vendredi 25 octobre 2013

Roud



L'Homme en terre errante!



The Three of life de Mallick



Tout cela, j'aurais dû monter vers toi pour te le dire. Le chemin n'est pas si long qui nous sépare. [...] Il faudrait être fort comme un arbre ; les yeux fermés sur sa force, les poings serrés, poser le pied sur ce rivage perfide, et franchir d'un bond, comme un sable mouvant, ce lieu où se mêlent l'être et le non-être. Oh ! peu de chose, il est vrai, suffirait à redonner courage : au bord de la route, la plante de pulmonaire rugueuse aux doigts comme de la milaine, une tache de froment victorieuse de la neige, ou même une seule gorgée de vent moins âpre... J'attends aussi ce sursaut intérieur qui vous soulève comme un vin, cette certitude d'un miraculeux Futur imprévisible... 

 Gustave Roud, « Pigeons »,  Air de la solitude

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

A lire en complément.....



En hommage à Cocteau



     L'Invisible ou l'Ile visible de Cocteau.....
Essai de Sylvie Besson


  La composition d’un Invisible à part entière est, poétiquement, une réussite. L’Invisible né des anges scripturaux et bipolaires, du spectre séduisant et baroque de la mort, réanime la poésie d’un souffle singulier ; l’on voit s’ébattre des silhouettes inconnues, se mouvoir des formes évanescentes, robes d’anges ou de mort qu’il s’agit de toucher au moins une fois. L’on observe des visages déjà disparus se mirer avec grâce, des constellations envahir l’espace du monde. Mais, toutes ces figures à géométrie variable n’appartiennent qu’au monde visible du poète qui parvient, avec brio, à les manipuler de façon à les rendre plus invisibles qu’elles ne l’étaient à leur commencement. Tout semble se jouer dans ce visible rendu invisible et non l’inverse. Le poète est donc un médiateur au sens orphique, et c'est toute une initiation qu’il doit subir pour parvenir à se jouer de « son » invisible avec une désinvolture feinte ; puis à se débarrasser, aussi légèrement, de ce qui est visible avec une telle gravité. 
         Mais ces formes fascinantes sont, in fine, vouées à disparaître ou à se décomposer, dépendantes de la mortalité ou de la matérialité que le poète leur prête, il faut accepter, de nouveau, de ne pas tout maîtriser de la démesure du visible comme de l’ubris de l’Invisible. En effet, si le poète donne la sensation de posséder le sens de l’Invisible comme un secret murmuré, s’il parvient à ne garder du monde que ce qui le rassure, ce monde, somme toute, ne dépend pas entièrement de lui. Il  lui faut donc s’immerger dans le temps des choses, saisir la vie aux plus petits endroits et faire ressortir le merveilleux qui s’y cache, l’histoire du poète devient cette odyssée de l’esprit se cherchant dans la matière.

  « Créer n’est pas déformer ou inventer des personnes et des choses. C’est nouer entre des personnes et des choses qui existent et telles qu’elles existent, des rapports nouveaux » 

  Cette croissance de l’œuvre est, dès lors, comme un accomplissement mystique, il faut être essentiellement poète, dans le sens où la vie la plus intime de l’esprit ne peut se disjoindre des choses en ce monde. Cocteau ne fait-il pas ainsi l’éloge de l’unité secrète d’une vie spirituelle et d’une volupté sensuelle, comme source de création ? Cette invisible unité que le poète décline à l’infini dans les miroirs d’Orphée, image esthétisée, image plurielle, image fétiche, image naturelle ou immatérielle, prend sens à travers lui ; le poète se lit comme un de ses poèmes car il est en tant qu’être orphique, être d’invisibilité autant que de chair et d’émotion.
Tout, dans le monde de Cocteau, procède de deux pôles antagonistes qui créent l’unité visible de son œuvre. Si le poète, par son écriture, maintient les êtres disparus en vie, il s’initie aussi à revenir vers le réel qui est le seul à émouvoir. L’artiste et son œuvre avancent riches de symboles, dans une marche jamais lourde, mais imprégnée de légèreté, d’humour et de fantaisie. Tout prend alors une allure spirituelle et sensuelle à la fois. L’ange et la mort sont autant des signes numineux que des formes généreuses, Orphée et son miroir sont autant des sources de méditation que des images d’esthète, mais c’est surtout le temps qui s’érige, sous la plume de Cocteau, en un rite du profane et du sacré. Le temps devient un désir renouvelé des plaisirs, un passage vers l’envers du décor et le reflet du poète. La nécessité de ce trait d’union naît d’un besoin de passer par soi, d’une équation personnelle d’un monde extérieur à soi et d’un regard sensible au monde de l’âme et du corps. Toute cette constellation de choses naît aussi d’une issue qu’est le regard poétique sur le réel, reste le poète lui-même. 
      Si l’abolition de la distance entre le sujet et l’objet tel qu’il le voit, puis le rend invisible aux autres, est une espèce de no mans’land poétique à partir duquel se voit réinvesti le monde familier et simultanément no mans’land à partir duquel naît l’espace du monde, le sujet semble affirmer un incessant désir de maîtrise du temps, de peur, sans doute, de se fondre dans l’insignifiant. Le poète est saisi de vertige, parfois d’effroi devant ce monde qui se déploie, incommensurable dans son inquiétante beauté, comme distension de son espace intérieur. Ainsi dans la vision de la chose nue, c’est-à-dire dans son éclatante vérité, répond une épreuve dysphorique. L’inespéré débordant toute attente, le poète se trouve de nouveau confronté à une solitude profonde, seule l’œuvre arrache la chose à son évanescence, à sa fugacité, le travail du créateur étant de lui accorder une forme durable, et par là un supplément d’être.  La forme poétique peut ainsi accorder à la chose sa durabilité, la certitude de sa tenue, son indépendance. Par là même, la chose secrète dans ce qu’elle donne à voir, débordant tout regard ou toute prise, accède, par cette métamorphose, à l’existence même. La parole poétique cède la parole aux choses, des plus infimes aux plus vertigineuses, aux puissances titanesques de la nature comme à la détresse qui habite cette chair vouée à disparaître, cette face de la vie détournée de nous. 




L'île nue de Kaneto Shindo 
    

    
         Tout cherche à devenir lieu de fécondité, le désir désire s’accomplir au travers d’incarnations oxymoriques, effrayantes, séduisantes, sensibles, intelligibles et grotesques, formes doubles du poète et du monde. Une fois mises en mots, ces incarnations retournent au mystère de l’Invisible, de la même façon le chant poétique ne parvient à épuiser l’invisibilité des choses ici-bas, il faudrait passer son temps à déceler des apparitions. Là aussi, le poète ne peut montrer qu’une partie visible des choses, mais revisitées par la puissance de ces évocations et de ses métaphores.

  L’artiste transmetteur de signes venus de loin, les trouve, en fait, à proximité de lui ; toutes les «traces d’invisibilité» du monde, émiettées, diversifiées, s’identifient à des signes verbaux nés de l’âme et du corps du poète. Il faut retrouver le langage d’une pré-histoire, celle des voix d’enfance et des paroles du corps, d’où la participation active du sang du poète à son écriture alors que le seigneur inconnu qui l’habite continue de faire silence.
    Ce sont davantage les secrets de l’existence que le poète éprouve, la mort, le temps, le vide, mais il était plus rassurant de les placer dans une autre dimension jusqu’à ce qu’ils implosent sous le poids du non-sens ou de l’angoisse. C’est pourquoi la poésie se nourrit de ces images qui précèdent la parole ; au cœur de l’existence, elles sont issues du tréfonds de l’être, prennent racine aux sources du désir. En effet, jamais assouvi par le réel, le désir se nourrit d’absence, de manque, en somme d’invisibilité, il veut combler toute séparation. Le poème naît en creux de cette invisibilité, il naît du lyrisme du dedans et de celui du dehors qui disent le sublime et l’atroce de ce qui est à la fois visible et invisible, uni et séparé.
       Mais voilà l’errance est ressentie comme un insupportable exil, la terre est pour Cocteau le lieu de l’inachevé ; la boiterie lyrique nécessaire, entre appel et réponse, obéit plus souvent à une angoisse spéculative finissant par amputer le poète d’une partie de sa quête. C’est dans la grâce qu’il aurait dû vivre cet exil, comme un allègement de l’éphémère afin de fusionner avec le flux primitif de la vie. En effet, la terre de poésie est terre d’invisibilité à même la terre, terre baignée d’une lumière tardive au cœur de laquelle le poète pouvait secrètement trouver place et réponses à sa quête, c’est un lieu d’essence poétique car invisible à l’œil nu  ; cet exil célèbre la résistance du souvenir et la persistance d’un devenir. Si la reconnaissance lumineuse de l’exil aurait pu délivrer Cocteau de sa pesanteur, ne l’enfermant plus dans son œuvre mais l’amenant dans le dévoilement de l’autre, dans son être ouvert à une réalité sensible, si l’exil, patrie de l’Invisible, demeure trop souvent un arrière pays  ou une rive à atteindre, reste que le poète a fait de sa poésie un miroir susceptible de refléter, tous les lieux du monde, ici et maintenant.
       Cocteau a souvent conduit sa barque en eaux troubles : « N’ai-je pas laissé ma barque dériver sous prétexte qu’il fallait mal conduire sa barque ? N’ai-je pas échoué sur une île déserte ? » , mais à l’avant de cette barque obscure se profilent de prodigieuses ombres. Et même si le poète n’a pas toujours eu l’entière maîtrise de ses déplacements en terre d’exil, il n’a eu de cesse de passer ses rêves en contrebande afin que son chant de coq se métamorphose en chant du cygne.
        Dès lors, la poésie devient dans cet ex-ile, dans ce véritable lieu d’invisibilité, un chant permanent, un vide transmué en parole, un voyage sans fin et une lutte contre l’oubli de l’être ; le poème coctalien est à juste titre un signe visible qui jamais ne renonce à l’homme et se mobilise contre le néant :  

                           « Jamais ne se termine un homme / Jamais ne se calme un cri »

Sylvie Besson .

Junger/Hoderlin


 Là-bas, le vapeur de midi gagnait maintenant vers l'île de Lesina ; il paraissait à peine plus grand que le bateau qui passa, portant Ulysse enchaîné, devant le rivage des sirènes. Le merveilleux, notre intimité avec lui est à ce point profonde qu'il n'éveille en nous nul étonnement. La joie singulière, que ses images nous réservent, vient d'une présence où nous voyons confirmée la réalité de nos rêves. Comment Hölderlin, loin des parages où s'ébattent les dauphins, eût-il sinon reconnu, dans sa plus secrète signification, l'impérissable beauté du monde des îles ?

Ernst Junger, Le jeu de perles de verre




L'éternité et un jour d'Angelopoulos





Père Archipel ! me voici près de toi saluant ton repos !
Car tu vis, ô Puissant ! et toujours sans vieillir tu reposes dans l'ombre
De tes monts, comme alors, et toujours étreignant de tes bras de jeune homme
La terre que tes vagues entourent, le pays ravissant de tes filles.
Pas une île perdue ! Oh, pas une des fleurs de tes eaux n'est perdue !
Crète est debout et Salamine a reverdi, et, sous la lueur des lauriers
Ornée d'une auréole de rayons, à l'heure où s'enflamme l'aurore,
Délos élève son front inspiré ! Et Ténos et Chios
Regorgent de fruits empourprés, et, du haut de ses collines ivres,
La boisson de Cypros ruisselle, et, sur les pentes de Kalauria
Comme alors, les ruisseaux argentés gagnent l'onde ancestrale du Père !
Toutes sont là, les îles, les mères immortelles des Héros.
Les printemps successifs voient leurs fleurs ; mais au temps où du fond de l'abîme
La flamme de la nuit, l'ouragan souterrain déchaînant sa fureur,
Saisissait tout à coup l'une d'elles et jetait dans ton sein la mourante,
Tu restais patient et divin, car ta face impassible aura vu
Plus d'un monde apparaître et sombrer sur les gouffres remplis de ténèbres.

L'Archipel d'Hölderlin 
in Poèmes isolés, trad. par Jean Tardieu, Philippe Jaccottet




--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


A relire....







vendredi 18 octobre 2013

Calaferte


L'étoilement des îles.....



Îles!
nous relirons les pages oubliées que vous fîtes écrire en
lettres d'océan par des sages à barbes
et nous les apprendrons aux jeunes voyageurs
lorsque les mers échues dicteront nos naufrages

Calaferte, Rag-Time





Still Life de Zhang Khe



J'aime les arbres bleus
j'aime les âmes blanches
les têtes qui se penchent
noyées dans les cheveux

Un et un qui font deux
les matins des dimanches
les demoiselles blanches
avec des rubans bleus

La morsure du feu
à l'écorce des branches
le ciel de nos nuits blanches
et la mort peu à peu

J'aime le vert brumeux de ses yeux à piment

Calaferte,  Poèmes ébouillantés 

        
                                             ___________

Iles

Halte
voici les rives étrangères 
Drapé dolent d'amples tentures
pays vêtu de noirs lauriers
voici l'ardeur de l'héliotrope
la voici sise au sein du jour assemblé sur ses baïonnettes
pays savant à toute école
pays pays d'impertinences inféodé à la lumière 
halte !
voici la grasse olive
l'écaille close du poisson
pays de la lanterne sourde
et gaine
flot
de ta morsure
le pavois de ce minaret
pays pays comme l'arène
bouté dans la lucide instance et tous les sangs à le nourrir
et tous les sangs à l'engraisser
voici les spasmes des concerts
cavaliers agressant la berge ivres morts dans le midi vrai
pays pays d'argile bleue
souple articulation du songe
voici nocturnes les synodes des vanilles exacerbées
voici les épouses lunaires
pays de la délectation immense
et me voici
grand page
à conduire tes rois

Calaferte, Rag-Time


A lire et relire..........


dimanche 13 octobre 2013

Faulkner

L'Homme, îlot  perdu dans l'Océan....



 Il se tenait là, simplement, au milieu d’on ne sait quelle suprême distillation du jour impitoyable, éblouissant, quasi tropical, ne sachant plus s’il clignait des yeux ou non, au milieu d’une implacable infiltration que les murs mêmes ne pouvaient arrêter, et qui venait de l’atmosphère qui l’entourait, relents de poisson et de café, de sucre et de fruits, de chanvre et de marécage...

 Faulkner, Pylône


  • Elle serait là - (l'éternelle odeur de café, de sucre, de chanvre s'égouttant lentement sur des plaques de fer au-dessus des plis lourds de l'eau brune, et, là-bas, là-bas, là-bas, tout le bleu suprême de l'espace et de l'horizon ; la pluie chaude à pleins canivaux charriant les têtes des crevettes mangées ; les dix mille inéluctables matins où dis mille plantes épiphytes ponctuent de leurs oscillations les efflorescences ramollies et scrofuleuses de la brique suintante, et les dix mille paires de pieds léonoriens, plats, bruns et mercenaires, tigrés de rayures par suite d'un armistice entre les jalousies et l'invincible soleil : le café noir et faible, la myriade de poissons mijotés dans un océan d'huile) - elle serait là demain et demain et demain ; non seulement ne pas espèrer, pas même attendre : seulement souffrir. 


     Faulkner, Pylône



    Valse avec Bachir d' Ari Folman 








    Faulkner, Lumière d'août

      Il lui semblait qu’un jour serait suivi d’un autre jour, plein de fuite et de hâte, sans nuit entre eux, sans intervalle pour se reposer, comme si le soleil, au lieu de se coucher, s’étant retourné dans le ciel, revenait en arrière sans avoir touché l’horizon. 

    A lire donc, absolument....

Jabès

Je est une Ile.....



Nomade ou marin, toujours, entre l’étranger et l’étranger, il y a – mer ou désert – un espace délinéé par le vertige auquel l’un et l’autre succombent.
Voyage dans le voyage.
Errance dans l’errance.
L’homme est, d’abord, dans l’homme, comme le noyau dans le fruit, ou le grain de sel dans
l’océan.
Et, pourtant, il est le fruit. Et, pourtant, il est la mer.

Edmond Jabès,  Un étranger avec, sous le bras



 Mes arbres sont le flamboyant et le dattier, ma fleur, le jasmin. Mon fleuve fut le Nil bleu ; mes déserts le sable et le silex d'Afrique. Avais-je le droit de les considérer miens parce qu'ils étaient entrés en moi par la pupille et par le cœur et parce que ma bouche le proclamait ....


           Edmond Jabès , Le Livre des Questions, III, Le Retour au livre.





Mud sur les rives du Mississipi de Jeff Nichols



Qui dirait encore, de cette île, qu'elle est une île et de ce " il " qu'il est une pensée ? 

Qui dirait, ne ressassant que cela, qu' " il " et " île " sont une seule pensée au sein du vide où elle persiste ; tantôt figée dans son désir - mais c'est l'espace qui, autour d'elle, s'anime - ; tantôt ivre d'errance - mais dans un univers immobile. 

Ce qui demeure fuit. Et à aucun moment ne refuse : ni l'attente, ni l'aventure ; 

ni d'être double, 

ni d'être solitude du double 

et multitude de solitudes. 

 Disant davantage - ne se livrant pas. Une pensée à ce point partagée qu'au plus frêle de sa précarité, elle cesse d'être double.

 Ne disant rien que sa négation. 

(...) Cette blancheur d'un autre soi-même, plus blanche encore où elle s'écrit.

 Mots extrêmes.

 L'espace ah ! l'espace infranchissable.

 Qui dirait, aveugle et, aussi, émerveillé, la séparation alors qu'elle est univers préservé dans sa plénitude ?

 (...) Là où la douleur est seule et l'amour, ses propres ailes brûlées. 

Disant l'immémoriale attente ; en vain la perpétuant où il n'y a plus de cris qu'intérieurs.

  Et puis cette " île " au plus lointain de l'exil où l'onde n'est qu'ample rumeur indocile ; que mots ivres, sans objet, se heurtant à leurs lettres défuntes. 

Poussières de sel. 

D'autres déserts sont en vue. 

 Ronde est la terre à force de tourner sur elle-même.

 Le vide qui l'a modelée, la voulant ainsi.

 La rondeur est fruit de la patience. 

Toutes les traces cédant la courbe. 

Bel arc-en-ciel ! 

 Serons-nous toujours ce bond et cette chute où le nom s'ouvre au nom qui l'habite ; où la couleur s'ouvre à la couleur et se consume ?

 Le vide après l'incendie. 

 Et puis cette errance toujours reconduite.

 Et ce besoin urgent, pathétique d'en finir. 

(...) 

 Feinte liberté ! L'errant, dans sa dépendance à la route, ne témoigne que de ses chaînes. 

De cette solitude qui parle à soi-même pour rejoindre la solitude de l'autre,

 la parole est le pas et l'ancre. 

Un moment de distraction aura suffit à noyer les cinq continents.

 La mer est sans remords.

 Le dilemme et l'épi.

 Le champ n'est jamais que sol meurtri d'une innombrable naissance. 

Un voyage, vous dis-je, un éternel voyage dans l'inconnu et dans la mort.

 L'âme est plus vaste que le monde. 

Nous sommes cette déchirure. 



Edmond Jabès, Poésies complètes.

_________________________________________________________

Conseil de lecture....


lundi 30 septembre 2013

Lionel-Edouard Martin


L'encre des îles....


Froufrou des voiles, toiles légèrement empesées : un sillage épicé de cannelle et de vanille, d’embruns de sueur au creux d’aisselles (foule des passantes, houle d’hippocampes à caracos multicolores) excite un désir à l’apparence de brise, un remous presque charnel à la cime des palmiers.
Palmeraie, cathédrale à l’envol, les ailes des colonnes s’appuient sur le ciel à gestes mesurés. Mais nul arrachement ne vient conclure la période éternelle, qu’un battement de virgules, ponctuation souple des heures.
Palmes en désir d’envol, de rupture. Pourtant nul souffle en proue de mer la brise est morte : à peine ma parole au bord de ce poème anime une infime étoile, émeut le feu de ma chandelle.


The Phantom Light de Michael Powell

Table en terrasse, gréée de blanc : mes mots pénètrent la vigie d’un délire insulaire, ma bougie voit des îles au milieu de ma voix, s’agite à cris muets. Que je dise palme et l’archipel
Attise une flamme enthousiaste, un pareil désir d’envol et de rupture, au sommet de mon navire.
Où palpite la palme, le ciel cesse, et tous les morts – même bleu, le ciel est un lieu plein de morts. Est-ce ma parole, mon chuchotis mal perceptible à la tombée du soir et à l’orée du poème, qui prête au cœur-palmier ce mouvement binaire ? J’ai bonnement dit palme et la vie tout là-haut soudain s’est mise à battre ; que je lève les yeux, j’y puiserai ce qu’il me faut de sang pour dessiner un arbre au fond de mes prunelles.

Lionel-Édouard Martin, extrait de Litanie des bulles, Soc et Foc, 2010


-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Dernier roman  ....
  1. NATIVITÉ CINQUANTE ET QUELQUES de Lionel-Édouard Martin, à ...

    vampinteractif.canalblog.com › Messages septembre 2013
    15 sept. 2013 - LE VAMPIRE INTER'ACTIF, le blog d'actualités de la maison d'édition Le ... NATIVITÉ CINQUANTE ET QUELQUES de Lionel-Édouard Martin...