jeudi 31 janvier 2013

.Lionel-Édouard Martin,


Le voyage vers l'Ile, "le lieu" de tous les possibles....


    Toute mer s’en retourne aux la(r)mes, vient quelque jour bivouaquer sous les paupières avec le sel corrodeur de syllabes, mangeur de terre, et qui ne laisse en bouche, de l’insula de Virgile, que l’île démaillée par les vagues. Le sable des anses, on le croirait nourri du seul deuil des coquillages et des roches : c’est aussi concours de paroles mortes, consonnes vidées de leurs voyelles comme test d’oursin délesté de sa laitance. Que peut d’autre chanter l’île que ce thrène de fracture, l’écorchure consentie des heures telles reptile apocopant ― pour fuir et survivre à son bris ― une partie de sa membrure ?

.Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles. Extrait 1.



E la nave va de Fellini



« J’ai dit la mer et je ne l’ai pas épuisée, et j’ai parlé sans que les mots jamais ne caillent sur les lèvres d’autrui, — et jusqu’aux miennes gercées par le sel qui retrouvaient, le temps d’un sourire écorcheur, le plaisir de l’ode mille fois mâchée par la bouche noire de mes compagnons…
Et l’île où j’ai, faisant relâche pour un plein d’eau, figé notre errance, l’île vierge encore de pas humains et sonore du babil seul des bêtes, l’île aussi s’est empreinte de nos phrases, s’est moulée dans le dire des matelots, s’est ouverte aux mots tendus comme des sentes vers la source :
À jamais, les clairières des voix perçant l’inconnu de l’arbre et du fruit, les syllabes arpenteuses traçant le portulan des havres et des brisants, ou lyriques sur le sable interrogeant le galbe des galets, le sens des bois flottés…»

.Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles.Ibis Rouge Éditions, 2004
Extrait 2 repris sur *Enjambées Fauves* qui  décline bellement le motif des Iles en territoire poétique


William Styron

L'Ile, loin de la mer....


Das Boot de Wolfgang Petersen, 



Au milieu des tourbillons malodorants et des courants dangereux qui se forment au confluent de l'Upper East River et du détroit de Long Island se trouve une petite île basse. Sur la plus grande partie de sa longueur s'étendent d'anciens bâtiments carcéraux ; morne et usée par le temps, elle se distingue à peine de la dizaine d'autres îles occupées par des prisons et des hôpitaux qui donnent aux fleuves de New York un tel air d'abandon et, particulièrement au crépuscule, une apparence de mélancolie et de résignation. Pourtant, ce lieu-ci attire le regard. Un je-ne-sais-quoi rend la laideur de cette île particulièrement déplaisante, son état de déréliction tout à fait cruel. Peut-être est-ce dû à sa situation géographique : le décor semble trop agréable pour abriter une institution carcérale. L'île offre une belle vue sur les eaux bleues du détroit à l'est et, côté continent, sur des maisons blanches qui, bien que situées dans le Bronx, sont si proprettes et estivales que l'on se croirait à Nantucket. Qui viendrait à passer devant cette île l'imaginerait facilement dotée d'un joli parc, d'un petit bois ou d'un port de plaisance plutôt que comme cet ensemble sordide de bâtiments carcéraux. Mais peut-être sont-ce les infrastructures elles-mêmes qui rendent le lieu plus sinistre et déprimant que de raison ; par comparaison, les édifices en marbre blanc des autres îles de la ville ressemblent presque à des sanctuaires. Les bâtiments de celle-ci, vieux de presque un siècle, arborent tourelles et fausses douves, parapets et donjons victoriens en brique noire de suie. Surmontés de remparts à créneaux, de hautes meurtrières et de tous les attributs d'une place forte, ils sont d'une laideur calculée et ridicule, comme s'il fallait ajouter au douloureux confinement des détenus, jusque dans les moindres recoins, un rappel insultant de leur incarcération.

William Styron, A Tombeau ouvert.

Antonin Artaud


Un Navire comme Ciel d'attache !



Le Navire Mystique





L'Ile de Kim-Ki Duk


Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus ;
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus ;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre.
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Antonin Artaud

Woolf



Les Vagues uniquement....


LIFEBOAT d'Alfred Hitchcock
Le soleil n’était pas encore levé…
Le soleil montait (des vagues bleues, des vagues vertes)…
Le soleil montait (des vagues jaunes et vertes)…
Levé, le soleil ne lançait plus de regards intermittents sur les joyaux couleur d’eau…
Le soleil avait atteint sa pleine hauteur…
Le soleil n‘était plus au milieu du ciel…
Le soleil avait décliné dans le ciel…
Le soleil déclinait…
Maintenant le soleil avait disparu…

Les vagues se brisèrent sur le rivage.
Les Vagues, Viginia Woolf

Jean-claude Villain

Dire la Mer et retrouver l'Ile en soi...


La Leçon de piano, Campion


Rougeur du crépuscule. Des oiseaux le chant soudain s’est tu. Miroitement d’écailles. Ou de cristaux qui sait. Sous la mer des pépites de sang durci fondent. Contre des blocs de sel. Ailes détachées de quel carnage. Des plumes effritées flottent. Sur quelle brume saumâtre. Le glas du jour a sonné. A eux la prière. Mais à la mer. Toi. Tu retournes.

Jean-claude Villain, Ithaques 

mercredi 30 janvier 2013

Tounier



De la solitude des Iles !



Le Phare du bout du monde de Kevin Billington 



Sur le miroir mouillé de la lagune, je vois Vendredi venir à moi, de son pas calme et régulier, et le désert de ciel et d’eau est si vaste autour de lui que plus rien ne donne l’échelle, de telle sorte que c’est peut-être un Vendredi de trois pouces placé à portée de ma main qui est là, ou au contraire un géant de six toises distant d’un demi-mille…
Le voici. Saurai-je jamais marcher avec une aussi naturelle majesté ? Puis-je écrire sans ridicule qu’il semble drapé dans sa nudité ? Il va, portant sa chair avec une ostentation souveraine, se portant en avant comme un ostensoir de chair. Beauté évidente, brutale, qui paraît faire le néant autour d’elle.
Il quitte la lagune et s’approche de moi, assis sur la plage. Aussitôt qu’il a commencé à fouler le sable semé de coquillages concassés, dès qu’il est passé entre cette touffe d’algues mauves et ce rocher, réintégrant ainsi un paysage familier, sa beauté change de registre : elle devient grâce. Il me sourit et fait un geste vers le ciel – comme certains anges sur des peintures religieuses – pour me signaler sans doute qu’une brise sud-ouest chasse les nuées accumulées depuis plusieurs jours et va restaurer pour longtemps la royauté absolue du soleil. Il esquisse un pas de danse qui fait chanter l’équilibre des pleins et des déliés de son corps. Arrivé près de moi, il ne dit rien, taciturne compagnon. Il se retourne et regarde la lagune où il marchait tout à l’heure. Son âme flotte parmi les brumes qui enveloppent la fin d’un jour incertain, laissant son corps planté dans le sable sur ses jambes écarquillées.

Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier

Trakl.


Terres et Mers......Loin du Paradis !


Le Sommeil

Soyez maudits, sombres poisons,
Blanc sommeil
Ce très étrange jardin
D'arbres crépusculaires
Empli de serpents, de phalènes
D'araignées, de chauve-souris.
Étranger ! Ton ombre perdue
Dans le couchant,
Ténébreux corsaire
Sur la mer salée de l'affliction.
S'envolent des oiseaux blancs à l'orée de la nuit
Sur l'écroulement des villes d'acier.

Trakl.



Le Couteau dans l'eau de Polanski