vendredi 25 octobre 2013

Junger/Hoderlin


 Là-bas, le vapeur de midi gagnait maintenant vers l'île de Lesina ; il paraissait à peine plus grand que le bateau qui passa, portant Ulysse enchaîné, devant le rivage des sirènes. Le merveilleux, notre intimité avec lui est à ce point profonde qu'il n'éveille en nous nul étonnement. La joie singulière, que ses images nous réservent, vient d'une présence où nous voyons confirmée la réalité de nos rêves. Comment Hölderlin, loin des parages où s'ébattent les dauphins, eût-il sinon reconnu, dans sa plus secrète signification, l'impérissable beauté du monde des îles ?

Ernst Junger, Le jeu de perles de verre




L'éternité et un jour d'Angelopoulos





Père Archipel ! me voici près de toi saluant ton repos !
Car tu vis, ô Puissant ! et toujours sans vieillir tu reposes dans l'ombre
De tes monts, comme alors, et toujours étreignant de tes bras de jeune homme
La terre que tes vagues entourent, le pays ravissant de tes filles.
Pas une île perdue ! Oh, pas une des fleurs de tes eaux n'est perdue !
Crète est debout et Salamine a reverdi, et, sous la lueur des lauriers
Ornée d'une auréole de rayons, à l'heure où s'enflamme l'aurore,
Délos élève son front inspiré ! Et Ténos et Chios
Regorgent de fruits empourprés, et, du haut de ses collines ivres,
La boisson de Cypros ruisselle, et, sur les pentes de Kalauria
Comme alors, les ruisseaux argentés gagnent l'onde ancestrale du Père !
Toutes sont là, les îles, les mères immortelles des Héros.
Les printemps successifs voient leurs fleurs ; mais au temps où du fond de l'abîme
La flamme de la nuit, l'ouragan souterrain déchaînant sa fureur,
Saisissait tout à coup l'une d'elles et jetait dans ton sein la mourante,
Tu restais patient et divin, car ta face impassible aura vu
Plus d'un monde apparaître et sombrer sur les gouffres remplis de ténèbres.

L'Archipel d'Hölderlin 
in Poèmes isolés, trad. par Jean Tardieu, Philippe Jaccottet




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A relire....







vendredi 18 octobre 2013

Calaferte


L'étoilement des îles.....



Îles!
nous relirons les pages oubliées que vous fîtes écrire en
lettres d'océan par des sages à barbes
et nous les apprendrons aux jeunes voyageurs
lorsque les mers échues dicteront nos naufrages

Calaferte, Rag-Time





Still Life de Zhang Khe



J'aime les arbres bleus
j'aime les âmes blanches
les têtes qui se penchent
noyées dans les cheveux

Un et un qui font deux
les matins des dimanches
les demoiselles blanches
avec des rubans bleus

La morsure du feu
à l'écorce des branches
le ciel de nos nuits blanches
et la mort peu à peu

J'aime le vert brumeux de ses yeux à piment

Calaferte,  Poèmes ébouillantés 

        
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Iles

Halte
voici les rives étrangères 
Drapé dolent d'amples tentures
pays vêtu de noirs lauriers
voici l'ardeur de l'héliotrope
la voici sise au sein du jour assemblé sur ses baïonnettes
pays savant à toute école
pays pays d'impertinences inféodé à la lumière 
halte !
voici la grasse olive
l'écaille close du poisson
pays de la lanterne sourde
et gaine
flot
de ta morsure
le pavois de ce minaret
pays pays comme l'arène
bouté dans la lucide instance et tous les sangs à le nourrir
et tous les sangs à l'engraisser
voici les spasmes des concerts
cavaliers agressant la berge ivres morts dans le midi vrai
pays pays d'argile bleue
souple articulation du songe
voici nocturnes les synodes des vanilles exacerbées
voici les épouses lunaires
pays de la délectation immense
et me voici
grand page
à conduire tes rois

Calaferte, Rag-Time


A lire et relire..........


dimanche 13 octobre 2013

Faulkner

L'Homme, îlot  perdu dans l'Océan....



 Il se tenait là, simplement, au milieu d’on ne sait quelle suprême distillation du jour impitoyable, éblouissant, quasi tropical, ne sachant plus s’il clignait des yeux ou non, au milieu d’une implacable infiltration que les murs mêmes ne pouvaient arrêter, et qui venait de l’atmosphère qui l’entourait, relents de poisson et de café, de sucre et de fruits, de chanvre et de marécage...

 Faulkner, Pylône


  • Elle serait là - (l'éternelle odeur de café, de sucre, de chanvre s'égouttant lentement sur des plaques de fer au-dessus des plis lourds de l'eau brune, et, là-bas, là-bas, là-bas, tout le bleu suprême de l'espace et de l'horizon ; la pluie chaude à pleins canivaux charriant les têtes des crevettes mangées ; les dix mille inéluctables matins où dis mille plantes épiphytes ponctuent de leurs oscillations les efflorescences ramollies et scrofuleuses de la brique suintante, et les dix mille paires de pieds léonoriens, plats, bruns et mercenaires, tigrés de rayures par suite d'un armistice entre les jalousies et l'invincible soleil : le café noir et faible, la myriade de poissons mijotés dans un océan d'huile) - elle serait là demain et demain et demain ; non seulement ne pas espèrer, pas même attendre : seulement souffrir. 


     Faulkner, Pylône



    Valse avec Bachir d' Ari Folman 








    Faulkner, Lumière d'août

      Il lui semblait qu’un jour serait suivi d’un autre jour, plein de fuite et de hâte, sans nuit entre eux, sans intervalle pour se reposer, comme si le soleil, au lieu de se coucher, s’étant retourné dans le ciel, revenait en arrière sans avoir touché l’horizon. 

    A lire donc, absolument....

Jabès

Je est une Ile.....



Nomade ou marin, toujours, entre l’étranger et l’étranger, il y a – mer ou désert – un espace délinéé par le vertige auquel l’un et l’autre succombent.
Voyage dans le voyage.
Errance dans l’errance.
L’homme est, d’abord, dans l’homme, comme le noyau dans le fruit, ou le grain de sel dans
l’océan.
Et, pourtant, il est le fruit. Et, pourtant, il est la mer.

Edmond Jabès,  Un étranger avec, sous le bras



 Mes arbres sont le flamboyant et le dattier, ma fleur, le jasmin. Mon fleuve fut le Nil bleu ; mes déserts le sable et le silex d'Afrique. Avais-je le droit de les considérer miens parce qu'ils étaient entrés en moi par la pupille et par le cœur et parce que ma bouche le proclamait ....


           Edmond Jabès , Le Livre des Questions, III, Le Retour au livre.





Mud sur les rives du Mississipi de Jeff Nichols



Qui dirait encore, de cette île, qu'elle est une île et de ce " il " qu'il est une pensée ? 

Qui dirait, ne ressassant que cela, qu' " il " et " île " sont une seule pensée au sein du vide où elle persiste ; tantôt figée dans son désir - mais c'est l'espace qui, autour d'elle, s'anime - ; tantôt ivre d'errance - mais dans un univers immobile. 

Ce qui demeure fuit. Et à aucun moment ne refuse : ni l'attente, ni l'aventure ; 

ni d'être double, 

ni d'être solitude du double 

et multitude de solitudes. 

 Disant davantage - ne se livrant pas. Une pensée à ce point partagée qu'au plus frêle de sa précarité, elle cesse d'être double.

 Ne disant rien que sa négation. 

(...) Cette blancheur d'un autre soi-même, plus blanche encore où elle s'écrit.

 Mots extrêmes.

 L'espace ah ! l'espace infranchissable.

 Qui dirait, aveugle et, aussi, émerveillé, la séparation alors qu'elle est univers préservé dans sa plénitude ?

 (...) Là où la douleur est seule et l'amour, ses propres ailes brûlées. 

Disant l'immémoriale attente ; en vain la perpétuant où il n'y a plus de cris qu'intérieurs.

  Et puis cette " île " au plus lointain de l'exil où l'onde n'est qu'ample rumeur indocile ; que mots ivres, sans objet, se heurtant à leurs lettres défuntes. 

Poussières de sel. 

D'autres déserts sont en vue. 

 Ronde est la terre à force de tourner sur elle-même.

 Le vide qui l'a modelée, la voulant ainsi.

 La rondeur est fruit de la patience. 

Toutes les traces cédant la courbe. 

Bel arc-en-ciel ! 

 Serons-nous toujours ce bond et cette chute où le nom s'ouvre au nom qui l'habite ; où la couleur s'ouvre à la couleur et se consume ?

 Le vide après l'incendie. 

 Et puis cette errance toujours reconduite.

 Et ce besoin urgent, pathétique d'en finir. 

(...) 

 Feinte liberté ! L'errant, dans sa dépendance à la route, ne témoigne que de ses chaînes. 

De cette solitude qui parle à soi-même pour rejoindre la solitude de l'autre,

 la parole est le pas et l'ancre. 

Un moment de distraction aura suffit à noyer les cinq continents.

 La mer est sans remords.

 Le dilemme et l'épi.

 Le champ n'est jamais que sol meurtri d'une innombrable naissance. 

Un voyage, vous dis-je, un éternel voyage dans l'inconnu et dans la mort.

 L'âme est plus vaste que le monde. 

Nous sommes cette déchirure. 



Edmond Jabès, Poésies complètes.

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Conseil de lecture....


lundi 30 septembre 2013

Lionel-Edouard Martin


L'encre des îles....


Froufrou des voiles, toiles légèrement empesées : un sillage épicé de cannelle et de vanille, d’embruns de sueur au creux d’aisselles (foule des passantes, houle d’hippocampes à caracos multicolores) excite un désir à l’apparence de brise, un remous presque charnel à la cime des palmiers.
Palmeraie, cathédrale à l’envol, les ailes des colonnes s’appuient sur le ciel à gestes mesurés. Mais nul arrachement ne vient conclure la période éternelle, qu’un battement de virgules, ponctuation souple des heures.
Palmes en désir d’envol, de rupture. Pourtant nul souffle en proue de mer la brise est morte : à peine ma parole au bord de ce poème anime une infime étoile, émeut le feu de ma chandelle.


The Phantom Light de Michael Powell

Table en terrasse, gréée de blanc : mes mots pénètrent la vigie d’un délire insulaire, ma bougie voit des îles au milieu de ma voix, s’agite à cris muets. Que je dise palme et l’archipel
Attise une flamme enthousiaste, un pareil désir d’envol et de rupture, au sommet de mon navire.
Où palpite la palme, le ciel cesse, et tous les morts – même bleu, le ciel est un lieu plein de morts. Est-ce ma parole, mon chuchotis mal perceptible à la tombée du soir et à l’orée du poème, qui prête au cœur-palmier ce mouvement binaire ? J’ai bonnement dit palme et la vie tout là-haut soudain s’est mise à battre ; que je lève les yeux, j’y puiserai ce qu’il me faut de sang pour dessiner un arbre au fond de mes prunelles.

Lionel-Édouard Martin, extrait de Litanie des bulles, Soc et Foc, 2010


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Dernier roman  ....
  1. NATIVITÉ CINQUANTE ET QUELQUES de Lionel-Édouard Martin, à ...

    vampinteractif.canalblog.com › Messages septembre 2013
    15 sept. 2013 - LE VAMPIRE INTER'ACTIF, le blog d'actualités de la maison d'édition Le ... NATIVITÉ CINQUANTE ET QUELQUES de Lionel-Édouard Martin...

dimanche 29 septembre 2013

Jacob


Une Ile, au-dessus de la terre ?



Envolez-moi au-dessus des chandelles noires de la terre,  

au-dessus des cornes venimeuses de la terre.  

II n'y a de paix qu'au-dessus des serpents de la terre,  

La terre est une grande bouche souillée,  

ses hoquets, ses rires à gorge déployée,  

sa toux, son haleine, ses ronflements quand elle dort  

me triturent l'âme. Attirez-moi dehors !  

Secouez-moi ! empoignez-moi, et toi terre chasse-moi.  

Surnaturel, je me cramponne à ton drapeau de soie  

que le grand vent me coule dans tes plis qui ondoient.  



Brazil de Terry Gilliam


Je craque de discordes militaires avec moi-même,  

je me suis comme une poulie, une voiture de dilemmes  

et je ne pourrai dormir que dans vos évidences.  

Je vous envie, phénix, faisan doré, condors...  

Donnez-moi une couverture volante qui me porte  

au-dessus du tonnerre, dehors au cristal de vos portes. 

Max Jacob, La Terre.
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Dossier Max Jacob composé par Tristan Hordé
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/11/max_jacob.html
  1. Max Jacob - Poezibao

    poezibao.typepad.com/poezibao/2006/11/max_jacob.html
    24 nov. 2006 - Dossier Max Jacob (dossier composé par Tristan Hordé) 1. Ce qu'ils en ont dit (Leiris, Cadou, Apollinaire, etc. 2. Biographie et bibliographie 3.

jeudi 26 septembre 2013

Dhainault





Quand les mots sont une Ile....


Partout l'air nous appelle, de l'horizon  

aussi bien que de la poitrine. L'avons-nous vivifié  

à notre tour, lui apportant une forme lucide  

avec des mots comme parmi les arbres ?  

Seraient-ils nus et noirs, isolés en hiver,  

pour eux le jardin sans clôture, l'océan proche,  

la marée haute, ils font mieux que s'ouvrir,  

ils livrent un passage. Ces lèvres minces, durcies,  

après tant de refus, que craignons-nous de perdre ?  

Plutôt murmurer, plutôt balbutier :  

quelques syllabes prononcées lorsque nous avançons,  

les mots justes, généreux, se découvrent d'eux-mêmes,  

ils n'ont pas à parler de nous, ils ne demandent pas  

qui habite le seuil.



PIERRE DHAINAUT, Fragments et louanges








  1. La Coquille et le Clergyman ,moyen métrage  réalisé par Germaine Dulac d'après un scénario d'Antonin Artaud

Quand je parle des vagues ou des branches, il est certain que je parle de moi : parlant de moi, je voudrais parler des vagues ou des branches. 
Ce ne sont pas nos bras que pressent nos bras, ce ne sont pas nos mots que nos mots font entendre : le soleil lui-même, de qui est-il la lumière ?

Le Don du souffle, Pierre Dhainaut.
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A lire, de nombreux poèmes de cet auteur sur le site suivant:
  1. Pierre Dhainaut « en la complicité des souffles » - La pierre et le sel

    pierresel.typepad.fr/...pierre.../pierre-dhainaut-en-la-complicité-des-souff...
    18 oct. 2012 - Actualité et histoire de la poésie ... Pierre Dhainaut « en la complicité des souffles ». C'est face ... Pierre Dhainaut, Marché de la poésie 201206 ...
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Pour les cinéphiles...





"Tout mon effort a été de rechercher dans l’action du scénario d’Antonin Artaud les points harmoniques, et de les relier entre eux par des rythmes étudiés et composés. Tel par exemple le début du film où chaque expression, chaque mouvement du clergyman sont mesurés selon le rythme des verres qui se brisent ; tel aussi la série des portes qui s’ouvrent et se referment, et aussi le nombre des images ordonnant le sens de ces portes qui se confondent en battements contrariés dans une mesure de 1 à 8.
Il existe deux sortes de rythmes. Le rythme de l’image, et le rythme des images, c’est-à-dire qu’un geste doit avoir une longueur correspondant à la valeur harmonique de l’expression et dépendant du rythme qui précède ou qui suit : rythme dans l’image. Puis rythme des images : accord de plusieurs harmonies. Je puis dire que pas une image du Clergyman n’a été livrée au hasard."  (Rythme et technique, FilmLiga, 1928.) 
 Germaine Dulac