Mais, si l’on s’asseyait au milieu des joncs pour
regarder l’étang -les étangs exercent une curieuse fascination, on ne sait
laquelle- , les lettres noires et rouges, le papier blanc semblaient une simple
pellicule sous laquelle roulait une vie aquatique profonde, tel un esprit qui
songe et médite. Bien des gens avaient dû y venir au fil de leur vie, au fil
des âges, laisser tomber une pensée dans l’eau, lui poser une question, comme
on le faisait soi-même en ce soir d’été. Peut-être était-ce le secret de cette
fascination : il retenait dans ses eaux toutes sortes de rêves, de
plaintes, de confidences, non pas imprimées ou dites à voix haute mais à l’état
liquide, flottant les unes sur les autres, presque désincarnées. Un poisson les
traversait, se faisait couper en deux par la lame d’une roseau ; la lune
les annihilait de sa grande assiette blanche. Le charme venait de ce que, les
gens partis, leurs pensées étaient restées et, sans leurs coprs, entraient
vagabonder le temps qui leur plaisait, libres liantes et amicales dans l’étang
commun."
La fascination de l’étang,Virginia Woolf
Top of the Lake de Jane Campion |
Je sombre
sur les noirs plumets du sommeil ; ses ailes touffues pèsent sur mes yeux.
Voyageant à travers l'obscurité je vois les plates-bandes étirées, et Mrs.
Constable qui surgit derrière l'herbe de la pampa et accourt pour m'annoncer
que ma tante est venue me chercher en voiture. Je m'élève ; je
m'échappe ; avec mes bottines à ressorts je passe par-dessus la cime des
arbres. Mais voilà que je tombe dans la voiture devant la porte d'entrée, où
elle est assise dodelinant ses aigrettes jaunes, les yeux durs comme des billes
de verre. Oh, m'éveiller de mon rêve ! Regardez, voici la commode. Il faut
que je me sorte de ces eaux. Mais elles s'amassent sur moi ; elles me
ballottent entre leurs dos énormes ; je suis retournée ; je suis
renversée ; je suis étirée, parmi ces longues lumières, ces longues
vagues, ces sentiers sans fin, où des gens me poursuivent, me poursuivent.
Les Vagues de Woolf
Juillet a
été couleur de vent et d'orage. Aussi, au milieu du mois, il y a eu,
cadavérique, terrifiante, cette flaque grise dans la cour, alors que, une
enveloppe à la main, je portais un message. Je suis arrivée à la flaque. Je
n'ai pas pu la franchir. J'ai perdu mon identité. Nous ne sommes rien, ai-je
dit, et je suis tombée. J'ai été balayée comme une plume. J'ai été emportée par
un souffle dans des tunnels. Puis avec précaution, j'ai posé le pied. J'ai mis
la main contre un mur de brique. Je suis revenue à moi avec beaucoup de peine,
j'ai réintégré mon corps au-dessus de la flaque grise et cadavérique. Voici
donc la vie à laquelle je suis destinée.
Les Vagues de Woolf
Stomboli de Rossellini |
Je vous suis très reconnaissant à vous
les hommes en toges noires, et à vous, les morts, de nous avoir guidés, de nous
avoir protégés ; et pourtant, le problème demeure. Les différences ne sont
pas encore résolues. Les fleurs hochent la tête devant la fenêtre. Je vois des
oiseaux sauvages, et des pulsions plus sauvages que les oiseaux les plus
sauvages surgissent de mon cœur sauvage. J'ai le regard sauvage ; les
lèvres fortement serrées. L'oiseau vole ; la fleur danse ; mais
j'entends toujours le fracas sourd et lugubre des vagues ; et la bête
enchaînée piaffe sur la plage. Elle piaffe et piaffe.
Woolf, Les Vagues
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Lecture conseillée....
V. Woolf, Mrs Dalloway - Fabula
www.fabula.org/actualites/v-woolf-mrs-dalloway_57731.php
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