mercredi 7 août 2013

articleMaulpoix/par Sylvie Besson.




La Belle inconnue ou la Voix d’Orphée !

- Critique de La Musique inconnue de J-M Maulpoix,  par Sylvie Besson.



     Lorsqu’il s’exprime, Jean-Michel Maulpoix le fait à voix basse, soupesant et jaugeant les mots avec une sorte de respect, d’étonnement pour déjouer les chausse-trappes d’une prétendue communication érigée en modèle, ainsi son essai se présente d’emblée comme un poème de prose, dans son écriture comme dans son organisation, et se construit comme une galerie de portraits qui choisit pour inspiration la gracilité et la délicatesse de l’existence, l’écrivain préférant l’enchantement secret et les chants silencieux, mais en mode majeur. Les mots de Maulpoix croquent des éclats de musique, collectant des éclats de beauté, des éclats subtilement retissés, que vient nourrir l’ombre des mots tandis que la mélodie des âmes essaime des territoires poétiques en les nouant les uns aux autres, et cela, afin d’offrir l’exaltante pluie rythmique de son style propre à transcender l’exercice critique. Une respiration entre puis sort par les phrases ainsi disposées et l’ensemble crée un mouvement véritable du souffle puisque tout peut être entendu comme une lecture à haute voix. La justesse de ton est telle que l’essai entrelace oralité et passion, fragments et unités, saccades et fluidité, afin de déverser une réflexion tout en balancements lyriques et cadences palpables. Maulpoix lance assurément un regard juste sur un monde de contradictions grâce au charme de figures visuelles et sonores, le poète est habité par le ruissellement sensible de son sujet, tantôt heurté de bleus à l’âme, tantôt fluide comme le chuchotement des songes, laissant éclore, à son rythme, l’image salvatrice de la musique. Et cette partition, éraflant ou apaisant le cœur d’un même élan, provoque, chez le lecteur la sensation de tenir, dans la paume de ses mains, des bribes de vie tant la sensibilité n’est jamais bridée par l’analyse cependant omniprésente.

      En effet, la manifestation littéraire qu’admire le plus l’auteur, nous le savons, est celle du mystère lyrique de l’écriture ou, plus précisément, ce faire-corps avec la langue qu’est la musicalité, aussi les écritures traversées de Baudelaire, Rimbaud, Rilke, Proust, Mallarmé, Valéry, Claudel, Bonnefoy, Jaccottet (pour ne citer qu’eux !) s’apparentent alors à une sorte de transe qui, comme l’étymologie l’indique, fait effectuer à l’initié non pas un bond en avant, mais un nécessaire bon en arrière de soi-même. La suite d’exemples étudiés, à l’instar de micro-fictions,  lutte donc contre le langage collectif qui ment et trompe, s’érige contre l’absence de porosité entre le réel et l’imaginaire, refuse le clivage entre le lyrisme intérieur et celui du monde. Seule la Voix semble appartenir à un Verbe qu’elle rompt tout en recherchant à la fois l’affinement de l’écoute et une forme de littérature uniquement tendue  vers la musique, faisant ainsi sienne les vertus ensorcelantes ou extatiques des mélodies les plus secrètes : « N’étant nulle part, la musique est transport, souffle, fièvre, émotion de voix » (p 39).

       De cette façon, toute parole, cherchant à joindre quelque chose qui s’échappe, semble incomplète sans la musique originelle, tout lecteur qui se plonge dans l’essai de Maulpoix doit se faire à l’évidence, celui-ci n’écrit pas d’abord avec sa main ou avec son esprit, mais comme un compositeur, avec son oreille. Il guette d’ailleurs ses auteurs fétiches comme un musicien, doué d’une forme d’oreille d’absolue qui l’autorise à entendre des voix fluettes, chuchotantes, profondément oniriques comme les voix les plus tonitruantes, tapageuses ou éclatantes de désirs,  toutes celles  qui révèlent sous une musique l’hors-commun du langage.

    Voilà pourquoi, Maulpoix débusque l’élément vocal dans l’usage que les écrivains peuvent faire de la langue, les mots qui sont ici prononcés aiment la masse des voix, ces voix qui créent un sentiment d’une insoluble étrangeté parce que celles-ci nous viennent de l’au-delà, non du royaume des morts, mais d’un au-delà de nous-même, du fin fond d’une musique antérieure à tout langage, et l’auteur cherche à retrouver ce stade de l’ouïr spéculaire qui fonctionne comme une entreprise de désubjectivation ; par conséquent, le critique s’essaye sur la musique d’autrui afin de se découvrir multiple, pour exhumer en lui, à chaque lecture, de nouvelles voix, ce son étant lui-même un rêve qui fait venir dans le corps d’autres corps que le sien. En fait, pour Maulpoix, l’écriture poétique est fascinante et périlleuse parce qu’elle est du langage fait corps, de la voix incorporée ou plutôt incarnée. Faire ainsi parler la musique, c’est faire parler l’oreille, c’est s’approprier un silence mis en mots. Pour toutes ces raisons, le poète-critique recherche et revendique le modèle d’écrivains-musiciens, ses seuls véritables mentors. Il cherche dans les mots de tel ou tel un substitut de la voix humaine, mais si les musiciens désirent s’affranchir de la voix brisée par la mue dans le chant et la voix de basse, les poètes, eux, s’enracinent dans la déchirure du langage. En ce sens, l’évocation inaugurale « du blanc sur blanc » n’est donc pas innocente, elle dit l’impérieuse nécessité d’affûter le langage pour lui conférer le pouvoir envoûtant d’une musique, pour être à même de dire et pour accéder au pouvoir de nommer. Il faut se taire, refuser de parler, accepter d’écouter afin de percevoir les conversations qui lézardent le silence et redevenir un Infans :  « je rêve parfois d’une écriture autre ( …) une écriture de pas sur la neige, traces à peine, blanc sur blanc, et qu’aurait laissée, plutôt que le labeur des signes, la course légère ou le passage pesant d’un corps, sa précipitation enfantine ou sa vieille fatigue, comme dans un lit d’empreinte de son insomnie ou de son sommeil et celle, plus invisible encore, de ses rêves  » (p13) .

    N’a-t-on pas souvent écrit que la composition de la musique et que l’attrait qu’elle exerce reposaient pour une part sur la quête sans terme au fond de soi d’une voix perdue, voire d’un songe ? En définitive, Maulpoix parle peu, déplaçant l’harmonie de ses mots dans ceux d’autrui, d’abord parce qu’il sait que le langage n’a rien de naturel et que la perte le guette, et parce qu’échanger, c’est bien souvent apprendre à se taire. Si c’est autant sa voix pensante que sa voix parlante qu’on entend dans ce singulier essai, il faudra se contenter de déchiffrer comme on déchiffre la musique, et même si l’écrivain compose ses cadres, éclaire ses espaces, maitrise son découpage avec une inspiration constante, qui l’autorise à tous les excès formels du fragment, jamais la polyphonie à l’œuvre ne nuit à la netteté du propos. En effet, les images qu’il nous montre, les ruptures de tons qu’il sait orchestrer, les changements de points de vue qu’il nous propose, sans jamais contredire l’unité de sa réflexion, sont en pleine harmonie avec le thème principal qu’il développe. Le jeu de pistes se poursuit jusqu’à l’infini, l’œuvre musicale reste profondément énigmatique tout en affichant son aveuglante clarté, l’émotion profonde que cet essai suscite n’étant pas étranger au paradoxe du lyrisme dont Maulpoix sait fait porte-voix ; soulignons également la simplicité avec laquelle tant de beauté nous est présentée, le Poète, par un ingénieux système d’échos et de renvois, de clés musicales, boucle toutes ses boucles…..jusqu’à la voix des profondeurs, celle des origines. Transparait davantage alors une Sensibilité qui laisse jaillir une musique, nous plaçant au cœur de l’être, à l’intérieur de cette membrane pourpre qui métaphorise l’âme des écrivains : « Le poète, volontiers, parle tout seul. Il s’adresse aux arbres, aux morts, aux dieux. Autant dire à personne. (…). Il est avant tout une voix. Tel Orphée, une « belle voix ». (p69)

    Maulpoix dévoile ainsi le monde intérieur de ces poètes animés par la musique qui hante leurs mots comme une veine fantastique dans laquelle la vie se dédouble, dans un art qui lui-même bouleverse l’existence, transforme les discours en ombres, en esprits, en spectres. Le fantôme que porte en eux les poètes nait de cette musique inconnue, il apparait comme une ombre chinoise, comme si une voix off tenue par un instrument se substituait aussi bien à leurs corps qu’au corps des mots, ces correspondances font des textes cités, le pré-texte et l’objet d’une séduction atemporelle. Il s’agit d’une façon de réinscrire dans le présent une parole originelle, de marier l’illustre et le minuscule, de voyager dans des contrées ensommeillées du souvenir, celles des eaux de l’endormissement et du rêve, celles qui font du poète un regard qui se remémore et qui voit s’épanouir un poème dans l’eau troublée de ses songes. Cette musique seule permet aussi l’entrelacement de souvenirs de lectures et de souvenirs intimes, l’attachement de mots et merveilles, rapatriant l’invisible dans le visible, le lointain dans le proche et le profond à la surface ; l’essai relève à son tour d’une alchimie sans accessoire, il suffit de prendre conscience de la fécondité des analogies ou des secrètes correspondances qui unissent la musique et l’écriture pour que les tourbillons de la ressemblance nous entrainent dans le double fond de la Mémoire.



Truly Madly Deeply d'Anthony Minghella


  La voix de Maulpoix est, à l’instar de Baudelaire, « la  voix affaiblie d’un  blessé qu’on oublie (…) une voix qui ne s’impose pas mais qui implore, égarée au milieu de voix rêveuses (…) , elle ne peut que rêver de loin à la musique, art suprême qui « creuse le ciel », comme à un paradis perdu» (p 61) ; elle est une voix fragmentaire dans une vaste mer, cherchant à travers la nuit des éclats de lumière, une mélodie par vagues, vague écrasante et vague à l’âme, qui, en s’emballant, s’échoue autant en points d’interrogations que de suspension. Le Chant impossible reprend, dès lors, sa fonction première, celui d’une musique qui ne prend forme que dans la perte. C’est cette jonction d’Eros et de Thanatos qu’il faut comprendre au sein des textes, ce pouvoir à la fois de création et de perdition mortifère que l’œuvre pose à chaque chapitre. Maulpoix veut remonter à la source de l’art musical, voir ce qui se joue dedans, ce qui s’y cache, ce qui nous y attire, on retrouve là une véritable figure orphique, un rappel de la perte, et l’auteur rappelle alors que la  musique est véritablement ce qui retranche du langage et « ouvre en fin de compte au désir de vivre et de mourir » (p 80).  C’est pourquoi l’origine de la musique peut aller plus loin que l’origine du langage, parce qu’elle lui préexiste et qu’elle est, dans l’écriture poétique, ce que l’on pourrait nommer une  « nudité sonore », ce qui reste caché au fond des mots, comme quelques sons et quelques gémissements plus anciens, en un charme enfin retrouvé,  un  « souffle autour du rien ». (Blanchot, p 86)

       La parole s’appartient enfin chez Maulpoix quand la touche enfoncée du souvenir se remet à vibrer, ce qui d’un sens peut passer dans un autre, ou encore ce qui nous emporte dans le vertige d’un chant investi de désirs ou dans une parole ironique qui dissipe les illusions, en donnant à voir le déploiement de l’imaginaire à partir du réel, en montrant toute l’étrangeté du familier, en ouvrant la porte des chambres interdites. En effet, si cet essai s’efforce de clarifier la parenté du geste musical et du geste poétique, il questionne également dans la profondeur des traces les relations respectives qu’entretient l’art musical avec le langage oral et avec l’écriture plurielle. Voilà l’ultime clé du rappel musical que la réflexion éclaircit promptement, en une centaine de pages : la musique renvoie aux premiers percepts auditifs qui nous affectent alors même que nous ne sommes pas encore au monde, elle ramène à la surface de l’affect l’écho d’un vécu oublié pourtant inoubliable, elle désigne enfin la place d’une perte que nous ne faisons que taire. Ainsi conçue la musique est liée à l’histoire de la voix, du langage en nous, à toute l’histoire du sujet dans ses mutations, dans ses « mues » successives, matérialisant l’absence et commémorant le perdu. En même temps, si la Voix évoque un son élégiaque ou fracassant parce qu’il est appel au silence, les poètes ne se méprennent-ils sur leur propre silence ? Le critique cherche justement à héler jusque dans ce silence une voix qui précède, une voix le plus souvent morte, mais toujours signifiante ; les poètes, et Maulpoix avec ou à travers eux, cherchent à se déprendre de la « voix-loi », de la voix du logos qui double toute parole, les livres de Maulpoix, parus à ce jour, attestant d’ailleurs que la seule corde de rappel possible n’est jamais qu’une corde de langue à laquelle la musique donne voix, tous ses textes étant d’une sublime redondance, comme l’éternel retour d’une Présence. De même que toute musique cache un son étouffé, l’écriture de Maulpoix ramène et protège la source naturelle, la nuit primitive, la part obscure et archaïque, le réel dans son inaccessibilité, comme l’indique le cheminement de la rêverie originale de cet ouvrage. Effectivement, sans le sens implicite du son musical, sans sa lamentation ou son illumination du perdu, sans la convocation quasi immédiate de l’ici mystérieux, sans l’émotion de la Mémoire, l’écriture poétique n’aurait peut-être pas trouvé autant de résonances infinies ; Maulpoix, nous l’avons déjà souligné, travaille à l’oreille, dans l’extrême silence, une très fine oreille sans volonté arrêtée, sans présupposé idéologique, sans autre thèse que toucher, sans autre espoir que retenir l’attention.

     C’est donc un livre étrange où plusieurs voix cohabitent en surimpression, pour ne pas dire en superposition, un livre où l’empilement des textes n’est pas une interprétation unique plus ou moins obscure, mais au contraire, une sorte de « démembrement », l’écriture s’écoutant en mille autres langue, langues qui parfois se contredisent, jouent, s’égarent, choisissent, riment ou chantent, en définitive, révèlent cette inconnue qui hante l’essai. C’est la leçon de cette lecture-écriture, peu importe le fond, il est acquis, il est entendu, peu importe aussi l’aboutissement, le travail à l’œuvre ici est d’ordre poétique, la réflexion ne passant pas, mais laissant passer. L’objet du poète est-il de confiner à l’ineffable ? À l’indicible ? Aux cris, aux violentes déchirures des voix ? Aux souffles, aux bruits et murmures des âmes ? Pas forcément. Plutôt à la bouchée bée, au nuage de fumée qui l’hiver se fige dans l’air, un champ pour du non-mot, un espace délimité pour le vide : une présence de l’Absence. Alors quel univers de profusion se déploie sous nos yeux? Quelle musique résonne sur la page ? Celle d’une écriture propre à s’élancer dans les profondeurs musicales des choses lues, dans leurs incessantes métamorphoses et ce qu’elles donnent à entendre. Maulpoix convoque des poètes pour qui le texte, tendu et intemporel, fait bruire la désespérance comme l’espérance : « La plume qui écrit est une espèce de flûte qui apprivoise un peu le monde. Et c’est ainsi seulement que mourir peut être supportable… » (p 102)

       En somme, quiconque se penche sur cette œuvre, se doit de prêter l’oreille pour entendre mais aussi être à l’écoute afin de mieux saisir les vibrations de l’être. Et si poser la question de l’inconnue n’est pas y répondre en totalité, c’est déjà comprendre la complexité que pose l’écriture poétique toute entière. En ce sens Maulpoix propose, sans doute, la plus belle illustration à ses recherches, quand l’essai prend les contours d’une partition, la réflexion poétique appliquant ce qui lie mots et musiques en une Voix étrangère. L’œuvre que propose l’essayiste pose d’emblée un mystère et y répond seulement en partie, à travers l’exemple réinventé de la quête des origines jusqu’au lyrisme explicatif qui en épouse la forme, rappelant avant tout avec force et subtilité qu’ « Il y a de la musique dans le soupir du roseau ; il y a de la musique dans le bouillonnement du ruisseau ; Il y a de la musique en toutes choses ». (Lord Byron). Les écrits de Maulpoix donnent réellement à entendre une parole poétique à la fois dilatée et elliptique, innervée par un ton et une voix unique, lointaine et offerte, une voix qui transforme une lecture en expérience auditive, le point de départ et d’arrivée de l’essai étant une intonation à trouver autant qu’un silence à délivrer. L’espace littéraire de Maulpoix est rempli de cette voix, espace comparable à une chambre d’écho où la littérature s’écouterait, touchant longuement l’oreille interne et l’esprit du lecteur. L’écrivain incarne aussi les multiples voix citées, elles prennent chair en lui, elles retentissent à travers sa main, laquelle devient un instrument de musique à la mélopée entêtante. Et même si la poésie n’est parfois qu’un filet de voix dans le tumulte du monde, il faut saluer ceux qui, comme Maulpoix, entretiennent encore cet invisible foyer de douceur amère, ceux qui suivent en mots « la belle inconnue qui s’éloigne », ceux qui enfin nourrissent toujours ce phrasé énigmatique et fascinant dont le secret échappe mais dont la magie reste.

Sylvie Besson




  1. Truly Madly Deeply d' Anthony Minghella

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A lire, entre autres oeuvres.....


 L’un d’entre nous parfois se tient debout près de la mer.

Il demeure là longtemps, fixant le bleu, immobile et raide comme une église, ne sachant rien de ce qui pèse sur ses épaules et le retient, si frêle, médusé par le large. Il se souvient peut-être de ce qui n’a jamais eu lieu. Il traverse à la nage sa propre vie. Il palpe les contours. Il explore ses lointains. Il laisse en lui se déplier la mer : elle croît à la mesure de son désir, cogne comme un bâton d’aveugle, et le conduit sans hâte là où le ciel a seul le dernier mot, où personne ne peut plus rien dire, où nulle touffe d’herbe, nulle idée ne pousse, où la tête rend un son creux après avoir craché son âme.


Jean-Michel Maulpoix in "Une histoire de bleu" . Poésie / Gallimard


*Retrouvez aussi articles et nouveautés sur le site littéraire de JMM.......et certaines de mes notes de lecture (sourire)*


  1. Le Nouveau recueil      www.lenouveaurecueil.fr/


dimanche 4 août 2013

Kowalski



La Voix des ombres......


Les grands impurs furent chassés de la ville ; quelques-uns étaient soupçonnés 
parce qu'ils n'aimaient point ouvrir la bouche ; il en était même qui n'avaient 
jamais pensé qu'il leur fût nécessaire de dire mot et dont on ignorait la voix ; 



Crime et châtiment de Josef von Sternberg  (merci Florian de cette image doublement empruntée!)

d'autres ne sortaient jamais de chez eux les jours de réjouissance publique ; 
ils étaient objets de scandale ; un plus petit nombre estimait décent de publier des ouvrages que personne n'ouvrait ; ils ne s'en affectaient pas, c'était dans l'ordre, leur attitude soulevait une réprobation universelle. 
Tel fut le sort des grands impurs ; ils partirent avec indifférence ; l'un d'eux seulement parut s'amuser du cours des choses ; il était jeune, un peu naïf encore : l'indifférence n'était cependant pas loin. 

Roger Kowalski, (Extrait de Le Ban, in Poésies complètes)
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 A LIRE.......


lundi 29 juillet 2013

Lionel-Edouard Martin



La Voix ré-enchante......


Ulysse parle


Le regard d'Ulysse d'Angelopoulos



« J’ai dit la mer et je ne l’ai pas épuisée, et j’ai parlé sans que les mots jamais ne caillent sur les lèvres d’autrui, — et jusqu’aux miennes gercées par le sel qui retrouvaient, le temps d’un sourire écorcheur, le plaisir de l’ode mille fois mâchée par la bouche noire de mes compagnons…

Et l’île où j’ai, faisant relâche pour un plein d’eau, figé notre errance, l’île vierge encore de pas humains et sonore du babil seul des bêtes, l’île aussi s’est empreinte de nos phrases, s’est moulée dans le dire des matelots, s’est ouverte aux mots tendus comme des sentes vers la source :

À jamais, les clairières des voix perçant l’inconnu de l’arbre et du fruit, les syllabes arpenteuses traçant le portulan des havres et des brisants, ou lyriques sur le sable interrogeant le galbe des galets, le sens des bois flottés…»

.
Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles, Ibis Rouge Éditions, 2004 
(A retrouver sur le Blog de l'auteur)





Les voix oubliées ravivent la parole.....


"... Que je parle et mes mots se gorgent de la parole de tous ces morts prédécesseurs, elle leur confère une épaisseur insoupçonnée, détermine une chair imperceptible mais bien réelle autour du noyau syllabique. Il est vain de se croire seul dans le langage, même au plus lourd du soliloque : non, vous êtes tous présents, vous qui m’avez prévenu, dont les voix oubliées, refluant du fond de toute mémoire, ont donné forme aux mots, lissant leurs aspérités, comblant leurs vides : telle la goutte rupestre forant le calcaire, le majorant de concrétions. [...]"

Lionel-Edouard Martin,  (in *Brèches*, éd. Encres vives, 2005)




Mamma roma de Pasolini

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Rappel: lire les oeuvres de Lionel-Edouard Martin, découvrir des extraits des poèmes, traductions, extraits de romans sur son blog  :   

  1. Lionel-Édouard Martin

    lionel-edouard-martin.net/
Nombre d'oeuves publiées aux éditions du Vampire actif+++++

Gadenne

 L'enfer,  la voix des autres ????


Nostalghia de Tarkovski



Ainsi l'homme se regarde et prend conscience de ce qu'il est : criminel. Il ne sait plus si c'est le visage d'Abel ou le sien qu'il contemple dans cette eau si dense, si impitoyablement immobile. A moins que ? Il a envie de courir vers l'endroit où il a laissé Abel, de revoir ce jeune front si pur sous ses boucles, - et moi j'ai ce front-là cette  courbe de la joue, cette bouche sinueuse, ce pli au-dessus de la lèvre. Un peu moins jeune. O visage de mon frère qui savait exprimer tant de choses, chaleur fraternelle, chair amie où ma mère prétendait retrouver l'image de son Seigneur. Une odeur le chasse en avant; ce chef-d'oeuvre est en train d'apprendre la corruption, quelque part, derrière une touffe d'hibiscus. Et j'ai fait cela, c'est moi qui. Comme si ce n'était pas assez que cette menace de la mort fût suspendue sur nous, comme si je ne pouvais pas attendre. C'est cela qui m'énervait aussi : toujours entendre parler de la mort, quand nous étions réunis le soir, autour du feu; ils n'avaient plus que ce mot à la bouche, et comment ce sera, et comment ça arrivera, et. Ils ne vivaient plus, depuis qu'ils avaient cette idée dans la tête. Tous ces sacrifices qu'ils faisaient, les rites, les offrandes, c'était pour éloigner la mort, pour prier le Seigneur d'avoir pitié, de les laisser vivre; d'augmenter le plus qu'il pourrait la durée de leurs jours, et au-delà encore. Et dans notre enfance, dès qu'Abel sortait, c'était une comédie : n'allait-il pas se blesser avec ces instruments qu'il avait fallu inventer pour travailler la terre, n'allait-il pas tomber dans un puits, rencontrer une bête, il y avait tant de serpents dans les alentours; depuis quelques temps ils étaient devenus vindicatifs. D'ailleurs la vindicte sortait de partout : voici que les ronces avaient des épines. Je me demande si on s'était posé tant de questions à mon propos. C'est possible, je n'en sais rien; mais c'est un fait que, depuis quelques temps, j'étais bon pour toutes les corvées. C'est drôle de voir grandir un petit d'homme. On n'avait pas peur que je me blesse, moi, que je me foule le pied, qu'un accident raccourcisse ma durée. Mais tout cela n'était rien, ce n'est pas cela qui m'exaspérait tellement, non, c'était de les entendre parler, à voix basse, avec des chuchotements, et ces signes qu'ils avaient inventés pour prier. Cela ne pouvait plus durer. J'ai beau être grand, être fort, plus rien n'est bon avec cette pensée -là : il fallait nous délivrer de la peur, faire un geste. 

Paul Gadenne, La plage de Scheveningen 

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Lire tout Gadenne, et notamment......


mercredi 24 juillet 2013

Mandelstam



La voix comme un Cri.....


Nous ne saisissons que par la voix
Ce qui a laissé là-bas sa griffure, a lutté,
Et nous promenons la mine durcie
À l’endroit que la voix désigne.
Je romps la nuit, ardente craie,
Pour graver les signes de l’instant,
J’échange le bruit contre le chant des flèches,
L’ordre contre le tremblement irascible.

Qui suis-je ? Non l’honnête maçon,
Ni le couvreur, ni le navigateur :
Moi, être au visage double, et l’âme hybride,
Je suis ami de la nuit, initiateur du jour.

Médée de Pasolini


Béni, celui qui a baptisé le silex
Disciple de l’eau courante,
Béni, qui d’une lanière a noué
Le pied des monts à leur solide socle.

Désormais, j’étudie ce journal intime :
Les égratignures du burin de l’été,
Langage de silex et d’air
Aux strates de ténèbres, aux nappes de lumière,
Et je veux enfoncer les doigts
Dans le chemin pierreux issu de l’ancien chant,
Comme une plaie où fondre entre ses lèvres
Le galet avec l’eau, la bague et le fer à cheval.

Ossip Mandelstam, Poèmes.
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A propos de Pasolini, retrouvez *la rabbia* en 3 parties (vidéo).

Partie 1.......





Pasolini's obituary to Marilyn Monroe From TV Film ''La Rabbia" 1963

via YouTube

http://www.dailymotion.com/video/x6txka_rage-1_creation&start=4



Bernanos

 La Voix du Néant ?



Viridiana de Bunuel



 La chaise de M. Ouine grinçait sur les dalles, depuis une minute, par petits coups réguliers. De sa place, le prêtre ne pouvait malheureusement rien voir des traits de l’ancien professeur de langues, mais il entendait son souffle anxieux, coupé parfois d’une espèce de chuchotement incompréhensible. Bien loin de là, presque au pied de la chaire, la figure convulsée du maire de Fenouille sortait brutalement de l’ombre, éclairée en plein par un vitrail de l’abside qui couvrait sa large face de petites taches rondes, bleues ou mauves, toujours dansantes. Un moment, il crut le voir rire et aussitôt la grimace douloureuse de la bouche le détrompa. Il semblait au curé de Fenouille que toute rumeur s’était éteinte, que les paroles qu’il allait dire tomberaient l’une après l’autre, vaines et noires, dans ce silence béant. 

Bernanos, Monsieur Ouine
----------------------------------------------------------------------------------------------Site consacré à l'écrivain (publications/Nouveautés)




http://www.georgesbernanos.fr/#/actualite/3471460

vendredi 12 juillet 2013

Article/besson


La Voix plurielle d'Orphée....

Par Sylvie Besson


    Les pensées d'Orphée sont  toujours ses pensées elles-mêmes, plus l' individualité autre du poète, ce qui donne un résultat tellement complexe qu’il semble impossible de le décomposer en facteurs, l’aspect  le plus voyant de l’inspiration se déployant dans des révélations, la voix demeurant celle qui concerne l’écrivain et la mort,  ou ce qui est le commencement de la mort . C’est au-dessus de cette mort et dans la Nuit qu’un poète marche, c’est pour cet exercice de funambule qu’on traite son art d’arlequinades sans en saisir l’inquiétante posture,essayant de limiter exactement le profil d’une idée, de cerner des fantômes, de trouver les contours du vide. Par conséquent, tout poète ouvre une brèche sur ce qui l’effraie, le hante ou ne le regarde pas dans l’immédiat ; la conscience s'égare parmi les choses de la mort, et devient elle-même une présence presque palpable. Elle tend encore à une certaine finalité, mais elle la réalise dans l’épaisseur d’un esprit où le poète éprouve des difficultés à se reconnaître, étranger à lui-même et à l’autre. C’est là le rêve angoissant de la conscience tragique, elle veut sortir d’elle-même, et elle n’en peut sortir qu’en se rendant visible et soumise parfois à des « enfantillages, l'envers invisible de la beauté en impose aux personnes qui ne distinguent que l’endroit . C’est ainsi que les oeuvres sont nées d’un besoin indéterminé de s’exprimer, du besoin indéterminé de donner corps à leurs propres démons informes et irrésolus, et de faciliter en même temps la floraison desdites pensées et frémissements en établissant des points de référence concrets, c’est-à-dire des bases pour la méditation et le songe  que seule une  Voix originelle peut donner .

    Cette dédramatisation souligne le caractère obsessionnel d’une « Présence » que le poète épouse, par crainte qu’elle ne sorte de lui-même pour l’enfermer à clef . Le poète devient le gardien de ses propres désirs, semblable aux  « veilleurs d’âme » qui hantent son œuvre, il se doit de maîtriser le temps de son repos afin d’approcher ou de rencontrer la mort. Il faut enfermer en soi le spectre de la mort, hypnos et thanatos, fils de la nuit et frère du sommeil,  saisir les enjeux du temps suspendu qui masquent l’essentiel de ce qu’il faut voir. Si le sommeil de la raison engendre des rêves macabres, l’imagination féconde et rigoureuse ne perd en rien de son pouvoir. L’enchaînement de figures inquiétantes, né autant de l'éveil que du sommeil, confère à l’esprit créateur, l’apparence d’une spirale, sans début ni fin, éternellement décentrée, instable et vertigineuse .
     Cette vision en spirale du poète traduit dans l’espace l’éloignement de toute identité et la présence absolue de la Mort. Le poème devient le lieu scénique mortifère dès lors que le poète entre en état d’hypnose ou d'extase. Ainsi, la Voix impose une présence  insolite ; l’artiste la suit au rythme du rêve, et le retour au réel ne peut se faire que dans la souffrance et l’impuissance .Le poète  tente de vaincre les malices de ce faux rêve afin d’accéder à un état de plénitude , mais son aspiration l’entraîne toujours à suivre les détours qu’empreinte une Voix, métissée d’éternité, d’enchantement et d’humanité troublante. L’œuvre continue de se dérouler comme une spirale ; toujours le poète revient sur ses pas, toujours la voix lui fait traverser les mêmes lieux et le frôlement de la mort se fait entendre à chaque nouvelle apparition. Le poète craint de perdre ce fil ténu avec cette présence qu’il ne peut voir , seul celui qui veille sur lui-même, parvient à mettre en œuvre le rêve d'un  possible chant. L’écriture recrée l'expérience mortifère en un rêve spéculaire. Reste que cette retranscription dit surtout l’inaptitude à tout restituer de cette rencontre avec le monde. Même dans le sommeil du veilleur, la mort garde son énigmatique pouvoir.


Peter Ibbetson d'Henry Hathaway

    La Voix originelle permet davantage de faire revivre des résidus du passé ou plus exactement des univers dépassés, et offre, en une sorte de futur antérieur, la réalisation d’une fantaisie surprenante, une fantaisie qui s’enracine, non pas ailleurs, mais dans les traces d’un passé auquel le poète ne croit plus et qu’il continue d’animer de son art, par habitude, par désir de reconnaissance des lieux, c’est-à-dire de son existence. La mort est alors rendue à son secret ; le poète n’a plus qu’à combattre ses angoisses par une conscience lucide, en une quête d’invisibilité, là où le sommeil et la mort seraient une élévation dans un monde sans regard.  Surgit, dans ces instants de peur plus ou moins inavouée, d’efforts pour canaliser une énergie destructrice, l’exutoire qu’est le Verbe. Ainsi  peut-on lire ce style devenu chair, la voix devenue corps du poème. La voix d'Orphée est sous l’emprise d’un astre nocturne qui fait d'elle la plus infortunée, mais aussi astre étoilé d’accession aux choses les plus secrètes et les plus concrètes, à force d'attachement au réel. L’emprise invisible des angles de mort et des formes de la nuit, hybrides ou non, charge le poète de doutes, de lassitudes, de tentations suicidaires tout en garantissant une liberté d’images foisonnantes. Le passage concret et l’informe cheminement se font  instruments de sa création. Les sentiments sont  les objets de son chant, l’art poétique ne conçoit ni immensité, ni petitesse de création, mais réside dans cette bascule entre le visible et l’Invisible, dans ce lieu très présent et profondément  protéiforme d’un ailleurs effleuré dans ce monde-ci, à même la terre!

       Voilà pourquoi chaque expression, même la plus anodine, prend chez le poète un accent, un mouvement de vérité, voilà pourquoi aux termes techniques de l’autobiographie, le poète préfère toujours le mot métaphorique ou le calembour hautain, tendu vers les nuances plus précises de ses obsessions ou de son imaginaire. Le livre poétique par cette écriture du dedans, semble donc être consubstantiel à son auteur, c’est-à-dire né de ses angoisses du passé et destiné à n’être jamais achevé tant l’artiste croit à l’infini des rencontres et des sensations, aux possibles que lui offrent la terre et le ciel. La confession se transforme en un chassé-croisé entre le « connu » et « l’émotion ». Nous assistons, de cette manière, à l’élaboration tenue secrète d’une espèce de livre en mouvement, à l’image paradoxale du flux et reflux de la mer et de ses miroirs, de la voix et de sa musique.

   En effet,  rarement le poète est dans la fougue de qui s’est laissé emporter par ses souffrances, mais bien plus dans la position de celui qui marche en arrière, submergé par une inspiration venue d’ailleurs et d'ici. Le rôle de scribe semble fait pour celui qui, sans s’écarter des mondes invisibles, les absorbe ou se réfugie derrière le pouvoir visible du réel qui lui « dicte » ses écrits. Ainsi l’invisibilité n’est pas qu’une fantaisie de l’imaginaire, elle naîtrait outre la volonté du poète qui en expire plus ou moins adroitement des images précieuses et énigmatiques. En fait, la conscience se déclare étrangère à toute forme de désir. Il s’agit là sans doute de l’exemple le plus intéressant de ses oeuvres, dans ce costume du scribe si légèrement porté qu’il en devient transparent et qu’on finit par voir bouger en dessous l’homme en quête de lui-même et de l’enracinement de son lyrisme. Et si cette sorte de fidélité au masque ludique constitue les plus fortes limites du visage poétique, il lui procure une aisance de mouvement et une facilité d’approfondissement que ne lui aurait pas permis la ligne trop visible de l’autobiographie traditionnelle ou de l’inspiration canonique.
    Ce faisant, le rythme de sa pensée n’est-elle pas tout entière dans ce passage entre le sommeil équivoque du dormeur et le vivace réveil de la consciene, laquelle après avoir jeté son éclair de lumière fai, ou non,t retomber le poète de nouveau dans la pesanteur du monde ?
    Cette conception particulière de la poésie  prisonnière de son intériorité constitue un pilier des schèmes de l’invisibilité, dans cette réalité autre que supporte la conscience du poète. Ses autoportraits dessinés, tête penchée et légèrement posée sur la main, face allongée et songeuse, plume en l’air, feuille vierge de toute écriture, désordre des mots qui encerclent l’esprit, contribuent à dessiner l’imagerie du poète inactif, fixant un lointain invisible, le regard lui faisant parfois défaut, sans le moindre espoir de seconde vue. Visiblement, le poète dit sa mélancolie, sous les signes indéchiffrables de l’Obscur.
      Mais toutes les réalités recommencent grâce à la voix d' Orphée, le poète glisse habilement de Saturne à la Lune, les astres de la Nuit cherchant un rai de lumière qui rendrait son costume bien plus lumineux.

Sylvie Besson
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