jeudi 27 décembre 2012

Article/Besson


Histoire d'un Ange déchu.....


The Misfiths de Huston

Les Anges ont la Parole !

Les Anges , "Portrait de la Jeune fille en poète " par Sylvie Besson

·LES ANGES TRANQUILLES de Sophie Masson (1964-2006)

...................ou L'ART des clichés clandestins !



Entrer et tenir dans une œuvre poétique par les images éthérées de l’envol, des anges, des oiseaux, des papillons ou celles évanescentes de la rose, de la brise et des rêves relèveraient du défi si l’on ne connaissait le parcours poétique de Sophie Masson, un parcours lumineux et déterminé rythmé par un Verbe original d’un lyrisme tout en retenu, un parcours habité d’une parole fougueuse et sensible, un parcours parsemé de doutes et d’interrogations, une poésie en clair-obscur orchestrant d’autant mieux les clichés qu’elle en joue en une langue concise et serrée, en des thèmes âpres et équivoques, en des possibles qui font des anges tranquilles, ces mots qui l’accompagnent, les principaux clandestins de son « histoire ». Une f(r)iction poétique prend alors vie sous nos yeux, frissonne de tous ses élans de (dés)espérance et de révolte, use le réel jusqu’à sa plus simple expression cherchant à rendre l’émotion là où l’on ne s’y attendait plus, en de petits ensembles expressifs. Les métaphores stéréotypées ont dès lors la teinte des désillusions, celles de l’être et de la réalité : « une colombe qui plane et se pose un instant sur nos rêves vacillants » //« Ne pas se fier à la torpeur trompeuse baignée de lumière blanche » ; ce faisant, les mots du quotidien reprennent la saveur indélébile, insondable de ce « temps qui n’attend pas »; les clichés ou topoi poétiques ne disent pas, à l’instant de l’écriture, le contraire de ce qu’ils suggèrent, mais renvoient, par un habile jeu de plume(s), de juxtapositions familières et de résonances iconoclastes à une perception lucide d’un réel peut-être insaisissable ou fugitif, mais essentiellement intraduisible, tout est nommé comme une évidence et tout semble étonnamment énigmatique : « dans l’eau profonde du trouble, je guette alors un signe, un sens, une évidence » ; le poème dit la déroutante ou inquiétante étreinte délétère des choses, la banalité de certaines images habille la détresse d’un songe afin de mieux cerner la matière ou l’étoffe des errements : « Ecrire pour oublier. Non. Pour dire le vide, l’ennui l’envie. L’envie de naitre au monde d’avaler le soleil des ivresses fertiles ». L’envol est alors un départ sans promesse de retour et la transparence des choses devient un repaire afin de « taquiner le verbe ». Ainsi apparaissent les « balafres morales », se dessine le portrait de la jeune femme en « auteur du quotidien », en un autre, son double, son allié, son amant, ce JE qui prend des distances avec trop d’intimité pour mesurer l’absurdité du monde, avec pudeur, puis « entrer dans la danse ».

Sophie Masson n’a de cesse de passer, avec une discrétion extraordinaire, ses clichés en contrebande afin de tutoyer la fêlure et la fragilité derrière une menace inavouable, d’étirer l’image jusqu’à ce qu’elle ne soit plus seulement un lieu commun ou pire un non-dit, mais la révélation , par ce « coup de plume tordu », d’un désir qui en tentant de « bâillonner le malheur » avec grâce et courage, fait affleurer des instants de bonheur -fussent-ils fugitifs- dans chaque fragment de vie ou d’écriture : « Si j’avais à refaire le chemin à l’envers, je m’en irais flâner sur une terre plus légère »; l’élégiaque réprime ainsi tout acte visionnaire, se tient au plus près des affects dans une ontologie omniprésente puisque le réel, en raison de la forme singulière qu’il prend, ménage une sagesse vécue et ouvre à tous les possibles : « Volé un peu de bleu . Entrouvert le portail des possibles en attente ». Ce sont ces choix stéréotypés associés au goût du peu, choix à rebours audacieux, qui permettent à la poésie de rester humaine et aux images d’être étroitement chevillées à la terre. Le stéréotype devient, en conséquence, un instrument d’investigation, il est ce territoire à partir duquel le réel est visité en des mots simples et denses, tranquilles et dérangeants, l’ensemble dessinant en creux un mouvement irréductible : la part de la création, ici et maintenant.

Le poète « vole [donc] un peu de bleu » au cœur de l’encre noire -un bleu sur noir quasi mallarméen- et continue d’avancer, mot après mot, ponctuant l’amour de comparaisons océanes, dérobant à l’évidence ce qui fait son mystère, entre murmures et appels. En refusant d’ignorer les beautés incarnées de l’amour, en chantant les miracles d’une présence ou d’un paysage, Sophie Masson ne fait qu’interroger sur le mode apparent de la candeur ce qui ne peut se repérer d’emblée, elle substitue, à ce que nous considérons comme factice ou ornemental, l’incertitude du monde ; le poète ouvre et capture à l’intérieur d’elle-même et de ses images convenues, de ce tout visible, l’envers du décor (dé-corps ?), ce qui s’écrit charnellement au verso de sa vie. Il n’existe pas de fuite, les rivages à atteindre sont fragiles « comme de la craie », il existe juste ce réel à prendre dans ses bras, quitte à le mettre à plat, à en rendre l’inexacte platitude, à l’instar de ces clichés volés à la poésie. Les anges ne sont pas si tranquilles, ils ne déposent jamais les armes, mais battent ou donnent de l’aile, et de ces batailles angéliques nait un chant amébée mélanco-ludique ; cette écriture à deux plumes[1] impose un principe dialogique, « art des surfaces et des doublures », un ensemble polyphonique profondément harmonieux qui, en rencontrant l’autre, découvre l’infini, puis s’émeut, se relève et s’étonne ….les clichés n’étant jamais ce qu’ils paraissent.

Ce dernierecueil , stricto sensu, saisit et ravit le lecteur par surprise, sans fioritures, sans excès, les mots acquièrent alors des profondeurs éblouissantes sur une existence éveillée, une conscience poétique qui sait déjà qu’elle éclaire les vacillements du réel, avec authenticité, comme la lumière d’une étoile morte : « Voilà pourquoi j’écris. En toute simplicité. Pour dire l’amour, la vie, les courants tumultueux qui emportent nos âmes. En toute humilité. A hauteur d’homme. C’est ça. »


[1] Le manuscrit original avait pour titre Deux plumes.
Sylvie Besson

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