L'Arbre de pluie s'étoile....
Je
te salue grand arbre
après
la pluie d’orage,
enfant
nouveau, lavé
de
parole et de cris :
la
brise maternelle
t’apprendra
d’autres langues
que
ces remous d’argile
montés
jusqu’à ta bouche
avec
les mots des morts –
tout
cela qui s’écoule
en
rivière de boue
vers
le plus bas des mers :
d’autres
langues, solaires,
feuilles
vastes et vertes
et
qui tirent du ciel
leur
source et leur lumière –
des
langues angéliques
baptisées
par le feu,
langues
nouvelles, fruits
mûrs
sans chute annoncée,
qu’éventeront
les brises
aux
gorges du feuillage
en
respiration large
animée
d’oiseaux tristes
de
n’être pas des anges
investis
de bleu tendre,
mais
de simples oiseaux
miraculés
de l’aube,
simples
oiseaux mortels
sans
langage absolu –
sans
commune mesure
avec
cette parole
dictée
à voix de mère
au
plus pur de l’arbuste,
hermétique
à l’averse
et
aux voix dans l’humus
The Tree of life de Malick |
–– 2 —
De cet arbre, je ne sais
pas le nom,
l’appeler de noms de
chiens est inutile
– il ne vient pas, reste debout, vague
immobile
dans l’instant de sa
pétrifaction,
Fossile et plein de vie,
plein de cette
voix des morts qui
remonte avec la houille
jusqu’à la hampe des
squelettes
ossifiés sur les branches
bredouilles.
Ah, qu’un souffle y pose
le gibier,
la bête sourde, aveugle,
de la mort –
mes chiens iront, mes
mots, humer
la trace noire des vieux
corps.
–– 3 —
Crécelle est l’arbre sec
remueur de gousses dans
la brise ;
la graine au sol attise
les becs
des oiseaux affamés de
cris.
Ce qu’ils prennent ?
– cette envie
de grammaire et de
vocabulaire ;
je peux bien leur offrir
la croûte et la mie –
de l’os de seiche et du millet,
qu’ont-ils à faire ?
C’est de parole d’arbres
qu’ils ont faim,
de sève alourdie de voix
mortes,
le blé mal éteint
n’incendie dans leur
poitrine aucune aorte.
Cet arbre seul étonné de
musique
leur donne à picorer le
chant,
leur coule dans le cœur
la portée mélodique
et la boucle du sang.
L’air tout chargé d’ailes
alors souffle sur les
astres –
j’entends dire aux
étoiles
une houle de phrases.
–– 4 —
Bien sûr on doit pouvoir
entrer dans le tronc,
disputer à l’écureuil un
peu d’espace,
aller sous l’écorce et le
rond
chant des branches tourné
dans l’air immense.
Rien de bien difficile,
en fait, il suffit
de mourir : alors la
chair de l’arbre
nous devient perméable et
lie
notre absence à la nuit
martelée d’orages.
–– 5 —
Heureux les mots qui ne
pourrissent pas,
mes vieilles sont en noir
dans la terre
leur parole est dans
l’arbre et dans l’étoile
avec le feu de leurs
paupières.
Leur regard bleu – moins
océan que ciel –
nomme les choses
d’ici-bas –
disant l’immatérielle
muette beauté du pas :
Non pas la marche mais
l’absence
le terrible creux de
mort,
le silence
des bouches tendues vers
le dehors
Criant avec l’ageasse
pour recréer le monde
à leur image et
ressemblance
comme à la vie est
pareille l’amande.
Ô cri dans le noyau sans
écorce
– disons nuit si
la mort est obscure –
leurs mots bien vivants
s’efforcent
d’ouvrir mes
blessures :
Langage qui saigne à la
proue, rouge-gorge
épanoui sur le cœur du
vent –
j’entends parler dans le
maïs et l’orge
mes très morts, mes très
vivants.
Lionel-Edouard Martin, Le nom de l’arbre après la pluie
(in Avènement des ponts, éd. Tarabuste)
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