samedi 16 mars 2013

Edouard Glissant/fragment/Besson


L'étoilement des roches......

 Les pays que j’habite s’étoilent en archipels. Ils racontent les temps de leurs éclatements. Quand nous rencontrons un morceau impénétrable de temps, une roche incassable, ce qu’aussi nous appelons un bi, nous voici devant ce bi de temps, nous n’en sommes pas désenvironnés, nous faisons le tour de cette obscurité, nous piétons dans la moindre ravine ou le plus petit cap, jusqu’à entrer dans la chose. L’éclat des temps tout comme les éclats du temps n’égarent pas, dans nos pays.

Edouard  Glissant



Ghost Dog de Jim Jamursh





Une pierre dans mon jardin….….. Le paradoxe  du Poète contemporain ????


Etoilement de soi ou identité du monde par Sylvie Besson.

      Le chemin le plus sûr qui mène à une réflexion sur l’identité et l’altérité est sans doute celui emprunté par le voyageur, désireux de voir l’autre, de le confronter à soi. Les poètes-voyageurs tirent de cette expérience de l’ailleurs une conscience et reconnaissance de l’autre en même temps qu’un sentiment d’instabilité du moi et des pratiques culturelles qui les sous-tendent. Pour eux, l’écriture poétique devient une écriture en voyage où le sujet multiplie ses chances de faire un tour du côté de l’autre et de trouver dans la précarité de ses rencontres une identité renouvelée.
     S’agirait-il alors pour ces  poètes de l’extrême contemporanéité (D Fourcade) d’effectuer par le détour de l’autre  une remise en question de soi et du monde?  Serait-ce à dire également que c’est la prise de conscience de l’enfermement du moi sur lui-même qui pousse le poète à délaisser les sentiers battus, et que sa survie dépendrait de la remise en route du mécanisme d’échange, donc du rétablissement de la relation avec l’autre  ?
    La réponse, en poésie, demeure paradoxale : en effet, le travail du poète est celui d’un solitaire et le désir de partir reste ambigu, car à peine est-il parti puis confronté à l’autre que le poète revient promptement à la question de l’étrangeté de son Moi si irrémédiablement liée à la pratique de son écriture.

   Ainsi lorsque les poètes d’aujourd’hui  prennent la plume  c’est pour saisir la chance de s’absenter d’eux-mêmes en tant qu’hommes parmi les hommes, une façon d’écrire dans un état de déterritorialisation;  en outre, l’autre, en territoire poétique, contrairement au voyage romanesque, n’existe que pour être traversé. De ces traces charnelles/immanentes, les poètes laissent apparaitre de nouveaux tracés identitaires entre diffraction et concentration,  composant ainsi les scholies d’une errance collective. Il s’agirait finalement de maintenir une identité en creux, « présence en écho », « immersion dans la démesure », « cendres et poussières omniprésentes », « engluement boueuse ou terreuse », « mers solaires et déserts mouvementés »… afin d’empêcher le Sujet en eux de se figer et célébrer, dans un lyrisme critique, l’Ouvert du monde.
     L’ambivalence du voyage en tant que lieu réel/ lieu fantomatique signale que le lieu poétique où se forme l’identité du sujet-lyrique se trouve dans l’affirmation de ce passage ambivalent. Les Poètes se libèrent, in fine,  du point de départ, du point de chute, des points de rencontre du lyrisme traditionnel afin de révéler un monde inépuisable. C’est ce principe vital que susciterait la création poétique elle-même : une identité inscrite dans le devenir du monde, élément dynamique en perpétuelle genèse.

 Sylvie Besson (fragment!)

vendredi 15 mars 2013

Hermann Hesse


Pétrification absolue....




Les amants de la nuit de Ray



Là-bas, loin par-delà les monts,
Une pâle lune paresse
Et sous ses éternels rayons
Demeure ma morte jeunesse.

             

Là-bas, loin par-delà les monts,
Auprès du tombeau de la reine,
Mon amour mort, hâve, harassé,
Comme un fantôme se promène.

            

Là-bas, loin par-delà les monts,
Où sont les temples froids de pierre,
Devant mes dieux morts, dans le vent,
Errante, pleure une prière


Hermann Hesse, Là-Bas

Bernard Noel


La pierre s'anime.....


Certains bâtissent une respiration
ils savent que dedans et dehors
souffle le même espace
ils savent que les murs ne doivent
ni couper le souffle
ni boucher la vue


Bernard Noel, Les yeux dans la couleur




La Bête et la Belle de Cocteau






Toi qui es dans mon tu 

mon présent est une pierre
tu la jettes dans mes yeux

la page de verre monte
le visage éclate dedans

je tète le blanc
le linge du regard volé

le lit du temps coule
au milieu de la bouche




La Belle et la Bête de Cocteau


Bernard Noel,  L’ombre du double 


mercredi 13 mars 2013

Sylvia Plath


De la pierre au nuage, le don.....


Pas facile de formuler ce que tu as changé pour moi. 
Si je suis en vie maintenant, j’étais morte alors, 
Bien que, comme une pierre, sans que cela ne m’inquiète, 
Et je restais là sans bouger selon mon habitude.  

  ... 


Sur la route de Madison d'Eastwood


Je ne m’y suis pas trompée. Je t'ai reconnu aussitôt. 
L'arbre et la pierre scintillaient, ils n'avaient plus d'ombres.
Je me suis déployée, étincelante comme du verre. 
J'ai commencé de bourgeonner tel un rameau de mars :
Un bras et puis une jambe, un bras et encore une jambe.
De la pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l'air, mon âme pour vêtement,
Aussi pure qu'un pain de glace. C'est un don. 

Sylvia Plath, Lettre d'amour

Pierre Jean Jouve


Tout de grès est le Ciel !


La Femme sur la lune de  F Lang..... (Merci Florian!)



Le grès épais et gravé nourri d’or

Sans que l’or s’éloigne du vert sans que le vert

Soit séparé de l’or et sans que l’or

Soit légitime autrement que désert

        

N’importe où : et le poids magique du silence 

Tient la main car le saint a modelé le creux 

De la mer dans l’adorable patience 

De la perfection d’un ciel aventureux.


Pierre Jean Jouve - Grès



mardi 12 mars 2013

Giono


La géologie de Giono.....


Cet endroit me plaît. Je m'approche du poteau et je lis les noms qui ne me disent rien. A quinze cents mètres il y a un patelin, mais je le trouve un peu trop près de la grand-route. Je le vois. Il n'est pas mal. Les toitures sont en bon état. Le clocher est cossu. Il y a des signes extérieurs de richesse. Les vergers sont rouge comme d'où je suis parti tout à l'heure. Ce qui me touche, c'est quatre ou cinq plants de cosmos dans les champs. Je remarque aussi des haies de cognassiers croulantes de fruits et quelques vignes dont les raisins ne sont pas encore mûrs. Ce n'est pas un pays de vignobles : c'est de la vigne de petit bonhomme. Les champs sont très morcelés. Les plus grandes parcelles ont cinquante mètres de côté. Malgré ça, ils ont fait du blé et non de l'orge. Tout est installé sur les limons que le torrent a deversés. Ils ont canalisé le lit de pierres où maintenant fricote un peu d'eau noire. Le cantonnier à l'air d'être à la coule et les crédits de la commune respectables. Ils ont fait un pont qui vaut le jus. A 7 km 800 il y a, paraît-il, un autre village. Le nom seul est un programme. Il doit être enfermé dans un défilé qui doit se poser là. 






Pale Rider de Clint Eastwood



Je n'ai pas d'idées. Le matin s'avance. Il y a déjà quelques abeilles. Je fais les quinze cents mètres à la papa. La route est mieux à mon goût. C'est un chemin vicinal de trois à quatre mètres de large à peine, très souple au pied et qui respecte toutes les propriétés. On planterait un piquet devant lui, il en ferait le tour à bonne distance. C'est ce qu'il a fait quand on l'a tracé. Il est bordé de jardins potagers de chaque côté et je constate qu'ici on aime les fleurs. Dommage que ce soit si près de la grand-route. Il y a des zinnias qui pourraient me décider à être poli et conciliant.
De près c'est un village comme les autres, sauf un truc qui me fout la trouille : un château à tourelles. Pas de château à tourelles dans l'état d'esprit où je suis. J'ai soupé des châteaux à tourelles.

Je tourne court après la fontaine et je m'envoie du côté de ce fameux endroit qui est à 7 km 800. La route suit le torrent et je prends un véritable plaisir pendant plus d'une heure. Je domine le lit large et sonore encombré d'aulnes et de bouleaux. J'aime cette saison. Elle est tendre. La grive chante dans les taillis. Ce qu'elle dit est exactement en rapport avec les feuilles mortes dorées et le petit vent froid. C'est un oiseau modeste mais qui connaît son affaire.

Je marche encore un bon moment et j'arrive à une maison qui touche presque la route. C'est un corps de bâtiment trapu et montagnard dans un petit bosquet de châtaigniers. Je m'avance. La porte de l'étable est ouverte. Je remarque deux ou trois petites choses à quoi je suis très sensible, notamment un banc posé en belle place à un endroit où il y a de la vue. Les quelques outils que je vois soigneusement appuyés à l'abri des murs sont emmanchés solidement.

Jean Giono, extrait des Grands Chemins.

lundi 11 mars 2013

E. Dickinson

La beauté du "caillou" est le commencement

                             du terrible....

Je voudrais être foin ! Mais tout comme la nature humaine passe pour un mystère, qui s’aventure à citer le plus la Nature : N’a pas fréquenté son domaine/ou mis à nu son spectre./On plaindra moins ceux qui l’ignorent/En regrettant aussi/Que l’approcher 
n’avance à rien/Plus on veut la connaître







Death for sale de Faouzi Bensaïdi 





            Heureux le petit caillou
            Vagabondant seul sur la route

                   (…)                                                            

             Indépendant, tel le soleil
             Il luit sociable ou solitaire                       
             Et remplit le décret divin
                     En toute simplicité.

                                                                                                     Emily Dickinson