mercredi 30 janvier 2013

Tounier



De la solitude des Iles !



Le Phare du bout du monde de Kevin Billington 



Sur le miroir mouillé de la lagune, je vois Vendredi venir à moi, de son pas calme et régulier, et le désert de ciel et d’eau est si vaste autour de lui que plus rien ne donne l’échelle, de telle sorte que c’est peut-être un Vendredi de trois pouces placé à portée de ma main qui est là, ou au contraire un géant de six toises distant d’un demi-mille…
Le voici. Saurai-je jamais marcher avec une aussi naturelle majesté ? Puis-je écrire sans ridicule qu’il semble drapé dans sa nudité ? Il va, portant sa chair avec une ostentation souveraine, se portant en avant comme un ostensoir de chair. Beauté évidente, brutale, qui paraît faire le néant autour d’elle.
Il quitte la lagune et s’approche de moi, assis sur la plage. Aussitôt qu’il a commencé à fouler le sable semé de coquillages concassés, dès qu’il est passé entre cette touffe d’algues mauves et ce rocher, réintégrant ainsi un paysage familier, sa beauté change de registre : elle devient grâce. Il me sourit et fait un geste vers le ciel – comme certains anges sur des peintures religieuses – pour me signaler sans doute qu’une brise sud-ouest chasse les nuées accumulées depuis plusieurs jours et va restaurer pour longtemps la royauté absolue du soleil. Il esquisse un pas de danse qui fait chanter l’équilibre des pleins et des déliés de son corps. Arrivé près de moi, il ne dit rien, taciturne compagnon. Il se retourne et regarde la lagune où il marchait tout à l’heure. Son âme flotte parmi les brumes qui enveloppent la fin d’un jour incertain, laissant son corps planté dans le sable sur ses jambes écarquillées.

Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier

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