mardi 18 décembre 2012

Alejandra Pizarnik

Présence d'Ombres.....


Gertrud de Dreyer



Quelqu'un parle. Quelqu'un me dit.

Extraordinaire le silence de cette nuit.
Quelqu'un projette son ombre sur le mur de ma chambre.
Quelqu'un me regarde avec mes yeux qui ne sont pas les miens.
Elle écrit comme une lampe qui s'éteint, elle écrit comme une lampe qui s'allume. Elle marche en silence. La nuit est une vieille femme la tête pleine de fleurs. La nuit n'est pas la fille préférée de la reine folle.
Elle marche en silence vers la profondeur la fille des rois.
De démence la nuit, de temps nul. de mémoire la nuit, d'ombres toujours.

Alejandra Pizarnik



dimanche 16 décembre 2012

Bernanos



La Nuit, une ombre envahissante !


Or je savais qu’à la faveur de la nuit les actes les plus ténus de notre vie sont en danger de resurgir; mais je savais aussi que la nuit pouvait estomper les plus graves, les faire rouler dans le torrent des choses révolues.

Bernanos




Un escalier pour s'élever vers la Nuit.....
Edward aux mains d'argent de Burton

Pierre-Albert Jourdan


La Nature en son ombre !


Emmanuelle Riva dans le film de Fréju, Thérèse Desqueyroux
               Marcher
Pierre et poussière du chemin,

homme désagrégé, homme comblé
tout entier dans cette image de son sang,
de son avenir de silence ;
lente et lourde pierre poussiéreuse
qui dévale le sang abrupt,
long cri se délivrant
de l’étouffant tableau de calme inaccessible

le corps soudain se connaît cible,
se fait violence
à portée de la masse obscure
qui l’étreint. 


Pierre-Albert Jourdan, In Le bonjour et l’adieu, © Ce torrent d’ombres 

Pizarnik


Les Ombres de la solitude.................................


PRÉSENCE D'OMBRE

Quelqu'un parle. Quelqu'un me dit.
Extraordinaire le silence de cette nuit.
Quelqu'un projette son ombre sur le mur de ma chambre.
Quelqu'un me regarde avec mes yeux qui ne sont pas les miens.
Elle écrit comme une lampe qui s'éteint, elle écrit comme une lampe qui s'allume. Elle marche en silence. La nuit est une vieille femme la tête pleine de fleurs. La nuit n'est pas la fille préférée de la reine folle.
Elle marche en silence vers la profondeur la fille des rois.
De démence la nuit, de temps nul. de mémoire la nuit, d'ombres toujours.


  1. Alejandra Pizarnik



....ET LES OMBRES DE LA VILLE !



                                                            Film d'Olivier Asselin.

Christian Gabriel le Guez Ricord,


L'ombre se fait silence.......


À NOUVEAU SEUL...



  1. Marias Lovers de Konchalovsky


À nouveau seul sur cette grève de mon nom, sans que tu saches le référent.
Tu es restée là dans le bleu du froid et le noir de ce mont qui a ses demeures,
Te retrouvant toi-même dans cet adieu où tu me quittes sans te retourner,
Et c’est qu’il me faut me relever le défi des cendres, le lait des morts et l’étoile,
Acheter de l’or et le collyre d’un missel, peut-être là me repentir.
Mais tous les silences se souviennent, et, lorsque le vent démâte l’origine,
Il y a mon amour et l’heure est à minuit encore la mort qui s’était parée
De chaque retour que le livre aura consenti de ces jours d’hospitalité.



Christian Gabriel le Guez Ricord, Les Heures à la nuit, II. La non-mort in Le Cantique qui est à Gabriel

Réda

A l'ombre du Poème !


Une incroyable histoire, Tezlaff.



POUR UN VERGER

Poème : le seul lieu comparable à ce trouble
Heureux qui ressaisit, le soir, près d'un verger,
Ifs et roses, l'espoir souvent déchiré, double
Lumière qui s'éloigne et veut nous héberger.
Infaillible refuge, et pourtant illusoire :
Pentes au loin plus délicates qu'un bleuet,
Pures voix des enfants dans l'air lavé d'histoire,
Et le mot "mort" comme un oiseau soudain muet
Jugeant du recoin sombre où rien n'en fait accroire
A la nuit qui sourd et déjà, dans la clarté,
Crachait son encre sur la page dérisoire –
Cris en bas, soubresauts du jour décapité.
Or nier l'ombre affaiblirait cette lumière
Timide qui résiste et semble sur nos mains
Trembler tel un reflet d'étoile dans l'ornière.
Elle appelle. Comme une voix sur ces chemins
Troués de mots qui n'ont pas pu la garder prisonnière.

Jacques Réda

Woolf


  1. Le Chant de l'Obscur !

    "Quelle est la belle phrase pour la lune ? Et la belle phrase pour l'amour ? De quel nom doit-on appeler la mort. Je ne sais pas. Il me faudrait un langage intime comme en usent les amants, des mots d'une syllabe comme en disent les enfants (...). Il me faudrait un hurlement; un cri. "

    Le secret derrière la porte, Lang.

    Virginia Woolf Les Vagues

samedi 15 décembre 2012

Blockhaus/article Besson

     

Blockhaus ou l'Art de voir clair dans l'Obscur !                                    





    Les Gueules noires de la poésie ou le Verbe à contre-jour…..

                     (Eloge critique des assaillants de l’ombre)

 « Au milieu des chapelles littéraires entretuées se dresse un blockhaus. Et c’est un rude exemple que voilà. A la fois tombeau du galérien, béton noir d’avant-poste décapité de sa butte, bunker spectral d’une faction debout dans le mortier éventré de sa place à tenir ; dernier asile d’éclat tendu aux regards cuits, ce blockhaus-là a la gueule à feu d’une meurtrière invincible » (Nocolas Rozier)

     Ecrivains bouillonnants de rage et de fièvre, les poètes de Blockhaus sont à eux 5 une gamme de lyrismes singuliers, une partition de voix soulignant la force d’un engagement subjectif, ils ne s’appesantissent pas sur ce qui est de l’ordre de l’intime ou du questionnement, seule leur langue « collective » stimule des sensibilités volcaniques, leurs poèmes ne s’articulant qu’en impulsions, impétuosités, rafales et  coups de boutoir. Cette écriture à plusieurs mains est désireuse de tout dire, écumant en son mouvement la conviction de ne connaitre aucune douceur à naitre ici-bas. En revanche,  aucun larmoiement, aucun jeu de miroirs , aucune jérémiade ne viennent affadir la noirceur collective à l’œuvre, bien au contraire, dans Expérience Blockhaus, le lecteur descend dans l’Enténébré, au cœur d’une poésie qui mâche, broie, régurgite sa substance sans jamais parvenir à s’en satisfaire, dés lors sous la plume vorace, insatiable, horrifique de la Bête à cinq doigts, les mots ne se  recroquevillent pas sur eux-mêmes, mais s’amplifient en inscrivant le néant au centre de tout, tendant ainsi vers la seule lumière possible, celle du deuil. Cependant pas d’élégie blafarde, pas de chant maladif, pas de tristesse narcissique, la puissance seule d’une douleur cendrée de désastres et de biles donne raison à ce recueil de floraisons noires, à cette bouche d’ombre ou à ce cri profane qui étreint l’Obscur avec une effroyable acuité, empoignant en d’incandescentes humeurs noires les faiblesses du monde :  Dans le noir l’homme devient la vigilance même, un centre de perception tous azimuts, et son cœur devient le cœur du silence. Il sait alors que lui aussi marche dans la nuit et qu’il est cette nuit souveraine arpentant son royaume 

     Dés l’abord, l’univers familier de la Nuit, ce tutoiement peuplé d’ombres, se nimbe de colère, entre engueulades et empoignades ; les poètes de Blockhaus ne désirent, en effet, que la lumière crépusculaire d’un chant  âpre, lucide, tumultueux, un chant, dont la pesée du mot, la liberté altière de l’expression, donne tout son tranchant aux lieux visités et naufragés. On assiste alors à un déferlement, une vague de terre qui engloutit toute référence, toute nostalgie, tout conformisme tant  ces poètes de l’Extrême ouvrent des espaces de grandeur, de clameur et d’une fureur poétique souvent triviale car légitime, regardant en toute conscience leur propre sang couler, réinjectant dans leurs phrases vibrantes, veineuses, vénéneuses quelques vins brulants pour survivre  :  Putain d’enflure de soi-disant Vie, giclée auto-nommée …  longue, ta langue aux lècheries de nerf . C’est pourquoi, leurs voix ne cessent d’être en lutte contre une réalité insignifiante, contre la matière et contre tout ensommeillement, leur langue s’écrie ainsi par poussées ou par chutes, en lignes brisées, en saccades, en des rythmes vertigineux, présentant, en conséquence, l’endroit du monde comme en raison inverse de son désir. Il est vrai que leur propos est de rendre visible creux et  bosses de nos existences, puis comme à bout de nerfs, ouvrir la béance ou la vacuité de notre condition, rendre compte de ce réel au cœur duquel l’humanité suffoque dans les traquenards de l’aube : Echos TELESCOPES dans la ville électrisée/ pas se ravalant avalant d’autres pas//(…) balbutiements langages fous/onomatopées répercutées/sur des bouches bâillonnées/dans l’ombre inalphabète/ GRISAILLE HURLANTE .  En  retrouvant aussi, par hasard, les éléments de la vie au travers de la grisaille des villes, Blockhaus ravive, séance tenante, des images saisissantes, fulgurantes et violentes sur un vide effroyable, celles-ci ne sont  en rien  la traduction d’un trouble, elles sont ce trouble qui s’impose comme l’expression la plus forte, la plus directe d’une société « pourrie jusqu’à la moelle ». Ainsi, pour ces proscrits volontaires, l’excès devient une dimension verticale de l’écriture et de la pensée, si on ne crie pas les mots de l’effroi, on reste prisonnier des choses sans pouvoir s’en dégager, seule cette parole poétique, révoltée, inespérée, demeure susceptible de se déprendre de l’illusion de toute appartenance à ce relent apocalyptique incapable d’un quelconque réveil : Mais la terre est loin, la terre veut la mort du cerveau. Ou lui intime un sommeil profond, loqueteux…(…) De la pourriture à l’excavation la devise est : va, et saille tous les trous  ou lit-on encore «  je ne veux pas dormir », puis le rêve éveillé/ le désert du monde, mon cœur pas à moi qui libère/il n’y a pas de folie comme rempart/l’errance est totale sous le grincement du jour. C’est pourquoi, chaque mot ne commence que sur le bord qui l’efface afin que l’air, plus vicié que libre, lâche prise et que l’obscurité reprenne ses droits. Les bris d’ombre poétiques vacillent dans une mémoire universelle qui pourrait bien être l’autre nom de la souffrance, d’ailleurs pour respirer « en quête d’Oxygène », il faut accepter de quitter le mode artificiel des humains, il faut devenir ces hommes de la minéralité, abandonnés à dessein dans un paysage lourd et bas, il faut faire bloc afin d’entendre des nouvelles du ventre de la terre aussi profond que l’immensité de la mort et donner l’impression de n’avoir jamais commencé d’être parmi nous :  ce vertige d’un corps lancé dans la saoulerie des / matières et qui s’écroule dans l’abîme de son / origine…  .

      « Il est (donc)malaisé, mais ô combien revigorant (…) de s’approcher de ce cratère sans nom  et de découvrir une poésie dont l’essentiel est de saigner les inventions suppliciées de l’abime.(…).Jamais un groupe d’individus aussi dispersés dans l’espace et ne communiquant que par quelques lettres échangées (…) n’aura tenté avec une force de percussion équivalente, de faire face collectivement à ce qui ne peut être perçu que comme l’air du temps » ,ce contre-temps clandestin, dont parle avec brio Christian Dufourquet, émerge inlassablement au milieu des mots révulsés, là où s’impose  une Peau d’ombre  comme une véritable expérience de dépossession d’un corps, lequel prend également racine dans la chair bafouée, enragée, naufragée, une chair infernale , érotique de la mort, une chair d’ossements et de reliques, des chairs, in fine, plus somptueusement désespérées les unes que les autres.  Tout le livre est de la sorte une sublime syncope à laquelle on reste harponné  par ce que les poètes de l’Expérience  élargissent leur déversoir jusqu’à la nausée, et  que notre œil reste accroché à ce trou noir, à cet univers démiurgique d’ironies abimées :  c’est l’éternel gargouillis /Au fond de la gorge un bruit de faux-  ; et parce qu’ils forcent le jeu, parce qu’il savent ce qu’il font,  le pardon n’est pas souhaité, il est, de surcroit, possible de regarder leur corps partir en morceaux sans le moindre épanchement, et même jusqu’au point d’étranglement, on reste partagé, en somme, entre rire jaune et effroi face à cette langue toute de cris et d’exigences qui n’a de cesse de marteler la distance nécessaire. Alors même que la vision apparait comme outrancière, dans ces corps sur-exposés, Blockhaus parvient à nous  fait voir, au travers de ces tissus désincarnés, le Terrible qui est  le seul commencement du vrai : VIDES les régions du cœur/ dans la pâleur immaculée//(…)//une sorte de tournis/ Le cumul des vertiges/ sur des faces en haleine/ où le souffle bat . On étouffe désormais avec eux dans les bornes de sa chair, on se retrouve à l’étroit dans notre être, enterré vivant dans un monde glacé de conventions et d’absurdités. Quand Dieu parait s’absenter, qu’une société informe, larbine vous demande de faire silence, il convient, en un geste tellurique, de se raccrocher à quelque chose, même au cœur du Néant, sans doute à cet amas de chair et d’os qui constitue l’homme, malgré lui. Les humeurs de ce corps, ces secrétions variées, ce trop-plein de laideur ne demandent plus qu’à s’évacuer, la parole devient en ce sens bruit organique, spasme et raclement qui aboutissent au cri ultime de la Poésie :  IL Y A UNE MORT DANS LA MORT : COMME IL Y A DES YEUX QUI S’HABITUENT/ A LA NUIT…  .

    Par, avec et en ce corps pesant et inexistant à la fois, les 5 poètes se projettent au centre de leurs préoccupations qui renvoient  à la négation apparente d’une humanité, en ce sens, l’univers des images, des collages de Françoise Duvivier s’inscrit comme un corps preuve-épreuve, restituant les gestes venus se tordre en grimaçant sur l’écran du poème. Cependant, les proliférations viscérales et ogresques des chairs désertées, des corps suppliciés finissent, malgré la puanteur des caveaux où sont déjà alités les squelettes de cette terre, par nous faire sentir l’odeur d’une possible chair fraiche :  Carne que je déchire/ Chair noire et bleue/bois mort du mental. /La Merveilleuse, celle qui trancha l’ombilic avec ses talons:/chercher un visage dans les rues insoupçonnées. /Voile polaire/ dont la luminosité irradie les Etres . C’est également dans ces mêmes chairs que sont gravées humiliations et désespérances : en compressant les corps, on voit jaillir les méfaits de la société et l’image omniprésente de notre mort. Ces histoires de corps, fussent-elles macabres, apparaissent à la fois, discrètement, comme des signes de vie, un mystère incarné, décharné et, essentiellement, comme une obsession à dire combien l’homme est dépassé par son existence, ce qui entraine angoisse, ennui, délire et folie.  Voilà pourquoi le corps n’en finit pas de mal fonctionner, il est enracinement dans la contingence, engluement dans la matière qui a  toujours le dernier mot et ruine les aspirations de l’esprit.

       L’homme seul, erre donc dans un univers effrayant traversé de forces brutes, il y a du tragique à ne pas être «  un/son » corps, mais des traits autour d’un trou noir concentrique de douleur, un tragique où chacun se retrouve muré dans un rôle sans auteur, dont la seule expression reste celle de pulsions et des colères. Dénonçant le serf-arbitre de l’homme, Blockhaus rejoint le visage d’une folie annoncée de la mort, au moins celui de la folie foudroyante de l’effondrement du monde. Et même si l’on perçoit un accord minimal, « tant que je résiste je vis », même si la révolte se soutient tout au long de poèmes, même si on peut entendre un écho superbe à la haine, une faible espérance dans  ce corps qui plie, qui ne cherche ni le bonheur ni ne le fuit, les poètes-rebelles attendent  l’ouragan comme si la  paix  était en lui. Alors ils écrivent, acharnés et véhéments, pour faire face au Néant, en appellent ensuite à la mort, creusent, fouillent, remontent toujours à la surface ce qui vit sous l’angoisse des choses, sous les apparences, sous l’ingratitude du réel, un réel qu’ils dénudent et pulvérisent, de manière hallucinatoire :  Creux, crou, souffle, attise la guerre, la hache, l’épieu ! S’il n’y a pas d’outil, avec les dents, les becs, les nerfs, les serres empoisonnées ! Finira bien la guerre par céder, sous le boutoir des enfoutraces, des morts-vivants qui se trépassent et des squelettes multifaces  . D’où un climat mental de violence, un livre qui relève autant de la dissonance que de la déchirure, une poésie guerrière sillonnée d’entailles et d’entrailles, une œuvre dont  le chant fraternel possède la beauté lumineuse et tragique  des combats perdus d’avance.

Sylvie Besson.













Ancet, cercle 2


                              Cercle 2

Il n’est guère nouveau de voir son Ombre miroiter, seule l'ombre de l'Autre reste nouvelle !





On a cru percevoir une ombre, mais c’est tout aussi bien une lueur ou même rien de ce qu’on peut dire. Mais c’est là. On s’arrête, on guette. Voilà la nuit dit une voix. On ne voit rien.
Longtemps on a cru que c’était une ombre mais à une ombre il faut un corps. Un monde aussi. Des pierres, des feuilles rouges, des rires, un saxo. Quelques pas, un éclat brusque, vitre ou visage. Un rien qui insiste, qui perce. On compte : un, deux, trois. Á quatre on a perdu. On dit : trop tard. On reste au bord.


Jacques Ancet




!


Essenine


La solitude du miroir!

Shame de Steve McQueen 
La lune est morte,
L’aube bleuit la fenêtre.
O nuit, Nuit, que m’as-tu donc conté ?
Je suis là, en haut-de-forme,
Et à part moi, personne,
je suis seul.
Et mon miroir est brisé

Essenine

Dostoievski


  1. L'image trouble du Ciel...

    La féline de Tourneur
    LES POSSEDES  DE  DOSTOIEVSKI


    Ce dont l’homme a bien plus besoin que de son bonheur personnel, c’est de savoir, ainsi que de croire à tout instant, qu’il existe déjà quelque part, pour tous et pour le tout, un bonheur parfait et serein... La loi entière de l’existence humaine se résume à ce que l’homme puisse toujours révérer l’infiniment grand. Si l’on enlève aux hommes ce qui est infiniment grand, ils cesseront de vivre et mourront désespérés. L’homme a besoin de l’illimité et de l’infini tout aussi bien que de la petite planète où il habite. Oh vous tous, mes amis ! Vive la Grande Pensée, la Pensée Éternelle et Infinie. Chacun, qui que ce soit, a besoin de révérer ce que représente la Grande Pensée.

Faulkner




  1. A l'ombre du "Mal"...


    Les Innocents Clayton




     L’arbre de paradis, à l’angle de la cour de la prison, avait laissé tomber ses dernières fleurs en forme de trompette. Elles jonchaient le sol en couche épaisse, visqueuse sous le pied, douceâtre aux narines, d’une douceur excessive, écœurante, moribonde, et, la nuit, l’ombre déchiquetée des feuilles maintenant tout à fait développées montait et descendait, battant pauvrement contre la fenêtre aux barreaux de fer. C’était la fenêtre celle de la salle commune aux murs blanchis à la chaux, tout maculés de traces de mains sales, tout couverts de noms, de dates, d’inscriptions injurieuses et obscènes, griffonnées au crayon ou gravées avec la pointe d’un couteau ou d’un clou. C’était contre cette fenêtre que, la nuit, le Noir assassin venait s’appuyer, le visage quadrillé par l’ombre des barreaux, entre les interstices mouvants des feuilles, et chanter en chœur avec ses frères alignés en bas le long de la clôture.

    Parfois, dans la journée, il se mettait aussi à chanter, tout seul cette fois. Et le passant qui ralentissait sa marche, les petits voyous qui flânaient, ou les mécanos du garage d’en face pouvaient entendre : » Encore un jour ! Y a pas d’place pour toi au ciel ! Y en a pas non plus en enfer ! Y en a pas dans la prison des Blancs ! Pov’nègre ? 



    Sanctuaire, Faulkner

Maeterlinck


Reflets d'âme ?

Sous l’eau du songe qui s’élève,
Mon âme a peur, mon âme a peur !
Et la lune luit dans mon cœur,
Plongé dans les sources du rêve.
Sous l’ennui morne des roseaux,
Seuls les reflets profonds des choses,
Des lys, des palmes et des roses,
Pleurent encore au fond des eaux.
Stalker de Tarkovski
Les fleurs s’effeuillent une à une
Sur le reflet du firmament,
Pour descendre éternellement
Dans l’eau du songe et de la lune.

 Maurice Maeterlinck


samedi 8 décembre 2012

STIG DAGERMAN


LE MIROIR A SES PROPRES FELURES !


 MORSE de T ALFREDSON.


Les consolations

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.
En ce qui me concerne la consolation comme un chasseur chasse le gibier
Partout où je crois l'apercevoir dans la forêt, je tire.
Souvent je n'atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d'un souffle de vent dans la cime des arbres, je me dépêche de m'emparer de ma victime.
Qu'ai-je alors entre mes bras ?
Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l'effroi à bander.
Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé de mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit dur.
Mais il y a d'autres consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux : je suis ton plaisir - aime-les tous !
Je suis ton talent - fais-en aussi mauvais usage que toi-même ! Je suis ton désir de jouissance - seuls vivent les gourmets !
Je suis ta solitude - méprise les hommes !
Je suis ton aspiration à la mort - alors tranche !
...Elles ne peuvent faire oublier le duel avec la peur où la vie cherche sa souveraineté. Il faut, en opposant la force des mots à celle du monde, se défaire de toutes les fausses consolations pour la seule consolation réelle : celle qui me dit que je suis un homme libre, un être souverain à l’intérieur de ses limites.

C’est pourquoi le malheur se comprend aussi comme une chance. C’est pourquoi le malheur se partage entre désir et désespoir et permet à l’affligé d’implorer la liberté. Le cri de celui qui souffre fend le mal et lui permet de distinguer, à travers la permanence de sa douleur, un mirage, les bords estompés de la vie dont il est privé : [...] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites.

STIG  DAGERMAN

Edith Södergran

Orphée de Cocteau


La Vie est un songe miroitant.....

Ne t’approche pas trop de tes rêves :
Ce sont fumée qui peut se disperser -
Ils sont dangereux et peuvent demeurer.
As-tu regardé tes rêves dans les yeux :
ils sont malades et ne comprennent rien -
Ils n’ont que leurs propres pensées.
Ne t’approche pas trop de tes rêves :
Ce sont mensonges, ils devraient s’en aller -
Ce sont folie pour qui veut rester. 


Edith Södergran

mardi 4 décembre 2012

Mann




Narcisse en son miroir : la Beauté ou le Néant !




   "Il ne s'était pas attendu à la chère apparition; elle venait à l'improviste et il n'avait pas eu le temps d'affermir sa physionomie, de lui donner calme et dignité. La joie, la surprise, l'admiration s'y peignirent sans doute ouvertement quand son regard croisa celui dont l'absence l'avait inquiété, et à cette seconde même Tadzio lui sourit, lui sourit à lui, d'un sourire expressif, familier, charmeur et plein d'abandon, dans lequel ses lèvres lentement s'entrouvrirent. C'était le sourire de Narcisse penché sur le miroir de la source, ce sourire profond, enchanté, prolongé, avec lequel il tend les bras au reflet de sa propre beauté, sourire nuancé d'un très léger mouvement d'humeur, à cause de la vanité de ses efforts pour baiser les séduisantes lèvres de son image, sourire plein de coquetterie, de curiosité, de légère souffrance, fasciné et fascinateur." 

Thomans Man, Mort à Venise



Mort à Venise de Visconti.

lundi 3 décembre 2012

Schnitzler


Le Miroir se brise....


L'Appel des Ténèbres d'Arthur Schnitzler

"La lueur jaune du plafonnier éclairait faiblement ce cagibi sans fenêtre, et au mur un vieux cadre doré entourait une glace oblongue, fêlée de haut en bas. Selon son habitude Robert s’attarda dans son bain, puis s’enveloppant dans un rugueux peignoir blanc, il s’approcha de la glace. Il trouva son visage mince et glabre assez frais et d’une apparence plutôt jeune pour ses 43 ans. Il allait se détourner, satisfait de son examen, lorsqu’il vit dans le miroir terne un œil inconnu qui se fixait mystérieusement sur lui. Aussitôt il se pencha en avant et crut observer que sa paupière gauche pendait par rapport à la paupière droite. Il eut un peu peur, ferma les yeux, les rouvrit, pressa ses paupières l’une contre l’autre en s’aidant de ses doigts... mais une différence subsistait entre la gauche et la droite. Il s’habilla vivement et dans sa chambre se plaça devant la psyché entre les deux fenêtres ; écarquillant les yeux, il se rendit compte que sa paupière gauche n’obéissait pas à sa volonté avec la même promptitude que la droite. Cependant le regard était clair, la pupille répondait bien à la stimulation de la lumière ; et comme Robert se souvint que toute la nuit il avait été couché sur le côté gauche, cela lui parut suffire pour expliquer la faiblesse de sa paupière le lendemain. Pourtant il se promit d’en parler au Dr Lienbach, ou à Otto, ou plutôt d’attendre si son frère sans être prévenu, s’apercevrait de l’asymétrie de ses deux paupières. Mais une indéfinissable angoisse tremblait au fond de cette résolution ; il eut l’impression d’avoir mal agi et de mériter un blâme, sinon un châtiment. [...] son regard tomba sur la statue en marbre de saint Christophe, debout en face dans le renfoncement de l’église, comme vingt ans plus tôt. [...] Et de nouveau il revécut ce moment."

La brisure du premier miroir qui trahit la faille dans la psyché du personnage. Le second miroir, encadré par deux fenêtres (ouvertures ou appel de sens) est une psyché (l’âme, ou l’œil intérieur). Le trait d’union entre les deux (le miroir de l’extériorité et le miroir psychique) est le symptôme sous forme d’une asymétrie imaginaire de l’angle d’ouverture des paupières. Robert souffre d’une double illusion à la fois dans le sens d’un grossissement, une exagération du réel, et dans le sens d’un déplacement de celui-ci (comme symptôme).Gérard Danou



F comme Fairbanks de Maurice Dugowson.

samedi 1 décembre 2012

.Dostoievski


Le Miroir des Ames mortes ?




Ulysse d'Angelopoulos





Dans ces instants rapides comme l’éclair, le sentiment de la vie et la conscience se décuplaient pour ainsi dire en lui. Son esprit et son cœur s’illuminaient d’une clarté intense ; toutes ses émotions, tous ses doutes, toutes ses inquiétudes se calmaient à la fois pour se convertir en une souveraine sérénité, faite de joie lumineuse, d’harmonie et d’espérance, à la faveur de laquelle sa raison se haussait jusqu’à la compréhension des causes finales...



Ces instants, pour les définir d’un mot, se caractérisaient par une fulguration de la conscience, et par une suprême exaltation de l’émotion subjective.

À cette seconde – avait-il déclaré un jour à Rogojine quand ils se voyaient à Moscou – j’ai entrevu le sens de cette singulière expression : il n’y aura plus de temps.


L'Idiot.......Dostoievski

jeudi 29 novembre 2012

Trakl

Miroir, mon beau miroir.......


 Le calme des défunts…

Le calme des défunts aime le vieux jardin,
La démente qui habita des chambres bleues
Le soir, paraît la forme calme à la fenêtre
Mais elle rabattit le voilage jauni
Le ruissellement des perles de verre évoquait notre enfance
Nous trouvâmes de nuit un astre noir au bois
Dans le bleu d’un miroir bruit la douce sonate
De longs enlacements
Plane son souris sur la bouche du mourant.

Trakl ..........(Traduction Lionel-Edouard Martin)







 Les Fraises sauvages  et  le Septième sceau de Bergmann

Knut Hamsun,


 La psyché en peine ou le miroir sans tain !




Je me sentais délicieusement vide, sans contact avec ce qui m’entourait, et heureux de n’être vu de personne. J’étendis les jambes sur le banc et me renversai en arrière ; ainsi je pouvais sentir tout le bien-être du détachement. Il n’y avait pas un nuage dans mon âme, pas une sensation de malaise, et aussi loin que pouvait aller ma pensée, je n’avais pas une envie, pas un désir insatisfait. J’étais étendu les yeux ouverts, dans un état singulier ! j’étais absent de moi-même, et je me sentais délicieusement loin.


Knut Hamsun, extrait , La Faim
    
The Servant de Losey

                           

Ombre ou Miroir ? Monstre ou "trop Humain"? Shelley

M le Maudit, Lang.


Du milieu de ces ténèbres, surgit soudain devant moi la lumière... Une lumière si éclatante et si merveilleuse, et pourtant si simple, qu'ébloui par l'immensité de l'horizon qu'elle illuminait, je m'étonnai que, parmi tant d'hommes de génie, dont les efforts avaient été consacrés à la même science, il m'eût été réservé à moi seul de découvrir un secret aussi émouvant.          Marie Shelley, Frankenstein

  • Nosferatu de Murnau

Robert Musil



La Face éteinte des reflets.......

L'Inconnu du Nord-Express d'Hitchcock
Mais les choses ne sont pas tellement différentes chez les autres hommes. Au fond, il en est peu qui sachent encore, dans le milieu de leur vie, comment ils ont bien pu en arriver à ce qu'ils sont, à leurs distractions, leur conception du monde, leur femme, leur caractère, leur profession et leurs succès ; mais ils ont le sentiment de n'y pouvoir plus changer grand-chose. On pourrait même prétendre qu'ils ont été trompés, car on n'arrive jamais à trouver une raison suffisante pour que les choses aient tourné comme elles l'ont fait ; elles auraient aussi bien pu tourner autrement ; les événements n'ont été que rarement l'émanation des hommes, la plupart du temps ils ont dépendu de toutes sortes de circonstances, de l'humeur, de la vie et de la mort d'autres hommes, ils sont simplement tombés dessus à un moment donné. Dans leur jeunesse, la vie était encore devant eux comme un matin inépuisable, de toutes parts débordante de possibilités et de vide, et à midi déjà voici quelque chose devant vous qui est en droit d'être désormais votre vie, et c'est aussi surprenant que le jour où un homme est assis là tout à coup, avec qui l'on a correspondu pendant vingt ans sans le connaître, et qu'on s'était figuré tout différent. Mais le plus étrange est encore que la plupart des hommes ne s'en aperçoivent pas ; ils adoptent l'homme qui est venu à eux, dont la vie s'est acclimatée en eux, les événements de sa vie leur semblent désormais l'expression de leurs qualités, son destin est leur mérite ou leur malchance. Il est arrivé ce qui arrive aux mouches avec le papier tue-mouches : quelque chose s'est accroché à eux, ici agrippant un poil, là entravant leurs mouvements, quelque chose les a lentement emmaillotés jusqu'à ce qu'ils soient ensevelis dans une housse épaisse qui ne correspond plus que de très loin à leur forme primitive. Dès lors, ils ne pensent plus qu'obscurément à cette jeunesse où il y avait eu en eux une force de résistance : cette autre force qui tiraille et siffle, qui ne veut pas rester en place et qui déclenche une tempête de tentatives d'évasion sans but ; l'esprit moqueur de la jeunesse, son refus de l'ordre établi, sa disponibilité à toute espèce d'héroïsme, au sacrifice comme au crime, son ardente gravité et son inconstance, tout cela n'est que tentatives d'évasion. Celles-ci expriment simplement, en fin de compte, qu'aucune entreprise juvénile ne paraît issue d'une nécessité intérieure incontestable, quand bien même elles l'expriment de manière à laisser entendre que toutes ces entreprises étaient urgentes et indispensables. Quelqu'un, n'importe qui, invente un beau geste nouveau, intérieur ou extérieur… Comment appeler cela ? Une attitude vitale ? Une forme dans laquelle l'être intérieur se répand comme le gaz dans un ballon de verre ? Une ex-pression de l'im-pression ? Une technique de l'être ? Ce peut être une nouvelle taille de moustache ou une nouvelle pensée. C'est du théâtre, mais tout théâtre a un sens, et dans l'instant, comme les moineaux sur les toits quand on leur lance des miettes, les jeunes âmes se jettent là-dessus. Ce n'est pas difficile à comprendre : quant au dehors pèsent sur la langue, les mains et les yeux un monde lourd, cette lune refroidie qu'est la terre, des maisons, des mœurs, des tableaux et des livres, et quand il n'y a rien au-dedans qu'un brouillard informe et toujours changeant, n'est-ce pas un immense bonheur que quelqu'un vous propose une expression dans laquelle on croit se reconnaître ? Quoi de plus naturel si l'homme passionné s'empare de cette forme nouvelle avant l'homme ordinaire ? Elle lui offre l'instant de l'Être, de l'équilibre des tensions entre le dedans et le dehors, entre l'écrasement et l'éclatement. Ainsi, songeait Ulrich (et tout cela, bien sûr, le touchait aussi personnellement, il avait les mains dans les poches et son visage rayonnait d'un bonheur silencieux et endormi, comme si, dans les rayons du soleil qui s'enfonçaient là-bas en tournoyant, il était en train de mourir d'une douce mort par le froid), ainsi, il n'y a pas d'autre cause à ce phénomène toujours recommencé qu'on appelle "nouvelle génération", "pères et fils", "révolution intellectuelle", "changement de style", "évolution", "mode" ou "renouvellement". Qu'est-ce donc qui fait de cette soif de rénovation de l'existence un perpetuum mobile, sinon la malencontreuse interposition, entre le Moi vrai, mais brumeux, et le Moi des prédécesseurs, d'un pseudo-Moi, d'une âme de groupe dont chacun se déclare à peu près satisfait ? Pour peu qu'on soit attentif, on pourra toujours deviner, dans le dernier avenir entré en scène, les présages du futur "bon vieux temps". Alors, les idées nouvelles n'auront guère que trente ans de plus, mais elles seront apaisées, légèrement empâtées, elles auront fait leur temps : rappelez-vous, quand on aperçoit, à coté du visage miroitant d'une jeune fille la face éteinte de sa mère ; ou bien, elles n'auront pas eu de succès, elles se seront émaciées et ratatinées jusqu'à n'être plus que ce projet de réforme dont un vieux fou que ses cinquante admirateurs appellent le grand Untel, s'était fait le champion.

L'Homme sans qualités, Musil

mardi 27 novembre 2012

Paul Celan

Ce qui luit.....

Silence ! J’enfonce l’épine dans ton cœur,
car la rose, la rose,
Bresson
est debout au miroir parmi les ombres, elle saigne !


Paul Celan



tu reposes près de moi dans le sable,
étoilée au-dessus de toi.


Est-ce un rayon
qui perça jusqu’à moi ?
Ou bien était-ce la sentence
que l’on rendit contre nous ?
Qui répand cette lumière ?


Ce qui luit, Celan


lundi 26 novembre 2012

Michel Butor,


Gertrud de Dreyer.....et le miroir éphémère de la présence!



Cela commence comme une pièce de théâtre contemporain. Une pièce en un seul acte et trois personnages en scène. À peine quelques didascalies pour planter le décor : une toile à la Claude Lorrain. Un paysage XVIIe s., lieu de rencontre de trois étranges personnages, munis d’un magnétophone. Ce n’est pas là le seul anachronisme. L’universitaire « à la recherche de ses propres sentiers » se nomme Scriptor. Pictor, « mécanicien d’horizons », se charge de « révéler les corps et les âmes ». Quant à Viator, « ex-commis en culture française », il tente « d’élargir son éventaire ».

À peine posés ces curieux éléments de dramaturgie, le jeu commence. Car il s’agit d’un jeu, comme ceux que pratique France Culture entre midi et quatorze heures. Pictor lance un mot au hasard. Le premier qui « tombe sur le tapis », le voilà donc, c’est le mot « mort »! Le seul mot qui roule et rebondit, tout au long du jeu, de réplique en réplique. Avec sa cohorte clinquante d’accessoires.

Dès lors, les répliques s’enchaînent, rapides, brèves, réduites parfois à de simples stichomythies, comme dans une jonglerie macabre où se croisent et se bousculent crânes et objets de vanités divers. Qui se déclinent dans les multiples variantes du genre pictural, en vogue en Europe du Nord dès le XVIe siècle (David Bailly, Harmen et Pieter Steenwyck, Jan de Heem, Peter Potter, Pieter Claesz,…). L’occasion pour les trois dieux « Tor » de dévider à l’infini, sur l’écheveau de leur dialogue, le tressage subtil de la « relation entre la mort et l’œuvre d’art ». Et pour l’auteur, une manière originale de réfléchir et de s’interroger sur l’art d’apprivoiser la mort. Une réflexion philosophique indémodable! Qui n’en relève pas moins de l’humaine « vanité ».


Michel Butor,Et omnia vanitas
Texte trouvé sur le site Terres de Femmes d'Angèle Paoli.

Article/besson




Miroirs du Sommeil

  Valeriu Stancu
(L’Arbre à paroles, 2009)


« Dans un miroir obscurément » par Sylvie Besson

     La Poésie de Valeriu  Stancu, chant éclaté ou prière fragmentaire, dit ce qui se donne et se retire à la fois, arpentant les souvenirs et les traces de ce qui fut et de ce qui reste après les ruines, non pas le rêve impossible de la nostalgie, mais le tracé qui ouvre sur la densité lucide, vivante et douloureuse de la mémoire. En même temps que le poète scelle la parole qui l’emporte sur l’achèvement, il renouvelle, non sans une certaine ironie,  les désirs de toute évocation macabre ; sa poésie dessine le portrait obstiné de quelque chose qu’il nous faut bien nommer, quelle que soit la valeur d’encours du terme, une âme : « Le marbre s’exalte/ Le marbre malade  de silence, / De folie / De tristesse, / Le marbre confesse ses crimes / A mon âme. // Les pensées -guêpes piégées entre les vitres / De l’absence.». Et parce que l’acte d’écrire achoppe aussi sur la teneur exacte de pensées proches de notre époque, d’émotions et de souvenirs iconoclastes, le poète enregistre des images détournées qui sont comme l’écho, le signe matériel, la saveur du monde en une mémoire (in)volontairement spectrale  : « … nous évoquerons/ quelque temps encore/ la tisane à la bergamote,/ le petit gâteau au beurre,/ toujours le même,/ tes roses incomparables/ et, dans ton jardin,/ le magnolia qui fleurissait / aussi / en automne, /dans l’automne de ton destin tragique » ; objets, paysages, lieux donnent –par la présence d’une mort suspecte- une visibilité concrète à de l’invisible, tout en faisant circuler dans la substance protéiforme des mots et celle opaque et impavide du monde extérieur les incertitudes d’une vie intérieure. D’où une poésie à rebours qui convoque dans la dispersion de faire voir : « Tous les mortels se connaissent entre eux, / Car ils portent sous leurs paupières / Des cimetières de cendre, d’argent, / De rosée… ». En cherchant à retrouver les éléments de la vie au travers de l’absence, Stancu met des images sur un vide, vide qui réside dans les sautes d’une mémoire qui n’arrive plus à voir, mais parole qui, en sillonnant les lieux, en revenant au plus près de ses hantises, en reconstituant la mort au cœur de cette mémoire, scrute d’un œil aiguisé les objets et blessures qui sont autant d’indices ou d’emblèmes de l’Insaisissable ;  le poète endure avec une patience précise et tendue, la disparition d’une part de lui-même et du monde comme une image projetée dans un miroir, comme un douloureux réveil de ce qui sommeille à jamais, tout finit ainsi par se fondre dans « l’étoffe hallucinante d’une réalité fugace » ; la vie et ses images, le réel, la fiction se confondent et se déposent dans le fil d’une intimité élargie, dans « la tentation de l’absence » : « Et chaque fois que je meurs / Derrière moi restent / la lumière,/ le sommeil, / les larmes, / l’abime, l’illusion… » .

     Et si tout ce qui est chanté, se trouve à portée de main, c’est que les mots ne sont jamais le support abstrait d’une vision neutre, mais le miroir sans tain d’une intériorité où le regard du lecteur est littéralement immergé « dans ce monde de sel / dans ce monde de nuages / dans ce monde éternel / où nous sommes de passage ». Reliant le passé des souvenirs et le présent de leur évocation, la voix offre une présence absente, de sorte que le fil mémoriel est écartelé entre une invitation au rêve et la scène bouleversante du réel : « Entrez donc /Dans la cour du néant / Bourrée de voyageurs insouciants ! // (…) / Entrez doucement dans la cour du diable / Tout n’y est que confusion / De désir, de passion, de mort… ». Ce flottement est la matière véritable du recueil, les images ne sont pas la traduction d’un trouble, elles sont ce trouble qui s’impose comme l’expression la plus simple et la plus directe du monde ; ainsi les effets de cette démarche, de cette élaboration formelle interrogent les ambigüités de l’être et l’expérience poétique vise à ouvrir un espace sensible, où le chant, mi-ange, mi-bête, trouve autant sa tonalité élégiaque que sa densité ironique.

    L’œuvre est une réalisation frontale, la trace de la mort qu’un miroir somme toute brisé affronte en quelques mots justes. Il y a là comme une magie blanche des images, dont le présent de la vision exhausse à une éternelle vitalité, mais il est aussi une magie noire, un miroir obscur, une ombre, comme par impuissance de toute évocation à retenir le temps: « Je suis toujours là / Mort et vivant à la fois » // : « Je ramasse / Les bribes / De l’exil intérieur / Les fantômes des pénitences, / les galaxies de la peur /  Et les naufrages du désert. ». La poésie rappelle ainsi combien le passé demeure incompréhensible et la mémoire équivoque, tant le partage entre ce qui est à nous et ce qui ne l’est pas est aboli. A cet instant le parti pris des choses sonne comme un inquiétant désert puisque la mémoire est à la fois ce qui nous élargit aux autres et nous renferme dans la plus étroite solitude. Vibrante donc de l’Insaisissable, la poésie de Valeriu Stancu découvre une parole vraie, une langue sur fond d’absence, à la limite de l’être comme à celle du silence, dans la résonance du monde : les choses se replient alors sur leur altérité opaque et on en reste prisonnier sans jamais pouvoir s’en dégager, comme « exilé dans l’aura / D’un ange aveugle ». Le monde n’est jamais entièrement là, perçu dans les fragments d’une vie abimée ou dans les reflets d’un miroir brisé. Chaque chose ne commence que sur le bord qui l’efface, rien de fixe n’existe, un mauvais équilibre tout au plus. Comment trouver une ouverture sinon en en se taisant d’abord, en accueillant, en affleurant un espace vierge que les mots tentent de combler, non de l’espace déjà là, mais de celui que génère la parole poétique en se déprenant de l’illusion de toute prise sur le monde. Ecrire pour que le réel lâche prise, pour que les choses n’aient plus à se retourner, à nous retenir, pour que le passé respire de la seule présence de la page. Accepter alors la trace de la perte dans la mémoire brisée, que cette perte apparaisse en forme de renaissance afin que « les aiguilles du temps / Valsent / Dans l’abri de la mémoire ». Cette épreuve du sentiment du temps et de la négativité du monde, portée par d’indéniables  pointes musicales, esquisse  le portrait d’une humanité  dont la perte de sens ne peut  être que l’espace vacant du désir de son impossible saisie : «  En vérité, je vous le dis: / La mort n’est que la somme/ De tous nos renoncements ».

"Ulysse" d'Angelopoulos...........La Mer comme traversée du miroir !


 La vie qui s’éloigne, voilà ce que traduit avant tout la mémoire, une variation autour d’une frontière qui déconcerte et enchante puisque « toute existence / Est banale comme l’éternité ». Le poète a l’art d’éclairer d’une lumière tranchante cette errance flottante au cœur des choses, par son écriture pleine d’amertume et de sursauts; le poète écoute des mélodies en sous-sols dispenser leur enseignement lumineux et restitue ,non sans dérision, la désespérance d’instants enfouis à quelques mètres de soi : « Je jette au feu / Des vers fragiles, / Et de dures coques / De pistache //  Pour adoucir / Un peu / Mon mal du pays / Et la nostalgie de ma banalité ».  Monde aveugle, exclusivement terrestre, le recueil ne cesse de rappeler que notre présence ne tient qu’à un mot, entre désir et pudeur, les mots s’accrochent aux mots, se substituant  aux souvenirs incertains et bannissant toute nostalgie stérile, le poète donne en partage l’inquiétude « avant de vaciller dans la mémoire universelle qui est l’autre nom de la souffrance » ;  au revers de la langue, la (mé)moire poétique fixe la crispation jusqu’à se briser, mais permet soudain la rétention de la parole pour l’engager dans le silence : « A quoi bon parler, / Quand la chute des anges / Nous rend aveugles ? ».

    Les miroirs brisés ne sont-ils pas des courts-circuits de vie ? Le poète prend dès lors son temps en un endroit qui est celui de l’éphémère. Une poésie traversée d’une couleur d’automne, qui s’attarde sur les choses quotidiennes, et à côté une blessure proférée en demi-teintes. Le texte permet de continuer le dialogue avec cette âme, parvenant à emprisonner des sentiments qui ondoient : voilà la trame d’une vie jetée comme la nuit, la trace de voyages immobiles, la présence de l’homme abandonné dans un paysage lourd et bas qui veut entendre des nouvelles du ventre de la terre, qui veut percevoir « un faible éclair dans la nuit / […] plus éblouissant et plus profond / Que l’immensité  /De la mort… ». Poésie, toujours en suspension, qui donne l’impression de n’avoir jamais commencé d’être là, d’attendre le réveil d’un monde à bout de souffle afin de voir le temps sombrer dans l’oubli, comme une vie promise.

Sylvie Besson