vendredi 5 juillet 2013

Ancet


L'inquiétante étrangeté de la voix.....


.......tu ne te reconnais plus, ta voix se fige,
tu suces un morceau de glace sonore, plus rien
ne sort de ta bouche qu'un filament de salive 
qui luit, qui durcit, pourras-tu jamais parler,
les jours se succèdent comme des images blanches,
ils t'emportent, te ramènent à la même présence
de cette voix qui parfois en sait bien plus que toi,
on dirait qu'elle n'a pas bougé, qu'elle t'attend 
tu ne sais où, quelque part au milieu de ces mots
qu'elle prononce dans ta bouche, tu les écoutes,
tu parles comme si tu ne savais pas parler,
ce que tu dis tu ne le comprends pas mais c'est là,
c'est une évidence comme l'air que tu respires,
comme cette table sous ta main où tu t'appuies,
qui te résiste, qui te rappelle le miracle
quotidien, aller dans la vapeur du jour levé,
traverser une place, dire je suis vivant,
je marche, je fais l'espace, longer une rue,
le café où l'homme lit les nouvelles du jour,
le joailler, le magasin de prêt-à-porter,
répéter je suis vivant, entrer dans une allée, 
passer à côté d'un vélo, de quatre poubelles,
monter des marches poussièreuses, ouvrir une porte, 
la refermer, écouter les voix dans l'escalier, 
le petit chien qui s'égosille, le grincement
des pas au-dessus, ne plus dire mais se sentir
vivant, malgré tant de raisons de ne pas y croire,
vivant, oui, tu voudrais que tout répète avec toi
vivant la table, la chaise, vivant le passant
croisé, vivant le feuillage, le ciel qui se couvre,
les toits poudrés de neige, le vent froid qui te giffle,
l'air qui te traverse, vivant, mais les mains tendues,
les corps prostrés, les yeux vides crachent leur silence,


La ronde de l'Aube de Douglas Sirk (d'après Faulkner)


alors tu ne dis plus, tu t'enfonces dans ta honte
de vivant vivant, tu sens quelque chose qui monte
en toi, qui appelle, une rumeur, un grondement,
et quand tu cries, ce n'est pas toi qui crie mais le cri
de toutes les gorges dans ta gorge, tu voudrais
dire la vie et sa beauté , tu dis la douleur,
et la mort, tu serres les dents, tu serres les poings
ou tu ne serres rien, tu étouffes simplement,
et pourtant tu es vivant....
.
Jacques Ancet, L'identité obscure (extrait du Chant 10)

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Note de lecture sur Ode au Recommencement.


http://poezibao.typepad.com/poezibao/2013/06/note-de-lecture-jacques-ancet-ode-au-recommencement-par-yann-miralles.html

Mandelstam


Aucune voix ne sauve....



Orphée de Cocteau

Le passant

J’éprouve une crainte plus forte que moi
En présence du mystère des hauteurs,
L’hirondelle dans le ciel me donne joie
Et j’aime les cloches voilières.

Pareil, dirait-on, à un piéton d’autrefois,
Aux passerelles ployant sur l’abîme
J’écoute la croissance des mottes de neige,
L’éternité sonne sur son horloge de pierre.

Hélas !… je ne suis pas ce voyageur
Qui s’efface parmi les feuillages éteints,
Chez moi, vraiment, c’est le chagrin qui chante.

Il y a une vraie avalanche dans les montagnes !
Mon âme tout entière est dans les cloches,
Mais la musique ne sauve pas du gouffre.

Ossip Mandelstam, La Pierre
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Conseil "critique"........


London


La dernière Voix....


Le désir de vivre, se dit-il avec mépris, en tâchant vainement d’empêcher ses poumons en feu d’aspirer l’air. Il fallait essayer d’une autre manière. Il respira à fond, de façon à pouvoir descendre très profondément. Puis, il plongea la tête la première, en nageant de toutes ses forces et de toute sa volonté. Les yeux ouverts, il voyait les bonites rapides zébrer l’eau de flèches phosphorescentes. Il espéra qu’elles ne l’attaqueraient pas, car la tension de sa volonté aurait pu se relâcher. Mais elles ne s’occupèrent pas de lui et il remercia la vie de cette dernière faveur.


Birdy de Alan Parker 

Il nagea encore, toujours plus profondément. Ses bras et ses jambes, rompus de fatigue, ne remuaient plus que faiblement. La pression de l’eau était douloureuse à ses tympans et sa tête bourdonnait. Son endurance était à bout, mais il se força à descendre plus bas encore. Bientôt sa volonté l’abandonna. Au milieu d’un grand bouillonnement, ses poumons se vidèrent complètement de l’air qu’ils conservaient encore. Tels de minuscules ballonnets, de petites bulles glissèrent en rebondissant sur ses joues et devant ses yeux dans une ascension éperdue vers la surface. Puis vinrent la souffrance et l’étouffement. Ce n’était pas la mort encore, se dit-il, au bord de l’inconscience. La mort ne faisait pas souffrir. C’était la vie, cette atroce sensation d’étouffement : c’était le dernier coup que devait lui porter la vie.

Ses mains et ses pieds, dans un dernier sursaut de volonté, se mirent à battre, à faire bouillonner l’eau, faiblement, spasmodiquement. Mais malgré ses efforts désespérés, il ne pourrait jamais plus remonter ; il était trop bas, trop loin. Il flottait languissamment, bercé par un flot de visions très douces. Des couleurs, une radieuse lumière l’enveloppaient, le baignaient, le pénétraient. Qu’était-ce ? On aurait dit un phare. Mais non, c’était dans son cerveau, cette éblouissante lumière blanche. Elle brillait de plus en plus resplendissante. Il y eut un long grondement, et il lui sembla glisser sur une interminable pente. Et, tout au fond, il sombra dans la nuit. Ça, il le sut encore : il avait sombré dans la nuit.

Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir.

Jack London, Martin Eden
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Tout London en Libretto....



http://www.editionslibretto.fr/catalogue-thematique?theme=les.oeuvres.de.jack.london&tri_catalogue=titre

Jack London, Martin Eden

Jabès



La voix , silencieusement, dit.....





Paris-Texas de wenders



   Je suis un silencieux. Je me demande, grâce au recul que je prends, maintenant, avec ma vie, si ce goût prononcé pour le silence n’a pas son origine dans la difficulté qui, de tout temps,fut la mienne, de me sentir d’un quelconque lieu.
 Avant de connaître le désert, je savais qu’il était mon univers. Seul le sable peut accompagner une parole muette jusqu’à l’horizon.
 Écrire sur le sable, à l’écoute d’une voix d’outre-temps, les limites abolies. Voix violente du vent ou, immobile, de l’air, cette voix vous tient tête. Ce qu’elle annonce est ce qui vous agresse ou écrase. Parole des abyssales profondeurs dont vous n’êtes que l’inintelligible bruit; la sonore ou l’inaudible présence.

S’il fallait une image au Rien, le sable nous la fournirait.
Poussière de nos liens. Désert de nos destins.


Edmond Jabès, Un étranger avec, sous le bras, un livre de petit format
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Conseil de lecture critique....Par ce livre inédit, les Editions Seghers font entrer l'une des figures majeures de la poésie du XXe siècle dans la collection «Poètes d'aujourd'hui». Edmond Jabès, né au Caire en 1912 dans une famille juive francophone, n'est pas seulement un passeur de cultures et de mémoire entre les rives de la Méditerranée : il est aussi, comme l'écrivait René Char, l'auteur d'une oeuvre «dont on ne voit pas d'égal en notre temps». Du Livre des questions au Livre de l'hospitalité, Didier Cahen s'attache à suivre, dans l'oeuvre de l'écrivain dont il fut l'ami, les lignes déliées de la création poétique. L'anthologie qui compose la seconde partie de l'ouvrage fait entendre le chant d'amour et d'espérance d'un poète qui habita le monde en nomade. -4ème de couverture- 



mercredi 3 juillet 2013

Colette,


La voix du souvenir....



Phantom Lady de  Robert Siodmak

Il me faut miraculeusement, dans mon sommeil, mêler mes provinces bien-aimées, la natale et les autres, et les palper à tâtons si je m’éveille en pleine nuit, interroger la sonnerie d’une grosse montre – je sais pourtant bien qu’elle est en Provence -, l’espagnolette d’une fenêtre qui n’existe plus que dans mon souvenir, une table de chevet captive en Bretagne, un bouton de cuivre qui brillait, il a un demi-siècle, sur la porte de ma chambre d’enfant… 

Un mur lisse, une tenture rugueuse, un verre d’eau abolis, brisés, exilés, renaissent, le temps que je revienne à moi. Leur rencontre est un instant inestimable, aussi fugitif que le givre par un jour pur, le seul instant où je puisse sentir sous ma main, presque palpable, la fleur pulvérulente du passé, un don consenti par la mémoire des sens, invétérée en moi comme 
seraient le bégaiement et la claudication…

Colette, En pays connu.
(Merci Alain A.)

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  A voir....

samedi 29 juin 2013

Cormac McCarthy


La voix effroyable du silence....


Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. À chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l’est en quête d’une lumière mais il n’y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s’éveiller il errait dans une caverne où l’enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d’une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l’eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s’interrompre jamais. Jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y avait un lac noir et antique. 


Je suis une légende de Sidney Salkow


Et sur la rive d’en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d’araignée. Elle balançait la tête au ras de l’eau comme pour capter l’odeur de ce qu’elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l’ombre de ses os d’albâtre projetée derrière elle sur les rochers. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui pulsait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s’éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l’obscurité. 

Cormac McCarthy (La Route)
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Conseil....

Excellente adaptation de Old country for old men des Frères Cohen

mardi 25 juin 2013

Edmond Jabès


Les silences de la Voix !


Le mur,

La bouche, la voix, le pouvoir

Le pouvoir, ici, ne serait que la possibilité acquise de se pourvoir d'un non-pouvoir audacieux et contagieux.

 En ce cas, la voix serait passage de la parole osée à la parole silencieuse, secrètement prépondérante ; celle que le livre conserve par-devers lui et dont on ne sait jusqu'où elle nous change ; porteuse du changement brutal ou à peine perceptible, dans lequel l'écrivain est engagé, pressé par le temps, hanté par l'absolu qui est une autre forme hautaine, celle-là du pouvoir.

 L'acte d'écrire apparaîtrait, alors, comme geste consacré de la remise du pouvoir de l'homme à la parole du livre ; équivaudrait à sacrifier, à son tour, le mot à son pouvoir d'absence afin qu'il ne soit que sa manifestation immédiate, intempestive.

 Nous naissons et mourons de ce pouvoir perpétué, jamais différé et pour l'accomplissement duquel nous avons recours à nos forces créatrices - amies ou ennemies - dont le vocable demeure le centre et la liaison ; mais nous continuons à ne répondre que de nous-mêmes, là où plus rien de nous ne subsiste ; à ne témoigner que du pouvoir de disparaître dont nous fûmes l'ivresse, autant que le désespoir.


Il n'y a de bouche que pour affirmer la mort et que nos mains pour ensevelir la bouche.

(En écrivant, nous nous débattons avec une partie de la mort, comme on ne se débat qu'avec une partie de l'ombre.


An Angel at my table de Jane Campion 


Écrire serait, par conséquent, affronter dans sa totalité fuyante la mort ; mais ne nous mesurer, à chaque fois, qu'à l'un de ses instants.

Épreuve au-delà de nos forces qui nous conduit à écrire contre l'écriture de la mort et à être nous-mêmes écrits par elle)

 Edmond Jabès, Le livre des Ressemblances, II
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Extrait trouvé sur l'excellent site suivant : BIENVENUE SUR LE SITE D'ESPRITS NOMADES
Esprits Nomades.

Edmond Jabès

Le gardien de l’indicible