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A l'ombre des ailes, que trouve-t-on ? le "le matricule des Anges".....
Les Ailes du désir (Wenders)
Cocteau ou la rechute des anges..... par Sylvie Besson.
L’ange anthropomorphique permet également au poète de
s’approcher d’un charme tentateur, sans sombrer dans le mal absolu. N’oublions
pas aussi que les anges, dans le Nouveau testament, sont l’Incarnation du
Verbe, selon le principe de l’Annonce, et
le poète, être de parole, ne pourra résister à ce redoublement de messages, à
ce Verbe fait chair comme porte ouverte à son imaginaire. Par ailleurs, l’ange
réalise en lui la communion du divin et de l’humain, il apparaît comme un être
double et ne peut en cela qu’entretenir une relation d’intimité avec Cocteau.
Le poète ne
fut certes pas le premier à s’intéresser aux anges dans l’histoire de l’art,
les peintres et sculpteurs les dotent très tôt d’ailes pour leur permettre de
voyager entre le ciel et la terre ou pour les marquer du sceau de la
transcendance divine, êtres à part touchés par la grâce, messagers célestes
du
Royaume de Dieu ; ils se mettent aussi à porter des drapés vaporeux, des
cottes de maille ou des épées. Ils s’humanisent allant jusqu’à pleurer lors de
la représentation de la mise en tombeau du Christ. Les petits anges nus de
Giotto, les vigoureux putti des autels, les musiciens androgynes, les métamorphoses
en charmantes jeunes filles de Fra Angelico,
ou inversement, les anges aux corps vigoureux de Rubens, tout participe d’une
esthétique où la sensualité prédomine.
Toutes ces
formes angéliques apparaîtront à un coin de page, revalorisées, singularisées
et conquises. L’ange, voyageur ailé ou non dans l’œuvre du poète, peut être
d’une beauté remarquable et troublante, il peut fasciner de manière plus
sulfureuse ou obscure et devenir démon séducteur.
Cette ultime figure démoniaque de l’ange déchu
fut la plus répandue au XIXème siècle , les romantiques voient dans la légende de l’ange
déchu le signe d’une attirance viscérale entre les créatures célestes et les
créatures terrestres, l’ange devient un avatar de Prométhée, une image de l’homme
affranchi de Dieu, un proscrit héroïque. En somme, la vision romantique de
l’ange déchu transpose la question de l’aspiration ascensionnelle sur le mode de la transgression, et le personnage du délinquant céleste apparaît comme une
figuration de l’artiste maudit. Cette incarnation
correspond, sans nul doute, à celle du poète que Cocteau ne cesse de
revendiquer.
Par ailleurs,
l’ange des cimetières, qui sert profanement de repères, n’est-il pas une
résonance autre de l’ange déchu lorsque l’on sait à quel point il représente
les signes de richesse des commanditaires de tombes ? Cocteau se
souviendrait-il que l’ange a besoin de « paraître » bien plus que
d’apparaître ? Les anges des cimetières illustrent l’infinie diversité des
représentations connues, sans omettre le rayonnement érotique qui émane d’eux,
et dont Cocteau gardera également la lumineuse et inquiétante trace. Tous les
anges fascinent le poète, car tous relèvent à la fois du stéréotype et du
non-conventionnel, ils sont porteurs d’images tenaces, fugaces et suffisamment
séduisantes pour investir la poésie et signifier l’incarnation recherchée de
l’Invisible, dans la lignée notamment de Rilke ou de Mallarmé, ce que souligne
fort bien Marielle Wyns dans son ouvrage :
« Héritier
de la figure du gardien personnel, l’ange des poètes s’écarte progressivement
de son ancrage purement religieux pour s’inscrire dans une représentation de la
création littéraire. (…) Cocteau, nous le verrons dans la suite de notre analyse,
s’inscrit résolument dans cette appréhension moderne de l’ange, relié à
l’intériorité de l’être autant qu’à l’absolu ».
L’ange devient le personnage idéal du lieu poétique
tant il révèle les angoisses de l’inaccessible, la solitude de l’homme au coeur
de ce monde dépourvu de sens, le sentiment numineux s’accompagne d’une profonde
désespérance. Il est aussi cet être miroitant, ce double angélique, ce divin
miroir narcissique qui reconduit le poète à se mirer dans la mort. L’ange
devient une passerelle entre l’intimité du poète et le réel qui le dépasse, cet
Invisible qui l’écrase de tout son poids. Cocteau, en un trait d’union
poétique, dessine les contours d’un ange qui s’expose monstrueusement pour
signifier cette double tension de l’homme, entre l’être et le néant, dans le degré
zéro de l’infini. Le poète divisé, arpente la terre sans pouvoir choisir et
reste prisonnier d’une réalité où règne la
douleur des expériences.
L’être
céleste lui rappelle, à n’en pas douter, l’impossibilité d’accéder à un monde
autre que la terre. En ce sens, l’ange propose moins l’image d’une élévation -
malgré le désir du poète - que celle foudroyante d’un retour au réel auquel
Cocteau ne cesse d’appartenir :
« Hé ! Camarade ! Hé
Monsieur l’ange ! / Mais j’ai beau supplier, crier, / Vider l’encre des
encriers. / L’ange reste et rien ne change » (All,
p. 642).
L’Ange est
alors, en un glissement progressif de l’Invisible vers le visible, ce réel qui
effraye tant Cocteau parce qu’il l’a blessé et le ramène sans cesse à sa
condition d’homme. C’est pourquoi, nous allons le découvrir, l’ange est si
proche des choses de ce monde, c’est pourquoi il faut lutter, se confronter au
réel, en subir traces et blessures, c’est pourquoi, l’ange apporte aussi
apaisement, amitiés ou jeux. L’ange est tout ce à quoi Cocteau a voulu
échapper et ce vers quoi il revient. La vie a tant de richesses à exposer, le
poète est disposé à renoncer à des ailes trop visibles et à sacrifier, pas à
pas, ce qu’il croit être sa liberté et sa quête d’invisibilité afin d’écouter
quelques chants terrestres et proposer pour qui sait la voir, puis la
transcrire en mots, une poétique du monde.
L’espace angélique envahit l’œuvre, et
les anges y sont éblouissants, insupportables, égarés entre deux royaumes à
l’image de leur créateur, ils voyagent de l’ombre à la lumière, se perdent sous
les rayons lumineux de la terre ou se recueillent dans l’encre obscure de
l’écriture. Figures nées du plus intime désir, d’un comble de détresse ou d’un
chant originel, les anges coctaliens seront en quête d’un équilibre, certes
boiteux, susceptible de renvoyer au sentiment d’irréalité qu’éprouve le poète
face à la force inépuisable du monde qui l’entoure.
Sylvie Besson
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