dimanche 20 janvier 2013

Bernanos.


  1. Sans Arbres, le dérisoire.....

    Le Sacrifice de Tarkovski



    Quand le soir tombe sur cette terre tropicale qui connaît à peine l'homme, sans passé, sans souvenirs, et pourtant si pauvre sous l'inébranlable soleil, usée jusqu'à l'os, jusqu'à son squelette de fer, par ses végétations dérisoires, inutiles, d'arbres tordus, grimaçants, tétaniques, au coeur plein de fourmis, d'herbes aïgues, de fleurs exsangues - cette terre usée avant d'avoir servi, je me demande si j'ai vraiment dépassé la marge de solitude après quoi tout retour est fermé. Puis un vent se met à souffler, venu de nulle part, tombé du ciel, absolument étranger à ce pays, auquel les feuillages répondent seulement par un cliquetis métallique, et les crapauds dorés d'un bref spasme, à peine audible, de leur gorge de cristal. Je pense soudain que toute solitude a son issue, mais qu'il faut la trouver plus avant, qu'il faut remonter la solitude, ainsi qu'on remonte la nuit, jusqu'à l'aurore.

    L'Enfance humiliée de Bernanos.

Yves Bonnefoy



L'Arbre ou l'éternelle profondeur du monde ...

Que ce monde demeure!


I
Je redresse une branche
Qui s'est rompue. Les feuilles
Sont lourdes d'eau et d'ombre
Comme ce ciel, d'encore

Avant le jour. Ô terre,
Signes désaccordés, chemins épars,
Mais beauté, absolue beauté,
Beauté de fleuve,

Que ce monde demeure,
Malgré la mort!
Serrée contre la branche
L'olive grise.


II
Que ce monde demeure,
Que la feuille parfaite
Ourle à jamais dans l'arbre
L'imminence du fruit!

Que les huppes, le ciel
S'ouvrant, à l'aube,
S'envolent à jamais, de dessous le toit
De la grange vide,

Puis se posent, là-bas
Dans la légende,
Et tout est immobile
Une heure encore.
        ( Extrait ),Yves Bonnefoy,  Les Planches courbes



Jeremiah Johnson, de Sydney Pollack 



On me demande parfois ce que je nomme présence. Je répondrai: c'est comme si rien de ce que nous rencontrons, dans cet instant qui a profondeur, n'était laissé au dehors de l'attention de nos sens.
Cet arbre: j'en verrais non seulement ces aspects qui se portent au premier plan parce qu'ils me disent que c'est un chêne, non seulement cette forme de ses branches, de sa couronne qui en institue la beauté, non seulement le bouillonnement, à des noeuds dans le bois, des forces qui l'animent, qui le tourmentent; mais que ce rameau-ci a cette longueur, sur le ciel, auprès de cet autre qui est plus court; et que sur le tronc il y a ce déchirement ici, dans l'écorce, et là cet autre; et que là-haut ces oiseaux se posent, et qu'ici, près de moi, ces fourmis vont et viennent, dans leur silence. Je verrais, disons mieux: non une longueur dans la branche, mais que celle-ci se porte jusqu'en ce point et pas plus loin, dans l'espace. Un point qui vaut ainsi comme un absolu, dans l'abîme duquel le hasard se résorbe comme de l'eau dans le sable.
Je verrais, je ne saurais pas que je vois.
Je n'aurais en moi que le trait, parfois gros d'encre, parfois troué de lumière, de ces peintres, orientaux ou occidentaux, qui ont trempé leur pinceau, leur plume, dans la pluie qui ruisselle sur le rocher, dans le vent qui frappe le ciel. 

Yves Bonnefoy , Propos sur la peinture...

Thierry Metz

  1. Dans la Forêt, l'origine.....


    Comme dans la mémoire des feuilles
    qu'importe le nom qu'on te donne ici
    le nom
    nageoire de ton absence
    feuille parmi les feuilles
    qui ondule qui danse
    dans les courants de l'arbre
    qu'importe cela
    moi:
    je recueille tes mots
    au centre d'un mot
    foyer de ma mort


     Thierry Metz



    Les Diamants de la Nuit de Jan Nennec



     "C'est la forêt. C'est la forêt première et d'avant même la mémoire, la forêt des origines. Dense, impénétrable, une forêt d'arbres si grands qu'on la dirait faite de gaules et de perches, la silva pertica de l'Empire romain. Le Perche, c'est le coeur de la forêt des Gaules selon César, pagus perticus, le pays des hautes futaies."


    Julien Cendres.

samedi 19 janvier 2013

Jacques Réda,



Les Racines ont un ciel....

Le Nouveau Monde de Terrence Mallick

Je montais le chemin quand j’ai vu d’un côté
Les sapins consternés qui descendent après l’office
Et de l’autre les oliviers en conversation grande
Fumant posément au soleil de toutes leurs racines.
Et droit sur les ravins à moitié remplis de bouteilles,
Os, ferraille, plastique, obscénité des morts,
La rose équitable du jour déjà crevait l’épine.
À chaque pas : le centre, et le cercle du temps autour
Bien rond mais moi j’étais autour aussi pour cette pie
Et pour d’autres chemins qu’il aurait fallu prendre, qui plongent
Vers des creux à l’affût, sous la viorne, de la folie.
C’est alors qu’il fait bon marcher avec du tabac dans la poche
Pour plus tard et chouter dans ces os et tôles sur les labours
Tandis que le soleil rame bas pour laisser tout le champ libre à sa lumière.

Jacques Réda, Ame, Récitatif, La Tourne.

Trakl,


La mort en son ombrage ! 


Ludwig ou le Crépuscule des Dieux de Visconti
La rosée du printemps…
La rosée du printemps qui des branches obscures
Tombe, voici la nuit
Avec des rayons d’astres – ceux de jour, tu les as oubliés.
Sous l’arc de ronces tu gisais, et l’épine creusait
Plus avant dans le corps cristallin –
Qu’en plus grand feu l’âme à la nuit s’unisse.
D’astres s’est parée la fiancée,
Myrte pure
Penchée sur le fervent visage du défunt.
Plein de germinations d’averses
T’étreint infiniment le manteau bleu de la Madone.

Trakl, traduction de Lionel-Edouard Martin

Elisa Biagini


L'Arbre, un corps qui nous correspond ?


Sous les châtaigniers tu ramasses les bogues
pour ta couronne
des jours de labeur,
et tu ôtes ton vernis avec ce sang,
les broderies, les ourlets, le point de croix
des kilomètres d’accessoires :
perdue avec ces fils
au milieu des châtaigniers
tu tournes en rond depuis des années
sur une chaise,
ton cocon a la dureté d’une carapace
et pas de fenêtre.


Elisa Biagini
Traduction  d’Angèle Paoli


The Tree of life de Mallick

"Les feuilles étaient vivantes ; les arbres étaient vivants. Et les feuilles, reliées par des millions de fibres à son corps sur le banc, l’éventaient de haut en bas ; quand la branche s’étirait, il en faisait autant."

Septimus dans Mrs Dalloway de Woolf

Mahmoud Darwich,



"AH SI L'HOMME ÉTAIT UN ARBRE"


  1. L'Arbre de Julie Bertuccelli 

L'arbre est le frère de l'arbre ou son bon voisin. Le grand se penche sur le petit et lui fournit l'ombre qui lui manque. Le grand se penche sur le petit et lui envoie un oiseau pour lui tenir compagnie la nuit. Aucun arbre ne met la main sur le fruit d'un autre ou ne se moque de lui s'il est stérile. Aucun arbre, imitant le bûcheron, ne tue un autre arbre. Devenu barque, l'arbre apprend à nager. Devenu porte, il protège en permanence les secrets. Devenu chaise, il n'oublie pas son ciel précédent. Devenu table, il enseigne au poète à ne pas devenir bûcheron. L'arbre est absolution et veille. Il ne dort ni ne rêve. Mais il garde les secrets des rêveurs. Nuit et jour debout par respect pour le ciel et les passants, l'arbre est une prière verticale. Il implore le ciel et, s’il plie dans la tempête, il s'incline avec la vénération d'une nonne, le regard vers le haut... le haut. Dans le passé, le poète a dit: « Ah si le jeune homme était une pierre ». Que n’a-t-il pas dit : « Ah si le jeune homme était un arbre ! »

Mahmoud Darwich, La Pensée de midi (Désirs de guerre)
Trouvé sur Terres de Femmes d'Angèle Paoli