Je est une Ile.....
Nomade ou marin, toujours, entre l’étranger et l’étranger, il y a – mer ou désert – un espace délinéé par le vertige auquel l’un et l’autre succombent.
Voyage dans le voyage.
Errance dans l’errance.
L’homme est, d’abord, dans l’homme, comme le noyau dans le fruit, ou le grain de sel dans
l’océan.
Et, pourtant, il est le fruit. Et, pourtant, il est la mer.
Edmond Jabès, Un étranger avec, sous le bras
Mes arbres sont le flamboyant et le dattier, ma fleur, le jasmin. Mon fleuve fut le Nil bleu ; mes déserts le sable et le silex d'Afrique. Avais-je le droit de les considérer miens parce qu'ils étaient entrés en moi par la pupille et par le cœur et parce que ma bouche le proclamait ....
Edmond Jabès , Le Livre des Questions, III, Le Retour au livre.
|
Mud sur les rives du Mississipi de Jeff Nichols |
Qui dirait encore, de cette île, qu'elle est une île et de ce " il " qu'il est une pensée ?
Qui dirait, ne ressassant que cela, qu' " il " et " île " sont une seule pensée au sein du vide où elle persiste ; tantôt figée dans son désir - mais c'est l'espace qui, autour d'elle, s'anime - ; tantôt ivre d'errance - mais dans un univers immobile.
Ce qui demeure fuit. Et à aucun moment ne refuse : ni l'attente, ni l'aventure ;
ni d'être double,
ni d'être solitude du double
et multitude de solitudes.
Disant davantage - ne se livrant pas. Une pensée à ce point partagée qu'au plus frêle de sa précarité, elle cesse d'être double.
Ne disant rien que sa négation.
(...) Cette blancheur d'un autre soi-même, plus blanche encore où elle s'écrit.
Mots extrêmes.
L'espace ah ! l'espace infranchissable.
Qui dirait, aveugle et, aussi, émerveillé, la séparation alors qu'elle est univers préservé dans sa plénitude ?
(...) Là où la douleur est seule et l'amour, ses propres ailes brûlées.
Disant l'immémoriale attente ; en vain la perpétuant où il n'y a plus de cris qu'intérieurs.
Et puis cette " île " au plus lointain de l'exil où l'onde n'est qu'ample rumeur indocile ; que mots ivres, sans objet, se heurtant à leurs lettres défuntes.
Poussières de sel.
D'autres déserts sont en vue.
Ronde est la terre à force de tourner sur elle-même.
Le vide qui l'a modelée, la voulant ainsi.
La rondeur est fruit de la patience.
Toutes les traces cédant la courbe.
Bel arc-en-ciel !
Serons-nous toujours ce bond et cette chute où le nom s'ouvre au nom qui l'habite ; où la couleur s'ouvre à la couleur et se consume ?
Le vide après l'incendie.
Et puis cette errance toujours reconduite.
Et ce besoin urgent, pathétique d'en finir.
(...)
Feinte liberté ! L'errant, dans sa dépendance à la route, ne témoigne que de ses chaînes.
De cette solitude qui parle à soi-même pour rejoindre la solitude de l'autre,
la parole est le pas et l'ancre.
Un moment de distraction aura suffit à noyer les cinq continents.
La mer est sans remords.
Le dilemme et l'épi.
Le champ n'est jamais que sol meurtri d'une innombrable naissance.
Un voyage, vous dis-je, un éternel voyage dans l'inconnu et dans la mort.
L'âme est plus vaste que le monde.
Nous sommes cette déchirure.
Edmond Jabès, Poésies complètes.
_________________________________________________________
Conseil de lecture....