dimanche 13 janvier 2013

Réda, cercle 7


                                                                              Cercle 7


          Le septième cercle ou  l'analogie circulaire  

                  Corps éthérés et ombres terreuses !






Ces visages qui tout à tour m’auront brûlé,
Que voilaient-ils, de quelle invisible figure
Etaient-ils le symbole ou la caricature,
Ou bien la vérité changeante et vouée à l’oubli ?
Mais quand je les revois, surgis de ces replis
Où la cendre à présent voisine avec la roche,
Ne laissant plus au feu qu’un médiocre aliment,
Je redoute un peu moins l’ombre qui se rapproche
Et le souci du vrai s’endort en moi comme un enfant
Fatigué du voyage.

Jacques Réda, Retour au calme.



Alphaville de Jean-Luc Godard

L’âme semble un couloir où des pas hésitants résonnent,
Mais personne jamais ne vient. Dehors, l’ombre qui tremble
Dans les encoignures de porte et sous les escaliers,
C’est l’âme encore, quand la nuit fige le long des murs
Les flots d’eau pâle et froide où l’on est heureux de descendre.
Et qui donc parlait de salut ou de perte pour l’âme,
Alors qu’elle est blottie en son frisson et cependant
Toujours plus dénudée au vent qui souffle en ce couloir ?
Qu’elle se cache ou rôde, écoute : elle s’égare, étant
L’habitante et le lieu d’une solitude sans nom.

Jacques Réda, Amen

Artaud


Et la Chair fut !



La Leçon de piano de Jane Campion


Car la chair n’est que le devin d’elle-même, et les os qui dans le haut du dessin s’énumèrent et les flammes qui leur répondent en bas signifient cette alchimie de matière où le devin ne vit plus que son corps comme de l’orifice de sa bière sans autre destin que d’avoir corps. Et la prophétie n’est plus que ce trajet de stature où l’âme sanguinolente s’écorche et verdit de la tête aux pieds 

Antonin Artaud. Dépendre corps – L’amour unique

Nabokov


Le corps comme Apparition !


D’un pas rapide et décidé sur des patins à roulettes qui ne roulaient pas mais écrasaient le gravier quand elle les soulevait et les laissait retomber en faisant des petits pas japonais ; elle se rapprochait de son banc dans le hasard changeant des rayons du soleil. 



La Leçon de piano de Jane Campion
L'Enchanteur de Nabokov

samedi 12 janvier 2013

Henry Miller


Le corps extatique.....



Je ne regarde plus dans les yeux de la femme que je tiens dans mes bras, mais je la traverse à la nage, tête, bras et jambes en entier, et je vois que derrière les orbites de ces yeux s’étend un monde inexploré, monde des choses futures, et de ce monde toute logique est absente… L’œil, libéré de soi, ne révèle ni n’illumine plus, il court le long de la ligne d’horizon, voyageur éternel et privé d’informations… J’ai brisé le mur que crée la naissance, et le tracé de mon voyage est courbe et fermé, sans rupture… Mon corps entier doit devenir rayon perpétuel de lumière toujours plus grande… Avant de redevenir tout à fait homme, il est probable que j’existerai en tant que parc – sorte de parc naturel où l’on vient se reposer, laisser couler le temps.

Le Dernier tango à Paris de Bertoluci

Henry Miller, Tropique du Capricorne

Metz

Je suis un corps........


L'homme qui penche se penche pour écrire, pour retenir, peut-être, ce qui était plus penché que lui. Il y a les bruits que fait quelqu'un dans mon oreille. Et quelque chose qu'on a laissé tomber.



Le Feu Follet de Louis Malle

Thierry Metz, extrait de l'Homme qui penche

vendredi 11 janvier 2013

Alejandra Pizarnik



Le seul corps vivant...la chair des mots?


J’écris contre la peur. Contre le vent avec des griffes qui se loge dans ma respiration.

Alejandra Pizarnik


Pillow Book de Greeneway



J'ai fait le saut sur moi à l'aube.
J'ai laissé mon corps avec la lumière
et j'ai chanté la tristesse de ce qui est né.


Alejandra Pizarnik

Trakl


La chair obscure ou le corps errant...

Métamorphose du mal


Automne : marche noire à la lisière de la forêt ; minute de destruction muette ; le front du lépreux aux aguets sous l’arbre nu. Soir passé depuis longtemps, qui sombre maintenant sur les couches de mousse ; novembre. Une cloche sonne et le berger mène au village un troupeau de chevaux noirs et rouges. Sous le taillis de noisetiers, le chasseur vert vide un gibier. Ses mains fument de sang et l’ombre du gibier gémit dans la frondaison au-dessus des yeux de l’homme, brune et taciturne ; la forêt. Des corneilles qui se dispersent ; trois. Leur vol ressemble à une sonate, pleine d’accords pâlis et de mélancolie virile ; un nuage doré fond en silence. A côté du moulin, des garçons allument un feu. Le frère du plus blême est flamme et il rit enfoui dans sa chevelure rousse ; ou bien c’est le lieu du crime, à côté duquel passe un chemin pierreux. Les épine-vinettes ont disparu, à longueur d’année ça rêve dans l’air de plomb sous les pins sylvestre ; peur, obscurité verte, le gargouillement d’un homme en train de se noyer : de l’étang aux étoiles, un pêcheur tire un grand poisson noir, le visage plein de brutalité et de folie. Les voix du roseau, d’hommes se querellant dans son dos, il se balance sur une barque rouge à travers les eaux glacées de l’automne, vivant dans les sombres légendes de sa race, et les yeux en pierre ouverts sur des nuits et des terreurs virginales. Le mal.

Les Yeux sans visage de Franju

Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? Noirceur de plomb. Que portes-tu à tes yeux, avec ta main d’argent ; et tes paupières sombrent comme saoules de pavot ? Mais à travers les murs de pierre tu vois le ciel étoilé, la Voie lactée, Saturne ; rouge. L’arbre nu frappe avec rage le mur de pierre. Toi sur des marches effondrées : arbre, étoile, pierre ! Toi, une bête bleue qui tremble en silence ; toi, le prêtre blême qui l’égorge sur l’autel noir. O ton sourire dans le noir, triste et méchant, au point qu’un enfant blêmit dans son sommeil. Une flamme rouge a bondi de ta main et un papillon de nuit s’y est brûlé. O la flûte de la lumière ; ô la flûte de la mort. Qu’est-ce qui te force à te tenir en silence sur les marches effondrées, dans la maison de tes pères ? En bas un ange frappe à la porte d’un doigt cristallin.

Ô l’enfer du sommeil ; ruelle sombre, jardinet brun. Dans le soir bleu sonne doucement la figure du mort. De petites fleurs vertes voltigent autour d’elle et son visage l’a abandonnée. Ou bien il se penche, devenu blême, sur le front froid du meurtrier dans l’ombre du couloir ; adoration, flamme pourpre de la volupté ; mourant, le dormeur est tombé dans l’obscurité par-dessus des marches noires. Quelqu’un t’a quitté à la croisée des chemins et tu regardes longtemps en arrière. Pas argenté dans l’ombre des petits pommiers estropiés. Le fruit luit pourpre dans les branches noires, et dans l’herbe le serpent change de peau. Ô l’obscurité ; la sueur qui apparaît sur le front glacé et les tristes rêves dans le vin, à l’auberge du village sous des poutres noircies par la fumée. Toi, contrée encore déserte, qui transforme la fumée brune du tabac en îles roses et qui tire du dedans le cri sauvage d’un griffon alors qu’il chasse autour de noirs écueils en pleine mer, au milieu de la tempête et de la glace. Toi, un métal vert et dedans un visage enflammé, qui veut partir et chanter les temps obscurs de la colline aux ossements et la chute en feu de l’ange. Ô désespoir, qui tombe à genoux dans un cri muet.

Un mort te rend visite. Du cœur s’écoule le sang qu’il a lui-même répandu et dans le sourcil noir niche un instant indicible ; sombre rencontre. Toi – une lune pourpre, alors que lui apparaît dans l’ombre verte de l’olivier. Vient après lui une nuit éternelle.

Trakl (traduit par Laurent Margantin)

, Huysmans


Le corps en son écrin....



Gilda de Charles Vidor


Dans l'odeur perverse des parfums, dans l'atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant, à la hauteur du visage, un grand lotus, s'avance lentement sur les pointes, aux accords d'une guitare dont une femme accroupie pince les cordes.
La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent ; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent ; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles ; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d'argent, lamée d'or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d'acier, tigrés de vert paon.

    Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui       frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l'hermaphrodite ou l'eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône, une terrible figure, voilée jusqu'aux joues, et dont la mamelle de châtré pend, de même qu'une gourde, sous sa tunique bariolée d'orange.

Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes.


 A Rebours, Huysmans

Thierry Metz


L'alchimie du corps


Vertigo, Hitchcock

Au centre du crâne
comme un bulbe de fleur
l'oeil du maçon contemple une larve blanche
ovule de la demeure.
Et là, dans l'essaim minéral
loin des herbes
le squelette fait sa récolte
et devient coquillage. 

Thierry Metz

jeudi 10 janvier 2013

Pierre-Albert Jourdan





L'Eveil des Corps ?


Un tramway nommé désir de Kazan

En creusant

Le silence est notre chambre depuis toujours
les solitudes ne peuvent s’atteindre
qu’à travers de multiples déchirures
et c’est sans doute le sens ultime
de la lente pénétration de la terre dans nos corps.

Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et l’adieu

Mishima,


 Eros et Thanatos, la chair a ses raisons....
Il reposa le sabre ainsi enveloppé sur la natte devant lui, puis se souleva sur les genoux, se réinstalla les jambes croisées et défit les agrafes de son col d’uniforme. Ses yeux ne voyaient plus sa femme. Lentement, un à un, il défit les minces boutons de cuivres. Sa brune poitrine apparut, puis le ventre. Il déboucla son ceinturon et défit les boutons de son pantalon. On vit l’éclat pur et blanc du pagne qui serrait les reins. Le lieutenant le rabattit à deux mains pour dégager davantage le ventre, puis saisit la lame de son sabre. De la main gauche il se massa le ventre, les yeux baissés.
Pour s’assurer que le fil de la lame était bien aiguisé, le lieutenant replia la jambe gauche de son pantalon, dégagea un peu la cuisse et coupa légèrement la peau. Le sang remplit aussitôt la blessure et de petits ruisseaux rouges s’écoulèrent qui brillait dans la lumière. [...] Les yeux du lieutenant fixaient sur sa femme l’intense regard immobile d’un oiseau de proie. Tournant vers lui-même son sabre il se souleva légèrement pour incliner le haut de son corps sur la pointe de son arme. L’étoffe de son uniforme tendue sur ses épaules trahissait l’effort qui mobilisait toutes ses forces. Il visait à gauche au plus profond de son ventre. Son cri aigu perça le silence de la pièce.
Yukio Mishima,  La mort en été


Mishima de P Shrader

Elsa Morante


Cet hybride est notre corps....

« Au moment même où sa volonté désespérée repoussait mon baiser, son corps (qui brusquement se révélait à moi comme si je l’avais vu nu) me suppliait, au contraire, de l’embrasser encore! Cette supplication palpitante et sauvage parcourait tous ses membres, de ses pieds roses à la pointe de ses seins qui saillait sous son chandail. Et dans ses yeux épouvantés tremblait encore ce regard mouillé, merveilleux, teinté d’une vapeur bleue que j’y avais entrevu tout à l’heure pendant que je l’embrassais. Je criai de nouveau :
- Nunziata ! Nunziatè ! »



Etreintes brisées d'Almodovar

Elsa Morante, L’Île d’Arturo (extrait trouvé sur Terres de Femmes d'Angèle Paoli)

Crevel


Le corps, à fleur de peau....

Nuages flottants de Naru

Sous tes cils, entre les rives
S'est pris. Coule, coule eau vive.
La nuit part, mais l'amour reste
Et ma main sent battre un cœur.
L'aube a voulu parer nos corps de sa candeur.
Fête-Dieu.
Le désir matinal a repris nos corps nus
Pour sculpter une chair que nous avions cru lasse.
Sur les fleuves au loin déjà les bateaux passent.
Nos peaux après l'amour ont l'odeur du pain chaud.
Si l'eau des fleuves est pour nos membres,
Tes yeux laveront mon âme ;
Mais ton regard liquide au midi que je crains
Deviendra-t-il de plomb ?
J'ai peur du jour, du jour trop long
Du jour qu'abreuve ton regard couleur de fleuve
Or dans un soir pavé pour de jumeaux triomphes
Si la victoire crie la volupté des anges,
Que se révèle en lui la Majesté d'un Gange.

Crevel, Mon corps et Moi

mercredi 9 janvier 2013

JYRKI KIISKINEN – ALLER-RETOUR/article Besson.

Les tissages du corps poétiques...



JYRKI KIISKINEN – ALLER-RETOUR
Poèmes traduits du finnois par Gabriel Rebourcet
Editions fédérop (2006/2008)


par Sylvie Besson

«………le corps / à l’instant de l’extase au moment de la mort le tic-tac / monte des cavités sombres de l’écorce d’acier / l’horlogerie sous-marine le cœur nucléaire / où la roue dentée entraîne en grondant la manivelle / géante du zodiaque dans le cœur / sous-marin de la planète le sang chuinte et déferle dans les veines / ventricules et oreillettes se contractent le moteur s’excite / de l’écorce d’acier le temps jaillit crinière au vent je hurle »… Corps tracé au-delà de l’inextricable enchevêtrement de sentiments, au-delà des paradoxes du monde, au-delà de l’extrême dualité des mécanismes de la pensée, corps tatoué par la ligne poétique d’une individualité parfois indéfinissable, mais déterminable dans ses courbes originales, il suffit au poète de faire un pas au cœur de ce corps singulier pour y retrouver la forme entière de l’humaine condition : « je loue ma voix à ceux qui n’existent pas / au pays qui n’est pas au chant qui est né de celui-ci / le chant qui est reparti en laissant une trace / silhouette de forme humaine en fusion ». Ainsi, le corps -sous toutes ses coutures- devient, chez Kiiskinen, une machine à explorer le temps, il déambule dans le monde, embardée soudaine dans l’espace et le temps, avec les souvenirs irréellement harmonieux de la vie passée auxquels se substituent la surface du présent et les images de l’avenir dont on voit le fond et dont on découvre si peu de profondeur. Alors le corps craque, se fissure, se débat et subit les aléas de l’existence dans un immense vrombissement intérieur ; à l’instar de tous ces objets qui ne cessent de l’entourer, le corps dit au creux ou au verso de sa chair l’absurdité des destinées, la force du hasard et le crépuscule des dieux. 
    C’est de cela que rend compte la langue incarnée du poète, prise entre l’éblouissement de l’utopie et la nécessité d’en faire le deuil, d’en signifier la négation, interminablement et malgré soi ; la voix sourde de Kiiskinen se multiplie alors en des voix multiples qui se heurtent, se croisent sans jamais se détacher du corps auquel elles appartiennent, ces voix entonnent bel et bien un chant, celui d’un être farouchement lyrique, poète qui chute à trop vouloir se projeter dans un avenir qui ne peut advenir, témoin du temps en tant qu’il est en train de passer, déjà plus mélancolique que véritablement nihiliste, constatant que la mort est un éternel recommencement. Se détache dès lors la parole d’un corps à jamais inapte au présent qui est le sien, mots d’un poète possédé qui refuse à faire taire la moindre de ses voix. Ce passage de l’esprit au corps, Kiiskinen le retransmet magistralement, son Verbe va jusqu’au bout de ce voyage de l’incarnation, jusqu’à devenir liquide, comme un flux gigantesque, comme si désintégré à son tour, il accédait à une forme de spiritualité : « …j’ai peur que le monde / soit une simple redite j’ai peur d’en être / une partie mes yeux s’emplissent d’écrits textes saints / on sèche mon corps entre les feuilles je regarde droit devant / les lettres dos voûtés tirent leurs rames derrière mon visage (…) on se querelle pour des années de splendeur / des années fabuleuses….qui donc rêve par ici qui rêve derrière mon visage… ».


The Servant de Joseph Losey

Acteur des vicissitudes de la vie qui se défait en lui-même, ce corps-poème en aller-retour, entre mémoire et désir, tisse une gigantesque toile verbale ; longtemps macérée dans l’obscurité de son corps, cette écriture physique se tend vers son inconnu, témoigne que l’on est à côté de quelque chose d’absent, langue qui porte l’opacité du réel en elle pour répéter autant de fois ses propres limites comme celles du monde qu’elle met en jeu : « …j’ai fait encore un pas / dans ma langue obscure ». Langue ample, ponctuée de prières rageuses et de métaphores énigmatiques, l’écriture pourrait donner l’impression d’un foisonnement gratuit mais Aller-Retour sait avancer sur le fil du rasoir, tranchant à vif dans l’épaisseur d’un réel aussi labyrinthique que précis, en des chemins maîtrisés de vertiges et d’entrailles; la langue du poète est donc une façon de respirer le monde, écrire c’est se cogner à son image et aux représentations de ce même monde, c’est une expérience dure et essentielle, sans doute un instant d’immortalité douloureuse : « je franchis la ligne jaune moi aussi je suis immortel / moi aussi je suis Titan citoyen moderne de l’enfer / que Cronos attend dans la coque immortelle / de mon horloge d’acier un rêve de raison aérodynamique ». 
     Le poète joue, de cette manière, avec sa propre lucidité et le verbe se joue du poète au travers du corps modelé à la dimension d’un mécanisme aussi rigoureux qu’insensé, corps accroché à la terre, enchaîné à l’histoire, balloté par les événements, corps malmené par la foule, corps amer et à mort qui se donne juste le temps de se mesurer à l’immensité de l’aléatoire, corps en mots étourdissants qui ne peut guérir d’être mortel. Manifeste en négatif, le poète donne au travers de cette chair devenue verbe ce qu’il est, ce qu’il vit, chair qui retourne sans fin à la terre, à une terre libre et sensuelle; la voix intime et amère de Jyrki Kiiskinen parvient à découvrir dans le monde infrangible un espace hanté qui s’écarte entre le secret et l’apparition, mais si le temps peut se dissoudre dans la patience de cet espace jamais il ne s’apaise entièrement car le corps gît déjà loin, solitaire, entre le passé et l’instant. Derrière les images à la fois hallucinantes et réalistes de ce corps poétique, c’est cependant, toujours et encore, la vie qui tremble, fût-elle de nuit….

Sylvie Besson






Woolf



L'Etre et le Néant...le corps en ses fissures !


Le Locataire de Polanski


  • Ainsi, toutes les lampes éteintes, la lune disparue, et une fine pluie tambourinant sur le toit, commencèrent à déferler d'immenses ténèbres. Rien, semblait-il, ne pouvait résister à ce déluge, à cette profusion de ténèbres qui, s'insinuant par les fissures et trous de la serrure, se faufilant autour des stores, pénétraient dans les chambres, engloutissaient, ici un broc et une cuvette, là un vase de dahlias jaunes et rouges, là encore les arêtes vives et la lourde masse d'une commode. Non seulement les meubles se confondaient, mais il ne restait presque plus rien du corps ou de l'esprit qui permette de dire : "C'est lui" ou "C'est elle." Une main parfois se levait comme pour saisir ou pour repousser quelque chose ; quelqu'un gémissait, ou bien riait tout fort comme s'il échangeait une plaisanterie avec le néant.

    La Promenade au Phare de Virginia woolf.

Serge Rivron


La Chair ou l'essentiel du corps!


Elle est dedans, et je suis en elle. Nous sommes la même chair et nous nous unissons. Entends-la geindre et s’échauffer, entends son souffle et sa salive à ton oreille ! baise-moi ! baise-la ! Elle a dégainé ton épée, dans sa main te dresse et prépare la noce ­ cette noce qui fera la chair se réunir à la chair à nouveau, cette noce venue du fond de l’homme et de la femme, remontée et attendue du fond des âges, cette noce fomentée et guettée depuis qu’en ce jardin où les anges tombaient, la chair s’est séparée de la chair.

Sens-la, hume-la !

Bullhead de 
La Chair, Serge Rivron

Sylvia Plath


Le corps comme camisole


Combien de temps pourrai-je être un mur,
protégeant du vent ?
Combien de temps pourrai-je
Atténuer le soleil de l'ombre de ma main,
Intercepter les foudres bleues d'une lune
froide?
Les voix de la solitude, les voix de la douleur
Cognent à mon dos inlassablement. 



Soudain l'été dernier,  Mankiewicz  
Sylvia Plath





Je l’ai encore refait
un an parmi dix
j’y suis arrivé -

comme un miracle ambulant, ma peau
brillante comme un abat-jour de nazi
mon pied droit

un presse-papiers
mon linge juif,
sans caractère, magnifique

serviette enlevée
o mon ennemi,
est-ce que je fais si peur ?

le nez, les orbites des yeux, toute la denture ?
le souffle aigre
s’évaporera en un seul jour.

Bientôt, bientôt la chair
le trou de la tombe sera mon chez moi sur moi
et m’aura mangé

Et je suis une femme tout sourire
je n'ai que trente ans.
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je le fais vraiment très bien.

Je le fais si bien que cela ressemble à l’enfer
je le fais si bien que cela semble réel
j’imagine que vous puissiez dire elle a un appel.

C’est suffisamment facile de le faire dans une cellule
C’est suffisamment facile de le faire et de rester sur place.
C’est le théâtral

retour en scène dans le vaste jour
à la même place, avec le même visage, le même cri
amusé et brutal :

« Un miracle !"
Cela me met ko.
Il y a une plainte

pour mes cicatrices béantes, il y a une plainte
pour l’audition de mon cœur -
cela ira au bout.

et il y a une plainte, une très importante plainte
pour un mot ou un contact
Ou une goutte de sang

ou une parcelle de mes cheveux sur mes vêtements.
Et oui, et oui, Herr Doktor,
et oui, seigneur ennemi.

Soudain l'été dernier.....

Je suis ton opus,
je suis ton objet précieux
le bébé en or pur

qui hurle en fondant en un cri perçant
je me tourne et je brûle.
Ne crois donc pas que je sous-estime ta grande préoccupation.

Cendre, cendre -
tu as fouiné et remué.
Chair, os, il n’y a rien ici -

un gâteau de savon
un anneau de mariage,
un plombage en or.

Seigneur Dieu, seigneur Lucifer
fais gaffe
fais gaffe.

Jaillissant de mes cendres
je m’élève avec mes cheveux rouges
et je bouffe les hommes comme l’air.

Sylvia Plath

Czeslaw Milosz


Désincarnation........

DON

Jour si heureux.
Le brouillard était tombé tôt, je travaillais au jardin.
Des colibris s’arrêtaient au-dessus de la fleur du chèvrefeuille.
Il n’y avait rien sur terre que j’aurais voulu posséder.
Je ne connaissais personne qui aurait valu d’être envié.
Le mal qui était advenu, je l’oubliais.
Je n’avais pas honte d’être celui que je suis.
Je ne sentais dans mon corps nulle douleur.



La corruption de Bolognini

Czeslaw Milosz

WITTKOP,/cercle 6

                                        Cercle 6



Le corps ou le labyrinthe de la chair.....



Les Promesses de l'Ombre de Cronenberg


L'enfant a brusquement ouvert un œil, translucide comme celui d'une pieuvre et, dans un épouvantable borborygme, a rejeté sur moi le flot noir d'un mystérieux liquide. Ouverte dans un masque de Gorgone, sa bouche ne cessait de vomir ce jus dont l'odeur emplissait la chambre. Tout ceci a quelque peu gâté mon plaisir. Je suis accoutumé à de meilleures manières car les morts sont propres. Ils ont déjà rejeté leurs excréments en quittant le vie, comme on dépose un fardeau infamant. Aussi leur ventre résonne-t-il du son creux et dur des tambours. Leur odeur fine et puissante est celle du bombyx. Elle semble venir du cœur de la terre, de l'empire où les larves musquées cheminent entre les racines, où les lames de mica jettent leur lueur d'argent glacé, là où sourd le sang des futurs chrysanthèmes, parmi les tourbes pulvérulentes, les bourbes sulfureuses. L'odeur des morts est celle du retour au cosmos, celle de la sublime alchimie.

Gabrielle WITTKOP, Le Nécrophile

Wittkop



Le labyrinthe comme miroir intérieur.....

Kubrick, Shining
Le dernier jour fut gris et rose, d’un gris d’ombre plate, d’un rose chancreux. L’année, minime fragment temporel, est maintenant éparpillée en un mouvement centrifuge d’étoile, en un motif qui ne peut être saisi que par la force de sa propre dispersion. 


Gabrielle Wittkop, Chaque jour est un arbre qui tombe


lundi 7 janvier 2013

Hélène Dorion, Ravir : les lieux Hélène Dorion, Ravir : les lieux, Éditions de La Différence, Collection Clepsydre, 2005. Lecture de Sylvie Besson LE RAVISSEMENT PERPÉTUEL !


Au coeur du labyrinthe, la lumière lézarde les murs....



Hélène Dorion, Ravir : les lieux


Hélène Dorion, Ravir : les lieux,
Éditions de La Différence, Collection Clepsydre, 2005.



Lecture de Sylvie Besson
LE RAVISSEMENT PERPÉTUEL ! 



       Présence charnelle des lieux, la parole d’Hélène Dorion s’ordonne autour d’eux : elle construit sa lumière dans l’opposition entre la clarté saisie et la mate obscurité, entre le monde comme événement et son déroulement comme image poétique. Ce jeu entre l’ombre et la lumière est celui du poète et de son regard, dans une relation où la blancheur des choses exposées vibre de tous les dangers, tandis que se tisse autour de tels instants la toile la plus complexe, sensuelle et insaisissable des sentiments, celle de l’être et du néant. Tout porte dans sa matière les traces d’une beauté fragile et en laisse naturellement ressortir la charge tragique ; autour des atermoiements des corps, la succession légère du ravissement des lieux compose un hors-champ douloureux et sombre qui répond aux instants de lumière. Ainsi la concrétion onirique des déplacements impose un rythme singulier, une sorte de nostalgie lourde et paisible ; le poète occupe le monde en habillant les contours des ombres, miroirs, fenêtres et visages à la guise de ses mots, les constituant physiquement autant que sensiblement dans une traversée à rebours des apparences.

    Sur fond de ravissement, les fulgurances imposent une aura soudaine et déconcertante. Hélène Dorion décline ici le principe de l’apparition comme une mise en lumière ontologique ; les lézardes d’une ville, les vacillements de l’obscurité, le roulement des eaux, l’intrusion d’un visage, le passage d’une voix, la permanence d’un éclat prennent la forme du poème, « [ce] lieu qui n’est aucun lieu / mais qui les porte tous. » C’est ainsi que la voix poétique accomplit un jaillissement inattendu dans le cours des jours et du monde, dans la fluidité de l’être et de ses sensations :

« Le vent. ― Et tu chutes / dans le paysage : / l’onde silencieuse / enserre tes pas, tes mains. // Au moins le jour brûlé / bascule. Le ciel se rompt / avec les oiseaux / venus à ta rencontre. »

    La lumière est différente, émanation nouvelle, mais qui ne vient pas d’ailleurs ; l’horizon quotidien se rompt grâce aux forces des lieux soumis au jour énigmatique, fugace, déliquescent. Après tout, c’est une histoire d’effroi, d’émerveillement et de création, une histoire de mots comprise comme illumination, et le mystère de l’apparition est en fait celui de faire apparaître les lieux dans leur rareté :

« l’eau qui fuit. / Mais qui regarde encore : / le ciel mince / touche la tête / ravit les lieux ».

    Comment alors se contenter des ombres incertaines quand on a pu voir surgir la brûlure de l’exposition au monde ? Saisir le trouble au grand jour, c’est construire par fait de langue un regard ravi, rien n’allant de soi ni dedans, ni dehors, et cette variation, cet éblouissement, ce changeant, c’est ce que regarde avec soin Hélène Dorion ; le titre ponctué de son œuvre s’érige d’ailleurs dans cette dualité, signe double, espace double, une espace avant, une espace après :

« Émerveillée, je regarde / par la serrure du monde / j’ouvre les yeux, j’ouvre la main / comme si j’avais été invitée / à cueillir les roses de mon propre jardin. »

Poésie rivée à l’infime comme à l’universel, à ce qui semble fixe mais qui ne cesse de bouger, le poète fait remuer le réel, son texte, éclairé, palpite d’ombres à chaque page :

« On n’a rien vu venir, et tout / soudain arrive. Derrière ce qui s’effondre / reste des ombres que des ombres ».

   La réalité tremble, les lieux se meuvent, le poète s’obstine à vivre, écrire, en se déplaçant dans le rythme du tremblement.

     En somme, la poésie d’Hélène Dorion repousse l’immobilisme qui cache et dissimule, sa poésie ne s’interrompt jamais de chercher, poésie des questions qui se refuse à asséner, poésie qui n’exige pas de réponses, poésie du regard, poésie ouverte, car de lieu en lieu, de loin en loin, un mot s’élève, une bordée de mots ; une lumière éblouit plus puissante que le jour, un bruit monte plus saisissant que le murmure, un appel s’élève plus déchirant que la parole, jusqu’à ce Cri des profondeurs qui « secoue les draps de l’âme ».



Sylvie Besson

dimanche 6 janvier 2013

'Oscar Wilde


La conscience errante du labyrinthe !


Il se leva et alla fermer les deux portes. Au moins, il serait seul à contempler le masque de sa honte... Alors il tira le paravent et face à face se regarda... Oui, c’était vrai ! le portrait avait changé !...
Comme souvent il se le rappela plus tard, et toujours non sans étonnement, il se trouva qu’il examinait le portrait avec un sentiment indéfinissable d’intérêt scientifique. Qu’un pareil changement fut arrivé, cela lui semblait impossible... et cependant cela était !... Y avait-il quelques subtiles affinités entre les atomes chimiques mêlés en formes et en couleurs sur la toile, et l’âme qu’elle renfermait ? Se pouvait-il qu’ils l’eussent réalisé, ce que cette âme avait pensé ; que ce qu’elle rêva, ils l’eussent fait vrai ? N’y avait-il dans cela quelque autre et... terrible raison ? Il frissonna, effrayé... Retournant vers le divan, il s’y laissa tomber, regardant, hagard, le portrait en frémissant d’horreur !...
Cette chose avait eu, toutefois, un effet sur lui... Il devenait conscient de son injustice et de sa cruauté envers Sibyl Vane... Il n’était pas trop tard pour réparer ses torts. Elle pouvait encore devenir sa femme. Son égoïste amour irréel céderait à quelque plus haute influence, se transformerait en une plus noble passion, et son portrait par Basil Hallward lui serait un guide à travers la vie, lui serait ce qu’est la sainteté à certains, la conscience à d’autres et la crainte de Dieu à tous... Il y a des opiums pour les remords, des narcotiques moraux pour l’esprit.
Oui, cela était un symbole visible, de la dégradation qu’amenait le péché !... C’était un signe avertisseur des désastres prochains que les hommes préparent à leurs âmes !
Trois heures sonnèrent, puis quatre. La demie tinta son double carillon... Dorian Gray ne bougeait pas.
Il essayait de réunir les fils vermeils de sa vie et de les tresser ensemble ; il tentait de trouver son chemin à travers le labyrinthe d’ardente passion dans lequel il errait. 

Le portait de Dorian Gray de Lewin. Dorian face à sa labyrinthique toile!
Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde

Renée Vivien


Dans l'ambiguité du labyrinthe....



La Maison du diable de Robert Wise

Le Labyrinthe

J'erre au fond d'un savant et cruel labyrinthe...
Je n'ai pour mon salut qu'un douloureux orgueil.
Voici que vient la Nuit aux cheveux d'hyacinthe,
Et je m'égare au fond du cruel labyrinthe,
Ô Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.

Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;
Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.

J'erre au fond d'un savant et cruel labyrinthe,
Et mes pieds, las d'errer, s'éloignent de ton seuil.
Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte...
Dans l'ambiguïté grise du Labyrinthe,
J'emporte mon remords, ma ruine et mon deuil...

Renée Vivien

Alejandra Pizarnik



La forme terrible d'un labyrinthe!

Chambre seule
Le Labyrinthe de Pan de  Guillermo del Toro. 

La vérité de ce vieux mur
si tu oses me la demander
et ses fissures, ses déchirures
formant visages, sphinx
mains, sabliers
viendra alors inéluctablement
une présence pour ta soif
sans doute s’en ira
cette absence qui te bois


Alejandra Pizarnik

Borges


Pas d'issue possible.....

LABYRINTHE

Il n’y a pas de porte. Tu y es
Et le château embrasse l’univers
Il ne contient ni avers ni revers
Ni mur extérieur ni centre secret.
N’attends pas de la rigueur du chemin
Qui, obstiné, bifurque dans un autre,
Qu’il ait une fin. De fer est ton destin
Comme ton juge. N’attends pas l’assaut
Du taureau qui est homme et dont, plurielle,
L’étrange forme est l’horreur du réseau
D’interminable pierre qui s’emmêle.
Il n’existe pas. N’attends rien. Ni cette
Bête au noir crépuscule qui te guette.



Le Troisième Homme de Carol reed
Jorge Luis Borges, Éloge de l’ombre

Kafka


Il faut VOIR pour sortir?

Oedipe-Roi de Pier Paolo Pasolini

Il poursuivit donc son chemin ; mais que ce chemin était long ! En effet la route qui formait la rue principale du village, ne conduisait pas à la hauteur sur laquelle s’élevait le Château, elle menait à peine au pied de cette colline, puis faisait un coude qu’on eût dit intentionnel, et, bien qu’elle ne s’éloignât pas davantage du Château, elle cessait de s’en rapprocher. K. s’attendait toujours à la voir obliquer vers le Château, c’était ce seul espoir qui le faisait continuer ; il hésitait à lâcher la route, sans doute à cause de sa fatigue, et s’étonnait de la longueur de ce village qui ne prenait jamais de fin ; toujours ces petites maisons, ces petites vitres givrées et cette neige et cette absence d’hommes… Finalement il s’arracha à cette route qui le gardait prisonnier et s’engagea dans une ruelle étroite ; la neige s’y trouvait encore plus profonde ; il éprouvait un mal horrible à décoller ses pieds qui s’enfonçaient, il se sentit ruisselant de sueur et soudain il dut s’arrêter, il ne pouvait plus avancer.
Il n’était d’ailleurs pas perdu : à droite et à gauche se dressaient des cabanes de paysans : il fit une boule de neige et la lança contre une fenêtre. Aussitôt la porte s’ouvrit – la première porte qui s’ouvrait depuis qu’il marchait dans le village – et un vieux paysan apparut sur le seuil, aimable et faible, la tête penchée sur le côté, les épaules couvertes d’une peau de mouton brune.
– Puis-je entrer un instant chez vous ? demanda K., je suis très fatigué.
Il n’entendit pas la réponse du vieux mais accepta avec reconnaissance la planche qu’on lui lança sur la neige et qui le tira aussitôt d’embarras ; en quatre pas il fut dans la salle.
Une grande salle crépusculaire : quand on venait du dehors, on ne voyait d’abord rien. K. trébucha contre un baquet, une main de femme le retint. Des cris d’enfants venaient d’un coin. D’un autre coin sortait une épaisse fumée qui transformait la pénombre en ténèbres. K. se trouvait là comme dans un nuage.


Le Château de Kafka

samedi 5 janvier 2013

Trakl.cercle 5

               Cercle 5

De pierres en pierres, le labyrinthe prend forme .....


Georg Trakl
À Johanna
Souvent j’entends tes pas
Sonner dans la ruelle.
Dans le brun jardinet
Le bleu de ton ombre.

Kafka de Sodenberg, l'homme dans le labyrinthe bureaucratique

Sous la feuillée crépusculaire
J’étais assis, taiseux, buvant mon vin ;
Une goutte de sang

S’écoula de ta tempe

Dans le verre chantant
Moments d’interminable accablement –
Il souffle des étoiles
Un vent de neige au travers des feuillages.


Toute sorte de mort, voilà ce qu’endure
La nuit l’homme pâle.
Ta bouche pourpre
En moi fait vivre une blessure.


Comme si j’arrivais des vertes
Collines de sapins et des rumeurs
De notre lieu natal
Que depuis longtemps nous avons oublié –


Qui sommes-nous ? Plainte bleue
D’une source moussue dans un bois,
Que les violettes
Secrètement parfument au printemps.


Un calme village en été
Protégeait l’enfance, alors,
De notre famille,
Maintenant vont mourants dans la colline


Du soir les descendants chenus,
Nous rêvons de l’effroi
De notre sang nocturne,
Ombres dans la ville de pierre.


Trakl. Traduction due à Lionel-Edouard Martin