lundi 3 décembre 2012

Schnitzler


Le Miroir se brise....


L'Appel des Ténèbres d'Arthur Schnitzler

"La lueur jaune du plafonnier éclairait faiblement ce cagibi sans fenêtre, et au mur un vieux cadre doré entourait une glace oblongue, fêlée de haut en bas. Selon son habitude Robert s’attarda dans son bain, puis s’enveloppant dans un rugueux peignoir blanc, il s’approcha de la glace. Il trouva son visage mince et glabre assez frais et d’une apparence plutôt jeune pour ses 43 ans. Il allait se détourner, satisfait de son examen, lorsqu’il vit dans le miroir terne un œil inconnu qui se fixait mystérieusement sur lui. Aussitôt il se pencha en avant et crut observer que sa paupière gauche pendait par rapport à la paupière droite. Il eut un peu peur, ferma les yeux, les rouvrit, pressa ses paupières l’une contre l’autre en s’aidant de ses doigts... mais une différence subsistait entre la gauche et la droite. Il s’habilla vivement et dans sa chambre se plaça devant la psyché entre les deux fenêtres ; écarquillant les yeux, il se rendit compte que sa paupière gauche n’obéissait pas à sa volonté avec la même promptitude que la droite. Cependant le regard était clair, la pupille répondait bien à la stimulation de la lumière ; et comme Robert se souvint que toute la nuit il avait été couché sur le côté gauche, cela lui parut suffire pour expliquer la faiblesse de sa paupière le lendemain. Pourtant il se promit d’en parler au Dr Lienbach, ou à Otto, ou plutôt d’attendre si son frère sans être prévenu, s’apercevrait de l’asymétrie de ses deux paupières. Mais une indéfinissable angoisse tremblait au fond de cette résolution ; il eut l’impression d’avoir mal agi et de mériter un blâme, sinon un châtiment. [...] son regard tomba sur la statue en marbre de saint Christophe, debout en face dans le renfoncement de l’église, comme vingt ans plus tôt. [...] Et de nouveau il revécut ce moment."

La brisure du premier miroir qui trahit la faille dans la psyché du personnage. Le second miroir, encadré par deux fenêtres (ouvertures ou appel de sens) est une psyché (l’âme, ou l’œil intérieur). Le trait d’union entre les deux (le miroir de l’extériorité et le miroir psychique) est le symptôme sous forme d’une asymétrie imaginaire de l’angle d’ouverture des paupières. Robert souffre d’une double illusion à la fois dans le sens d’un grossissement, une exagération du réel, et dans le sens d’un déplacement de celui-ci (comme symptôme).Gérard Danou



F comme Fairbanks de Maurice Dugowson.

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