dimanche 6 janvier 2013

Kafka


Il faut VOIR pour sortir?

Oedipe-Roi de Pier Paolo Pasolini

Il poursuivit donc son chemin ; mais que ce chemin était long ! En effet la route qui formait la rue principale du village, ne conduisait pas à la hauteur sur laquelle s’élevait le Château, elle menait à peine au pied de cette colline, puis faisait un coude qu’on eût dit intentionnel, et, bien qu’elle ne s’éloignât pas davantage du Château, elle cessait de s’en rapprocher. K. s’attendait toujours à la voir obliquer vers le Château, c’était ce seul espoir qui le faisait continuer ; il hésitait à lâcher la route, sans doute à cause de sa fatigue, et s’étonnait de la longueur de ce village qui ne prenait jamais de fin ; toujours ces petites maisons, ces petites vitres givrées et cette neige et cette absence d’hommes… Finalement il s’arracha à cette route qui le gardait prisonnier et s’engagea dans une ruelle étroite ; la neige s’y trouvait encore plus profonde ; il éprouvait un mal horrible à décoller ses pieds qui s’enfonçaient, il se sentit ruisselant de sueur et soudain il dut s’arrêter, il ne pouvait plus avancer.
Il n’était d’ailleurs pas perdu : à droite et à gauche se dressaient des cabanes de paysans : il fit une boule de neige et la lança contre une fenêtre. Aussitôt la porte s’ouvrit – la première porte qui s’ouvrait depuis qu’il marchait dans le village – et un vieux paysan apparut sur le seuil, aimable et faible, la tête penchée sur le côté, les épaules couvertes d’une peau de mouton brune.
– Puis-je entrer un instant chez vous ? demanda K., je suis très fatigué.
Il n’entendit pas la réponse du vieux mais accepta avec reconnaissance la planche qu’on lui lança sur la neige et qui le tira aussitôt d’embarras ; en quatre pas il fut dans la salle.
Une grande salle crépusculaire : quand on venait du dehors, on ne voyait d’abord rien. K. trébucha contre un baquet, une main de femme le retint. Des cris d’enfants venaient d’un coin. D’un autre coin sortait une épaisse fumée qui transformait la pénombre en ténèbres. K. se trouvait là comme dans un nuage.


Le Château de Kafka

samedi 5 janvier 2013

Trakl.cercle 5

               Cercle 5

De pierres en pierres, le labyrinthe prend forme .....


Georg Trakl
À Johanna
Souvent j’entends tes pas
Sonner dans la ruelle.
Dans le brun jardinet
Le bleu de ton ombre.

Kafka de Sodenberg, l'homme dans le labyrinthe bureaucratique

Sous la feuillée crépusculaire
J’étais assis, taiseux, buvant mon vin ;
Une goutte de sang

S’écoula de ta tempe

Dans le verre chantant
Moments d’interminable accablement –
Il souffle des étoiles
Un vent de neige au travers des feuillages.


Toute sorte de mort, voilà ce qu’endure
La nuit l’homme pâle.
Ta bouche pourpre
En moi fait vivre une blessure.


Comme si j’arrivais des vertes
Collines de sapins et des rumeurs
De notre lieu natal
Que depuis longtemps nous avons oublié –


Qui sommes-nous ? Plainte bleue
D’une source moussue dans un bois,
Que les violettes
Secrètement parfument au printemps.


Un calme village en été
Protégeait l’enfance, alors,
De notre famille,
Maintenant vont mourants dans la colline


Du soir les descendants chenus,
Nous rêvons de l’effroi
De notre sang nocturne,
Ombres dans la ville de pierre.


Trakl. Traduction due à Lionel-Edouard Martin

Didier Maynach


La lumière des étoiles mortes.....

De la mort des signes le feu obscur resurgira-t-il ?
Autrefois
j’étais roche d’étoile, poussière du grand-mouvement
non dissocié, absolument vide.
La lumière ruisselait...
Je fermais les yeux & la terre intérieure m’apparaissait.
J’étais eau et plante dans le fleuve et le sol
j’étais neige et soleil en fusion sur les cîmes
boue et sang, écume avant de naître
et nous errions sous des voûtes indescriptibles...
J’étais nébuleuse et veines de l’unique
grains de l’air et pollen des fleurs
Espace, voix du silence et des arbres.
On m’apportait des pluies, du vent, les crevasses gelaient


Dead Man de Jamursh

les ruisseaux emportaient les pierres
les oiseaux cherchaient des passes dans l’orage
nous remontions les courants jusqu’à l’abîme.
J’étais cascade et flamme
Chaos & Poème
avant de mourir au monde...

Impacts de Foudre, Didier Maynach

ancet



De la pierre à la poussière...le silence pesant du monde!


S'arrêter, regarder simplement l'aube qui vient,
poser la main sur la pierre froide et saluer
la lumière, dire les premiers mots, écouter
le crissement du sable, le bruissement de l'eau,
la rumeur des choses qui commencent mais le jour
est déjà le soir, on n'a rien pu saisir, on reste
vacant à regarder ses mains dans l'éclat des lampes
ou sur la vitre l'attente du visage noir,
on se perd, on se retrouve, il y a des silences
remplis de voix, des matins tombés comme des soirs,
plus on avance et moins on sait, on cherche demain
entre des mots qui disent hier, ce qu'on a gagné
on l'a perdu, comparé à ce qu'on a été
on n'est rien, disait-il, mais un rien qui insiste,
on guette entre les signes du corps l'imperceptible
grignotement tandis que sur la fenêtre brille
une sorte de splendeur, on voudrait y entrer,
être le courant et à la fois se voir couler,
on cherche, les choses semblent n'avoir pas bougé
mais quand on veut les prendre, les toucher, simplement,
c'est comme si elles reculaient, s'effaçaient
ne laissant sur les doigts qu'un peu de poussière à peine...

Rebecca d'Hitchcock.....L'Homme seul sur la pierre froide......
Extrait de L'Identité Obscure, Jacques Ancet



"Il disait : les pierres n'ont plus que nous. On les entendait crisser, comme des dents, on les voyait dressées avec leurs noms, leurs dates, ou enfouies dans l'herbe haute. Certaines même étaient couchées. Elles offraient un rebord pour s'asseoir et les sentir vivantes de la chaleur du jour. Il disait : les pierres nous font des signes même  quand nous ne les comprenons plus. Est-ce lui aujourd'hui que nous ne savons plus lire - ou de loin seulement ? On voit sa pierre, on voudrait s'approcher, mais elle recule. On la cherche entre tant d'autres. On marche. Les pieds se perdent de trop de pas. On ne trouve rien."

J.ANCET, extrait de Puisqu'il est silence.



Merle et ADam


La pierre ou la clef des choses 

Les Enchainés d'Hitchcock



La pierre a cette densité
d’un ciel d’orage tout entier
ramassé dans ma main

cette possibilité de cataclysme
comme une froide aspiration
de l’air qu’il me reste
à respirer

A l’homme qui saisit une pierre
le monde rappelle la vie
radicale et muette
de ce qui est

Emmanuel Merle, Ici en exil

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------



Boulet au coeur ou petit poucet rêveur ??????

Je voulais que tu m’aimes
Et maintenant tu m’aimes
Mais je t’en prie ne m’attends pas
Je ne viendrai pas à toi
Mon cœur est un caillou
Dans le jardin de quelques personnes
Dont certaines sont mortes
Et personne je l’espère ne peut suivre jusqu’à moi ces cailloux dispersés
Pourtant un seul il faut le croire
Et tout cela n’est qu’apparences
Y compris cette forteresse qui n’est telle
Que de ne pouvoir être trouvée
Alors je t’en prie nage jusqu’à la rive et tiens-toi sauve
Je suis un fantôme
Je suis un adieu

O'Brother des Frères Cohen

"Comptine" de Pascal Adam (blog Theatrum mundi)

vendredi 4 janvier 2013

Lorine Niedecker

"L'Homme et la Pierre", une question de vision?


« La vie est naturelle
Le Rebelle de Cukor

L'Homme et la Pierre, même douleur  ?
               dans l’évolution
                       de la matière

Rien en elle
              au-dessus de la pierre
                            simplement

les papillons
        sont plus vifs
            que la pierre

L’homme
          a la vie dure
                  sur ce perchoir rocheux 

près de la mer
        il imagine
                des œuvres pérennes

Wintergeen  Ridge, Lorine Niedecker

Réda

L'Homme, un caillou parmi les pierres!


J’aime le bas d’ici : je ramasse un caillou
Quelconque. Il a déjà cinq cents millions d’années
Et survivra longtemps aux races condamnées –
À la nôtre. Partir ? Vous voulez qu’on aille où ?

Je tiens ce bout de rien dans ma main peu-de-chose.
Je le palpe, le flaire, en très lointain neveu
Des durs qui l’ont cogné pour en tirer du feu,
Mais il reste confit dans sa lourde ankylose.

Je le médite. Il se réchauffe. Je dirai,
Quand j’entendrai tonner : « Qu’as-tu fait pour ton proche ? »
- Seigneur, j’ai réchauffé cet orphelin de roche,
Quelque part dans un terrain vague. Mais juré :
C’est lui qui m’a jeté quand il a vu ma poche

La  Ligne rouge de Terrence Makick
Jacques Réda