mardi 5 mars 2013

'Antonin Artaud

Pierreries mentales.....



Le corps du ventre semble fait de granit, ou de marbre, ou de plâtre, mais d'un plâtre durcifié. Il y a une case pour une montagne [...]. L'air autour de la montagne est sonore, pieux, légendaire, interdit. L'accès de la montagne est interdit. La montagne a bien sa place dans l'âme. Elle est l'horizon d'un quelque chose qui recule sans cesse. Elle donne la sensation de l'horizon éternel. 




L'Homme qui voulut être roi de John Huston


  • Ma sensibilité est au ras des pierres, et peu s'en faut qu'il n'en sorte des vers, la vermine des chantiers délaissés. Mais cette mort est beaucoup plus raffinée, cette mort multipliée de moi-même est dans une sorte de raréfaction de ma chair. L'intelligence n'a plus de sang. La seiche des cauchemars donne toute son encre qui engorge les issues de l'esprit, c'est un sang qui a perdu jusqu'à ses veines, une viande qui ignore le tranchant du couteau.[...] toute cette chair n'est que commencements et qu'absences, et qu'absences, et qu'absences...
    Absences.



    Naked de Mike Leigh

    • Je sens toutes les pierres du monde et le phosphore de l'étendue que mon passage entraîne, faire leur chemin à travers moi. Ils forment les mots d'une syllabe noire dans les pacages de mon cerveau.

      L'Ombilic des Limbes d'Antonin Artaud (3 extraits)

lundi 4 mars 2013

.k Huysmans


  • De pierre en pierre, la vie monstrueuse des Cathédrales...

Elephant Man de Lynch


  • Elles sont surhumaines, vraiment divines, quand on y songe, les cathédrales !
    Parties, dans nos régions, de la crypte romane, de la voûte tassée comme l’âme par l’humilité et par la peur, se courbant devant l’immense Majesté dont elles osaient à peine chanter les louanges, elles se sont familiarisées, les basiliques, elles ont faussé d’un élan le demi-cercle du cintre, l’ont allongé en ovale d’amande, ont jailli, soulevant les toits, exhaussant les nefs, babillant en mille sculptures autour du chœur, lançant au ciel, ainsi que des prières, les jets fous de leurs piles ! Elles ont symbolisé l’amicale tendresse des oraisons ; elles sont devenues plus confiantes, plus légères, plus audacieuses envers Dieu.
    J.k Huysmans, La Cathédrale

Yves Bonnefoy


Comme des pierres....



Une Pierre

Il se souvient
De quand deux mains terrestres attiraient
Sa tête, la pressaient
sur des genoux de chaleur éternelle.

Étale le désir ces jours, parmi ses rêves,
 Silencieux le peu de houle de sa vie,
Les doigts illuminés gardaient clos ses yeux.

Mais le soleil du soir, la barque des morts,
Touchait la vitre, et demandait rivage.

Yves Bonnefoy



The Swimmer de Frank Perry



UNE PIERRE

Tout était pauvre, nu, transfigurable,
 Nos meubles étaient simples comme des pierres,
 Nous aimions que la fente dans le mur
 Fût cet épi dont essaimaient des mondes.

Nuées, ce soir,
 Les mêmes que toujours, comme la soif,
 La même étoffe rouge, dégrafée.
 Imagine, passant,
 Nos recommencements, nos hâtes, nos confiances.

Yves Bonnefoy


G Trakl,


Au pied de la Roche, la perte....



Mais comme je descendais la sente rocheuse,

la folie me terrassa et je criais,

haut dans la nuit,

et comme je me couchais 

avec des doigts d'argent sur les eaux muettes,

je vis que mon visage m'avait abandonné. 

Et la voix blanche me dit : Tue-toi !

Gémissante une voix d'enfant se leva en moi

et me regarda, rayonnante,

de ses yeux cristal, au point que je m'abattis

pleurant sous les arbres, 

la voûte puissante des étoiles



Padre, Padrone des Frères Taviani

(…)

Avec des semelles d'argent,

je descendis les degrés d'épine

et j'entrais dans la chambre blanchie

à la chaux

Calmement, un chandelier y brûlait

et je cachai ma tête

en silence dans les toiles pourpres.

Et la terre rejeta un cadavre d'enfant,

une forme lunaire

qui sortit lentement de mon ombre,

plongea bras cassés

des pierrailles, neige en flocons.


G  Trakl, Révélation et naufrage (extraits)

dimanche 3 mars 2013

Pierre-Albert Jourdan


La Pierre soulevée dans les airs ?


La colline des hommes perdus de Sydney Lumet

 Un vorace nuage de sollicitations tourbillonne autour de moi. Demain le matinal parfum des pinèdes sacrera la maison. J’ai l’impression de m’éveiller, d’être en retard. Mon pas fait rouler les pierres, je les entends cascader, c’est un bruit poignant, étouffé, de passé qui s’écroule. Je lève les yeux. Oui, là-haut, peut-être....

Pierre-Albert Jourdan, Le Bonjour et L'Adieu

Lionel-Edouard Martin


Rapport au calcaire...



  J’ai souvenir de demeures succinctes, aux murs peu maçonnés : tout juste un peu de sable et de chaux, mais elles fondaient leur aplomb principal sur un agrégat de moellons secs où nichaient des rossignols et d’autres passereaux. Dans ces petites maisons singulières, généralement pourvues d’une pièce unique et de faible contenance, on remisait les outils de jardinage, on s’abritait pendant l’averse. Plantées au beau milieu de champs dont le dépierrage avait nourri leur économie, elles chantaient d’une voix supposée de calcaire. 


Jeux interdits de René Clément




Chantaient de fait à voix d’oiseau - nul ne doutait que l’oiseau ne prêtât à la pierre son chant - ainsi qu’à voix de vent, car le vent dans les brèches sifflait à voix de vent, et l’on savait que ces loges (ainsi les nommait-on) participaient aussi du vent. Mais il fallait, aux yeux de leurs propriétaires, que l’oiseau et le vent fussent aux masures consubstantiels, comme si l’oiseau et le vent relevaient de la pierre.

 Depuis mon enfance, j’inscris le moindre souffle, le moineau le plus chétif, dans un esprit de roche. De tout silex empaumé j’éprouve dans le creux de ma main la plume et l’haleine. Et nulle maison n’est vraiment muette à mon oreille : de brique ou de parpaing, j’entends distinctement son langage. La poésie m’engage
 À chercher des réponses aux questions qu’elle me pose.

Lionel-Edouard Martin, extrait de *Dire migrateur* (éd. Tarabuste)

samedi 2 mars 2013

Victor Segalen



La Stèle, un instant éternel !



Elles sont des monuments restreints à une table de pierre, haut dressée, portant une inscription. Elles incrustent dans le ciel de Chine leurs fronts plats. On les heurte à l’improviste : aux bords des routes, dans les cours des temples, devant les tombeaux. Marquant un fait, une volonté, une présence, elles forcent l’arrêt debout, face à leurs faces. Dans le vacillement délabré de l’Empire, elles seules impliquent la stabilité.

  Épigraphe et pierre taillée, voilà toute la stèle, corps et âme, être au complet. Ce qui soutient et ce qui surmonte n’est que pur ornement et parfois oripeau.

  Le socle se réduit à un plateau ou à une pyramide trapue. Le plus souvent c’est une tortue géante, cou tendu, menton méchant, pattes arquées recueillies sous le poids. Et l’animal est vraiment emblématique ; son geste ferme et son port élogieux. On admire sa longévité : allant sans hâte, il mène son existence par-delà mille années. N’omettons point ce pouvoir qu’il a de prédire par son écaille, dont la voûte, image de la carapace du firmament, en reproduit toutes les mutations : frottée d’encre et séchée au feu, on y discerne, clairs comme au ciel du jour, les paysages sereins ou orageux des ciels à venir.

  Le socle pyramidal est aussi noble. Il représente la superposition magnifique des éléments : flots griffus, à la base ; puis rangées de monts lancéolés ; puis le lieu des nuages, et sur tout, l’espace où le dragon brille, la demeure des Sages Souverains. – C’est de là que la Stèle se hausse.



Quant au faîte, il est composé d’une double torsade de monstres tressant leurs efforts, bombant leurs enchevêtrements au front impassible de la table. Ils laissent un cartouche où s’inscrit la dévolution. Et parfois dans les Stèles classiques, sous les ventres écailleux, au milieu du fourmillement des pattes, des tronçons de queues, des griffes et des épines : un trou rond, aux bords émoussés, qui transperce la pierre et par où l’œil azuré du ciel lointain vient viser l’arrivant.


Evangéline de  Carewe (Image trouvée par Florian Poinot)
  (...)


Il en est toujours de même. Aucune des fonctions ancestrales n’est perdue : comme l’œil de la stèle de bois, la stèle de pierre garde l’usage du poteau sacrificatoire et mesure encore un moment ; mais non plus un moment de soleil du jour projetant son doigt d’ombre. La lumière qui le marque ne tombe point du Cruel Satellite et ne tourne pas avec lui. C’est un jour de connaissance au fond de soi : l’astre est intime et l’instant perpétuel.

  Victor Segalen