jeudi 28 février 2013

Ancet


L'ange vole mais, sur terre, rien ne bouge....


Le chat ferme les yeux. Dehors est un éblouissement obscur. Peu à peu je sombre dans un entre-deux sans paroles. Le fracas de l'hélicoptère invisible et le tronc du chêne appartiennent un instant au même monde. La brume les réunit et les efface. N'en reste qu'un silence et, noir sur blanc, une trace immobile. Comme un idéogramme privé de sens. Aveugle, j'avance sur le fil. Prêt à basculer. Mais rien ne bouge : ni le chat ni le chêne. Seul, dans la chaleur, le cordon du rideau et le souffle. Quant aux mains elles sont trop loin pour les sentir, perdues dans de menus travaux.



Macadam Cowboy de John Schlesinger
    - C'est l'heure.
    - De quoi ?
    - D'oublier l'heure.


Ancet, Chronique d'un égarement

Julien Green

 L'Ange fulgurant.....



All about Eve de Mankiewicz 

L’amour était en moi et autour de moi comme l’air que je respirais. Mais aux alentours de ma cinquième année, il dut y avoir comme une sorte de catastrophe dont le sens m’échappe. A un moment que je n’arrive pas à situer, je me retrouvai de nouveau assis devant ma fenêtre quand j’eus tout à coup la conscience d’exister. Tous les hommes ont connu cet instant singulier où l’on se sent brusquement séparé du reste du monde, par le fait qu’on est soi-même et non ce qui nous entoure. Je laisse aux spécialistes le soin d’expliquer ces choses où j’avoue ne pas voir très clair. Tout ce que je retiens est que, pour ma part, je sortis à ce moment-là d’un paradis. C’était l’heure symbolique où la première personne du singulier fait son entrée dans la vie humaine pour tenir jalousement le devant de la scène jusqu’au dernier soupir. Certes je fus heureux par la suite, mais non comme je le fus auparavant, dans l’Eden d’où nous sommes chassés par l’ange fulgurant qui s’appelle Moi .

, Journal 

Henry Miller


Loin des anges, "Le Démon" de l'écriture....



“Pourquoi n'essaies-tu pas d'écrire?”. Cette phrase n'avait cessé de me hanter tout le jour, revenant d'elle-même avec insistance

Ecrire (…) doit être un acte dépouillé de toute volonté. Le mot, semblable au courant des grands fonds, doit remonté à la surface, de sa propre impulsion. L'enfant n'a pas besoin d'écrire : il est innocent. Si l'homme écrit, c'est pour vomir le poison qu'il a accumulé en lui du fait de l'erreur foncière qu'il commet dans sa manière de vivre. Il cherche à reconquérir son innocence. Ses écrits n'ont d'autre effet que d'inoculer au monde le virus de ses désillusions. Je ne pense pas qu'il se trouverait un homme au monde pour noircir une feuille de papier, si nous avions le courage de vivre ce en quoi nous avons foi. L'inspiration est déviée dans son cours au sortir de la source. Si c'est un monde de vérité, de beauté et de magie que nous entendons créer, à quoi bon dresser des millions de mots entre nous-même et la réalité de ce monde ? Pourquoi remettre à plus tard l’acte – si ce n’est que, comme le reste de l’humanité, nous n’avons, au fond, d’autre ambition que la puissance, la gloire et le succès ? Les livres sont des actes morts, disait Balzac ; ce qui n’empêche qu’ayant perçu cette vérité, il livra délibérément l’ange au démon qui le possédait. 

Henry Miller, Sexus



Et en prime....


Les contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi


Côte à côte avec la race humaine, coule une autre race d'individus, les inhumains, la race des artistes qui, aiguillonnés par des impulsions inconnues, prennent la masse amorphe de l'humanité et, par la fièvre et le ferment qu'ils lui infusent, changent cette pâte détrempée en pain et le pain en vin et le vin en chansons. De ce compost mort et de ces scories inertes ils font lever un chant qui contamine. Je vois cette autre race d'individus mettre l'univers à sac, tourner tout sens dessus dessous, leurs pieds toujours pataugeant dans le sang et les larmes, leurs mains toujours vides, toujours essayant de saisir, d'agripper l'au-delà, le dieu hors d'atteinte : massacrant tout à leur portée afin de calmer le monstre qui ronge leurs parties vitales. Je vois que lorsqu'ils s'arrachent les cheveux de l'effort de comprendre, de saisir l'à-jamais inaccessible, je vois que lorsqu'ils mugissent comme des bêtes affolées et qu'ils éventrent de leurs griffes et de leurs cornes, je vois que c'est bien ainsi, et qu'il n'y a pas d'autre voie. Un homme qui appartient à cette race doit se dresser sur les sommets, le charabia à la bouche, et se déchirer les entrailles. C'est bien et c'est juste, parce qu'il le faut! Et tout ce qui reste en dehors de ce spectacle effrayant, tout ce qui est moins terrifiant, moins épouvantable, moins fou, moins délirant, moins contaminant, n'est pas de l'art. Tout le reste est contrefaçon. Le reste est humain. Le reste appartient à la vie et à l'absence de vie. 


Tropique du cancer.

RADIGUET



L'Ange enchainé....

Au front de bon élève, l’ange
 Lauré de fleurs surnaturelles.

Pour ne pas manquer ses calculs,
 Appliqué, il tire la langue,
 Tentant de suivre à cloche-pied,
 Au verger des quatre saisons,
 Le pointillé de leurs frontières.

La neige, est-ce bon à manger ?
 L’ange pillard en a tant mis
 Dans sa poche, à jamais il reste
 Parmi nous les forçats terrestres
 Que cette boule rive au sol,
 Faite en neige qu’on croit légère.



Les 400 coups de Truffaut


Sans cesse empêché dans son vol,
 Comme nous dans notre délire,
 Cet ange enchaîné bat des ailes,
 De ses amis implorant l’aide ;
 Aussitôt qu’il s’élève un peu,
 Retombe dans les marronniers,
 Où la gomme de leurs bourgeons
 S’accrochant à ses cheveux d’ange
 L’empêche à jamais de nier.

Croyez-vous que ce soit pour rien,
 Qu’au poirier le pépiniériste
 Laisse blettir ses belles poires ?
 C’est qu’on reconnaît le voleur,
 À la molle empreinte du doigt.

Mais Dieu examine les mains
 Des anges voleurs de framboises,
 Des assassins, chaque dimanche,
 Et dans les mains les plus sanglantes,
 Met des livres dorés sur tranches.

Dites ce que sont vos prisons,
 Demande l’ange par trop niais,
 Aux deux gendarmes l’emmenant
 Avec pièce à conviction,
 Dans le char des quatre saisons.

Raymond RADIGUET  "Les Joues en feu" 

mercredi 27 février 2013

Novalis



L'Ange se remplume.....


Tu as éveillé au plus profond de mon âme
Le noble instinct d’aller contempler le vaste monde
Avec ta main tu m’as confié ta flamme
Qui sûrement me porte à travers toutes les ondes.

Tes pressentiments t’ont fait veiller sur l’enfant
Et avec lui tu as parcouru de fabuleuses prairies
Tel l’archétype des femmes avec tendresse méditant
Tu as ému le cœur de l’adolescent à son plus haut désir.

Pourquoi suis-je enchaînée aux souffrances d’ici-bas ?
Ma vie et mon cœur ne sont-ils pas tiens pour l’Eternité ?
Et ton Amour n’abrite-t-il pas sur terre ce qui est mien ?

Je peux me consacrer au noble Art, grâce à toi
Car tu veux être la Muse, ma bien-aimée
Et de ma poésie en silence l’Ange gardien.


Peter Ibbetson d'Henry Hathaway





Dans d’éternelles transhumances
Nous salue le chant et son pouvoir secret
Qui bénit le pays pour que règne la paix ici-bas à jamais
Tandis qu’il nous donne un bain de jouvence.

C’est lui qui verse une lumière dans nos yeux
Qui a assigné pour nous un sens à chaque Art
Et qui enchante les cœurs joyeux ou las
Dans un recueillement ivre et miraculeux.

J’ai bu la vie à la source abondante de ton sein
Je ne fus tout ce que je suis que grâce à toi
Et j’ai pu montrer un visage serein.

Le sens sommeillait encore en moi du Saint des Saints
Alors je te vis tel un Ange planer sur moi
Et réveillé, je pris mon essor dans tes bras.


Novalis Poème extrait d'Heinrich von Ofterdingen

Trakl


L'aile bleue des anges !


L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,
Éclat jauni des beaux jours d’été.
Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;
Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.
Le vin est pressé, la douce quiétude
Les Moissons du ciel de Terrence Mallick
Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.

Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;
Un troupeau se perd dans la forêt rousse.
Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;
Le geste posé du paysan se repose.
Très doucement l’aile bleue du soir touche
Un toit de paille sèche, la terre noire.

Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;
Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux
Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus
Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.
Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse
Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés

Trakl, traduit par Marc Petit et Jean-Claude Schneider

Hermann Hesse


Ange ou Amour ne sont que Fantômes....

 Là-bas
L'Aventure e Madame Muir de Mankiewicz

Là-bas, loin par-delà les monts,
Une pâle lune paresse
Et sous ses éternels rayons
Demeure ma morte jeunesse.
Là-bas, loin par-delà les monts,
Auprès du tombeau de la reine,
Mon amour mort, hâve, harassé,
Comme un fantôme se promène.
Là-bas, loin par-delà les monts,
Où sont les temples froids de pierre,
Devant mes dieux morts, dans le vent,
Errante, pleure une prière.

Hermann Hesse