dimanche 19 octobre 2014

Manyach


Visages "sans Ages".....

Dans les Âges successifs du sol
Dans les racines de son Double
Dans l’incendie des mondes
propagé sur la terre...
Sur l’abîme d’un visage
comme une lance plantée dans l’ombre
Sur les sables enfermant un corps
respirant dans les fonds...
... Puis ces comètes éteintes
dans le château solaire
La neige carbonique recouvrant
des villes flottantes

Les Damnés de Visconti

leurs mains fouillant les décombres.

2
L’Heure teintait au nadir des vies antérieures...
Elle apparut dans l’ovale fenêtre
à travers les rayons d’or
Libérant le noir désir de l’orage en toi.
Comment peux-tu murmurer ainsi son nom :
Celle qui se dénude dans tes membres ?
... Oh n’entrez pas dans le royaume
avant que la terre nous recouvre !
Et que les climats se dissipent à l’avant du navire
comme la voile des abysses...
3
Dans la géométrie de la pensée
Sous la pierre tombale
Dans la forêt des limbes
Dans la lumière
JUSQU’À L’ENSOLEILLADE...

J’habite la déchirure des régions disparues
les drailles et les frontières
le fleuve tumultueux
les cendres encore tièdes...
La Vie reviendra t’elle ?
Je gis, au milieu du Temps, dans son devenir...

Didier Manyach, L'Ensoleillade.
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Extrait de Piraterie, Migration et Merveille de Grâce....A commander encore et encore..La suite, bientôt....



  1. Didier Manyach - Editions K'A

    www.editionska.com › LivresParaules
    11 nov. 2013 - ISBN 979-1-914355-05-5 prix de vente 15€ Migration Piraterie et merveille de grâce regroupe les receuils suivants : REMONTÉS DES FONDS ...



mercredi 15 octobre 2014

Beckett



Un monde sans visage...

Que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions
où être ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’élève
sur la poussière de ses lests




Les Hautes Herbes de Mathieu Gérault

que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
à errer et à virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermées avec moi


Samuel Beckett, extrait de Dieppe
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A redécouvrir, les correspondances....




  1. "Cette vie est terrible": Beckett par lui-même - 21 mai 2014 ...

    bibliobs.nouvelobs.com › BibliobsDocuments
    21 mai 2014 - Actualité > Bibliobs > Documents > "Cette vie est terrible": Beckett




dimanche 21 septembre 2014

Michaux




Le masque du vide ou l'envers du décor 


Le Narcisse noir de Michael Powell



Souvent réapparaissent, dans le retrait de moi-même, les masques du vide.
Les masques que prend le vide ne sont pas pleins.
Ce ne lui est pas nécessaire.

Quelques traits infimes veillent à le masquer; y suffisent.
Assurément, il est là, on

l'oublierait presque......Ces masques vont

ordinairement par deux et s'impriment, frêles mais durs, dans le disque achevé de l'univers.

On pourrait croire à des gestes, à l'algèbre de gestes arrêtés dans un cataclysme pompéien.
Mais aucune trace de cataclysme.
Au contraire une étrange immobilité, et partout dans le
Spectre même de la puissance, la succion effroyable du
Vide.

Il y a aussi les déserts du matin, jonchés d'animaux morts...


 Henri Michaux, Épreuves, Exorcismes
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Approche incontournable:

  1. Les chemins de traverse d'Henri Michaux

    www.maulpoix.net/traverse.html
    Fragments de Jean-Michel Maulpoix sur Henri Michaux. ... Sous le masque de l'adulte important, il discerne le visage du nouveau-né, ses yeux glauques qui n'y 

vendredi 29 août 2014

Daumal


  1. Le visage de l'autre est un frisson....




    Paris Texas de Wenders


     " La peau du fantôme "

    Je traîne mon espoir avec un sac de clous,
    je traîne mon espoir étranglé à tes pieds,
    toi qui n'es pas encore,
    et moi qui ne suis plus.

    Je traîne un sac de clous sur la grève de feu
    en chantant tous les noms que je te donnerai
    et ceux que je n'ai plus....
    Dans la barque, elle pourrit, la loque
    où ma vie palpitait jadis;
    toutes les planches furent clouées,
    il est pourri sur sa paillasse
    avec ses yeux qui ne pouvaient te voir,
    ses oreilles sourdes à ta voix,
    sa peau trop lourde pour te sentir
    quand tu le frôlais,
    quand tu passais en vent de maladie.

    Et maintenant j'ai dépouillé la pourriture,
    et tout blanc je viens en toi,
    ma peau nouvelle de fantôme
    frissonne déjà dans ton air.

    Daumal
     (Merci à Patricia Suescum pour la découverte de ce poème)
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    A (re)découvrir)

    La Bleue


    René Daumal

    Tu t'es toujours trompé



lundi 25 août 2014

Ancet



La bouche noire des visages....



c’est là devant on regarde
la pièce vide le jour
arrêté sur la fenêtre
dans les yeux on voit venir
ce qu’on a jamais pu croire
on bat des cils on va dire
mais comment dire on se tait



Johnny Got His Gun de Dalton Trumbo



on attend on n’entend rien
on voit passer la lumière
plus loin là où les visages
brillent des morceaux de neige
restent suspendus aux branches
goutte à goutte ils étincellent
et s’évaporent on écoute


Jacques Ancet, La lumière et les cendres
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La lumière et les cendres | 15 mars 2014

VIENT DE PARAÎTRE

JACQUES ANCET
La lumière et les cendres
milonga pour Juan Gelman
édition bilingue : préface et traduction de Rodolfo Alonso
Editions CARACTÈRES



dimanche 24 août 2014

woolf



Sous le visage, le silence....




Fiona d'Amos Kollek


    C’est curieux de voir hésiter les gens à la porte de l’ascenseur. Passeront-ils ici, ou là ? Leur individualité s’affirme par le choix : ils sortent. Une nécessité les pousse, l’obligation misérable d’aller à un rendez-vous, d’acheter un chapeau, sépare ces beaux êtres humains si parfaitement unis tout à l’heure. Quant à moi, je n’ai pas de but, je n’ai pas d’ambition. Je me laisse porter par le courant. La surface de mon esprit glisse comme un pâle ruisseau reflétant les objets qui passent. Je suis incapable de me rappeler mon passé, la forme de mon nez ou la couleur de mes yeux, ni quelle est l’opinion que j’ai généra-lement de moi-même. Ce n’est qu’aux moments critiques, en traversant une rue, sur le rebord d’un trottoir, que mon instinct de conservation se saisit de moi, et m’arrête devant un autobus. Décidément, nous tenons tout à vivre. Puis, de nouveau, l’indifférence m’envahit. Le vacarme des voitures, le passage de figures pareilles qui se dirigent tantôt ici, tantôt là, me transportent dans un rêve d’intoxiqué, et les traits s’effacent des visages. Les gens pourraient tout aussi bien passer à travers moi. Et qu’est-ce moment du temps, ce jour entre les jours où je me trouve pris ? Le grondement de la circulation pourrait être tout aussi bien le vaste murmure des forêts ou le rugissement des fauves. La roue du temps a reculé d’un tour : nos progrès si récents sont anéantis. En vérité, nos corps sont nus. Nous ne sommes que légèrement recouverts de tissus soigneusement boutonnés, et sous ces trottoirs se cachent des coquillages, des ossements, et du silence.

 Les Vagues de Virginia Woolf
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A lire: très bel article d'Angèle Paoli sur Woolf.




  1. Virginia Woolf | Sombrer dans le bleu - Terres de femmes

    terresdefemmes.blogs.com/.../virginia-woolfsombrer-dans-le-bleu.html
    29 juin 2010 - Virginia Woolf, Le temps passe [Times passes, 1926], Le Bruit du temps, 2010. Édition bilingue. Traduction de l'anglais par Charles Mauron.

jeudi 5 juin 2014

Manyach

Un visage se révèle....




 A hen in the wind d'Ozu

Un visage se révèle
Dans la boite noire
D’un homme revenu de quel naufrage ?
L’encombrement de la perte
Ou de l’absence
N’est pas le vide :
Une coquille creuse d’illusions
Et de simulacres
Un œuf blanc
Translucide
Comme un cerveau d’enfant
Avant de naître
Illuminé par le sang

Dans la poche du ciel.
C’est dans ce cercle
Que le hochet du néant
Joue avec la semence de l’infini
Et que la conscience vibre
Dans l’univers
Emportant la forme du temps
Au centre des galaxies:
L’instant surgit
Sur un lit d’étoiles

Et de pierres plates..
Limpide origine perdue
Rendue au langage qui s’y incruste
Pour ouvrir la voie
Du vivant.
Mais au pays natal
Résonne déjà la voix
Du pays mortel
Comme un écho que la vie digère
Pour avaler la mort
Et ensemencer la terre !
Dans ce carré devenu mental et obscur
Se trouve pourtant une lampe
Embarquée sur les dents de la roue
Une lampe de saveur
Une lampe de douleur
Une lampe sur la route:
C’est une grimace sur un torchon
Une chair dans un corps
Et un signe dans la bouche.
Le présent se dilue
les ombres arrachent la paroi
De l’eau pourrissante:

L’axe qui nous délivre
Est aussi l’os qui s’incline .
Dans cette rotation
Quand la proue choisit la navigation ou le fracas
Nous naissons avec le soleil
Mais nous venons des étoiles
Des algues
Et du souffle
Qui ne tient qu’à un fil:
Celui que la lampe tisse
Dans la grammaire de nos veines
Avec le sang du verbe
Le vent
Qui fait trembler la flamme
Et le feu
Ou le silence
Des astres.
Alors toutes les pensées chavirent dans l’impensable
Puis dans l’écume ruisselle
Le matin du monde …


Didier Manyach, extrait d'Onde Invisible
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A lire aussi....







  1. didier manyach lettres à josé galdo, ghemma quiroga & jean ...

    blockhaus.editions.free.fr/ManyGald.htm
    CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO & GHEMMA QUIROGA (AOÛT 1990). CARTE POSTALE DE DIDIER MANYACH À JOSÉ GALDO ...

mercredi 4 juin 2014

Reverdy


Le visage a un nom....


En passant une seule fois devant ce trou j’ai penché
mon front
Qui est là
Quel chemin est venu finir à cet endroit
Quelle vie arrêtée
Que je ne connais pas

Au coin les arbres tremblent
Le vent timide passe
L’eau se ride sans bruit
Et quelqu’un vient le long du mur
On le poursuit

J’ai couru comme un fou et je me suis perdu
Les rues désertes tournent
Les maisons sont fermées
Je ne peux plus sortir
Et personne pourtant ne m’avait enfermé

J’ai passé des ponts et des couloirs
Sur les quais la poussière m’aveugla
Plus loin le silence trop grand me fit peur

Et bientôt je cherchais à qui je pourrais demander
mon chemin

On riait
Mais personne ne voulait comprendre mon malheur




Dead man de Jamursh



Peu à peu je m’habituais ainsi à marcher seul
 Sans savoir où j’allais
Ne voulant pas savoir
Et quand je me trompais
Un chemin plus nouveau devant moi s’éclairait

Puis le trou s’est rouvert
Toujours le même
Toujours aussi transparent
Et toujours aussi clair

Autrefois j’avais regardé ce miroir vide et n’y avais
rien vu
Du visage oublié à présent reconnu


Pierre Reverdy  La Lucarne ovale
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A suivre........


  1. La poésie cubiste n'existe pas - Jean-Michel Maulpoix & Cie

    www.maulpoix.net/blogjmm/wordpress/254/
    10 janv. 2013 - Pierre Reverdy fait figure d'éminence grise de la poésie de la première moitié du XXe siècle. Sa réputation excède son audience. On le situe ...



mercredi 14 mai 2014

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz.



Sur le visage mortifère, la lumière des errances......




La solitude m’attendait avec l’écho
Dans l’obscure galerie. Une enfant était là
Avec une lanterne et une clef
De cimetière. L’hiver des rues

Me souffla une odeur misérable au visage.
Je me croyais suivi par ma jeunesse en pleurs ;
Mais sous la lampe et mon Hypérion sur les genoux,
La vieillesse était assise : et elle ne leva pas la tête


(...)
Une histoire vraie de Lynch


Il n’y avait plus de parents, plus d’amis, plus de serviteurs !
Il n’y avait que la vieillesse, le silence et la lampe.
La vieillesse berçait mon cœur comme une folle un enfant mort,
Le silence ne m’aimait plus. La lampe s’éteignit.

Mais sous le poids de la Montagne des ténèbres
Je sentis que l’Amour comme un soleil intérieur
Se levait sur les vieux pays de la mémoire et que je m’envolais
Bien loin, bien loin, comme jadis, dans mes voyages de dormeur.


Oscar Vladislas de Lubicz Milosz. Symphonie inachevée, extraits.

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D'excellents choix de poèmes sur Enjambées fauves.
  1. Chanson d'automne ~ O.V. de L. Milosz | enjambées fauves

    enjambeesfauves.wordpress.com/.../chanson-dautomne-o-v-de-l-milosz/
    2 nov. 2012 - O. V. de L. Milosz, Le poème des décadences [Ed. André Silvaire] ... Réponse. Ping : Danse macabre ~ O.V. de L. Miloscz | enjambées fauves ...

lundi 12 mai 2014

Colette


          Les chats ont un sacré Visage...





  1. Inside Llewyn Davis"de Joel et Ethan Coen.



  • Il parlait à la chatte qui, l’œil vide et doré, atteint par l’odeur démesurée des héliotropes, entrouvrait la bouche, et manifestait la nauséeuse extase du fauve soumis aux parfums outranciers..
    Elle goûta une herbe pour se remettre, écouta les voix, se frotta le museau aux dures brindilles des troènes taillés. Mais elle ne se livra à aucune exubérance, nulle gaité irresponsable, et elle marche noblement sous le petit nimbe d’argent qui l’enserrait de toutes parts. 

    La Chatte de Colette
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    A lire et relire !


Melville


Le visage ou le masque du Vide !



Crash de Cronenberg

   Une terrible cicatrice sort de ses cheveux gris, continue sur sa joue, son cou, pour disparaitre sous ses vêtements. Certains prétendent même qu'elle continue jusqu'à ses pieds! On dirait un chêne qui a gardé, de la cime aux racines, la trace impitoyable de la foudre. Le capitaine se tient très droit, planté sur sa jambe artificielle taillée dans l'ivoire de cachalot. Il a fait percer sur le pont quelques trous dans lesquels il peut la caler, et là, le regard hautain constamment fixé vers l'avant, sur l'océan infini, il semble défier l'invisible ennemi. 

Moby Dick de Herman Melville 
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A écouter, sinon toujours Stalker pour Melville, des études pointues.....

http://www.franceculture.fr/oeuvre-moby-dick-de-herman-melville

Moby Dick, c'est la monstrueuse baleine blanche, l'incarnation du Mal, cette figure de l'obsession et du double qui, des profondeurs glacées, accompagne le capitaine Achab habitué en surface aux combats titanesques des océans. Moby Dick est ce chef-d'oeuvre total que tout le monde peut lire comme le plus formidable des romans d'aventures ; la quête aussi d'une humanité embarquée de force à bord d'une histoire qui reste pour elle un mystère..

  • 19.01.2014 - Le Gai savoir
    Moby Dick - Melville (Rediffusion du 07.04.2013) 59 minutes Écouter l'émissionAjouter à ma liste de lecturevideo

      Moby Dick n’est pas une baleine, ou pas seulement. Moby Dick est un diable blanc, un cétacé titanesque, un trou blanc, une montagne de neige au milieu de l’océan, le fossoyeur des morts sans sépulture et l’illusion d’un rivage au sein même de la mer. C’est un fantôme que les marins pourchassent. C’est le « précipice » dont parle Pascal, au-devant duquel nous courons .....


dimanche 11 mai 2014

Conrad


Le visage du Mal ou l'Humain selon Conrad...


  • La Nuit du chasseur de Laughton
           Il avait le regard fixe et vide, comme s'il avait été hanté. Son visage, inconsciemment, reflétait des expressions passagères de mépris, de désespoir, de résolution - il les reflétait tour à tour, comme un miroir magique refléterait le glissement fugitif d'apparitions venues d'un autre monde. Il vivait environné de fantômes trompeurs, d'ombres austères.


    • C'est lorsque nous essayons de nous colleter avec la nécessité intime d'un autre humain que nous nous rendons compte combien sont incompréhensibles, vacillants et nébuleux les êtres qui partagent avec nous la vision des étoiles et la chaleur du soleil. Tout se passe comme si la solitude était une condition absolue et pénible de l'existence ; devant la main que l'on tend on voit se dissoudre l'enveloppe de chair et de sang sur laquelle est fixé le regard, et il n'y a plus que l'âme, capricieuse, inconsolable et inssaisissable, que nul regard ne peut suivre, qu'aucune main ne peut retenir. 

      Lord Jim de Conrad



      L'Obsédé de William Wyler









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    • Je reverrai ce spectre éloquent aussi longtemps que je vivrai, et je la reverrai, elle aussi, une Ombre tragique et familière, ressemblant dans ce geste à une autre, tragique aussi, et ornée d'amulettes impuissantes, tendant la nudité de ses bras bruns par-dessus le scintillement du fleuve infernal, le fleuve des ténèbres. Elle dit soudain très bas, "Il est mort comme il a vécu".

      Au coeur des Ténèbres de Conrad
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      A lire et relire.....Conrad en Pléiade, 5 Tomes....





mercredi 2 avril 2014

Cabral



Le visage n'a plus de couleurs...





Autoportrait en somnambule !

Le somnambule


je garde sous la peau mon costume de mort 
avec à l'intérieur le long poignard de l'aube 
j'entre dans un bal triste sous des lampes fanées 
et je laisse sur l'eau des blessures insensées 

  

je suis à bout de peau je fais métier d'absence 
je descends dans le corps des oiseaux somnambules 
j'éteins les ombres blanches sur le miroir des morts 
et les couleurs ne tiennent plus sur les visages 

  
je vous des chambres pâles dans une maison de vagues 
je regarde un enfant qui ne sait rien de moi 
et j'attends pour tomber qu'il m'appelle par mon nom 

  

aux seuils des portes je vois des bracelets d'oiseaux 
je vois dans les bûchers des émeutes de miroirs 
et le même visage à toutes les fenêtres 

  
Tristan Cabral 

mercredi 19 février 2014

Hasnaoui/Article Besson....Cercle 21



                             Cercle 21

    Dans le miroir, le visage a-t-il une vie ?


Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues

par Sylvie Besson


Yasmina Hasnaoui, Cargo Blues,
Éditions Les penchants du roseau, décembre 2013.
Illustrations et postface de Didier Manyach.



Lecture de Sylvie Besson



  1. Bled number one par  Rabah Ameur-Zaïmeche




MÉLODIE EN SOUS-SOL POUR POINT D’ORGUE !




Écrire, c’est avancer sur la corde fragile et assurée d’un funambule. Écrire, c’est s’engouffrer dans un lieu aussi transparent que labyrinthique. Écrire, c’est, pour Yasmina Hasnaoui, déplacer le bleu insolent des rêves vers le Blues incandescent du réel. Et tenter ainsi de trouver une harmonie entre nuage gris des songes et dénudement des nerfs à vif. Écrire, c’est donc vivre jusqu’à l’extrême pour que la douleur vibre encore d’une présence essentielle dans un monde désaccordé. De la périphérie de cette douleur vers le centre, c’est à ce mouvement que nous invite le Cargo blues de la poète. Creusant le motif de la barque à la dérive, de l’homme à la mer, du navire comme éloignement et rapprochement de soi au monde. Tendant à dire autant qu’à tenir à distance la perte comme une exploration d’un exil intérieur, où une femme condamnée à un univers âpre essaye de trouver sa place dans cette même douleur. Afin qu’une fois la haute marche du doute passée, l’écriture maintienne la beauté des souvenirs et de l’attente. Ainsi la voix poétique ouvre d’emblée les yeux sur un déséquilibre, refuse de se noyer dans un non-lieu. L’écrivain apparaît comme une vigie au-devant des tempêtes, ses mots tentant de dévoiler un univers où nos actes s’accouplent avec la parole, délivrant un souffle et accordant une respiration. Dans un désir de dire l’infime instant de la pose et celui plus violent des tempêtes :


« Mon ventre est gémissements. Il n’a pas faim, non, juste envie de se faire entendre. C’est lui le cœur.
Il fait froid, l’air est bleu comme les lèvres d’une morte. […] Je veux ramener à ma mémoire les corps des anciens pour donner sens à ce que je suis [...]. Il faut que j’ouvre toutes ces tombes… »


Mais quel chemin parcourir encore pour ne pas trahir les mots en mémoire ? Pour les dire « sans s’écorcher les doigts jusqu’au sang » ? Comment restituer ces souvenirs en cale ? Comment décharger ce cargo où est stocké ce que l’on a peur de perdre alors qu’il ne s’est rien passé, l’espace ne se retirant pas de sa trajectoire. L’auteur va alors, par le cheminement de ses attentes et de ses blessures, rendre possible l’offrande des mots retrouvés. Yasmina Hasnaoui avance en marchant sur des débris de verre et le Blues enclenche un cri qui questionne, secoue, bouscule, déchire la langue et l’esprit. Le texte faisant sortir l’attente de toute inertie, permettant à une « parole-corps » de naviguer entre brûlures et colères. Car il faut rager, même à quai, même en cale sèche, pour vivre de nouveau :


« Seule la pluie peut assassiner le silence mais le ciel refuse de rincer la gueule du monde. Qu’il sue donc ses plaintes ! […] Mettre hors de portée [l’] attente. La faire crever entre les lignes »


Aussi c’est au plus près de la chair que la poète nous propose d’aller, enfermée en elle-même jusqu’à l’os. Il ne s’agira pas de s’en tenir à l’effleurement d’une glissade mais bien de pénétrer plus avant dans la chair du monde et du corps, dans la chair de la langue aussi. Yasmina Hasnaoui part donc à l’assaut de ce qui la dévisage comme ce qu’elle envisage en lieu propice à l’errance. Elle combat ce qui parle en elle, depuis la violence des passions circulaires, une ombre en soi qu’il faudrait qu’elle s’arrache. L’auteur fait front. Elle avoue les lames de fond, les crues du chagrin et les inondations des angoisses, les vagues brisées, les tempêtes qui vous brisent en deux. Elle accepte d’être cette femme endeuillée par l’Absence, cette mariée en noir qui peint son propre cri. Et si le nom chanté se confond avec celui de la Nuit, le culte consenti à cet Obscur n’est pas de tout repos. De la même façon qu’elle frappe aux portes de la nuit, Yasmina Hasnaoui refuse d’être une Artémis-Hécate funèbre. Son art s’apparente davantage à l’univers de la grande Isis nervalienne de l’Origine retrouvée, pacificatrice de toutes les tensions. N’affirme-t-elle pas que n’importe quel geste éclabousse « le rêve de l’amour » ? Tant mieux, ce n’est qu’une flaque sale, et seule la réalité de cet Amour redoublé tisse une sorte de moire énonciative sensible, et s’élance dans l’immensité Océane de l’existence. D’où les fragments remotivés du discours quotidien, allant parfois jusqu’aux familiarités syntaxiques, cassant toute forme d’onirisme comme un contre-sens à la vie :


« Hier l’ampoule a cédé. Grillée. Je voulais rêver, laisser mon corps sur le lit, en vrac et m’en aller te rejoindre peut-être, mais je n’ai pu me quitter »


Surgit dans chaque page auréolée de son « sillage » la vibration d’une chair vive, refusant de tourner le dos à la terre, mais désireuse de reprendre toujours la mer, une poésie à laquelle on doit « céder le pas du chemin » (Char). On est proche d’une expérience du réel, mais surtout de ce sur quoi elle débouche – l’exploration de soi, ici et ailleurs, la vie d’un Bateau ivre avec la descente fiévreuse des mers. Chacune des phrases faisant apparaitre la vie. Non pas la vie en surface, grise et froide comme la brume, mais celle souterraine et transparente des éclats de vie dont la sourde rumeur fait l’objet d’une pressante communion, la lumière jouant sur le souvenir des corps entrelacés :


« Nos os tremblent sous les éclairs, prêts à se détacher les uns des autres. Dislocation. Retour à la source. »


Et l’écriture à tout courant se rapproche des contrées de Moazon mais aussi des flux lyriques de Conrad. La remontée ne se fera que dans la trouée des forêts impénétrables de l’attente, au milieu des larges eaux que recouvre le désordre des îles. Avec, au bout, l’espoir d’un chenal qui couperait court au désir de se perdre et davantage encore à celui de soliloquer. Le poète refusant de n’être rien d’autre qu’une absence.


C’est sans doute en ce point que tous les fils de l’œuvre se nouent aux yeux du lecteur. En effet, si un voyage est souvent la forme indirecte de l’amour, réciproquement un amour n’est qu’un temps visité par une zone laissée en blanc. Et toutes ces zones sont justement comme des terrae incognitae du désir, un passage ouvert vers tous les possibles que reprend l’entêtant motif du retour. D’abord en une dénégation puis en lueurs renaissantes. On songe ici au portrait du poète en voyageur, dont les infinies variations assurent à l’ensemble le caractère d’une partition musicale, à l’instar du plongeur nageant en eau profonde sans savoir qu’il invente d’autres passages. L’ensemble du paysage exploré peut enfin métaphoriser le corps du monde comme modèle de l’errance, lequel structure à la fois la progression dans le réel et dans la page d’écriture : « Seul sur le papier on peut revivre ses propres absences ». Le désir de ré-incarnation d’une poétique est certes imaginable, mais le poète préfère ne pas ignorer que « la grâce » ne peut s’atteindre qu’en rapport d’équivalence avec l’expérience bouleversante de la finitude logique du vivant.


Ainsi, particulièrement émouvantes, déchirantes, toutes les scènes s’enchevêtrent intimement, l’espace du dedans et l’espace du dehors. L’univers entier est exil. Seul l’amour peut lui donner une terre d’accueil, et le poète cravache les angoisses, les blessures du quotidien et les violences communément admises pour ne pas attendre en vain. Sa voix réclame la fin du mensonge et refuse de disparaître sans mordre, sans dissoner, sans ébranler. Elle trace, à travers des paysages qui chutent et se relèvent, en flux et reflux, une vie de femme qui scrute, dans les gestes du quotidien, le pourtour du soi et l’eau du poème où se désaltérer : « J’ai soif / La lune est à sec / […] / La nuit / rien n’est gris ». L’écriture laisse par conséquent remonter le Passé à la surface pour cerner les déchirures et garder des îles sous les paupières, pour conjurer enfin la fatigue et l’oubli des espoirs passés :


« Te souviens-tu ?
Tu m’as dit : « les jours sont des îles que nous foulons ».
Je n’ai pas oublié. »


Et, de toutes ces désillusions, Yasmina Hasnaoui dit avec ténacité, au sein de son texte ciselé d’extrême pudeur, les chagrins, les éblouissements, les paroles mortes, les respirations lumineuses. Elle livre une sensibilité abrasée par les silences, mais lance le poème en ligne de défense afin de se soustraire de ce qui s’amenuise. Voilà pourquoi le lyrisme intrigue. Le recueil ne sombre jamais dans l’effusion sentimentale pour la raison que ce lyrisme est celui de chacun. Une lumière juste dont les corps pourront se vêtir. La parole est celle de tout individu qui, sensible à la seule présence de la Vie, qu’il soit seul et couché sur le côté, continue de croire que rien n’est entier : sous chaque éclat danse une intensité qui, sans faire sortir de l’exil, donne à avoir lieu. Dans un cargo, par exemple, où s’échoue la souffrance et à laquelle le poète assigne la beauté. Il faut écrire et regarder le monde depuis l’abîme, dire l’agressivité et l’angoisse qu’il suscite et, au-delà, chercher malgré tout un besoin inextinguible de plénitude. Si le recueil est tout en lignes de failles, en instants fissurés, c’est qu’il s’agit de révéler une nuit qui pétrifie autant qu’elle illumine, une nuit qui irise le poids sensuel des mots, le visage incertain des attentes, le navire perdu dans l’écho du temps, le regard écorché par la vision des départs. En somme, le sang finit par rejaillir des tangages du cargo et un mouvement nocturne de vagues circule dans les veines ; la mer redevient nuit agitée de marées, désireuse de pouvoir s’étendre aux sables chauds des îles :


« Tant d’îles foulées et tu es là. Je ne te connais pas. Des jours et des îles. Certaines étaient si vastes, si longues... Des déserts où l’on trainait notre peau. Regarde-moi, regarde-les ! ».


Et même si les bateaux semblent l’unique recours qui reste pour fuir, l’écriture cependant seule enivre. Yasmina Hasnaoui le dit en parole libérée, dans la fluidité de sa prose ou dans la mélodie de formes brèves. Exerçant un art de la composition où la disposition visuelle cherche à marier émotions et formes, rythmes et enchainements, strophes brisées et longues laisses. Un livre comme une gestation perpétuelle saisissant tout ce qui fait de l’homme une âme insulaire, délivrant enfin un geste poétique entre attentes rêvées et traces bien réelles. Mais les rêves finissent toujours par se briser sur la morsure du réel qui secoue l’âme de sa torpeur. Réveillée, exilée du voyage intérieur, la poète s’adonne à la certitude du Blues, peur nauséeuse de la solitude, peur de ne plus entrer en communion avec le corps de l’autre, peur tangible des mondes qui nous échappent. L’aube brûlée de gris recouvrant les signes d’une langue qui ne serait plus rempart contre la vérité.


Alors tous les instants d’exil que sont les incertitudes et les déséquilibres — car toute rupture est bien perte d’un équilibre — ne sont plus seulement des vacillements de sens. L’effritement des amours perdues fait désormais écho à l’effondrement des illusions, des leurres et des bonheurs trop facilement distillés. L’écriture regarde, selon la belle formule extraite de la postface de Didier Manyach, « au plus profond des eaux de la mémoire », Yasmina Hasnaoui fait de ses mots une plongée en eaux troubles et troublantes. Son Verbe dit les jeunes et vieilles blessures de ce monde auquel il faut savoir s’arracher tout en s’amarrant à la terre inconnue qu’est l’Amour. Cet Amour qui, ne digérant pas les cadavres, tente de les rejeter dans l’infini terrible des abysses. Tout au long de l’œuvre, la langue mouvementée de la poète est capable de prendre en charge l’expression du drame du désir humain. Et seul le langage donne sa force à l’œuvre, et cette force est celle-là même de la poésie. L’écriture se joue alors de la malléabilité des ombres, éclabousse la langue de mots bouleversants, et la poète s’inquiète à l’idée de voir ses jours coaguler ou son esprit piégé dans un corps qui s’épuise. C’est pourquoi sa voix élève son cargo-somnambule et le projette déjà en pleine mer, au cœur de la vie. Yasmina Hasnaoui crie des tréfonds de l’abîme en des phrases qui se saccadent, saturant de mots son angoisse à exister. Elle compose ainsi un poème du désarroi existentiel comme de la lutte et du renouveau artistiques, expériences encrées à fleur de vif, au fil du recueil. Les dessins de Didier Manyach convoquent en ce sens, par leur tracé, tout en fausse candeur et en grâce sincère, un pays au-delà du noir. Il plonge dans la présence de l’ouvrage pour en retirer les formes idéales qu’il propose à l’œil en profondeur. Ses images nous transportent dans ce cargo, dans les voyages comme dans les escales, rappelant que les mots du poète finissent toujours par se transformer en paysages. En effet, si le cargo bouge, si la main s’agite sur la feuille, c’est que la Nature seule donne au navire son mouvement et à l’encre ses inspirations comme un « brûlot d’étoiles dans le brouillard » (Didier Manyach) ; Yasmina Hasnaoui et Didier Manyach marchent ainsi l’un à côté de l’autre sur les digues comme dans les vagues luminescentes du monde.


De même que la poète évoque en paysages l’attente insupportable, la tentation de disparaître, la douloureuse absence ou, au contraire, des instants où le corps se retrouve en pleine conscience, elle expose, malgré le pesant isolement que nourrit son esprit, l’immanence de l’être et de sa poésie à même la terre ou dans le bruit des océans. Son beau cheminement est complexe, imposant des motifs qu’il disperse en cailloux semés et qu’on retrouve tout au long du parcours. Traçant, en cercles fugaces, les balancements, les gouffres, les percées d’une pensée qui se découvre au fil d’une perte et qui travaille à se reconstruire par un absolu dénudé, sensible et juste. Malgré la noire souffrance, malgré les chairs meurtries, la voix n’hésite pas à dire l’éternelle réinvention de soi, permettant à l’écrivain de faire peau neuve et de s’élancer à la conquête de nouveaux mondes. Lire Yasmina Hasnaoui, c’est donc muer de l’ombre à la lumière, dans une lente acmé forgeant sa persona d’écrivain. Plonger dans Cargo blues, c’est effectivement assister à la renaissance d’un mythe, celui d’une sorte d’Orphée au féminin qui sombre aux Enfers pour y chercher la poésie, et qui en ressort la vie chevillée au corps : « c’est la dernière nuit et je suis toujours vivante ». La puissance orphique de la poète est telle qu’elle entraîne son lecteur avec elle, le guidant de terres en mers, gouvernail au poing. Et l’on entend, dans cet éloge indirect à la Nature, l’écho des houles les plus poignantes. Yasmina Hasnaoui nous emmène finalement loin des Enfers de l’obscur, nous rapprochant ainsi des échos possibles de l’Amour. Puisque seul Aimer justifie de Vivre. Ancrant ses mots aux îles les plus incandescentes, non point îles dénuées de ciels gris, non point sous un soleil si bleu qu’il en deviendrait si bas, encore moins en des lieux irradiés de lumières, mais sur des terres cendrées, là où il n’est pas rare de trouver les plus fascinantes braises.


Sylvie Besson
D.R. Texte Sylvie Besson






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  1. Cargo blues - Journal des penchants du roseau

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    13 déc. 2013 - Cargo blues de Yasmina Hasnaoui Vous avez lu ce livre ? N'hésitez surtout pas à intervenir, commenter, critiquer sur la page de bienvenue.