Le labyrinthe de Pierre-Albert Jourdan : une plongée dans le clair-obscur !
En creusant
Le silence est notre chambre depuis toujours les solitudes ne peuvent s’atteindre qu’à travers de multiples déchirures et c’est sans doute le sens ultime de la lente pénétration de la terre dans nos corps.
Pierre-Albert Jourdan, Le bonjour et L'adieu
Coeur fidèle d'Epstein
« Ce n’est pas une vie, n’est-ce pas ? Non, c’est une mascarade. Masque après masque, feuille après feuille… Le dépouillement n’est qu’une façon de se rendre plus visible. À soi-même. Le plongeon de la pie en haut du cyprès. Non pas à cause de quelque objet miroitant mais parce que la lisibilité du paysage y invite. Les chances de se tromper sont moindres. Plongeon dans la clarté. Donnez-moi cette chance, je vous prie. »
Pierre-Albert Jourdan, extrait de L’Approche
(Texte trouvé sur le très beau Blog *Enjambées Fauves*. Cf. Trans-sphères!)
Le labyrinthe invisible de notre perte....le Néant !
Persona de Bergman
Le monde du mal échappe tellement, en somme, à la prise de conscience de notre esprit ! D'ailleurs, je ne réussis pas toujours à l'imaginer comme un monde, un univers. Il est, il ne sera toujours qu'une ébauche, l'ébauche d'une création hideuse, avortée, à l'extrême limite de l'être. Je pense à ces poches flasques et translucides de la mer. Qu'importe au monstre un criminel de plus ou de moins ! Il dévore sur-le-champ son crime, l'incorpore à son épouvantable substance, le digère sans sortir un moment de son effrayante, de son éternelle immobilité. Mais l'historien, le moraliste, le philosophe même, ne veulent voir que le criminel, ils refont le mal à l'image et à la ressemblance de l'homme. Ils ne se forment aucune idée du mal lui-même, cette énorme aspiration du vide, du néant. Car si notre espèce doit périr, elle périra de dégoût, d'ennui. La personne humaine aura été lentement rongée, comme une poutre par ces champignons invisibles qui, en quelques semaines, font d'une pièce de chêne une matière spongieuse que le doigt crève sans effort. Bernanos, Journal d'un curé de campagne Un regard toujours très juste d'Asensio sur Bernanos, honnêteté intellectuelle oblige!
Le Labyrinthe lumineux des ombres ...un son qui t'accompagne, une lame d'éclair deux heures du matin quelque part dans l'espace syllabes de lueurs, bougies qui dérivent le chant est un tortueux labyrinthe creusé dans les corps solitaires - nous conduira-t-il jusqu'à l'aube ?
La Ligne rouge de Terrence Malick
Va et vient d'icônes, d'encens, de voix le pouls furtif des flammes minuscules clignotements dans le gouffre immuable Et nos mots sont pareils à un plongeur dans les glauques profondeurs de l'oubli algues et sables mêlés à nos voix Cris tout au fond des chambres sans mémoire où des corps cherchent l'unique fenêtre fleuve dans le fleuve, chant dans le chant nage secrète dans le corps du nageur - Nous sommes les eaux de l'immobile voyage les faîtes et les creux du temps serrant la barre du cri sur le ventre - Dans les labours de mer des ombres blanches fous, pétrels, frégates, fulmars fouillent l'écume des eaux déchirées -
Lorand Gaspar, Patmos Lorand Gaspar/James Sacré dans la revue Terres de Femmes d'Angèle Paoli. Prix européen de la critique poétique francophone Aristote 2013.
La maison, miroir labyrinthique tendu à nos fantasmes !
Rebecca d'Hitchcock
Nous voyons une maison et nous savons immédiatement quel type d’existence est possible dans cette maison. […] Dans les plus brefs délais, nous savons si nous pourrons habiter cette maison ou si nous devons au contraire renoncer à vivre dans cette maison. Le caractère habitable ou non de la maison est immédiatement connu de tous. Tout ce que nous allons expérimenter, tout ce que nous allons penser et tout ce que nous allons ressentir, nous pouvons le regarder comme si nous l’avions déjà vécu. En moins d’une minute, nous pouvons imaginer notre existence future dans cette maison, nous pouvons percevoir cette existence comme si elle était déjà accomplie et révolue. […] Nous imaginons nos vies possibles dans des maisons inconnues, et à la fin ces existences s’entassent les unes sur les autres quelque part au fond de nous.
Sébastien Brébel, Villa Bunker
Rebecca d'Hitchcock
Et la nuit venue, lorsqu’il était sur le point de s’endormir, de nouvelles portes s’ouvraient dans son cerveau, il arpentait les étages mentalement, visitait les chambres l’une après l’autre, dans une succession morne et prévisible, passant en revue ses souvenirs comme s’il battait un jeu de cartes de façon mécanique, inconsciente, récapitulant l’ordre et la grandeur de chaque pièce, et il continuait à parcourir la villa dans ses rêves, comme perdu dans un décor de théâtre .
Sébastien Brebel, Villa Bunker _________________________________________________________________________________ Note sur *La Villa Bunker*.
Avec Villa Bunker, c’est tout autre chose, à contre-courant de cette tendance récente, que nous propose Sébastien Brebel, jeune romancier vivant à Nantes où il enseigne la philosophie. Le titre l’indique d’emblée, il y est question d’enfermement plutôt que de grand large. Certes « villa » fait penser d’abord à villégiature, mais, en l’occurrence, il serait plus pertinent de parler, pour cette grande bâtisse de bord de mer où se retirent les parents du narrateur, d’une « ex-prison », tant la villa en question paraît revêche et mal habitable, transformant peu à peu ses deux occupants en « prisonniers d’une architecture maudite ». Propice au huis clos, l’endroit paraît idéal pour que s’y noue une intrigue puisant dans la névrose familiale. Et le roman semble bien pouvoir emprunter cette piste. Le père, en proie à quelque chose comme une folie Wittgenstein, se retire au dernier étage d’une tour d’angle, où il s’acharne à un « travail de réflexion et de clarification », dont il attend qu’il lui découvre « tôt ou tard la mathématique de la villa idéale ». La mère, enfermée, elle, dans le salon de réception, s’abandonne à la pulsion graphomane qui la conduit à inonder son fils de lettres. Et la névrose maternelle d’épancher sa rancœur (« depuis ton plus jeune âge tu as manifesté ta détestation de toute musique, tu t’es révolté contre la musique que je jouais et contre la musique que j’écoutais »), de récriminer contre la « folie Foucault » du fils (qui est aussi le narrateur). Elle lui reproche d’avoir tout sacrifié à une thèse sur l’auteur de l’Histoire de la folie à l’âge classique, thèse définitivement au point mort. L’enfant, qui déjà se cloîtrait dans sa chambre pour recopier la Seconde Préface de la Critique de la raison pure ou les quarante premières pages de la Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, est ainsi devenu « un raté ou une sorte de monstre », « tout cela par la faute d’un philosophe mort du sida ». Et le ton acariâtre de la mère n’est alors pas loin de faire songer à celui que Thomas Bernhard prête à ses personnages, avec le même effet jubilatoire pour le lecteur (« est-ce que la philosophie mène là, alors je dis que la philosophie est une maladie mortelle et plus redoutable que toutes les maladies »). ………..Dans l’espace clos d’une villa qui a tout d’un château labyrinthique, ce n’est pas la prise de possession d’un espace familial qui en effet advient (« l’emménagement » n’aura jamais lieu). Bien plutôt, l’auteur s’attache à traquer tous les indices d’une lente « déterritorialisation » qui voit le lieu se détraquer, se creuser d’inquiétants trous noirs. Au point que la réalité finit par devenir indiscernable du rêve (ou plutôt du cauchemar) et les personnages eux-mêmes par osciller entre existence et non-existence, vie réelle et vie fantomatique. Car si la villa s’avère inhabitable, ce n’est pas seulement en raison de son architecture étrange, c’est aussi, au bout du compte, parce qu’elle est hantée par un passé énigmatique et habitée par un fantôme….
Villa Bunker n’est pas un livre qui fait voir du pays, c’est un livre qui creuse......
Jean-Claude Pinson
Actualité : Sortie de *La Baie Vitrée* (mai 2013) http://www.youtube.com/watch?v=jKYfu_E4fCA&feature=player_embedded#t=0s
"Libre de labyrinthe", le pas de l'homme heurte-t-il la beauté ?
Mort à Venise de Visconti
Icare
......
Dédale, cervelle
D’Icare et de Craie :
Où gagne en crue le nom d’oiseau comme en mémoire un mot sécrète la parole,
Deux strophes d’ailes
Agite en mon langage
Ce nom d’oiseau, j’éprouve penne à penne
L’accroissement de mes syllabes,
Le texte se fuselle et glisse mieux dans l’air, prend modèle d’alouette et m’emporte,
Écriture verticale,
À l’aplomb de la palme et de l’eucalyptus.
Chemin de ciel ; libre de labyrinthe,
À mouvements de parole
Mon corps prend plume : pétrel empli d’un chant qu’aucune
Corne n’imite,
Au seul battement de ses ailes
S’accorde le chant d’Icare,
Avec ponctuation du coeur comme d’un jour naissant, vibrant de miel et de vin si profond
Que la mer est appelée vineuse…
Extrait de *Autour de
foudre* de Lionel-Edouard Martin _____________________________________________________________________________________ Pas seulement des articles, mais aussi des poèmes, des extraits de romans et des traductions poétiques!
La posture verticale ou le labyrinthe invisible....
Mais je préférerais être horizontale. Je ne suis pas arbre avec mes racines dans le sol suçant à moi minéraux et amour maternel afin qu’à chaque mars je puisse être éclaboussure de feuilles
Non plus ne suis la beauté d’un jardin allongé arrachant des ah enthousiastes et peint de façon baroque sans savoir que je perdrai mes pétales par rapport à moi, un arbre est immortel et si petite la tête d’une fleur, mais plus saisissante et tant je voudrais la longévité de l’un et la hardiesse de l’autre.
Cette nuit, dans l'infinitésimale lumière des étoiles, les arbres et les fleurs ont déversé leurs odeurs froides Je marche parmi eux, mais aucun ne me remarque.
La terre d’Alexandre Dovjenko. Un immense merci à Florian Poinot pour cette image retrouvée!
Parfois je pense que lorsque je dormais je devais parfaitement leur ressembler - Pensées parties dans le sombre. Cela serait si normal pour moi, de m'étendre. Alors le ciel et moi parlons franchement, et je serai enfin utile quand je reposerai pour de bon: alors les arbres pour une fois me toucheront peut-être, et les fleurs auront du temps pour moi.