L’épreuve vient de Dieu. Je l’attendrai, sans en vouloir
rien apprendre, surtout d’une telle bouche. C’est de Dieu que je reçois à cette
heure la force que tu ne peux briser.
Au même instant, ce qui se tenait devant lui s’effaça, ou
plutôt les lignes et contours s’en confondirent dans une vibration mystérieuse,
ainsi que les rayons d’une roue qui tourne à toute vitesse. Puis ces traits se
reformèrent lentement.
Et le vicaire de Campagne vit soudain devant lui son double,
une ressemblance si parfaite, si subtile, que cela se fût comparé moins à
l’image reflétée dans un miroir qu’à la singulière, à l’unique et profonde
pensée que chacun nourrit de soi-même.
Que dire ? C’était son visage pâli, sa soutane souillée de
boue, le geste instinctif de sa main vers le coeur ; c’était là son regard, et,
dans ce regard, il lisait la crainte. Mais jamais sa propre conscience, dressée
pourtant à l’examen particulier, ne fût parvenue, à elle seule, à ce
dédoublement prodigieux. L’observation la plus sagace, tournée vers l’univers
intérieur, n’en saisit qu’un aspect à la fois. Et ce que découvrait le futur
saint de Lumbres, à ce moment, c’était l’ensemble et le détail, ses pensées,
avec leurs racines, leurs prolongements, l’infini réseau qui les relie entre
elles, les moindres vibrations de son vouloir, ainsi qu’un corps dénudé
montrerait dans le dessin de ses artères et de ses veines le battement de la
vie. Cette vision, à la fois une et multiple, telle que d’un homme qui
saisirait du regard un objet dans ses trois dimensions, était d’une perfection
telle que le pauvre prêtre se reconnut, non seulement dans le présent, mais
dans le passé, dans l’avenir, qu’il reconnut toute sa vie… Hé quoi ! Seigneur,
sommes-nous ainsi transparents à l’ennemi qui nous guette ? Sommes-nous donnés
si désarmés à sa haine pensive ?
Bernanos, Sous le soleil de Satan
Derrière le miroir de Nicolas Ray |
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