jeudi 28 février 2013

Henry Miller


Loin des anges, "Le Démon" de l'écriture....



“Pourquoi n'essaies-tu pas d'écrire?”. Cette phrase n'avait cessé de me hanter tout le jour, revenant d'elle-même avec insistance

Ecrire (…) doit être un acte dépouillé de toute volonté. Le mot, semblable au courant des grands fonds, doit remonté à la surface, de sa propre impulsion. L'enfant n'a pas besoin d'écrire : il est innocent. Si l'homme écrit, c'est pour vomir le poison qu'il a accumulé en lui du fait de l'erreur foncière qu'il commet dans sa manière de vivre. Il cherche à reconquérir son innocence. Ses écrits n'ont d'autre effet que d'inoculer au monde le virus de ses désillusions. Je ne pense pas qu'il se trouverait un homme au monde pour noircir une feuille de papier, si nous avions le courage de vivre ce en quoi nous avons foi. L'inspiration est déviée dans son cours au sortir de la source. Si c'est un monde de vérité, de beauté et de magie que nous entendons créer, à quoi bon dresser des millions de mots entre nous-même et la réalité de ce monde ? Pourquoi remettre à plus tard l’acte – si ce n’est que, comme le reste de l’humanité, nous n’avons, au fond, d’autre ambition que la puissance, la gloire et le succès ? Les livres sont des actes morts, disait Balzac ; ce qui n’empêche qu’ayant perçu cette vérité, il livra délibérément l’ange au démon qui le possédait. 

Henry Miller, Sexus



Et en prime....


Les contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi


Côte à côte avec la race humaine, coule une autre race d'individus, les inhumains, la race des artistes qui, aiguillonnés par des impulsions inconnues, prennent la masse amorphe de l'humanité et, par la fièvre et le ferment qu'ils lui infusent, changent cette pâte détrempée en pain et le pain en vin et le vin en chansons. De ce compost mort et de ces scories inertes ils font lever un chant qui contamine. Je vois cette autre race d'individus mettre l'univers à sac, tourner tout sens dessus dessous, leurs pieds toujours pataugeant dans le sang et les larmes, leurs mains toujours vides, toujours essayant de saisir, d'agripper l'au-delà, le dieu hors d'atteinte : massacrant tout à leur portée afin de calmer le monstre qui ronge leurs parties vitales. Je vois que lorsqu'ils s'arrachent les cheveux de l'effort de comprendre, de saisir l'à-jamais inaccessible, je vois que lorsqu'ils mugissent comme des bêtes affolées et qu'ils éventrent de leurs griffes et de leurs cornes, je vois que c'est bien ainsi, et qu'il n'y a pas d'autre voie. Un homme qui appartient à cette race doit se dresser sur les sommets, le charabia à la bouche, et se déchirer les entrailles. C'est bien et c'est juste, parce qu'il le faut! Et tout ce qui reste en dehors de ce spectacle effrayant, tout ce qui est moins terrifiant, moins épouvantable, moins fou, moins délirant, moins contaminant, n'est pas de l'art. Tout le reste est contrefaçon. Le reste est humain. Le reste appartient à la vie et à l'absence de vie. 


Tropique du cancer.

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