vendredi 1 février 2013

G. Perros




L' ILE NUE !


L'Ile nue de Kaneto Shindo


Ce qu'il n'y a pas au-delà
De cette terre menacée
De ce désert en pleine mer
C'est une gaieté particulière
Une bonne humeur
Sans rien d'exubérant
Une gaieté tranquille
Une façon d'être sur la terre
Comme si elle n'existait pas
Et certes on pourrait en douter
Quand le soir tombe au cœur de l'île
Et que la mer ronge son os
Sur les grèves, zones pierreuses
Marché aux puces océanique
Que lèche avec voracité
La langue tranchante des phares
Qui patrouillent l'obscurité.


G. Perros, Marines (extrait)

Jacques Ancet


Insularité miraculeuse de l'Ecriture..

La Leçon de piano de Campion



Tu es une île

Tu es une île
où je n’aborde qu’à marée montante.
De loin, je te fais signe. 
De près c’est ton odeur, 
algue ou moiteur,
la longue blessure et sa douceur 
qui m'arrache la langue.





E . A POE



L'Ile, aux confins de l'Inexploré

Le Vaisseau Fantôme de Michael Curtiz


Pendant les six ou sept jours qui suivirent nous restâmes dans notre cachette sur la colline, ne sortant que de temps à autre, et toujours avec les plus grandes précautions, pour chercher de l’eau et des noisettes. Nous avions établi sur la plate-forme une espèce d’appentis ou de cabane, et nous l’avions meublée d’un lit de feuilles sèches et de trois grosses pierres plates, lesquelles nous servaient également de cheminée et de table. Nous allumâmes du feu sans peine en frottant l’un contre l’autre deux morceaux de bois, l’un tendre, l’autre dur. L’oiseau que nous avions pris si à propos nous procura une nourriture excellente, bien qu’un peu coriace. Ce n’était pas un oiseau océanique, mais une espèce de butor, avec un plumage d’un noir de jais parsemé de gris et des ailes fort petites relativement à sa grosseur. Nous en vîmes plus tard trois autres de même espèce dans les environs du ravin, qui avaient l’air de chercher celui que nous avions capturé ; mais, comme ils ne s’abattirent pas une seule fois, nous ne pûmes nous en emparer.

               E . A POE Les Aventures d'Arthur Gordon Pym

Sylvie Fabre


Au coeur de l'Ile.....



In Another country de Hong Sang-soo
« Entends les cyprès respirent
exhalent le souffle du matin

Qui marche dans la genèse odorante de l’île ?

La rivière couvre la chaleur
romarin, sauge et laurier s’y glissent
le jour vibre sur gouffre blanc.

Dans le remuement lumineux
une chapelle, ouverture
suffocante sur la colline.

La bougie vibre sur gouffre noir
tu t’assombris
la prière ravive les fresques

et ton cœur.

Des ombres se détachent
- muettes fleurs de maquis
s’abîment dans l’excès de midi. »


Sylvie Fabre G., L’île, in L’Approche infinie, Le dé bleu.
Trouvé sur le site d'Angèle Paoli, Terres de Femmes.

Ludovic Degroote


Ni Ile, Ni Mer.....



   On a besoin de soi pour aider à se supporter, et dans le même temps on se trouve encombrant; ce qui pourrait empêcher ou permettre de mieux marcher on n'en sait rien; le plus simple c'est quand on fait la digue sans s'en rendre compte : une fois qu'on est rentré, on s'aperçoit qu'on n'a pas vu la mer, elle traînait là pourtant, à côté;  ça n'a rien changé.


Un homme et une femme, Lelouch

Ludovic Degroote, dans la Digue

jeudi 31 janvier 2013

.Lionel-Édouard Martin,


Le voyage vers l'Ile, "le lieu" de tous les possibles....


    Toute mer s’en retourne aux la(r)mes, vient quelque jour bivouaquer sous les paupières avec le sel corrodeur de syllabes, mangeur de terre, et qui ne laisse en bouche, de l’insula de Virgile, que l’île démaillée par les vagues. Le sable des anses, on le croirait nourri du seul deuil des coquillages et des roches : c’est aussi concours de paroles mortes, consonnes vidées de leurs voyelles comme test d’oursin délesté de sa laitance. Que peut d’autre chanter l’île que ce thrène de fracture, l’écorchure consentie des heures telles reptile apocopant ― pour fuir et survivre à son bris ― une partie de sa membrure ?

.Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles. Extrait 1.



E la nave va de Fellini



« J’ai dit la mer et je ne l’ai pas épuisée, et j’ai parlé sans que les mots jamais ne caillent sur les lèvres d’autrui, — et jusqu’aux miennes gercées par le sel qui retrouvaient, le temps d’un sourire écorcheur, le plaisir de l’ode mille fois mâchée par la bouche noire de mes compagnons…
Et l’île où j’ai, faisant relâche pour un plein d’eau, figé notre errance, l’île vierge encore de pas humains et sonore du babil seul des bêtes, l’île aussi s’est empreinte de nos phrases, s’est moulée dans le dire des matelots, s’est ouverte aux mots tendus comme des sentes vers la source :
À jamais, les clairières des voix perçant l’inconnu de l’arbre et du fruit, les syllabes arpenteuses traçant le portulan des havres et des brisants, ou lyriques sur le sable interrogeant le galbe des galets, le sens des bois flottés…»

.Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles.Ibis Rouge Éditions, 2004
Extrait 2 repris sur *Enjambées Fauves* qui  décline bellement le motif des Iles en territoire poétique


William Styron

L'Ile, loin de la mer....


Das Boot de Wolfgang Petersen, 



Au milieu des tourbillons malodorants et des courants dangereux qui se forment au confluent de l'Upper East River et du détroit de Long Island se trouve une petite île basse. Sur la plus grande partie de sa longueur s'étendent d'anciens bâtiments carcéraux ; morne et usée par le temps, elle se distingue à peine de la dizaine d'autres îles occupées par des prisons et des hôpitaux qui donnent aux fleuves de New York un tel air d'abandon et, particulièrement au crépuscule, une apparence de mélancolie et de résignation. Pourtant, ce lieu-ci attire le regard. Un je-ne-sais-quoi rend la laideur de cette île particulièrement déplaisante, son état de déréliction tout à fait cruel. Peut-être est-ce dû à sa situation géographique : le décor semble trop agréable pour abriter une institution carcérale. L'île offre une belle vue sur les eaux bleues du détroit à l'est et, côté continent, sur des maisons blanches qui, bien que situées dans le Bronx, sont si proprettes et estivales que l'on se croirait à Nantucket. Qui viendrait à passer devant cette île l'imaginerait facilement dotée d'un joli parc, d'un petit bois ou d'un port de plaisance plutôt que comme cet ensemble sordide de bâtiments carcéraux. Mais peut-être sont-ce les infrastructures elles-mêmes qui rendent le lieu plus sinistre et déprimant que de raison ; par comparaison, les édifices en marbre blanc des autres îles de la ville ressemblent presque à des sanctuaires. Les bâtiments de celle-ci, vieux de presque un siècle, arborent tourelles et fausses douves, parapets et donjons victoriens en brique noire de suie. Surmontés de remparts à créneaux, de hautes meurtrières et de tous les attributs d'une place forte, ils sont d'une laideur calculée et ridicule, comme s'il fallait ajouter au douloureux confinement des détenus, jusque dans les moindres recoins, un rappel insultant de leur incarcération.

William Styron, A Tombeau ouvert.