mercredi 5 juin 2013

Charles Péguy

Ceci est mon corps.....



 
L'homme qui rétrécit de Jack Arnold




Un autre bûcheron avait abattu l'arbre, sans miracle, sans aucun miracle, dégrossi le tronc, coupé les maîtresses branches, écorcé ; une autre hache y avait passé ; d'une autre hache un autre bûcheron avait décortiqué, dépeluré, détaché l'écorce. Sans miracle, sans aucun miracle, par un travail de métier, par un travail normal, professionnel, par un exercice de métier, régulier, par un travail naturel d'homme. Un autre charpentier avait travaillé le bois. Dans quelque marais du Jourdain le roseau était poussé, le sceptre de la dérision, un roseau était poussé, le roseau unique. Le lys des champs ne travaille point. Le roseau des marais, le roseau des eaux dormantes ne travaille pas non plus. Il ne travaille pas de ses mains. Mais de tout son corps, sans aucun miracle, de tout son corps charnel, d'un travail moléculaire infatigable, d'un travail organique périssable infatigable jour et nuit il avait travaillé. Il avait travaillé à croître. Le lys des champs ne file point. Le lys des champs ne file ni ne tisse. Et les oiseaux du ciel ne travaillent point. Mais moléculairement, organiquement, à peine secrètement ils travaillent à croître et à décroître, à naître et à mourir, à devenir, comme tout être, à se nourrir et à dépérir ; et sans aucun miracle, moléculairement, organiquement, nullement, secrètement, suivant la loi commune, accomplissant son travail de métier, comme professionnel, suivant la loi naturelle un roseau unique avait formé, avait poussé sa tige, la tige unique, celle qui ne devait servir qu'une fois, la tige qui un jour, la tige qui une fois, la tige qui devait flageller la face de Dieu.

Charles Péguy, Gesthémani
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Un lien vers Deleuze....

"Parce que, Péguy, ce qui m’intéresse, c’est pas ses rapports avec Dieu, avec la foi, avec une conversion - quoique après tout, il faudra bien qu’il y ait un rapport - mais je vous assure que c’est pas parce que sur mes vieux jours ou dans la maladie, je tende vers une conversion quelconque, c’est pas ça (rires), il faudra bien tirer au clair : pourquoi était-ce vraiment une conversion ou un acte de foi. ? Mais lorsque Péguy surgit - il suffit que vous relisiez si vous ouvrez un livre de Péguy - c’est un ton, on peut dire c’est un style, c’est une manière de parler et d’écrire que vous n’avez jamais entendue, jamais vue. Bien plus dans le cas de Péguy, vous ne le relirez jamais.

En d’autres termes, ce qui m’intéresse chez Péguy, c’est pas sa conversion religieuse, c’est la folie, une espèce de folie grandiose de son langage. Et ce langage, est-ce par hasard que c’est un langage de la répétition ? Où comme il dit, ce qui fait problème, c’est la variation. Il ne faut pas demander aux gens pourquoi ils se répètent, il faut demander aux gens, mais pourquoi ils varient"
Deleuze


  1. www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=182

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