L'ombre du miroir...
Extrait d’un acte de colloque sur Reverdy.
Sylvie Besson.
Le Montreur d'Ombres d'Artur Robison (Merci à Florian Poinot pour cette image!) |
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L’ombre du miroir chez Reverdy ou la structure
orphique des œuvres
par Sylvie Besson.
L’ombre orphique de Reverdy n’est pas que
ténèbres, cette ombre peut exalter l’Invisible et garantir une présence
lumineuse au monde. En ce sens l’ombre que génère le miroir est métaphore d’une
protection, et il est alors plus facile pour le poète d’identifier son reflet
que son ombre. Il s’agit de connaître la valeur de toute chose créée par ces
jeux du miroir, lesquels permettent de regarder la lumière en face.
Lumière
et ombre miroitantes ne sont donc pas les symboles d’une vérité surnaturelle,
mais toujours et encore les manifestations d’une appréhension d’un monde à
restituer. Le caractère intensément dramatique traduit l’inquiétude d’un regard
sur l’énigme du réel. Il faut pour le poète scruter ses ombres et les ombres
des miroirs pour y trouver une possible forme. Seule la lutte entre ces opposés
-miroir et son envers plus obscur- suscite la beauté du monde, le vers est
ainsi le champ d’une rencontre, mais il est aussi l’agent d’un dépassement. Reverdy s’enchante seulement des jeux de miroirs
lorsqu’il peut percevoir autre chose que lui-même, une ombre au-delà de lui,
comme la brume d’une silhouette, la fluidité vaporeuse d’un décor, la naissance
d’un univers sensible. L’ombre du poète, comme envers du miroir, rend visible
un monde qui serait totalement noyé par la clarté. Sans l’ombre, la moitié du
monde resterait invisible alors que le poète cherche à révéler ce non-visible par l’acuité de sa
sensibilité à voir le réel autrement que par ce qu’il affiche. Cette
perception correspond à la forme poétique qui ombre le plein jour de
la langue quotidienne. Il ne faut surtout pas se laisser tromper par les
images miroitantes du monde reverdien qui sont autant de leurres puisque
l’étendue infinie de l’univers est à explorer. L’ombre abolit la sécurité qu’a
l’homme des choses perçues, le mystère demeure certes dans des endroits obscurs, mais
l’effort que fait le poète pour plonger dans l’ombre des miroirs, le tire d’un
sommeil profond : celui de l’aveuglement au réel. Saisir directement un objet
ou une image borne cet objet ou cette image en une seule et même chose. Seuls
les vers, se répandant comme de l’encre hors du poète, appartiennent au monde des ombres, éclairant à la fois la vérité du monde et l’acte créateur :
Il
y a là une ombre qui tremble
Le
soir est à la vitre et baigne la maison
Je
suis seul
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Portrait de femme de Campion |
Et
le temps d’attendre
A
noué l’heure et la saison
Plus rien ne me sépare à présent de la vie
Je ne veux plus dormir
Le rêve est sans valeur
Je ne veux plus savoir ce qui se passe
Ni savoir si je pense
Ni savoir qui je suis
(La Cloche Cœur)
La musicalité des vers voisine
avec des images inédites, comme si la traversée des apparences donnait lieu à
de vigoureuses créations, le regard est essentiel à la recomposition d’un
visible assez insignifiant :
images confuses, emmêlées, bouts de
verre ombrés, vacuité des sensations, étrangetés du réel. En effet, le regard à l’abri de
la lumière prête vie à des éléments flamboyants et atemporels, comme une
inflexion sonore et visuelle sur fond de silence. La fragmentation du réel se
construit sur des synesthésies susceptibles de dissiper tout malentendu
poétique. Il existe grâce à ces jeux de
clair-obscur une substance, une chair du langage que l’on peut manipuler pour
qu’elle advienne autre chose. L’univers est moins déréalisé que rendu à sa
propre hallucination, creuset d’une apothéose en devenir. Toutes les images
associées au jeu d’’ombres sont
dans un rapport de déplacement, mais la largeur du spectre chromatique de
Reverdy confirme l’idée d’un langage-matière qui s’oppose au réel pré-fabriqué,
l’ombre est un moyen sensible et suffisamment visible pour exprimer le monde
obscur que le poète porte en lui comme celui qu’il redécouvre à l’extérieur de
lui-même. Bien que ventilées dans le champ du poème, les images enténébrées, ombre et lumière à la fois, confèrent une unité organique aux choses, assurant
l’adéquation d’une structure entre signifiant et signifié, unité préfigurant,
sans doute, une modernité poétique. Comme une force explosive, le réel adopte
une nouvelle attitude poétique, impliquant un refus de tout univers figé et
pétrifiant. Le poète se voit en train de voir, ce réel remonte jusqu’à lui comme une mémoire en déshérence, en effet, il est question de monter toujours plus
loin, pour se perdre dans la lumière, et retrouver, s’il se peut, une part de la
beauté sacrée des origines et du
silence :
Le soir couchant ferme une
porte
Nous sommes au bord du
chemin
Dans l’ombre
Près du ruisseau où tout
se tient
Si c’est encore une
lumière
La ligne part à l’infini
L’eau monte comme une
poussière
Le silence ferme la nuit
(Sur le talus)
Tout ce qui est
vécu, paraît ici l’unique moyen d’oublier l’enfermement du monde en transfigurant le terrible ennui de la terre
en une rencontre spirituelle.
Le poète désire vivre ce
monde qui l’a exclu, dans des résonances obscures et infinies, il trouve une résolution dans le dépouillement,
dans des figures de l’absence et de la mort qui sont le passage nécessaire au
dévoilement de l’Invisible. Ne peut-on pas y lire les désignations
métaphoriques de l’espace littéraire, comme les jalons d’une scène d’écriture
où se joue le drame ontologique ? Le poète répond à son interrogation sur
le réel, en un néant sonore et référentiel, l’épreuve lexicale permet de
franchir l’infranchissable et de découvrir l’alchimie du monde. L’obscurité
procure une ouverture sur l’infini. Il faut une transposition du positif en
négatif, une forme poétique renouvelée, il s'agit de donner une dimension nouvelle, comparable à une fascination pour l’Inconnu alors que le Poète dit le monde en lui-même :
On
ne m’a rien donné
Tout est dépensé
Un pan de décor qui
s’écroule
Dans la nuit
( la Lucarne ovale )
Reverdy rejoint Bachelard qui montre
que le poète, loin de prendre ses distances avec la réalité, l’ausculte grâce à
l’ombre dans ses structures profondes. S’il existe un invisible qui rend la nuit habitable, l’inspiration appartient à cette nuit du marcheur. Il faut
explorer un lieu où la mort et l’oubli ont leur place, et l’ombre toujours fuit
et toujours précède :
La porte qui ne s’ouvre
pas
La main qui passe
Au loin un verre qui se
casse
La lampe fume
Les étincelles qui
s’allument
Le ciel est plus noir
Sur les toits
Quelques animaux
Sans leur ombre
Un regard
Une tache sombre
La maison où l’on n’entre
pas
(Nomade)
Ce qui se révèle ne se livre pas forcément à la vue, mais se réfugie
dans une invisibilité qui est une autre manière de se laisser voir, la
révélation d’un tout disparu. L’ombre poétique est bien le substitut du
reflet, c’est ce qui de l’objet, n’est pas susceptible de se donner en pleine
lumière. L’objet meurt au visible tandis que l’ombre le fait resurgir dans une autre
dimension :
Les numéros qui sont dans
ma tête commencent à tourner
Et l’allée s’allonge
L’ombre du mur d’en face s’allonge
Jusqu’au plafond
On entend venir quelqu’un
qui ne se montre pas
On entend parler
On entend rire et on entend pleurer
Une ombre passe
Les mots qu’on dit
derrière le volet sont une menace.
(La
Lucarne ovale )
En cela, l’ombre reverdienne se livre
dans son incomplétude, par cette lumière zébrée, frémissante, mouvante dont elle ravive la blessure. La
descente des œuvres, dans leur structure spéculaire, prend sens
dans cette perception orphique de l’ombre qui rappelle un réel oublié mais d’où résulte une possible renaissance.
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Charulata de S Ray. |
Sylvie Besson