samedi 2 février 2013

Jean-Claude Villain

S'éloigner des Terres et toucher à quelques îles....

De l'autre côté de Fatih Akin


Je ne suis pas homme de terres.
Né sur la rive d'un fleuve, j'ai suivi son cours jusqu'en son delta : mer m'accueillant en ses ports, au sable de ses plages.
Des terres, j'ai rejeté le goût des résonances obscures martelant l'âme d'une angoisse inavouée.
J'ai détendu le piège d'une sensibilité facile, qui étreignant pour mieux terrasser, vous jette, vagabond délirant, sur le bord d'un chemin de pierres sèches, sillon d'errance des plateaux sans limites.
J'ai renversé la soupe épaisse dont jadis je faisais mes forces du matin, déchiré les brouillards lents poussant vers les premiers feux, et fait taire le bruit régulier des rivières sous les branches hirsutes des saules.
J'ai dissipé les ombres de la nuit accrochées à la mousse des pierres sous l'embrasure des chambres et muselé les chiens apeurés par le souvenir des loups.
J'ai balayé les grands nuages gris et les pluies longues qui ont cerné tant de résignés cortèges : mariés des étés trop courts, morts habillés de toile trop neuve.
J'ai soulevé le poids stupide des cours fermées à hauteur de bétail et celui des âmes qui ont vécu tristes sans jamais savoir pourquoi.
Ni les soubresauts dans les lits étroits, ni le feu clair des soirs de fête, ni les sillons patiemment réouverts, ni les chants dans les églises, ni les sueurs aux moissons, ni l'acharnement des bâtisseurs ne m'ont convaincu de la vérité des terres humides frissonnant de vies perdues.
Accrocher à mon frêle esquif une voile, confier aux incertitudes du vent son mouvement dans l'infini du bleu, toucher à quelques îles heureuses aux maisons aux terrasses chaudes ouvertes sur la nuit, m'a paru la sagesse indolente des peuples, qui connaissant le tragique du soleil, se chauffent encore à la douceur de ses rayons.
Et puis surtout,
j'ai fui les terres où sont les oiseaux noirs,
choisi la mer où planent de grands oiseaux blancs.

Jean-Claude Villain, Face à la Mer.

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