samedi 15 décembre 2012

Blockhaus/article Besson

     

Blockhaus ou l'Art de voir clair dans l'Obscur !                                    





    Les Gueules noires de la poésie ou le Verbe à contre-jour…..

                     (Eloge critique des assaillants de l’ombre)

 « Au milieu des chapelles littéraires entretuées se dresse un blockhaus. Et c’est un rude exemple que voilà. A la fois tombeau du galérien, béton noir d’avant-poste décapité de sa butte, bunker spectral d’une faction debout dans le mortier éventré de sa place à tenir ; dernier asile d’éclat tendu aux regards cuits, ce blockhaus-là a la gueule à feu d’une meurtrière invincible » (Nocolas Rozier)

     Ecrivains bouillonnants de rage et de fièvre, les poètes de Blockhaus sont à eux 5 une gamme de lyrismes singuliers, une partition de voix soulignant la force d’un engagement subjectif, ils ne s’appesantissent pas sur ce qui est de l’ordre de l’intime ou du questionnement, seule leur langue « collective » stimule des sensibilités volcaniques, leurs poèmes ne s’articulant qu’en impulsions, impétuosités, rafales et  coups de boutoir. Cette écriture à plusieurs mains est désireuse de tout dire, écumant en son mouvement la conviction de ne connaitre aucune douceur à naitre ici-bas. En revanche,  aucun larmoiement, aucun jeu de miroirs , aucune jérémiade ne viennent affadir la noirceur collective à l’œuvre, bien au contraire, dans Expérience Blockhaus, le lecteur descend dans l’Enténébré, au cœur d’une poésie qui mâche, broie, régurgite sa substance sans jamais parvenir à s’en satisfaire, dés lors sous la plume vorace, insatiable, horrifique de la Bête à cinq doigts, les mots ne se  recroquevillent pas sur eux-mêmes, mais s’amplifient en inscrivant le néant au centre de tout, tendant ainsi vers la seule lumière possible, celle du deuil. Cependant pas d’élégie blafarde, pas de chant maladif, pas de tristesse narcissique, la puissance seule d’une douleur cendrée de désastres et de biles donne raison à ce recueil de floraisons noires, à cette bouche d’ombre ou à ce cri profane qui étreint l’Obscur avec une effroyable acuité, empoignant en d’incandescentes humeurs noires les faiblesses du monde :  Dans le noir l’homme devient la vigilance même, un centre de perception tous azimuts, et son cœur devient le cœur du silence. Il sait alors que lui aussi marche dans la nuit et qu’il est cette nuit souveraine arpentant son royaume 

     Dés l’abord, l’univers familier de la Nuit, ce tutoiement peuplé d’ombres, se nimbe de colère, entre engueulades et empoignades ; les poètes de Blockhaus ne désirent, en effet, que la lumière crépusculaire d’un chant  âpre, lucide, tumultueux, un chant, dont la pesée du mot, la liberté altière de l’expression, donne tout son tranchant aux lieux visités et naufragés. On assiste alors à un déferlement, une vague de terre qui engloutit toute référence, toute nostalgie, tout conformisme tant  ces poètes de l’Extrême ouvrent des espaces de grandeur, de clameur et d’une fureur poétique souvent triviale car légitime, regardant en toute conscience leur propre sang couler, réinjectant dans leurs phrases vibrantes, veineuses, vénéneuses quelques vins brulants pour survivre  :  Putain d’enflure de soi-disant Vie, giclée auto-nommée …  longue, ta langue aux lècheries de nerf . C’est pourquoi, leurs voix ne cessent d’être en lutte contre une réalité insignifiante, contre la matière et contre tout ensommeillement, leur langue s’écrie ainsi par poussées ou par chutes, en lignes brisées, en saccades, en des rythmes vertigineux, présentant, en conséquence, l’endroit du monde comme en raison inverse de son désir. Il est vrai que leur propos est de rendre visible creux et  bosses de nos existences, puis comme à bout de nerfs, ouvrir la béance ou la vacuité de notre condition, rendre compte de ce réel au cœur duquel l’humanité suffoque dans les traquenards de l’aube : Echos TELESCOPES dans la ville électrisée/ pas se ravalant avalant d’autres pas//(…) balbutiements langages fous/onomatopées répercutées/sur des bouches bâillonnées/dans l’ombre inalphabète/ GRISAILLE HURLANTE .  En  retrouvant aussi, par hasard, les éléments de la vie au travers de la grisaille des villes, Blockhaus ravive, séance tenante, des images saisissantes, fulgurantes et violentes sur un vide effroyable, celles-ci ne sont  en rien  la traduction d’un trouble, elles sont ce trouble qui s’impose comme l’expression la plus forte, la plus directe d’une société « pourrie jusqu’à la moelle ». Ainsi, pour ces proscrits volontaires, l’excès devient une dimension verticale de l’écriture et de la pensée, si on ne crie pas les mots de l’effroi, on reste prisonnier des choses sans pouvoir s’en dégager, seule cette parole poétique, révoltée, inespérée, demeure susceptible de se déprendre de l’illusion de toute appartenance à ce relent apocalyptique incapable d’un quelconque réveil : Mais la terre est loin, la terre veut la mort du cerveau. Ou lui intime un sommeil profond, loqueteux…(…) De la pourriture à l’excavation la devise est : va, et saille tous les trous  ou lit-on encore «  je ne veux pas dormir », puis le rêve éveillé/ le désert du monde, mon cœur pas à moi qui libère/il n’y a pas de folie comme rempart/l’errance est totale sous le grincement du jour. C’est pourquoi, chaque mot ne commence que sur le bord qui l’efface afin que l’air, plus vicié que libre, lâche prise et que l’obscurité reprenne ses droits. Les bris d’ombre poétiques vacillent dans une mémoire universelle qui pourrait bien être l’autre nom de la souffrance, d’ailleurs pour respirer « en quête d’Oxygène », il faut accepter de quitter le mode artificiel des humains, il faut devenir ces hommes de la minéralité, abandonnés à dessein dans un paysage lourd et bas, il faut faire bloc afin d’entendre des nouvelles du ventre de la terre aussi profond que l’immensité de la mort et donner l’impression de n’avoir jamais commencé d’être parmi nous :  ce vertige d’un corps lancé dans la saoulerie des / matières et qui s’écroule dans l’abîme de son / origine…  .

      « Il est (donc)malaisé, mais ô combien revigorant (…) de s’approcher de ce cratère sans nom  et de découvrir une poésie dont l’essentiel est de saigner les inventions suppliciées de l’abime.(…).Jamais un groupe d’individus aussi dispersés dans l’espace et ne communiquant que par quelques lettres échangées (…) n’aura tenté avec une force de percussion équivalente, de faire face collectivement à ce qui ne peut être perçu que comme l’air du temps » ,ce contre-temps clandestin, dont parle avec brio Christian Dufourquet, émerge inlassablement au milieu des mots révulsés, là où s’impose  une Peau d’ombre  comme une véritable expérience de dépossession d’un corps, lequel prend également racine dans la chair bafouée, enragée, naufragée, une chair infernale , érotique de la mort, une chair d’ossements et de reliques, des chairs, in fine, plus somptueusement désespérées les unes que les autres.  Tout le livre est de la sorte une sublime syncope à laquelle on reste harponné  par ce que les poètes de l’Expérience  élargissent leur déversoir jusqu’à la nausée, et  que notre œil reste accroché à ce trou noir, à cet univers démiurgique d’ironies abimées :  c’est l’éternel gargouillis /Au fond de la gorge un bruit de faux-  ; et parce qu’ils forcent le jeu, parce qu’il savent ce qu’il font,  le pardon n’est pas souhaité, il est, de surcroit, possible de regarder leur corps partir en morceaux sans le moindre épanchement, et même jusqu’au point d’étranglement, on reste partagé, en somme, entre rire jaune et effroi face à cette langue toute de cris et d’exigences qui n’a de cesse de marteler la distance nécessaire. Alors même que la vision apparait comme outrancière, dans ces corps sur-exposés, Blockhaus parvient à nous  fait voir, au travers de ces tissus désincarnés, le Terrible qui est  le seul commencement du vrai : VIDES les régions du cœur/ dans la pâleur immaculée//(…)//une sorte de tournis/ Le cumul des vertiges/ sur des faces en haleine/ où le souffle bat . On étouffe désormais avec eux dans les bornes de sa chair, on se retrouve à l’étroit dans notre être, enterré vivant dans un monde glacé de conventions et d’absurdités. Quand Dieu parait s’absenter, qu’une société informe, larbine vous demande de faire silence, il convient, en un geste tellurique, de se raccrocher à quelque chose, même au cœur du Néant, sans doute à cet amas de chair et d’os qui constitue l’homme, malgré lui. Les humeurs de ce corps, ces secrétions variées, ce trop-plein de laideur ne demandent plus qu’à s’évacuer, la parole devient en ce sens bruit organique, spasme et raclement qui aboutissent au cri ultime de la Poésie :  IL Y A UNE MORT DANS LA MORT : COMME IL Y A DES YEUX QUI S’HABITUENT/ A LA NUIT…  .

    Par, avec et en ce corps pesant et inexistant à la fois, les 5 poètes se projettent au centre de leurs préoccupations qui renvoient  à la négation apparente d’une humanité, en ce sens, l’univers des images, des collages de Françoise Duvivier s’inscrit comme un corps preuve-épreuve, restituant les gestes venus se tordre en grimaçant sur l’écran du poème. Cependant, les proliférations viscérales et ogresques des chairs désertées, des corps suppliciés finissent, malgré la puanteur des caveaux où sont déjà alités les squelettes de cette terre, par nous faire sentir l’odeur d’une possible chair fraiche :  Carne que je déchire/ Chair noire et bleue/bois mort du mental. /La Merveilleuse, celle qui trancha l’ombilic avec ses talons:/chercher un visage dans les rues insoupçonnées. /Voile polaire/ dont la luminosité irradie les Etres . C’est également dans ces mêmes chairs que sont gravées humiliations et désespérances : en compressant les corps, on voit jaillir les méfaits de la société et l’image omniprésente de notre mort. Ces histoires de corps, fussent-elles macabres, apparaissent à la fois, discrètement, comme des signes de vie, un mystère incarné, décharné et, essentiellement, comme une obsession à dire combien l’homme est dépassé par son existence, ce qui entraine angoisse, ennui, délire et folie.  Voilà pourquoi le corps n’en finit pas de mal fonctionner, il est enracinement dans la contingence, engluement dans la matière qui a  toujours le dernier mot et ruine les aspirations de l’esprit.

       L’homme seul, erre donc dans un univers effrayant traversé de forces brutes, il y a du tragique à ne pas être «  un/son » corps, mais des traits autour d’un trou noir concentrique de douleur, un tragique où chacun se retrouve muré dans un rôle sans auteur, dont la seule expression reste celle de pulsions et des colères. Dénonçant le serf-arbitre de l’homme, Blockhaus rejoint le visage d’une folie annoncée de la mort, au moins celui de la folie foudroyante de l’effondrement du monde. Et même si l’on perçoit un accord minimal, « tant que je résiste je vis », même si la révolte se soutient tout au long de poèmes, même si on peut entendre un écho superbe à la haine, une faible espérance dans  ce corps qui plie, qui ne cherche ni le bonheur ni ne le fuit, les poètes-rebelles attendent  l’ouragan comme si la  paix  était en lui. Alors ils écrivent, acharnés et véhéments, pour faire face au Néant, en appellent ensuite à la mort, creusent, fouillent, remontent toujours à la surface ce qui vit sous l’angoisse des choses, sous les apparences, sous l’ingratitude du réel, un réel qu’ils dénudent et pulvérisent, de manière hallucinatoire :  Creux, crou, souffle, attise la guerre, la hache, l’épieu ! S’il n’y a pas d’outil, avec les dents, les becs, les nerfs, les serres empoisonnées ! Finira bien la guerre par céder, sous le boutoir des enfoutraces, des morts-vivants qui se trépassent et des squelettes multifaces  . D’où un climat mental de violence, un livre qui relève autant de la dissonance que de la déchirure, une poésie guerrière sillonnée d’entailles et d’entrailles, une œuvre dont  le chant fraternel possède la beauté lumineuse et tragique  des combats perdus d’avance.

Sylvie Besson.













Ancet, cercle 2


                              Cercle 2

Il n’est guère nouveau de voir son Ombre miroiter, seule l'ombre de l'Autre reste nouvelle !





On a cru percevoir une ombre, mais c’est tout aussi bien une lueur ou même rien de ce qu’on peut dire. Mais c’est là. On s’arrête, on guette. Voilà la nuit dit une voix. On ne voit rien.
Longtemps on a cru que c’était une ombre mais à une ombre il faut un corps. Un monde aussi. Des pierres, des feuilles rouges, des rires, un saxo. Quelques pas, un éclat brusque, vitre ou visage. Un rien qui insiste, qui perce. On compte : un, deux, trois. Á quatre on a perdu. On dit : trop tard. On reste au bord.


Jacques Ancet




!


Essenine


La solitude du miroir!

Shame de Steve McQueen 
La lune est morte,
L’aube bleuit la fenêtre.
O nuit, Nuit, que m’as-tu donc conté ?
Je suis là, en haut-de-forme,
Et à part moi, personne,
je suis seul.
Et mon miroir est brisé

Essenine

Dostoievski


  1. L'image trouble du Ciel...

    La féline de Tourneur
    LES POSSEDES  DE  DOSTOIEVSKI


    Ce dont l’homme a bien plus besoin que de son bonheur personnel, c’est de savoir, ainsi que de croire à tout instant, qu’il existe déjà quelque part, pour tous et pour le tout, un bonheur parfait et serein... La loi entière de l’existence humaine se résume à ce que l’homme puisse toujours révérer l’infiniment grand. Si l’on enlève aux hommes ce qui est infiniment grand, ils cesseront de vivre et mourront désespérés. L’homme a besoin de l’illimité et de l’infini tout aussi bien que de la petite planète où il habite. Oh vous tous, mes amis ! Vive la Grande Pensée, la Pensée Éternelle et Infinie. Chacun, qui que ce soit, a besoin de révérer ce que représente la Grande Pensée.

Faulkner




  1. A l'ombre du "Mal"...


    Les Innocents Clayton




     L’arbre de paradis, à l’angle de la cour de la prison, avait laissé tomber ses dernières fleurs en forme de trompette. Elles jonchaient le sol en couche épaisse, visqueuse sous le pied, douceâtre aux narines, d’une douceur excessive, écœurante, moribonde, et, la nuit, l’ombre déchiquetée des feuilles maintenant tout à fait développées montait et descendait, battant pauvrement contre la fenêtre aux barreaux de fer. C’était la fenêtre celle de la salle commune aux murs blanchis à la chaux, tout maculés de traces de mains sales, tout couverts de noms, de dates, d’inscriptions injurieuses et obscènes, griffonnées au crayon ou gravées avec la pointe d’un couteau ou d’un clou. C’était contre cette fenêtre que, la nuit, le Noir assassin venait s’appuyer, le visage quadrillé par l’ombre des barreaux, entre les interstices mouvants des feuilles, et chanter en chœur avec ses frères alignés en bas le long de la clôture.

    Parfois, dans la journée, il se mettait aussi à chanter, tout seul cette fois. Et le passant qui ralentissait sa marche, les petits voyous qui flânaient, ou les mécanos du garage d’en face pouvaient entendre : » Encore un jour ! Y a pas d’place pour toi au ciel ! Y en a pas non plus en enfer ! Y en a pas dans la prison des Blancs ! Pov’nègre ? 



    Sanctuaire, Faulkner

Maeterlinck


Reflets d'âme ?

Sous l’eau du songe qui s’élève,
Mon âme a peur, mon âme a peur !
Et la lune luit dans mon cœur,
Plongé dans les sources du rêve.
Sous l’ennui morne des roseaux,
Seuls les reflets profonds des choses,
Des lys, des palmes et des roses,
Pleurent encore au fond des eaux.
Stalker de Tarkovski
Les fleurs s’effeuillent une à une
Sur le reflet du firmament,
Pour descendre éternellement
Dans l’eau du songe et de la lune.

 Maurice Maeterlinck


samedi 8 décembre 2012

STIG DAGERMAN


LE MIROIR A SES PROPRES FELURES !


 MORSE de T ALFREDSON.


Les consolations

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
En ce qui me concerne la consolation comme un chasseur chasse le gibier
Partout où je crois l'apercevoir dans la forêt, je tire.
Souvent je n'atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d'un souffle de vent dans la cime des arbres, je me dépêche de m'emparer de ma victime.
Qu'ai-je alors entre mes bras ?
Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l'effroi à bander.
Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé de mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit dur.
Mais il y a d'autres consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux : je suis ton plaisir - aime-les tous !
Je suis ton talent - fais-en aussi mauvais usage que toi-même ! Je suis ton désir de jouissance - seuls vivent les gourmets !
Je suis ta solitude - méprise les hommes !
Je suis ton aspiration à la mort - alors tranche !
...Elles ne peuvent faire oublier le duel avec la peur où la vie cherche sa souveraineté. Il faut, en opposant la force des mots à celle du monde, se défaire de toutes les fausses consolations pour la seule consolation réelle : celle qui me dit que je suis un homme libre, un être souverain à l’intérieur de ses limites.

C’est pourquoi le malheur se comprend aussi comme une chance. C’est pourquoi le malheur se partage entre désir et désespoir et permet à l’affligé d’implorer la liberté. Le cri de celui qui souffre fend le mal et lui permet de distinguer, à travers la permanence de sa douleur, un mirage, les bords estompés de la vie dont il est privé : [...] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites.

STIG  DAGERMAN