vendredi 18 janvier 2013

Jules Supervielle


 L'arbre en soi...                           
                           
                          
Peter Ibbetson d'Henry Hattaway


LE PREMIER ARBRE
                           
                           C'était lors de mon premier arbre,
                           J'avais beau le sentir en moi
                           Il me surprit par tant de branches,
                           Il était arbre mille fois.
                           Moi qui suis tout ce que je forme
                           Je ne me savais pas feuillu,
                           Voilà que je donnais de l'ombre
                           Et j'avais des oiseaux dessus.
                           Je cachais ma sève divine
                           Dans ce fût qui montant au ciel
                           Mais j'étais pris par la racine
                           Comme à un piège naturel.
                           C'était lors de mon premier arbre,
                           L'homme s'assit sous le feuillage
                           Si tendre d'être si nouveau.
                           Etait-ce un chêne ou bien un orme
                           C'est loin et je ne sais pas trop
                           Mais je sais bien qu'il plut à l'homme
                           Qui s'endormit les yeux en joie
                           Pour y rêver d'un petit bois.
                           Alors au sortir de son somme
                           D'un coup je fis une forêt
                           De grands arbres nés centenaires
                           Et trois cents cerfs la parcouraient
                           Avec leurs biches déjà mères.
                           Ils croyaient depuis très longtemps
                           L'habiter et la reconnaître
                           Les six-cors et leurs bramements
                           Non loin de faons encore à naître.
                           Ils avaient, à peine jaillis,
                           Plus qu'il ne fallait d'espérance
                           Ils étaient lourds de souvenirs
                           Qui dans les miens prenaient naissance.
                           D'un coup je fis chênes, sapins,
                           Beaucoup d'écureuils pour les cimes,
                           L'enfant qui cherche son chemin
                           Et le bûcheron qui l'indique,
                           Je cachai de mon mieux le ciel
                           Pour ses distances malaisées
                           Mais je le redonnai pour tel
                           Dans les oiseaux et la rosée.

                                          Jules Supervielle
                           
                           

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