samedi 15 décembre 2012

Faulkner




  1. A l'ombre du "Mal"...


    Les Innocents Clayton




     L’arbre de paradis, à l’angle de la cour de la prison, avait laissé tomber ses dernières fleurs en forme de trompette. Elles jonchaient le sol en couche épaisse, visqueuse sous le pied, douceâtre aux narines, d’une douceur excessive, écœurante, moribonde, et, la nuit, l’ombre déchiquetée des feuilles maintenant tout à fait développées montait et descendait, battant pauvrement contre la fenêtre aux barreaux de fer. C’était la fenêtre celle de la salle commune aux murs blanchis à la chaux, tout maculés de traces de mains sales, tout couverts de noms, de dates, d’inscriptions injurieuses et obscènes, griffonnées au crayon ou gravées avec la pointe d’un couteau ou d’un clou. C’était contre cette fenêtre que, la nuit, le Noir assassin venait s’appuyer, le visage quadrillé par l’ombre des barreaux, entre les interstices mouvants des feuilles, et chanter en chœur avec ses frères alignés en bas le long de la clôture.

    Parfois, dans la journée, il se mettait aussi à chanter, tout seul cette fois. Et le passant qui ralentissait sa marche, les petits voyous qui flânaient, ou les mécanos du garage d’en face pouvaient entendre : » Encore un jour ! Y a pas d’place pour toi au ciel ! Y en a pas non plus en enfer ! Y en a pas dans la prison des Blancs ! Pov’nègre ? 



    Sanctuaire, Faulkner

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire