vendredi 31 mai 2013

Jean Reverzy


Le corps à mort ou la fin des angoisses !


   Dans la chambre pleine d’une odeur douceâtre de pharmacie et de cuisine, Palabaud comprit que sa fin allait commencer ; ce n’était ni plus inquiétant, ni plus douloureux que le reste. Il arrivait simplement au bout de l’insoupçonnable randonnée commencée six mois plus tôt lorsque le docteur Klein lui avait dit : « Vous avez un gros foie. » Il se souvenait de son déchirement, la voix du médecin usurier, pourtant sourde et rocailleuse, avait retenti comme le cri d’un enfant qui se noit. A ses inflexions, Palabaud avait prêté l’expression d’une solitude et d’une angoisse qu’il éprouvait lui-même. Puis la paix était revenue ; il n’acceptait ni ne refusait l’inévitable ; en réalité, il entrait dans le monde des agonisants. Car l’agonie peut durer une seconde ou des années ; elle commence à l’instant où l’homme croit sa mort possible ; la longueur du temps qui l’en sépare n’importe, et quiconque a saisi le sens de l’écoulement, du passage, est perdu pour les vivants. Et du jour où la mort triomphe et s’installe en maîtresse dans un cerveau, c’est pour abolir – à l’exclusion d’un exact sentiment de fluidité de l’existence- toute lutte, tout désir, toute affirmation de soi et aussi toute angoisse.

   
Quand la ville dort de John Huston

 La pensée finale de Palabaud fut tournée vers la mer qu’il vit clairement, non la mer symbolique des voyages, des romans, des poèmes, mais cette mer réelle et pure, cette mer vivante près de laquelle, dès l’enfance, il avait vu des êtres infirmes se débattre, s’agiter, se dissoudre. Il n’eut plus besoin du souvenir ; l’image heureuse de la vague verticale heurtant les récifs de la Raïata, hésitant à s’effondrer, telle un être pliant sous une charge immense, s’effaça. Ce qu’il tenait, c’était l’idée même de la mer et il ne souhaitait rien d’autre. Cette possession absolue ne pouvait durer. L’intermittence des espaces vides s’allongea ; une dernière fois l’idée de se fit jour et sombra. Tout l’univers, une lumière floue, une saveur lointaine et glacée de menthe s’abîmèrent. Comme c’est simple et facile de mourir ! Palabaud fut soudain absent de l’après-midi.

Jean Reverzy, Le passage
(Merci Sébastien)
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 A découvrir en oeuvres complètes...


jeudi 30 mai 2013

Woolf


Je est mon corps !


Une journée particulière d'Ettore Scola

    Elle entamait tout juste sa cinquante-deuxième année. Il en restait encore des mois entiers, intacts. Juin, juillet, août ! Chacun d’eux restait quasiment entier et, comme pour recueillir la goutte qui tombe, Clarissa (se dirigeant vers la table de toilette) plongea au cœur même de l’instant, le cloua sur place, l’instant de ce matin de juin sur lequel s’exerçait la pression de tous les autres matins, voyant comme pour la première fois le miroir, la table de toilette, et tous les flacons, se rassemblant tout entière en un point (en se regardant dans le miroir), regardant le visage rose, délicat, de la femme qui devait, le soir même, donner une soirée ; de Clarissa Dalloway ; d’elle-même. 

Virginia Woolf, Mrs Dalloway.

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Article à lire....

Article de Pascale Trück sur *Recours au poème*
  1. www.recoursaupoeme.fr/chroniques/les-eaux...de...woolf/pascale-trück

dimanche 26 mai 2013

Pierre-Albert Jourdan



Le corps à nu......


Trois enterrements de Tommy Lee Jones




Je sais qu’il me faut porter ton blason

D’ocre et de brun de pierre grise

Le paraphe de ton chant

L’amoncellement des racines et des boucles

Je sais qu’il y a ce cri rauque

Dans ta bouche dévorée de bleu

Ce ploiement du regard

Lorsqu’il atteint les collines lointaines

femmes plus immobiles et stridentes d’été

Je sais les distances abolies

Te peau si proche

Le grain de ton sol sous les mots

Je sors dans ta lumière corps éclaté

Rendu à la vérité


Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l'adieu


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Conseil de lecture.....



samedi 25 mai 2013

Follain



Le corps a ses secrets.....


Les Pas.

Les pas entendus 
le corps, les visages, les mains 
se fondent au village 
à grands arbres sculptés. 
Il n'y a plus de temps à perdre 
répète une voix. 
Ce sont pourtant les mêmes pas 
que dans la glaise des matins où 
brillaient le cuivre et l'étain. 
L'avenir se cache dans les plis 
des rideaux figés 
le pain fait la chair. 

 Jean  Follain, Exister



Historias minimas de Carlos Sorin




Les Passants

De l’arsenal des fards
l’une s’approche au bord du soir
tandis que son amant
vole un pain miraculeux
et puis ses longues jambes
artificieuses frémissent
quand sur le pavé mouillé
passent d’illustres dandies
l’un laisse sur son épaule
une feuille morte tombée
de l’arbre qui n’a plus de voix
et lui non plus ne dit mot
parce qu’il pose pour l’histoire
le gris fin de son vêtement
attend la tache de sang 
et son grand visage grec
ressemble étrangement
à celui qu’avait sa mère
au village de naguère.

Jean Follain, Exister

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Deux belles approches de Follain....




vendredi 24 mai 2013

Thomas Mann

   La Chair a un visage !



Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich

Dorothéa avait vieilli, sa perfection froide et sévèrement soignée, sa beauté célèbre, acclamée, s'était flétrie avec une telle et si constante rapidité au cours des dernières années que la femme en elle n'avait pu tenir pied à cette métamorphose. Rien, ni l'art ni les remèdes, pas mêmes les plus pénibles et les plus répugnants, qu'elle avait employés à combattre sa déchéance, n'avaient pu empêcher de s'éteindre le doux éclat de ses yeux bleu sombre, de se former au dessous d'eux des poches de peaux flasque et jaunâtre, tandis que les merveilleuses fossettes de ses joues se creusaient en rides qui faisaient paraître d'autant plus dure et maigre la bouche fière et hautaine. Mais comme son coeur avait été aussi sévère que sa beauté et uniquement attaché à la conservation de cette beauté, comme sa beauté lui avait tenu lieu d'âme et qu'elle n'avait rien aimé ni voulu que l'effet exaltant de cette beauté, comme son coeur n'avait jamais battu pour rien ni pour personne, elle se trouvait à présent décontenancée et appauvrie, incapable de trouver en elle-même la force de se résigner à un nouvel état, et son équilibre mental en fut affecté. 

Thomas Mann, Altesse Royale.
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La Montagne magique


                          Lectures conseillées...

jeudi 23 mai 2013

H.Michaux,


 Le corps, un "non-lieu" ? Corps célestes et existences terrestres...


Corpo celeste dAlice Rohrwacher


Dans l'étroite salle 

qui cesse d'être étroite

calme vient à notre rencontre

un calme de bienvenue

composé d'allonges, d'allonges

abandons non dénombrés


Emplacement n'est plus ici

n'est plus là

on a cessé d'en avoir, d'en vouloir


Du cotonneux en tous sens

vacillant, indéterminé

sur le passé qui sombre


Tourments, tournants dépassés

un corps pourtant non disparu a coulé


Lieux quittés

Temps du calme continu

parfait

non modulé.


Temps dans lequel on ne sera plus déconcerté

divisé,

dans lequel rien n'interpelle,

où ne débouche phénomène aucun


Plus de rencontre

Monde sans gradins

ou aux milliers d'imperceptibles gradins

accidents indistinctement coulissant dans de similaires accidents


Egalisation 

enfin trouvée

enfin arrivée


qui ne sera plus interceptée.

On y vogue.


Jubilation à l'infini de la disparition des disparités. 

H.Michaux,  Postures


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A retrouver.....

Revue Plume

Créé par Jean-Michel Maulpoix, le bulletin Plume a paru sans interruption entre 1990 et 2000. Se transformant en revue à caractère scientifique, il renaît aujourd’hui sous forme électronique La revue publie des travaux récents sur le travail plastique et littéraire de Michaux, des correspondances ou des textes non inclus dans les volumes de la Pléiade.

dimanche 19 mai 2013

E.E. Cummings


Les Frissons de la Chair....


  1. L'Empire des sens de Nagisa Oshima 




J’aime mon corps quand il est avec ton

corps.   C’est une si toute nouvelle chose.

Muscle améliore et nerf plus donne.

j’aime ton corps.  j’aime ce qu’il fait,

j’aime ses comments.   j’aime sentir l’échine

de ton corps et ses os,et la tremblante

-ferme-douceur et que je veux

encore et encore et encore

embrasser, j’aime de toi embrasser ci et ça,

j’aime,lentement caressant le,choc du duvet

de ta fourrure électrique,et qu'est-ce qui arrive

à la chair s’écartant…Et des yeux les grosses miettes d’amour,


et possiblement j’aime le frisson

 de sous moi toi si toute nouvelle


E.E. Cummings, Poèmes choisis (traduits par Robert Davreu)

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Conseil de lecture....




Parution avril 2013 : E. E. Cummings, traduit par Jacques Demarcq