samedi 2 mars 2013

Alejandra Pizarnik


La vérité se cache dans les murs....


Chambre seule
Répulsion de Polanski

La vérité de ce vieux mur
si tu oses me la demander
et ses fissures, ses déchirures
formant visages, sphinx
mains, sabliers
viendra alors inéluctablement
une présence pour ta soif
sans doute s’en ira
cette absence qui te boit


Alejandra Pizarnik ,Travaux et les nuits

vendredi 1 mars 2013

Pierre-Albert Jourdan

Se jouer des pierres....



Les Filles du botaniste de Li Xiao Ran


   Je rêve aux jonquilles sur la colline. L’espace alentour a cette même tranquille assurance. La chapelle est une paupière dorée de soleil. Nous dormons. Il faudrait plus que ce cri, déchirant l’espace, des corneilles pour nous couper de la folie, de l’angoisse, de l’ensevelissement. Je rêve à ces jonquilles, à ces tiges souples qui se jouent de la pierre et des buissons épineux…

Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l'Adieu

DIDIER MANYACH ,


Ce qui ne demeure de la vie, ne durcit-il pas ?

Anonyme présence de la Fin et silence infini sur toutes

choses.

Telle est l’énigme des plus grandes pierres sur le fleuve

que les eaux éclaboussent mais n’effacent pas :



Adulaires, albâtres, obsidiennes

vous vous êtes un jour retirés du temps

seules y glissent les salamandres argentées

et la lune lorsque la nuit tombe

dans les fissures du chaos.

Azurites, géodes, gemmes, cairns

offrandes aux chemins du déluge

je vous regarde chanter

vieilles pierres, murs écroulés.

Un jour le vent sifflera entre nos lèvres

comme le souffle dans les plis de l’éternité

la pensée sur la pensée...



Stalker de Tarkovski



L’olivier dans le champ de pierres sèches :

laves nouées, flammes autour des corps

crevasses, huile verte dégoulinante au long des branches

des troncs mutilés

ce feu pétrifié sur les écorces.

Recouverts de ce qui obscurément les hante, crucifiés

couchés, abattus, sans pouvoir se résigner

à s’écrouler tout à fait

une plaie au travers du flanc.

L’eau qu’ils n’ont jamais trouvée

les olives qu’ils ne produisent plus

cette obstination pourtant à durer...

Leurs mains sont bleues comme la nuit :

on dirait qu’ils se dressent

que la lumière de l’Été les transfigure...



Celles que l’on a jetées dans le ruisseau

comme des chiens qui viennent mourir sur les plages

celles qui finissent au désert :

pierres errantes – rondes – caverneuses –

pierres-poissons, pierres-loups, pierres-lunes

pierres-prénatales, mauves, pierres-sacrificielles

comme des mots entre les mauvaises herbes...


DIDIER MANYACH ,
IMPACTS DE FOUDRE


Jacques Ancet CERCLE 14


                                 CERCLE 14


 Repasser par les ombres, effacer ailes et miroirs, puis retourner à la Pierre



Le Trou de Becker



Il y a une ombre. On dit : ombre, faute d’un autre mot. Pour donner forme à ce qui n’en a pas. On pourrait dire tout aussi bien : compagnon ¬  « ce latent compagnon qui en moi accomplit d’exister » écrivait Mallarmé. Mais ombre est moins net, plus évasif. Alors, faire le « portrait d’une ombre » ? Oui, faire signe non pas vers une image déjà visible, mais vers ce non-visible qui peu à peu se trame aux lisières du visible. Vers cette chose qui passe et vous laisse dans la bouche comme une voix silencieuse. Une voix qui parle, pourtant, qui parle, même si vous vous taisez. Ce que dit cette voix, vous n’en savez rien. Vous ne vous y reconnaissez pas ¬ vous vous y reconnaissez, peu importe. Il ne s’agit pas d’identité. Ou alors de cette identité obscure qui est une autre manière de dire qu’on ne sait rien. Qu’on est entre : entre ici et ailleurs, entre hier et demain, entre tout et rien. Entre, toujours, entre. Entre le jour, la nuit, ce qui vient, ce qui s’en va ¬ et qui revient toujours.





Le Trou de Becker



Jacques Ancet,  Portrait d’une ombre.

Cocteau...Article/besson


  Des anges coctéliens jusqu' à l'Eternel retour des   désirs....


 Jean Cocteau - Dos d'ange


Une fausse rue en rêve

Et ce piston irréel

Sont mensonges que soulève

Un ange venu du ciel. 

  

Que ce soit songe ou pas songe,

En le voyant par-dessus

On découvre le mensonge,

Car les anges sont bossus.

    

Du moins bossue est leur ombre

Contre le mur de ma chambre.


Peggy Sue got married de Coppola




Extrait d'un chapitre sur la filiation Cocteau -Nietzsche
par Sylvie Besson



          Cocteau, en sacrant Nietzsche poète, continue de penser que la poésie est l’art même de philosopher: « l’art consacre le meurtre d’une habitude » (De l’invisibilité, JI, ). Mais ce qui attirera le plus le poète dans la parole du philosophe, c’est cette voix puissante et primordiale de la Nature, cette force dionysiaque qui fait trop souvent défaut à Cocteau et qu’il tente de retrouver, notamment dans Requiem. Il s’agit d’une énergie vitale. Les forces de la Nature requises par Nietzsche sont chaotiques, brûlantes, ivres de fureur ; le tonnerre, la foudre, l’orage, la puissance des montagnes font vibrer la vie, loin d’une beauté harmonieuse et éthérée. La pensée nietzschéenne montre la puissance de l’homme libéré, celui qui s’arrache à la lourdeur des choses comme l’artiste délivre des forces de vie. Le monde est pour lui une volonté de puissance, un flux perpétuel. L’énergie vitale triomphe au terme d’un combat entre l’ombre et la lumière, qui n’est pas sans rappeler un combat entre l’ange du vide et la force lumineuse du poète : « Un tonnerre trouait le tunnel du toril / Vers ce buisson ardent aspergé d’une tache / Solaire et noire où Nietzsche enroule sa moustache / Comme cornes du bouc des neiges d’exil ». Cocteau entend encore la présence du Maître, dessiné  de la neige et naissant d’un abîme de pureté. Il faut exalter les forces âpres, la dureté virile, la ligne scrupuleuse, la force sauvage du corps et de la nature rendue à son angle poétique.

       L’emprise vitale de l’œuvre de Nietzsche sur Cocteau se ressent en fait dans les formules et dans l’esthétique de Cocteau :

 « Si l’on considère le travail de Jean Cocteau, on ne peut qu’y surprendre l’omniprésence de la pensée de Nietzsche, stimulante, ordonnatrice, éperdument poursuivie par le poète qui l’estime une des bases les plus fermes sur quoi se fonder ; esthétique et morale mêlées pour le bon gouvernement de l’âme tout entière dans son quotidien comme sur les cimes »


         Le rôle du somnambule, de l’artiste pour le philosophe, se retrouve, toujours, dans Le Requiem, le poète à demi éveillé redouble sa vie quitte à ce que le sol illusoire ne se dérobe sous ses pieds.
           Il faut également, selon Nietzsche, révoquer tout ce qui semble digne d’estime au plus grand nombre pour toucher une vérité de près, pour chasser les illusions, décaper l’Invisible du monde afin d’en exhiber les contours exacts. Pour cela, il faut descendre en soi, fouiller la nuit du corps. Le poète doit s’assujettir à l’inconnu fabuleux qui le hante, n’être qu’un humble scribe. Le moi doit expirer pour aspirer au monde. L’œuvre doit agir en dehors des normes naïvement antagonistes du bien et du mal, il faut impartir au réel un sens qui le transcende. Le poète se verra donc attaqué par la société à laquelle il s’oppose, il appartient à une race différente que les autres cherchent à mortifier. En ce sens, la figure christique est présente chez les deux auteurs. Cocteau représente son expérience du réel sous les termes de «calvaire», «couronne d’épines », « crucifixion ». Tout rappelle que les dernières paroles gravées sur la tombe du poète (« je reste avec vous») décalquent la dernière phrase du Christ ressuscité : « je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde.»
            Le poète ne trouvera consolation que dans l’amitié qui, pour Nietzsche, renouvelle, en quelque sorte, la quête éperdue d’innocence comme « un paradis de l’instant », permettant de faire l’éloge du jeu. En effet, le vrai sens du jeu n’est pas en dehors de la pensée, mais dans la pensée même, tout en étant dans la profondeur, on est dans la légèreté. Rien n’est lourd sans pour autant être superficiel, rien n’est superficiel sans pour autant être lourd. Ainsi le désir lutte pour s’affirmer comme désir, la vie vivante relance toujours la vie, ce que Cocteau tente de suivre au pied de la lettre. Enfin, la solitude reste une force, une volonté de puissance sur le monde qui possède un mouvement créateur, ce qu’il faut sans cesse rejouer. Le poète doit se risquer puisque la vie est un instant, tout est en suspens ; l’être n’étant pas à venir, vivre consiste à ne pas être, c’est-à-dire à ne pas se figer. Rien n’étant immuable, tout peut donc recommencer.

     L’éternel retour se distingue ainsi de toutes les anciennes conceptions cycliques, Nietzsche nie toute dette et toute faute, et conçoit le devenir par delà le bien et le mal. Penser l’éternel retour est un état maximal de la puissance humaine. C’est par cette pensée assumée jusqu’en ses ultimes conséquences qu’advient le surhomme. La volonté de puissance découle de l’Eternel retour, lequel est tout autant une hypothèse cosmologique qu’une réalité éthique. Le temps et son écoulement se présentent  à nouveau, en faisant naître la multiplicité des instants. L’espace, avec ses images, est le produit du temps lui-même qui se représente. Le mouvement du temps est capturé par l’espace avant de faire renaître des formes nouvelles. Aucun apaisement ici, mais une explosion de vie, vie qui veut inlassablement la vie : « A des années lumière/ Je dormirai ce soir/ A des années lumière / Ma chambre de malade/ A des années lumière / Je suis un matin né (…) A des années lumière / Ce qui m’était promis » (P,1123,R) ; le regroupement en distique des deux hexasyllabes n’est pas sans rappeler un jeu de miroirs, chaque groupe de mots repousse le suivant emporté par l’enchaînement des anaphores et le flux de la parole qui remontent le temps, la logique syntaxique et la construction du temps sont soumises à la logique poétique.
         Ainsi Zarathoustra, maître de l’Eternel retour, expose la théorie de la temporalité et de la rédemption : elle apparaît, chez Cocteau, façonnée à sa manière, comme un mouvement sélectif qui se débarrasse du négatif, et non comme un cercle qui répète le même. En effet, si Cocteau voit dans ce concept un moyen de fuir le péché originel, il ne suit pas le philosophe sur la voie des répétitions, seuls les mythes peuvent recommencer jusqu’à l’infini : « Les vieux mythes peuvent renaître sans que leurs héros le sachent ».
    En revanche, la pensée de voir réapparaître les douloureuses pertes de l’existence lui semble une absurdité : « Pour que cela soit possible, il faudrait envisager « une première fois » composant le modèle des autres. Mais il ne peut y avoir de première fois ni de dernière fois dans l’éternel ». Cocteau ne peut supporter l’idée de revivre des pertes tragiques et il préfère entrer dans le néant que recommencer le jeu précédent de la vie. En ce sens, il s’éloigne de Zarathoustra qui, proche du suicide, dialogue avec la vie et lui explique la valeur de son chant circulaire appelé humanité : « vous les éternels, aimez-le éternellement (le monde) et tout le temps ; et à la douleur dites : « Péris, mais reviens ! Car toute joie veut l’éternité  » » ; chaque instant fuit, mais il est destiné à revenir, identique à lui-même. Si Nietzsche voit dans cet éternel retour la possibilité de retirer la flèche de la main du dieu Chronos, Cocteau refuse de s’unir ad vitam aeternam à une temporalité du ressassement. Seul le surhomme peut dire « oui » à l’éternité, et cette éternité Cocteau n’en veut pas ! Le poète garde de Nietzsche cette éternelle succession de formes nouvelles au cœur de l’univers, d’où naît la peur du progrès ;  l’idée de progrès est, par ailleurs, incompatible avec une durée infinie du monde, puisque tous les progrès auraient déjà dû se produire, le processus du monde ressemblerait au travail des Danaïdes. La force de vie est identique, mais dans un certain anthropomorphisme. Cocteau attribue au monde une insensibilité ou un ordre, il garde aussi le caractère polymorphe, protéiforme, chaotique de la nature.
       Mais à l’inverse du philosophe, le monde est, pour Cocteau, un être vivant qui crée éternellement du nouveau. Ainsi, la phénixologie se trouve à mi-chemin de Nietzsche et de la réappropriation coctalienne, à la fois lieu cyclique de renaissance et figure du vide, figure résurrectionnelle créée par Cocteau davantage qu’il n’en est la créature. Par la phénixologie, le poète tente de renaître, pur et libre, mais également traumatisé dans le principe de  recréation : « Parmi les flammes un Phénix / Inapte à renaître et un vol / Noir de mille papiers qui furent / Savantes paroles retombe / Sur l’autodafé du supplice » (R, p1131). Cette figure cyclique tourne à vide, angoisse bien plus qu’elle n’exalte le poète. Le phénix ne propose, à l’instar du concept nietzschéen, aucune origine mais des recommencements vertigineux.
     En définitive, Cocteau lit, dans ce désir d’une liberté railleuse, l’enracinement tragique de Nietzsche ; il fait remonter à la surface le bonheur menacé du philosophe en exprimant ses propres angoisses d’éternité, se rapprochant, plus qu’il ne le croit, de la pensée nietzschéenne dans sa dernière œuvre poétique. Ainsi, au-delà de ces fausses notes, le poète trouve d’autres raisons de vivre sur terre, au cœur des choses, dans la passion des arrières mondes invisibles, non dans ce que le philosophe nomme forcément le «nihilisme». Pas besoin d’un ailleurs, ni d’un idéal, mais de l’invisibilité du réel. Il existe, pour Cocteau, une autre réalité derrière la réalité qui n’est régie que par des forces de vie, à la fois menaçantes et périlleuses, enivrantes et troublantes, celles-ci se découvrent dans une hallucination extatique : la connaissance inspirée.
SB

Federico Garcia Lorca


Les Anges exterminateurs...

Rixe

 Les canifs d'Albacete,

au milieu du précipice,

luisent comme les poissons

embellis de sang hostile.



Un dur éclat de poker

coupe dans le vert acide

des chevaux pris de fureur,

des cavaliers de profil



Aux branches d'un olivier

deux vieilles femmes gémissent.

Voilà que grimpe aux rideaux

le grand taureau de la rixe.



L'Ange exterminateur de Buñuel



Les mouchoirs et l'eau glacée

des anges noirs les fournissent.

Des anges aux ailes comme

à Albacete les canifs.



Juan Antonio de Montilla

mort le long du ravin glisse,

une grenade à ses tempes

et le corps semé de lys.

La croix de feu qu'il chevauche

dès lors à la mort le hisse.



Par l'olivaie vient le juge

avec un garde civil.

Le sang qui s'est enfui pleure

un refrain muet de reptile.



Ça s'est fait comme toujours,

- Messieurs les gardes civils:

cinq Carthaginois sont morts

et quatre Romains périrent.



Le soir fou de ses figuiers

et de ses chaleurs qui bruissent,

défaille sur les blessures

des cavaliers à la cuisse.



Et des anges noirs volaient

dans l'air du jour qui décline.

Des anges aux longues tresses

et dont le cœur est fait d'huile.

Federico Garcia Lorca

jeudi 28 février 2013

Ancet


L'ange vole mais, sur terre, rien ne bouge....


Le chat ferme les yeux. Dehors est un éblouissement obscur. Peu à peu je sombre dans un entre-deux sans paroles. Le fracas de l'hélicoptère invisible et le tronc du chêne appartiennent un instant au même monde. La brume les réunit et les efface. N'en reste qu'un silence et, noir sur blanc, une trace immobile. Comme un idéogramme privé de sens. Aveugle, j'avance sur le fil. Prêt à basculer. Mais rien ne bouge : ni le chat ni le chêne. Seul, dans la chaleur, le cordon du rideau et le souffle. Quant aux mains elles sont trop loin pour les sentir, perdues dans de menus travaux.



Macadam Cowboy de John Schlesinger
    - C'est l'heure.
    - De quoi ?
    - D'oublier l'heure.


Ancet, Chronique d'un égarement