mercredi 3 juillet 2013

Colette,


La voix du souvenir....



Phantom Lady de  Robert Siodmak

Il me faut miraculeusement, dans mon sommeil, mêler mes provinces bien-aimées, la natale et les autres, et les palper à tâtons si je m’éveille en pleine nuit, interroger la sonnerie d’une grosse montre – je sais pourtant bien qu’elle est en Provence -, l’espagnolette d’une fenêtre qui n’existe plus que dans mon souvenir, une table de chevet captive en Bretagne, un bouton de cuivre qui brillait, il a un demi-siècle, sur la porte de ma chambre d’enfant… 

Un mur lisse, une tenture rugueuse, un verre d’eau abolis, brisés, exilés, renaissent, le temps que je revienne à moi. Leur rencontre est un instant inestimable, aussi fugitif que le givre par un jour pur, le seul instant où je puisse sentir sous ma main, presque palpable, la fleur pulvérulente du passé, un don consenti par la mémoire des sens, invétérée en moi comme 
seraient le bégaiement et la claudication…

Colette, En pays connu.
(Merci Alain A.)

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  A voir....

samedi 29 juin 2013

Cormac McCarthy


La voix effroyable du silence....


Quand il se réveillait dans les bois dans l’obscurité et le froid de la nuit il tendait la main pour toucher l’enfant qui dormait à son côté. Les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie. À chaque précieuse respiration sa main se soulevait et retombait doucement. Il repoussa la bâche en plastique et se souleva dans les vêtements et les couvertures empuantis et regarda vers l’est en quête d’une lumière mais il n’y en avait pas. Dans le rêve dont il venait de s’éveiller il errait dans une caverne où l’enfant le guidait par la main. La lueur de leur lanterne miroitait sur les parois de calcite mouillées. Ils étaient là tous deux pareils aux vagabonds de la fable, engloutis et perdus dans les entrailles d’une bête de granit. De profondes cannelures de pierre où l’eau tombait goutte à goutte et chantait. Marquant dans le silence les minutes de la terre et ses heures et ses jours et les années sans s’interrompre jamais. Jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une vaste salle de pierre où il y avait un lac noir et antique. 


Je suis une légende de Sidney Salkow


Et sur la rive d’en face une créature qui levait sa gueule ruisselante au-dessus de la vasque de travertin et regardait fixement dans la lumière avec des yeux morts blancs et aveugles comme des œufs d’araignée. Elle balançait la tête au ras de l’eau comme pour capter l’odeur de ce qu’elle ne pouvait pas voir. Accroupie là, pâle et nue et transparente, l’ombre de ses os d’albâtre projetée derrière elle sur les rochers. Ses intestins, son cœur battant. Le cerveau qui pulsait dans une cloche de verre mat. Elle secoua la tête de gauche à droite et de droite à gauche puis elle émit un gémissement sourd et se tourna et s’éloigna en titubant et partit à petits bonds silencieux dans l’obscurité. 

Cormac McCarthy (La Route)
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Conseil....

Excellente adaptation de Old country for old men des Frères Cohen

mardi 25 juin 2013

Edmond Jabès


Les silences de la Voix !


Le mur,

La bouche, la voix, le pouvoir

Le pouvoir, ici, ne serait que la possibilité acquise de se pourvoir d'un non-pouvoir audacieux et contagieux.

 En ce cas, la voix serait passage de la parole osée à la parole silencieuse, secrètement prépondérante ; celle que le livre conserve par-devers lui et dont on ne sait jusqu'où elle nous change ; porteuse du changement brutal ou à peine perceptible, dans lequel l'écrivain est engagé, pressé par le temps, hanté par l'absolu qui est une autre forme hautaine, celle-là du pouvoir.

 L'acte d'écrire apparaîtrait, alors, comme geste consacré de la remise du pouvoir de l'homme à la parole du livre ; équivaudrait à sacrifier, à son tour, le mot à son pouvoir d'absence afin qu'il ne soit que sa manifestation immédiate, intempestive.

 Nous naissons et mourons de ce pouvoir perpétué, jamais différé et pour l'accomplissement duquel nous avons recours à nos forces créatrices - amies ou ennemies - dont le vocable demeure le centre et la liaison ; mais nous continuons à ne répondre que de nous-mêmes, là où plus rien de nous ne subsiste ; à ne témoigner que du pouvoir de disparaître dont nous fûmes l'ivresse, autant que le désespoir.


Il n'y a de bouche que pour affirmer la mort et que nos mains pour ensevelir la bouche.

(En écrivant, nous nous débattons avec une partie de la mort, comme on ne se débat qu'avec une partie de l'ombre.


An Angel at my table de Jane Campion 


Écrire serait, par conséquent, affronter dans sa totalité fuyante la mort ; mais ne nous mesurer, à chaque fois, qu'à l'un de ses instants.

Épreuve au-delà de nos forces qui nous conduit à écrire contre l'écriture de la mort et à être nous-mêmes écrits par elle)

 Edmond Jabès, Le livre des Ressemblances, II
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Extrait trouvé sur l'excellent site suivant : BIENVENUE SUR LE SITE D'ESPRITS NOMADES
Esprits Nomades.

Edmond Jabès

Le gardien de l’indicible



jeudi 20 juin 2013

Jean-Louis Giovannoni


La voix est un caveau ?





In the mood for love de Wong Kar-wai

Notre voix
 où trouve-t-elle son corps

On parle
 on écrit
 pour que les autres
 oublient leurs corps
 pour qu’ils viennent habiter
 notre voix
 nos mots

Est-ce la voix des autres
 qui donne à ton silence un lieu

Et si tu n’étais présent
 en ce monde
 que pour donner naissance
 à cette forme invisible
 qui se tient dans ta voix

Ce corps aérien

Et si être présent dans les mots
 ne consistait qu’à disparaître en eux

Jean-Louis Giovannoni, Ce lieu que les pierres regardent
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Sur *Terres de Femmes*, blog d'Angèle Paoli,  Giovannoni est à l'honneur..voir "lien", Trans-phères en bas de page.                                   


JEAN-LOUIS GIOVANNONI


JLG
Ph. © Phil Journé
Source




■ Jean-Louis Giovannoni
sur Terres de femmes

Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
Envisager (lecture de Tristan Hordé)
Issue de retour (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
Mère
Notre voix
Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d'AP)
Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d'AP)



■ Voir | écouter aussi ▼

→ (sur Terres de femmes)
3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)

mercredi 19 juin 2013

Article/besson/duault



Une Voix de Météore.....


Les Sept Prénoms du Vent d’Alain Duault
par : Sylvie Besson

Les Hauts de Hurle-Vents ou le cri du Poète

 "
 Et s’il me plaît à moi de crier / Ce n’est pas pour troubler les rêves, c’est pour brûler les cauchemars " ( Prosoésie)


Lawrence d'Arabie de John Huston



  Le travail d’exister dont l’écriture n’est qu’un instant, devient  chez Alain Duault  la possibilité de prolonger cet instant aussi bien dans  l’inconnu que dans la familiarité tant la récurrence de ses thèmes et l’ampleur de sa voix forment de recueil en recueil la ligne invisible d’une parole qui s’acharne à être. Que ce soit dans la continuité d’un triptyque, dans la diffraction d’un jardin entre mer et ciel, dans le vide et le vertige de l’accidente ou dans l’alchimie de sept prénoms foisonnants, la parole suit toujours, avec une effroyable beauté, cette ligne invisible qui nous traverse, c’est le temps de nos vies, de nos origines, de nos mémoires et de l’oubli, c’est aussi l’espace des chimères du poète, de ses utopies et révoltes contre la douleur, la mort, c’est surtout Une parole qui tisse, coud les mots d’une œuvre à l’autre  ainsi que le fil du temps relie les fragments de vie, les ensembles perdus, « les silences jetés au bout du monde », et enfin le corps où plus rien ne se retient, orchestrant un lyrisme qui se multiplie en appels à la perte, à l’amour et au désir ;  cette invitation prend d’ailleurs forme dans la merveille d’un chant qui se fonde sur l’enthousiasme et par quoi la poésie peut devenir un monde à la démesure du poète, un monde de mots accumulés par des messages de détresse et d’espoir, de possession et de disparition, à l’instar de cette mer que Duault chérit tant, dans cette dialectique, de tension de flux et de reflux, de ressacs des êtres et des choses disparus, un monde de passion et de poèmes dans toute sa beauté. En effet, Duault se saigne aux quatre veines pour trouver un prénom aux sept vents qui portent et emportent, et font renaître son univers poétique à la force d’un respire sans pause, d’un souffle épique, sensuel et meurtri, inspiré et lucide, dans une verticalité que rien ne vient ébranler :



«  …Jetez-vous à l’aube dansez riez au chevet / Des tempêtes aimez jusqu’à ce que la nuit en silence recule » (p43) ou  « cet embrasement de soi qui élève plus haut » (p109)



  De cette façon, Les Sept prénoms du vent nous offre la chance de descendre au plus profond d’une voix, dans le fleuve de la voix, dans ce qui littéralement nous déborde, dans une poésie où prend aussi corps une pensée-sensation. J’évoquais déjà en rendant compte du Jardin des adieux, dans une précédente note, un poème symphonique, vibrant et sensible. Ici la partition semble jouer sur un nombre de notes encore plus hautes, plus profondes, plus colorées, plus spirituelles ; le sept étant le nombre de l'achèvement cyclique et de son renouvellement, les Sept Vents, chercheurs de vérités, disent à la fois le nom infini de l'homme et les secrets de l'univers qui s’y attachent. L'œuvre débute sur les hymnes et ouvre immédiatement  sur une mer et son roulement des vagues, « jusqu’à l’aveugle folie des abîmes » ; le poète capture plusieurs parcelles de l'océan, en fait un tout, un corps et un esprit entiers. Les hymnes du vent représentent les flots, le ciel et ses nuages, puis les nuages par les vagues éclatées envahissent le bord d'une falaise, s’enracinent dans la chair et le sel de lignes de vie, dans l’ivresse enluminée et chatoyante des villes  et dans celle plus souterraine et tragique des plaies qui laissent des traces, pour amorcer à pas de géants le sol terreux là où s’étoilent et s’étiolent les visages admirés, puis glisser vers d’autres teintes en dessinant le portrait des saisons du temps et  du monde « par où vient l’Ange qui remonte le drap »  jusqu’à la « grâce et l’éternelle ténèbre » de la mort. De ces sept espaces enchainés, rassemblés par les vents, se crée donc une ligne d'horizon aussi perceptible qu’un dégradé de couleurs, traduisant un jeu de  sensations à l’infini. La mer et le ciel, la mort et le sexe forment alors le « corps majuscule » de l’Œuvre, une matière mouvante au cœur de laquelle se mêle aux rochers très raides et solides de la mort, le goût salé et  ruisselant  de la vie. En fait d’hymne, c’est la langue qui tonne de nouveau tant la voix poignante du poète, au fil des ans et des ouvrages, s'impose dans un lyrisme d’une belle gravité, le cours du langage se resserrant et finissant par river le poème à l'essentiel sans jamais l’enfermer en quoi que ce soit. Ainsi, ce qui se nomme prénom du vent donne à entendre une parole pleine, désignant des éléments familiers depuis longtemps scrutés avec un soin patient, renvoyant à une orchestration mélodieuse de toute chose, à une oralisation de la pensée, à  cette « mystérieuse odeur nostalgique de l’océan à marée basse » ; les vers conjuguent, en un même élan, réalités et impressions dont est composée toute existence. Et si la matière océane continue de guider la Geste singulière de Duault, il préexiste désormais sept noms parachevés, sept prénoms qui s'étendent jusqu'à la volonté de capter le grand large à même son authenticité, sept prénoms qui mettent en exergue la « voix » du Vent, la modulent de façon saisissante jusqu’à la transformer en véritable partition musicale. En conséquence, par un effet de boucle rythmée, le texte revient toujours vers une clarté originelle, à ce cœur palpitant, vivant jusqu’à l’explosion de lumières, la mort n’ayant plus qu’à se griser, à la dérobée, des émotions laissées par l’amour, l’amer et la disgrâce de l’homme :



 « Un mirage c’est cela du ciel pur du ciel lavé / Ses déclinaisons de couleurs de teintes plutôt l’infini murmure / D’un gris unique et indéfinissable gris transparent / Fluide où filent toutes les conjugaisons du bleu » (p53)



   C’est bien pourquoi le poète soulagé d’avoir pu raccorder les voix de ses sept vents, peut sortir de l’enfer des illusions par l’incessant mouvement d’un chant à un autre, d’un corps à un autre, d’une rythmique à une autre. De surcroit, Duault  justifie la très forte empreinte charnelle, érotique, de son texte, entre visions d’apocalypse et  renaissances fragmentaires, sa langue s’éprouve en redites et  variantes, en élégies heurtées, en blessures fortement érotiques, en trouvailles, en subversions et illuminations, en ce tempo entêtant qui fait jaillir alliances et excroissances folles des sens :



  « Aimez par-dessus tout aimez jusqu’à l’affolement des pôles / Quand toutes les routes sont perdues les nuits l’éblouissante / Clarté des abimes aimez jusqu’au verso des étoiles jusqu’au / Sang qui fait les poches de l’aurore jusqu’à la folie…/(P43)



   En sept temps amples et précis, le bateau ivre de Duault  prend le large et crée des saisons nouvelles, se joue des controverses, se fait texte sacré sur l’air d’une cantate profane et finit par mettre en terre les leurres du réel afin d’accéder encore à d’autres rivages ou d’autres cieux. L'oreille du lecteur découvre dans ce temps parallèle, que le hurlement confus d'un vent se décompose dans une réalité subtile, en une foule de bruits poétiques très différents, une polyphonie de cris, de roucoulements, d’incantations, de timbres, d'accents, de mélodies et de gammes, bruits pour la plupart desquels il n'existe même pas de noms, seulement une Voix qui, grâce à une partition protéiforme et originale, se prend souvent à rêver, à désirer ou à murmurer l’éternité :



« Chaque métamorphose est une invitation contre l’informe / On s’y enroule dans le vent qu’elle invente pour y croire / Et les fleurs l’accompagnent comme source au poignet / Chaque moment chez elle forme une éternité.» (P106)



   Lire Les Sept prénoms du vent, c’est, en ce sens,  suivre les cheminements d’une pensée, d’un souffle, d’une anima, le chant d’une âme donc, un cri ou une musique autour du silence, une excursion lyrique intime et universelle ; et si certains prénoms restent sur le bout de notre langue – la compréhension soudaine nous échappant dans l'ardente lumière d’un lyrisme parfaitement maîtrisé – toujours un de ces prénoms saura nous convoquer en traçant la carte d’un paysage intérieur, celui que chacun reconnait porter en soi.



« Car il y a tes épaules tes vagues et tes tempêtes et / Ce qui l’inoubliable au-delà du jour le visage de / Mon amour » p 89



   D’ailleurs paysages, sensations et tableaux se superposent, s’entrelacent dans un enchevêtrement complexe de noms et de références célèbres, comme la conséquence d’une lente érosion, le vent creuse son sillon jusqu’au ferment poétique de toutes vies. Les notes et couleurs s’imposent à l’instar du cri poétique qui jusqu’au bout fera entendre une bouleversante singularité. En effet, la tessiture de la voix de Duault  se fond dans une écriture où respire continuellement le souffle haletant d’une vie confondue avec le rythme libre et vacillant du poème, comme  une « Grande houle de blé sur le sol alangui par les rayons dorés ». Tout se passe par des essais de métaphorisation, abandonnés et remplacés par d’autres, et par un élargissement de la perception jusqu’à éclater magnifiquement en un « bleu et or sur les épaules de l’horizon ». Désireux de rendre hommage à la beauté du sensible, mais aussi d'arracher tous les masques absurdes de l’humanité, le poète va tracer nombre de chemins sous le signe des vents, et ouvrir des passages qui  permettent d’entrer en soi-même afin d’affronter la vérité : « Reste à la fin quoi un porche de gaze une odeur de thé rien ». En somme, le pari est de dire aussi l'informe, l'insaisissable, l'incorporel et son mouvement, la violente nature et la menace qu'elle fait naître lorsqu’elle reste inexistante à travers les images figées de nos peurs.

    Voilà pourquoi, le cri et la tourmente apparaissent comme nécessaires. Ne faut-il pas, pour rencontrer le vent de l’espérance, être allé au-delà des abîmes du désespoir ? Seule l'arrivée du Vent violemment lyrique est susceptible d’exploser les mots en océan puis de les éclater en émotions contre des rochers dont l’aplomb commence à se fissurer. Duault ne peut alors que pressentir l'absolu et s'en émouvoir, ses sept vents impétueux guidés par sa VOIX de météore aident chacun à s'émerveiller, à entonner un chant d’espoir en se tenant au plus près de lui-même et de ce qui est.        


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Hymne à la mer d' Alain Duault.


Chevauchez vagues chevauchez crêtes illuminées
                 Sable et sel et craie et soleil
      Grande banque de larmes et ses branches de  sel
 Chevauchez vagues roulez jusqu’aux horizons blêmes
                Cendres et sel et plaie et silence
 Inlassable murmure immense émulsion des âmes en ténèbres
 Braise bleue des vaisseaux enfoncés et des planches à croire
     Roulez vagues roulez vos épaules comme les hanches salées
              Braise et lune et craie et souffrance
 Eclairez blanches les déchirures sournoise des ronces de rochers
   Les lumières assassines des naufrageurs aux dents d’ombre
 Poussez la charrette hurlante des vents du nord des tempêtes
 Roulez vagues hurlez sous le harnais du souffle d’épouvante
                Brume et amble et soie et soleil
 Ombres cachées couchées au fond du froid au fond des ongles
      Jusqu’à l’aveugle folie des abimes où dorment celles
 Qui ont exaucé les rêves de conquêtes les espoirs magellans
 Celles aussi qui ont enfoncé le titanic et les barques de pêches
       Hurlez vagues hurlez entre leurs seins de sel éblouissez
                 Sable et sel et craie et soleil
      Grand champ d’iris au jusant reposé parmi les algues
         Laissez-vous caresser par ce sable que vous saoulez
 Avouez ce sel qui blanchit vos doigts écumants car voici
 L’instant d’écrire aux rochers votre testament de craie
      Acceptez le soleil entre les plis creux de vos robes
 Et chevauchez roulez hurlez éblouissez l’aube du temps
                     Soleil et craie et sel et sable
       Un monde retourné se défait entre les mains mouillées
       Comme une caresse à l’envers qui semble lasse et nue
 Face à l’immense pulsation dont on ne sait rien d’autre
      Que ce qui bat sous la peau jusqu’au fond du silence
 Jusqu’au sang chevauché interminable le jour la nuit le jour
                        Semble et pleine et salie et sable
 La plage au matin délaissée les longs doigts bleus posés
 Comme les vagues épuisées sur les épaules des sirènes
       Et le cœur est si las au bout des nuits de joues salées
 Au bout des rêves hurlés roulés trop grands pour une vie
                Brune et tendre et sel et dormante
      Plus de montagnes pour lever les roses de l’horizon
   Plus qu’une longe posée sur le sol comme on se donne
 Un cheval entre les bras quand sonne le cœur monte la houle
                Bleue et craie et tremble et brûlante
     Plus rien qu’un bouquet d’eau entre les doigts les cils
 Et la soif d’y renaitre bientôt au jusant les aisselles en pluie
                        Soleil et crêtes et cris et tempêtes
               Comme on se laisse manger les paupières la nuit.

Pp13-15 (Les sept Hymnes)
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lundi 17 juin 2013

Julien Gracq

   Les Fantômes ont la parole.....




Dans la brume électrique de Tavernier


  Un soir, vers la fin de la semaine de la première semaine de mai, en patrouille avec Hervouët, une idée bizarre lui vint à l’esprit, il lui semblait qu’il marchait dans cette forêt insolite comme dans sa propre vie. Le monde s’était couché comme un jardin des Olives, fatigué de craindre et de pressentir, saoulé d’angoisse et de fatigue, mais le jour ne s’était pas éteint avec lui: restait cette lumière froide et limpide, luxueuse, qui survivrait au souci des hommes et paraissait brûler sur le monde évacué pour elle seule. C'était un étrange jour de limbes, lavé de la crainte et du désir. Ils atteignent les coupes, un jeu de carte et une bouteille vide s'offrent tel l'emblème de cette armée au bois dormant, mais il se sentait complice. Pourtant Hervouët lui dit que cette inaction lui pèse, ici, à la fin ça fait drôle; mais ils n'ont pas envie de rentrer et vont jusqu'à la frontière. Sensation de bien-être, Grange se glissait chaque fois dans la nuit de la forêt comme dans une espèce de liberté. Ils sont près de la frontière belge, la clairière se transforme en un lieu interdit et un peu magique, mi- promenoir d'elfes et mi- clairière de Sabbat. Hervouët dit à Grange que les passeurs ne passent quasiment plus personne. Complicité entre les deux hommes dans ces conversations chuchotées. Ils fumèrent un moment en silence. Jamais Grange n’avait eu comme ce soir le sentiment d’habiter une forêt perdue: toute l’immensité de l’Ardenne respirait dans cette clairière de fantômes, comme le cœur d’une forêt magique palpite autour de sa fontaine. « On n’est pas soutenus » avait dit Hervouët, le lien était coupé; dans cette obscurité pleine de pressentiments les raisons d’être avaient perdu leurs dents. Il est mobilisé dans une armée rêveuse. On eût dit que le monde tissé par les hommes se défaisait maille à maille: il ne restait qu'une attente pure, aveugle, où la nuit d'étoiles, les bois perdus, l'énorme vague nocturne vous dépouillaient brutalement, comme le déferlement des vagues derrière la dune donne soudain l'envie d'être nu.

Julien Gracq, extrait d'un Balcon en Forêt.


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                                                       Tout Gracq en Pléiade!_____________ 

samedi 15 juin 2013

Octavio Paz



Le chant infini du corps......


Une présence comme un chant soudain,
comme le vent chantant dans l’incendie,
un regard qui maintient suspendu
le monde avec ses mers et ses montagnes,
corps de lumière filtré par une agate,
jambes de lumière, ventre de lumière, baies,
roc solaire, corps couleur de nuage,
couleur de jour rapide qui saute,
l’heure scintille et prend corps,
le monde est maintenant visible dans ton corps,

il est transparent dans ta transparence…

Octavio Paz,  Pierre de soleil, traduction Benjamin Péret




Tous les matins du monde de Corneau



Et les ténèbres se sont ouvertes une nouvelle fois, et ont dévoilé un corps 

tes cheveux, épais automne, chute d'eau solaire, 




ta bouche et la blanche discipline 

de ses dents cannibales 

prisonnières des marécages. 



Ta peau de pain à peine doré 


et tes yeux de sucre brûlé 

sites où le temps n'a pas de cours, 

vallées que seules mes lèvres connaissent 

défilé de la lune qui qui monte vers ta gorge depuis tes seins 

cascade pétrifiée de ta nuque 

haut plateau de ton ventre, 

plage sans fin de ton flanc 


  (....)
Souriantes lèvres entrouvertes et atroces, 


noces de lumière et de ténèbres 

du visible et de l'invisible 


(ici la chair attend sa résurrection et le jour de la vie éternelle) 

  
Patrie de sang, 

Unique terre que je connaisse, qui me connaisse, 

unique patrie en laquelle je crois, 

Unique porte vers l'infini. 


O. Paz, Corps à l'Horizon, traduction d'E Dupas



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Lecture conseillée......



Outre les recueils poétiques, les entretiens :