jeudi 31 janvier 2013

William Styron

L'Ile, loin de la mer....


Das Boot de Wolfgang Petersen, 



Au milieu des tourbillons malodorants et des courants dangereux qui se forment au confluent de l'Upper East River et du détroit de Long Island se trouve une petite île basse. Sur la plus grande partie de sa longueur s'étendent d'anciens bâtiments carcéraux ; morne et usée par le temps, elle se distingue à peine de la dizaine d'autres îles occupées par des prisons et des hôpitaux qui donnent aux fleuves de New York un tel air d'abandon et, particulièrement au crépuscule, une apparence de mélancolie et de résignation. Pourtant, ce lieu-ci attire le regard. Un je-ne-sais-quoi rend la laideur de cette île particulièrement déplaisante, son état de déréliction tout à fait cruel. Peut-être est-ce dû à sa situation géographique : le décor semble trop agréable pour abriter une institution carcérale. L'île offre une belle vue sur les eaux bleues du détroit à l'est et, côté continent, sur des maisons blanches qui, bien que situées dans le Bronx, sont si proprettes et estivales que l'on se croirait à Nantucket. Qui viendrait à passer devant cette île l'imaginerait facilement dotée d'un joli parc, d'un petit bois ou d'un port de plaisance plutôt que comme cet ensemble sordide de bâtiments carcéraux. Mais peut-être sont-ce les infrastructures elles-mêmes qui rendent le lieu plus sinistre et déprimant que de raison ; par comparaison, les édifices en marbre blanc des autres îles de la ville ressemblent presque à des sanctuaires. Les bâtiments de celle-ci, vieux de presque un siècle, arborent tourelles et fausses douves, parapets et donjons victoriens en brique noire de suie. Surmontés de remparts à créneaux, de hautes meurtrières et de tous les attributs d'une place forte, ils sont d'une laideur calculée et ridicule, comme s'il fallait ajouter au douloureux confinement des détenus, jusque dans les moindres recoins, un rappel insultant de leur incarcération.

William Styron, A Tombeau ouvert.

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