineux de la terre ou se recueillent dans l’encre obscure de l’écriture. Figures nées du plus intime désir, d’un comble de détresse ou d’un chant originel, les anges coctaliens seront en quête d’un équilibre, certes boiteux, susceptible de renvoyer au sentiment d’irréalité qu’éprouve le poète face à la force inépuisable du monde qui l’entoure.

            La subjectivité angélique n’est plus un piège, ni un leurre, ni même une entrave, elle est ce regard qui saisit du réel la vérité. Cocteau dévoile, en d’infinies variations, la figure de l’Ange, empêchant ses représentations de figer le réel. Il s’agit encore d’échapper à ce qui pétrifie, mais de le faire dans un univers aux multiples dimensions et au rythme des désirs, sans métamorphose douloureuse du corps ou sans dérive mystique de l’esprit


Sylvie Besson



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire