La conscience errante du labyrinthe !
Il se leva et alla fermer les deux portes. Au moins, il
serait seul à contempler le masque de sa honte... Alors il tira le paravent et
face à face se regarda... Oui, c’était vrai ! le portrait avait changé !...
Comme souvent il se le rappela plus tard, et toujours non sans
étonnement, il se trouva qu’il examinait le portrait avec un sentiment
indéfinissable d’intérêt scientifique. Qu’un pareil changement fut arrivé, cela
lui semblait impossible... et cependant cela était !... Y avait-il quelques
subtiles affinités entre les atomes chimiques mêlés en formes et en couleurs
sur la toile, et l’âme qu’elle renfermait ? Se pouvait-il qu’ils l’eussent
réalisé, ce que cette âme avait pensé ; que ce qu’elle rêva, ils l’eussent fait
vrai ? N’y avait-il dans cela quelque autre et... terrible raison ? Il frissonna,
effrayé... Retournant vers le divan, il s’y laissa tomber, regardant, hagard,
le portrait en frémissant d’horreur !...
Cette chose avait eu, toutefois, un effet sur lui... Il
devenait conscient de son injustice et de sa cruauté envers Sibyl Vane... Il n’était
pas trop tard pour réparer ses torts. Elle pouvait encore devenir sa femme. Son
égoïste amour irréel céderait à quelque plus haute influence, se transformerait
en une plus noble passion, et son portrait par Basil Hallward lui serait un
guide à travers la vie, lui serait ce qu’est la sainteté à certains, la
conscience à d’autres et la crainte de Dieu à tous... Il y a des opiums pour
les remords, des narcotiques moraux pour l’esprit.
Oui, cela était un symbole visible, de la dégradation qu’amenait
le péché !... C’était un signe avertisseur des désastres prochains que les
hommes préparent à leurs âmes !
Trois heures sonnèrent, puis quatre. La demie tinta son double
carillon... Dorian Gray ne bougeait pas.
Il essayait de réunir les fils vermeils de sa vie et de les
tresser ensemble ; il tentait de trouver son chemin à travers le labyrinthe
d’ardente passion dans lequel il errait.
Le portait de Dorian Gray de Lewin. Dorian face à sa labyrinthique toile! |
Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde
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