mercredi 11 septembre 2013

Juarroz


De la présence des arbres ?



Périodiquement,
il faut faire l’appel des choses,
vérifier une fois de plus leur présence.
Il faut savoir
si les arbres sont encore là,


Histoire d'herbes flottantes  d'Ozu


si les oiseaux et les fleurs
poursuivent leur invraisemblable tournoi,
si les clartés cachées
continuent de pourvoir la racine de la lumière,
si les voisins de l’homme
se souviennent encore de l’homme,
si dieu a cédé
son espace à un remplacement,
si ton nom est ton nom
ou déjà le mien,
si l’homme a terminé son apprentissage
de se voir de l’extérieur.

Et en faisant l’appel
il s’agit de ne pas se tromper :
aucune chose ne peut en nommer une autre.
Rien ne doit remplacer ce qui est absent. 

Juarroz, Douzième Poésie verticale, (traduit par Fernand Verhesen)


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A lire.....

  1. Poesie verticale de Roberto Juarroz - Jean-Michel Maulpoix & Cie

    www.maulpoix.net/juarroz.htm
    Essai de Martine Broda consacré à Poésie verticale de Roberto Juarroz.

mardi 10 septembre 2013

Beckett




Un goût d'herbe filante.......


  A ce moment Murphy aurait donné toute son espérance de l'Antépurgatoire pour cinq minutes dans sa berceuse, il aurait renoncé à l'abri du rocher de Belacqua et au long repos embryonnaire, au-dessus de la mer australe tremblant à l'aube derrière les roseaux et du soleil à son lever obliquant vers le nord, et pas d'expiation tant qu'il n'aurait pas tout repassé en rêve, en rêve franc d'enfant, à partir de la spermathèque jusqu'au four crématoire. Il avait une sihaute opinion de cette situation posthume, ses avantages lui étaient présents à l'esprit avec un tel détail, qu'il osait presque aspirer à la longévité. Ainsi serait long le temps qu'il passerait à rêver, à voir les aurores parcourir leurs zodiaques, avant la longue ascension au Paradis. La rampe était outrageante, un en moins d'un. Dieu veuille que nul marchand de couleurs ne vienne, avec une bonne prière, lui abréger le stage.
 C'était là sa fantaisie Belacqua, une des mieux organisées de toute sa collection. Elle l'attendait au-delà de la frontière de la souffrance, c'était le premier paysage de la liberté.
 Il s'appuya épuisé contre la grille du magnifique Hôpital Gratuit Royal, il renouvela le serment solennel de rayer pour toujours de son répertoire cette vision des antipodes de Sion à condition qu'il lui fût accordé de rejoindre sa berceuse et de sy bercer pendant cinq minutes. S'asseoir ne suffisait plus, il fallait maintenant se coucher. La plus maigre motte du célèbre gazon anglais lui suffirait, où il pût s'allonger, couper la lumière de la vigilance et passer dans les paysages où il n'y avait plus de marchands, plus de cancers avec tout confort, mais rien que lui-même, embelli à s'y méconnaître.


Essential Killing de Jerzy Skolimowski


 Il ne pouvait rien se rappeler de plus proche que le petit square de Lincoln's Inn Fields. L'atmosphère y était pénible, un miasme de lois, celles des dupes et celles des fourbes. Mais il y avait de l'herbe et des arbres. Des cèdres, il lui semblait. Il avait tort, c'étaient des platanes.
 A peine eut-il fait quelques pas dans la direction de ce giron squameux qu'il dut s'appuyer de nouveau contre la grille. Il lui était clair que, dans son état actuel, il avait autant de chances de gagner à pied les duretés du square de Lincoln's Inn Fields que les délices rebondies de Hyde Park. Il devrait s'asseoir avant de pouvoir se coucher. Marcher avant de courir, s'asseoir avant de se coucher.

  Samuel Beckett, Murphy (extrait)

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Actualité.....



  1. Revue des lettres modernes, Samuel Beckett 3 : "les 'dramaticules ...

    www.fabula.org/actualites/llewellyn-brown-dir-samuel-beckett-3-les-dra...



samedi 31 août 2013

reverdy



Et les arbres à genoux....



Vampyr de Dreyer


Les bancs sont prisonniers
Des chaînes d’or du mur
Prisonniers des jardins où le soleil se cache
Près de la forêt vierge
De la prairie étale
Du pont qui tourne à pic
Dans l’angle le plus droit
La boîte des nuages s’ouvre
Et tous les oiseaux blancs s’envolent à la fois
Tapis plus vert que l’eau plus doux que l’herbe
Plus amer à la bouche et plus plaisant à l’œil
Les arbres à genoux se baignent
L’air est calme et plein de sommeil
La lumière s’abat
Le jour perd ses pétales
Plus haut c’est tout d’un coup la nuit
Les regards entendus
Et le clignement des étoiles
Les signes
Par-dessus les toits

Pierre Reverdy, Le côté bleu du ciel

vendredi 30 août 2013

Ancet


La présence silencieuse de l'Arbre.....



Le sacrifice de Tarkovski


L'arbre est visible de la fenêtre. Depuis des jours, des mois, des années. Même avant la fenêtre, il était là, mais invisible parce que libre de l'image, dans le vent ou la pluie, avec ou sans feuilles. Ce qui n'a pas changé c'est cette présence obscure où se prend la lumière, où passe un bruissement léger, inaudible derrière la vitre. Quelqu'un, s'il tendait l'oreille pourrait peut-être l'entendre, mais à peine, comme un murmure de voix étouffées, lointaines. Pour le moment, rien n'est perceptible, rien ne bouge. C'est une fin d'après-midi de printemps grise et humide. Les couleurs sont éteintes: les verts, les bruns tendent vers une ombre qui semble veiller au centre de chaque chose. L'arbre en est plein de cette ombre mais, pour l'instant, le jour ne la laisse pas encore venir. Simplement, le tronc monte en silence, d'un seul mouvement paisible, veiné de gris puis, d'une torsion, se dédouble en deux branches maîtresses qui suivent chacune leur chemin, dessinant cette fourche énigmatique où viennent toujours se prendre les désirs. Dans cet espace, progressivement ouvert à mesure que monte le regard, s'en va la profondeur d'un pré, son vert maintenant soutenu, vif, presque lumineux, jusqu'à la ligne obscure, clairsemée, d'autres arbres en bordure d'un chemin. Pour le moment, personne n'y passe et le regard revient aux branches maîtresses qui, entre-temps, semblent s'être obscurcies (mais peut-être est-ce un effet de contraste entre le vert du pré et le brun gris de l'écorce). S'entendent alors plusieurs cris d'oiseau variés, pépiements, roulades, appels insistants, et le bruit plus lointain d'un train qui s'éloigne…

Jacques Ancet, Image et récit de l’arbre et des saisons 

mercredi 28 août 2013

Mann



Le voyage éloigne-t-il  l'homme de la voix du monde?


   Un simple jeune homme se rendait au plein de l’été, de Hambourg, sa ville natale, à Davos-Platz, dans les Grisons. Il allait en visite pour trois semaines.
Mais de Hambourg jusque là-haut, c’est un long voyage ; trop long en somme par rapport à la brièveté du séjour projeté. On passe par différentes contrées, en amont et en aval, du haut plateau de l’Allemagne méridionale jusqu’au bord de la mer souabe, et, en bateau, sur ses vagues bondissantes, par-delà des abîmes que l’on tenait autrefois pour insondables.
A partir de là, le voyage, qui s’était si longtemps poursuivi en ligne droite, d’un grand jet, commence à s’éparpiller. Il y a des arrêts et des complications. Au lieu-dit Rorschach, sur territoire suisse, on se confie de nouveau au chemin de fer, mais on ne parvient de prime abord que jusqu’à Landquart, une petite station alpestre, où l’on est obligé de changer de train. C’est un chemin de fer à voie étroite où l’on s’embarque après une attente prolongée en plein vent, dans une contrée assez dépourvue de charme; et, dès l’instant où la machine, de petite taille, mais d’une puissance de traction apparemment exceptionnelle, se met en mouvement, commence la partie proprement aventureuse du voyage, une montée brusque et ardue qui ne semble pas vouloir finir. Car Landquart est encore situé à une altitude relativement modérée ; mais à présent, c’est par une route rocheuse, sauvage et âpre que, tout de bon, on s’engage dans les hautes montagnes.
Hans Castorp – tel est le nom du jeune homme  ­—  se trouvait seul, avec sa sacoche en peau de crocodile, un cadeau de son oncle et tuteur, le consul Tienappel – pour le désigner lui aussi dès à présent par son nom – avec son manteau d’hiver qui se balançait à une patère et avec son plaid roulé, dans un petit compartiment capitonné de gris;  il était assis près de la portière baissée, et comme l’après-midi se faisait de plus en plus frais, il avait, en enfant gâté et douillet qu’il était, relevé le col de son pardessus d’été doublé de soie, de coupe ample et moderne. Près de lui, sur la banquette, il y avait un livre broché, intitulé Ocean Steamships, qu’il avait ouvert de temps à autre, au début de son voyage; mais à présent ce livre gisait là, abandonné, et le souffle haletant de la locomotive saupoudrait sa couverture de parcelles de suie.



Jeremiah Johnson  par Sydney Pollack.


Deux journées de voyage éloignent l’homme – et à plus forte raison le jeune homme qui n’a encore plongé que peu de racines dans l’existence – de son univers quotidien, de tout ce qu’il regardait comme ses devoirs, ses intérêts, ses soucis, ses espérances; elles l’en éloignent infiniment plus qu’il n’a pu l’imaginer dans le fiacre qui le conduisait à la gare. L’espace qui, tournant et fuyant, s’interpose entre lui et son lieu d’origine, développe des forces que l’on croit d’ordinaire réservées à la durée. D’heure en heure, l’espace détermine des transformations intérieures, très semblables à celles que provoque la durée, mais qui, en quelque manière, les surpassent.
A l’instar du temps, il amène l’oubli; mais il le fait en dégageant la personne de l’homme de ses contingences, pour la transporter dans un état de liberté initiale; il n’est pas jusqu’au pédant et au philistin dont il ne fasse en un tournemain quelque chose comme un vagabond. Le temps, dit-on, c’est le Léthé. Mais l’air du lointain est un breuvage tout pareil, et si son effet est moins radical, il n’en est que plus rapide.

Thomas Mann , La Montagne Magique
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Un peu de musique

Thomas Mann über Richard Wagner - Lohengrin (en allemand)

http://www.youtube.com/watch?v=tH5jx-I1Z3o

http://www.youtube.com/watch?v=tH5jx-I1Z3o&feature=player_detailpage

mardi 27 août 2013

Calaferte



 les arbres bleus et sapins verts de Calaferte....






j'aime les âmes blanches
les têtes qui se penchent
noyées dans les cheveux

Un et un qui font deux
les matins des dimanches
les demoiselles blanches
avec des rubans bleus

La morsure du feu
à l'écorce des branches
le ciel de nos nuits blanches
et la mort peu à peu

J'aime le vert brumeux de ses yeux à piment

Calaferte , Poèmes ébouillantés 



Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk


On ne refera plus les sapins aussi verts
ma sœur
Ni les cieux aussi cieux, ni les aubes si frêles
ni les goudrons fondants des routes de l'été
ni les canons de bronze aux jambes des enfants sur la grand-place,
à l'ombre insigne des vieux morts
d'autres guerres
Ma foi
on ne refera plus la gaieté d'autrefois
ma sœur
je n'y crois guère
Pas plus qu'aux longs comas de nos douillets hivers
mon cœur
ni aux calmes maisons avec leurs demoiselles
roses pour vous servir une tasse de thé
les seins jeunes dessous des corsages bouffants

De tout cela qui a été
ma sœur
Les rivières de nos pieds nus, et les cris d'or
au loin, des fiers couchants
qui s'en souvient encore ?
On ne refera plus ton ancienne candeur
mon cœur
Les oiseaux sont allés ailleurs
Les enfants et les demoiselles
Les grisons de l’été, l’hiver qui s’échevelle
Ailleurs…
Vois l’oubli mon cœur
Mon cœur voici la mort


Calaferte, Rag-Time

dimanche 25 août 2013

Pierre-Albert Jourdan


Le Monde a son mot à dire.....


Quel est ton nom ?
je suis l’usure
des corps des pierres de l’ombre
même de l’ombre
je suis l’auxiliaire de la beauté
vous me saluez parfois
si vite
la tête vous tournerait peut-être ?
j’active la poussée des feuillages
vous ne dominez plus vos arbres
eux aussi vous oublient
je suis cette bouffée de tendresse
dans les corps la brume des regards
qu’ils reposent en paix !
les voix se perdent dans l’espace
accostent à la rive comblée de gravats
là le festin se déroule
c’est toujours autour d’une table
que l’attente se fait mortelle
gravée dans la pierre







Stalker de Tarkovski

C’est moi dit l’usure
qui émonde les gestes
j’aurais trop peur des vivants 


Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l'adieu
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Pour appréhender Jourdan...

  1. Pierre-Albert Jourdan-vie et oeuvre

    pierrealbert.jourdan.free.fr/fpaj1.html

http://pierrealbert.jourdan.free.fr/fpaj1.html///