lundi 14 janvier 2013


Mourir avant l'heure !

 Il quittait le lit, s'approchait de la fenêtre, regardait la rue, une rue vulgaire, laide, silencieuse, mesquinement éclairée, puis allait dans la cuisine, mettait de l'eau à bouillir et se faisait du café, et parfois, pendant qu'il buvait du café chaud et sans sucre, un café merdique, il allumait la télé et se mettait à regarder des émissions nocturnes qui arrivaient des quatre coins cardinaux du désert, à cette heure-là il captait des chaînes mexicaines et nord-américaines, des chaînes de handicapés déments qui chevauchaient sous les étoiles, se saluaient avec des paroles incompréhensibles, en espagnol, en anglais ou en spenglish, mais toutes incompréhensibles, ces foutues paroles, et alors Juan de Dios Martinez posait sa tasse de café sur la table, se couvrait la tête de ses mains, et un hululement faible mais distinct s'échappait de ses lèvres, comme s'il pleurait ou luttait pour pleurer, mais lorsque finalement il retirait ses mains il n'y avait, éclairée par l'écran de la télé, que sa vieille gueule, sa vieille peau stérile et sèche, sans la moindre trace de larme.  

L'Homme sans passé, Kaurismaki
Roberto Bolaño, 2666

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire