mercredi 3 avril 2013

Samuel Beckett

Entre quatre murs, la pétrification est proche....



                                  There was a Father d'Ozu



 Je suis dans la chambre de ma mère. C'est moi qui y vis maintenant. Je ne sais pas comment j'y suis arrivé. Dans une ambulance peut-être, un véhicule quelconque certainement. On m'a aidé. Seul je ne serai pas arrivé. Cet homme qui vient chaque semaine, c'est grâce à lui peut-être que je suis ici (….). Je ne sais pas. Je ne sais pas grand-chose, franchement. La mort de ma mère, par exemple. Était-elle déjà morte à mon arrivée ? Ou n'est-elle morte que plus tard ? Je veux dire morte à enterrer. Je ne sais pas. Peut-être ne l'a-t-on pas enterrée encore. Quoi qu'il en soit, c'est moi qui ai sa chambre. Je couche dans son lit. Je fais dans son vase. J'ai pris sa place. Je dois lui ressembler de plus en plus. Il ne me manque plus qu'un fils. J'en ai un quelque part peut-être. Mais je ne crois pas. Il serait vieux maintenant, presque autant que moi. C'était une petite boniche. Ce n'était pas le vrai amour. Le vrai amour était dans une autre. Vous allez voir. Voilà que j'ai encore oublié son nom.

Samuel Beckett, extrait de Molloy.
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Actualité.....


La Revue des Lettres modernes, Série Samuel Beckett, Samuel Beckett 3 : "les 'dramaticules'"

Sous la direction de Llewellyn Brown



Caen : Lettres modernes Minard,  2013.



Si les “grandes pièces” – En attendant Godot, Oh les beaux jours et Fin de partie – font désormais partie du répertoire des metteurs en scène, le dernier théâtre de Beckett demeure méconnu des non spécialistes. Ainsi, ce troisième volume de la Série Samuel Beckett cherche à mettre en évidence l’extrême richesse poétique de ces œuvres de la maturité.

mardi 2 avril 2013

Jean-René Huguenin

   Du rocher, l'homme voit trouble....



  Ils partirent ensemble pour le phare du Creach, marchant de front sur la route, mais lorsqu’ils eurent visité le phare ils s’égaillèrent dans les rochers, des groupes se formèrent, Olivier se retrouva seul. Une petite bruine invisible tombait, estompant les contours des rochers, noyant toutes les couleurs - même l’herbe semblait grise. Il avança sur une pointe que les vagues, brisées par des récifs, ne battaient plus que de leur écume. Du rocher où il s’appuyait, il les vit passer au loin, brouillés dans la brume d’Ouessant, Nicolas, François et sa femme, puis les jumeaux et Ariane, enfin Pierre et Anne, chaque groupe à une trentaine de mètres derrière l’autre, défilant d’une démarche lente, étouffée ainsi que des souvenirs. Ils étaient trop loin, à présent, pour qu’il pût les rejoindre avant qu’ils ne disparussent de l’autre côté de la pointe; s’il criait, le vent emporterait son cri  et les gestes qu’il aurait pu faire pour les appeler, personne ne tournerait la tête pour les voir.
Ils disparurent.



Les Proscrits de Victor Sjöström (Merci Florian!)




Au loin, par deux fois, la bouée du CreaCh hurla. Rien ne bougeait sur la lande, que les formes floues de quelques moutons. Olivier resta plusieurs minutes immobile, face au vent, les mains enfoncées dans les poches de son suroît jaune. La tête un peu rejetée en arrière, seul au-dessus des arènes de la mer, il regardait charger les vagues.

De nouveau il entendit la bouée ― deux coups prolongés qui ne ressemblaient pas à une plainte, mais au hurlement inexpressif d’un sourd-muet ou d’un idiot. Les autres aussi, sur d’autres rochers, l’entendaient. Nicolas tournait vers la bouée son mufle endolori, criant « voilà, j’arrive », Ariane et les jumeaux riaient tandis qu’un peu plus loin François, sa moustache rousse au vent, deux flammes rousses furetant dans ses yeux de rat, entourait l’épaule de sa femme comme pour la protéger du bruit.


À quoi bon les rejoindre ? Qui l’attendait ? Il était seul. Simplement, la présence des autres, leurs questions et leurs cris lui dissimulaient parfois sa solitude, formaient entre elle et lui comme un écran dont il éprouvait à cet instant la transparence et l’irréalité. Une force douloureuse le traversa, il pivota lentement sur lui-même ― les rochers déchiquetés, noirâtres, le phare lointain, la lande noyée, les moutons, les rochers ― et il lui sembla faire d’un seul regard le tour de toute la terre. « Personne n’existe », murmura-t-il.


Jean-René Huguenin, La Côte sauvage
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          Conseils de lectures....

vendredi 29 mars 2013

Maïakovski


Dans la nuit, La Pierre luit  jusqu'à devenir étoile !

Tandis que sur le cou écumeux

Des rivières bondissantes,

Les ponts tordent leurs bras de pierre.

Le ciel pleure

Avec bruit,

Sans retenue,

Et le petit nuage

À au coin de la bouche,

Une grimace fripée,

Comme une femme dans l’attente d’un enfant

À qui dieu aurait jeté un idiot bancroche.

De ses doigts enflés couverts de poils roux, le soleil vous a épuisé de caresses, importun comme un bourdon.

Vos âmes sont asservies de baisers.

Moi, intrépide,

je porte aux siècles ma haine des rayons du jour ;

l’âme tendue comme un nerf de cuivre,

je suis l’empereur des lampes.

Venez à moi, vous tous qui avez déchiré le silence,

Qui hurlez,

Le cou serré dans les nœuds coulants de midi.

Mes paroles,

Simples comme un mugissement,

Vous révèleront

Nos âmes nouvelles,

Bourdonnantes

Comme l’arc électrique.

De mes doigts je n’ai qu’à toucher vos têtes,

Et il vous poussera

Des lèvres

Faites pour d’énormes baisers

Et une langue

Que tous les peuples comprendront.

Mais moi, avec mon âme boitillante,

Je m’en irai vers mon trône

Sous les voûtes usées, trouées d’étoiles.

Je m’allongerai,

Lumineux,

Revêtu de paresse,

Sur une couche moelleuse de vrai fumier,

Et doucement,

Baisant les genoux des traverses,

La roue d’une locomotive étreindra ton cou.

Maïakovski




Les Chaussons rouge de Powell


Ecoutez !

 Puisqu’on allume les étoiles,
 c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ?
 C’est que quelqu’un désire qu’elles soient ?
 C’est que quelqu’un dit perles ces crachats ?

 Et, forçant
 la bourrasque à midi des poussières,
 il fonce jusqu’à Dieu,
 craint d’arriver trop tard,
 pleure,
 baise sa main noueuse,
 implore -
 Il lui faut une étoile ! -
 jure
 qu’il ne peut supporter ce martyre sans étoiles.
 Ensuite,
 il promène son angoisse,
 il fait semblant d’être calme.
 Il dit à quelqu’un :
 « Maintenant, tu vas mieux, n’est-ce pas ?
 T’as plus peur ?
 Dis ? »
 Ecoutez !

 Puisqu’on allume
 les étoiles -
 c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ?
 c’est qu’il est – indispensable,
 que tous les soirs
 au-dessus des toits
 se mette à luire seule au moins une étoile ?

Maïakovski

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A propos du cinéaste Mickael Powell omniprésent dans *Les Carnets d'arts et d'essais*....


Lorand Gaspar


Le silence des murs......

Matins où le monde s’étonne
Mu par la main d’un nouveau-né


La chambre verte de Truffaut


Entre rai lumineux et la bouche
Et chaque reflet est un cri
Nouveau de surprise d’exister -
Et les mélodies, les voix
Telles des pinceaux et des ailes
Qui vont où l’ouvert les porte –

Le silence des murs la pudeur du mort rose
Chuchotements d’odeurs au fond des années
Et la mer pieds nus dans les chambres désertes –
Mes yeux sont pris encore dans la nuit
Mais j’entends déjà le jour qui pétrit
Dans sa gorge la fauvette orphée –

Lorand Gaspar, extrait de La Maison près de la mer.
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Lien très intéressant sur Lorand Gaspar

  1. www.oeuvresouvertes.net/autres_espaces/gaspar.html

jeudi 28 mars 2013

Dylan Thomas


Les Pierres voient tout....

Stromboli de Rosselini



Voici la mer, verte et claire

Et dans ses flancs, mille poissons

Ondulant leurs écailles en silence

Dans un monde d’herbes vertes et claires.

Voici mille cailloux : mille yeux

Tous plus vifs que le soleil.

Voici les vagues : des danseurs

Sur un parquet d’émeraude

Font des pointes

Pour danser la mer

Légers comme pour une pantomime.

Dylan Thomas
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Nombres de poèmes traduits par Lionel-Edouard Martin sur son site:
 lionel-edouard-martin.net/tag/dylan-thomas/


dimanche 24 mars 2013

Virginia woolf

  Amas de pierres et de chairs, la ville selon Woolf !


Macadam Cowboy de John Schlesinger


  Les cercles de plomb et de pierre se dissolvaient dans l’air. Que nous sommes bêtes, se dit-elle en traversant Victoria Street. Dieu seul sait la raison pour laquelle nous l’aimons tant, et cette manière que nous avons de la voir, de la construire autour de nous, de la bousculer, de la recréer à chaque instant; et les mégères informes, les rebuts de l’humanité assis sur le pas des portes (l’alcool ayant causé leur perte) en font autant; on ne peut pas régler leur sort par de simples décrets ou règlements, précisément pour cette raison: ils aiment la vie. Dans les yeux des gens, dans leur démarche chaloupée, martelée, ou traînante; dans le tumulte et le vacarme; les attelages, les automobiles, les omnibus, les camions, les hommes-sandwiches qui se frayent un chemin en tanguant; les fanfares; les orgues de barbarie; dans le triomphe et la petite musique et le drôle de bourdonnement là-haut d’un avion, dans tout cela se trouvait ce qu’elle aimait: la vie; Londres; ce moment de juin.....



Blow Up d'Antonioni


Virginia woolf, Mrs Dalloway
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Nouveautés, études et conseils de lectures sur woolf dans l'excellent site suivant:

  1. lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/virginia-woolf/



samedi 23 mars 2013

Cormac McCarthy

La roche est de marbre ! 




Duel au soleil de King Vidor


 Il était couché et écoutait le bruit des gouttes dans les bois. De la roche nue, par ici. Le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement. Sans support dans l’air chargé de cendre. Soutenue par un souffle, tremblante et brève. Si seulement mon cœur était de pierre. 

Cormac McCarthy, La Route.